L D o s s i e r   t r a... Avant-propos

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Dossier transplantation et suivi thérapeutique pharmacologique
D ossier transplantation et suivi thérapeutique
Avant-propos
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E.M. Billaud*
L
a transplantation d’organes représente un domaine particulier
de la médecine où les limites humaines sont repoussées vers
des frontières qui dépassent le champ habituel des soins.
Dans ce contexte, l’arsenal thérapeutique des immunosuppresseurs,
d’abord limité aux corticoïdes, à l’azathioprine et au sérum antilymphocytaire (SAL), a été bouleversé au début des années 1980 par
l’arrivée de la ciclosporine, premier médicament inhibiteur de la
calcineurine (ICN) intervenant au niveau de l’interleukine 2. Ce
nouveau médicament, par son mécanisme d’action original, a permis
d’améliorer l’efficacité de la prévention du rejet aigu, autorisant des
transplantations d’organes à plus haut risque de rejet que ne l’est
celle du rein, telle celle du cœur, voire celle du poumon ; en outre,
en diminuant la dose de corticoïdes, la cliclosporine a transfiguré
le contexte infectieux de la post-transplantation immédiate.
Cependant, malgré l’apport ultérieur du tacrolimus, de la microémulsion de ciclosporine et de l’acide mycophénolique (MPA) en
1995-1996, ce gain sur la survie du greffon à un an n’a eu que peu
d’impact sur le devenir à long terme du patient. Les causes d’échec à
ce niveau sont représentées notamment par le rejet chronique. Il se
manifeste aussi bien en transplantation rénale (dysfonctionnement
chronique du greffon) que cardiaque (maladie vasculaire du greffon)
ou pulmonaire (bronchiolite oblitérante). Il résulte de plusieurs
facteurs, à la fois immunitaires et non immunitaires, notamment
vasculaires, et se trouve associé à des complications liées aux
traitements immunosuppresseurs, au premier rang desquelles la
néphrotoxicité induite par les inhibiteurs de la calcineurine, les
problèmes infectieux, notamment de nature opportuniste (CMV,
BK virus), et les néoplasies (surcroît de cancers et lymphomes).
Le rêve de tout transplanteur est de s’affranchir des corticoïdes
et des inhibiteurs de la calcineurine ou d’en réduire fortement les
doses, voire d’induire une meilleure tolérance d’organe, tout en
respectant l’innocuité à long terme des traitements. Sans doute
encore inaccessibles, peut-être même utopistes, certains de ces
objectifs commencent toutefois à être envisageables.
Il existe en tout cas une place pour de nouveaux traitements, et plus
encore pour de nouvelles stratégies d’associations, puisqu’il s’agit
d’optimiser une combinaison de 3 à 5 traitements dont la diversité
des mécanismes doit permettre de minimiser les doses individuelles
de chaque immunosuppresseur et donc leurs effets indésirables.
Parmi ces nouvelles stratégies, une nouvelle classe d’immunosuppresseurs est disponible depuis le début des années 2000 : les
inhibiteurs du signal de prolifération (ISP), représentés actuellement
par le sirolimus (Rapamune®) et l’évérolimus (Certican®). En dehors
de leur action immunosuppressive en tant qu’inhibiteurs de la FRAP
ou mTOR (mammalian target of rapamycine), ils possèdent une
activité vasculaire originale d’inhibition de la prolifération intimale
des cellules musculaires lisses vasculaires. Cette propriété leur
confère un rôle potentiel dans la prévention du rejet chronique,
notamment de la maladie vasculaire du greffon cardiaque, rôle
* Service de pharmacologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Assistance publique – Hôpitaux de Paris, faculté de médecine René-Descartes (Paris-V).
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démontré avec l’évérolimus au cours d’un essai clinique randomisé
en double aveugle avec double placebo sur 600 patients en transplantation cardiaque. Leur effet antiprolifératif pourrait même
s’étendre à une protection antitumorale.
Si l’apport des inhibiteurs du signal de prolifération en transplantation d’organe solide (rein, cœur et poumon) est de mieux en mieux
documenté, la transplantation hépatique fait l’objet d’un développement clinique moins avancé en raison du profil immunologique
assez tolérant de cet organe d’une part, et de l’impact potentiel
des propriétés vasculaires antiprolifératives de cette classe sur la
cicatrisation d’une chirurgie lourde, d’autre part. Parmi les autres
cibles thérapeutiques identifiées, à l’origine du développement de
nouvelles classes d’immunosuppresseurs comme le FK778 (malononitrilamide) ou le FTY720 (analogue de la sphingosine), seul le
LEA-29Y (Belatacept®) semble aujourd’hui prometteur.
Par ailleurs, les immunosuppresseurs représentent des classes
médicamenteuses pour lesquelles l’apport du pharmacologue
s’est révélé incontournable, puisque quatre de ces médicaments,
les rapamycines (inhibiteurs du signal de prolifération) et les
inhibiteurs de la calcineurine, font l’objet d’une recommandation de suivi thérapeutique pharmacologique (STP) dans leur
autorisation de mise sur le marché (AMM).
L’apport du STP dans ce domaine s’est avéré crucial, pour équilibrer les traitements et maîtriser la iatrogénie potentielle ainsi
que les nombreuses interactions médicamenteuses de cette classe
thérapeutique. La complexité des associations, la puissance des
molécules et donc des marges thérapeutiques cibles de concentrations de plus en plus faibles se sont heureusement accompagnées
de développements pharmacocinétiques (échantillonnage limité
et pharmacocinétique de population pour l’appréciation des aires
sous la courbe comme témoin de l’imprégnation médicamenteuse,
avec, par exemple, le MPA ; évaluation d’un paramètre différent
de la concentration résiduelle C0 comme le C2, avec la micro­
émulsion de ciclosporine) aussi bien qu’analytiques (applications
du couplage chromatographie liquide-spectrométrie de masse,
LC-MS/MS ou nouveaux réactifs d’immunoanalyse). Déjà pilote et
élément moteur en termes de STP, la classe des immunosuppresseurs pourra peut-être participer à la diffusion de ces techniques
en s’appuyant à la fois sur des études de coût et sur l’analyse des
résultats de l’évaluation externe de qualité, particulièrement bien
développée dans ce domaine. En effet, le contrôle de qualité du
dosage des immunosuppresseurs représente un exemple sans
précédent d’évaluation systématique au long cours des performances d’un outil diagnostic, aussi bien à son initiation que lors
de son évolution. Mis en place en France et en Italie il y a une
vingtaine d’années, il est coordonné depuis les années 1990 par
le Royaume-Uni et couvre le monde entier. Sont à porter à son
actif l’identification et l’analyse de modifications de la qualité de
réactifs, aussi bien que le positionnement relatif des critères de
qualité et donc des performances des méthodes en termes de
spécificité, de précision et d’exactitude.
Nous sommes arrivés aujourd’hui à une ère d’alternatives pharmacologiques et technologiques qui ouvrent des perspectives
riches sur le plan thérapeutique, assorties cependant d’enjeux
exigeants au niveau méthodologique.
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La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2007
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