Éditorial Infections au cours des greffes d’organes solides : les points de vue du transplanteur et de l’infectiologue Infections in solid organ transplant Le point de vue du transplanteur Pr Faouzi Saliba Centre hépatobiliaire, hôpital Paul-Brousse, AP-HP, Villejuif ; université Paris-Sud, UMR-S 785, Villejuif ; Inserm, unité 785, Villejuif. L’infection est longtemps restée la principale cause de décès après une transplantation d’organe, à court et moyen termes. Elle constituait un véritable frein à l’amélioration de la survie des patients après la greffe. L’infection est en outre, quelle que soit sa nature – bactérienne, virale, fongique, parasitaire –, souvent associée à un dysfonctionnement aigu ou chronique du greffon. Des progrès importants dans la sélection des patients candidats à la greffe, dans la sélection des donneurs et dans la technique chirurgicale elle-même (réduction du besoin de transfusions sanguines), ainsi qu’une meilleure connaissance des risques et des compli­ cations de la greffe, ont été à l’origine d’une ­meilleure maîtrise de ce risque et d’une nette réduction de l’incidence de ces infections. Mais, en somme, c’est l’amélioration des outils de diagnostic précoce de l’infection et la prophylaxie anti­m icrobienne ­instaurée chez les patients à risque qui ont ­nettement amélioré le ­pronostic. Parallèlement, les traitements immuno­suppresseurs postgreffe ont subi d’impor­ tantes modifications au cours des dernières années : l’arrêt précoce des corticoïdes, la minimisation, voire l’épargne des inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacro­limus), la baisse de l’incidence du rejet et l’opti­misation de son traitement ont ­permis de réduire les consé­q uences de ces traitements, ­notamment les risques cardiovasculaires, rénaux, infectieux et de ­cancer de novo. Plus récemment, l’apport des ­nouvelles m ­ olécules antivirales dans 48 0048_CTR 48 le traitement et la prévention de la récidive du virus de l’hépatite B sur le greffon et, de façon parallèle, dans le traitement et l’éradication du virus de l’hépatite C a permis une amélioration considérable de la survie du patient et du greffon. Des problématiques plus spécifiques sont apparues au cours de cette dernière décennie, qui seront particu­ lièrement évoquées dans ce numéro : la transmission de microbes pathogènes du donneur au receveur, les bactéries hautement résistantes responsables de certaines épidémies et altérant la survie, la transmis­sion par le donneur ou l’acquisition d’une hépa­tite virale E et l’émergence d’espèces fongiques rares (Zygomycètes, Fusarium, Scedosporium, etc.). Les études sur le microbiote intestinal chez le patient transplanté semblent apporter une autre vision. Ainsi, les modifications fréquentes du microbiote pourraient interférer avec les traitements immunosuppresseurs, augmentant le risque de rejet aigu et les complications infectieuses. Avec l’apport de nouvelles molécules anti­microbiennes et les diverses stratégies et recommandations ­préventives et thérapeutiques établies par les sociétés savantes, la prise en charge de ces patients nécessite une étroite collaboration entre l’infectiologue, le réani­ mateur et le transplanteur. Ce numéro rapporte enfin les actualités sur les princi­p ales infections qui continuent à poser un véritable défi touchant de près la survie du greffon et du patient. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XVI - n° 2 - avril-mai-juin 2016 21/06/2016 10:45:37 Le point de vue de l’infectiologue Pr Olivier Lortholary Université Paris Descartes, Centre d’infectiologie Necker-Pasteur, IHU Imagine, hôpital universitaire Necker− Enfants-malades, Centre national de référence mycoses invasives et antifongiques, unité de mycologie m ­ oléculaire, CNRS URA 3012, Institut Pasteur, Paris. F. Saliba déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Astellas, Basilea, Baxter, Gilead, MSD, Novartis et Vital Therapies. O. Lortholary déclare avoir des liens d’intérêts avec Gilead, Pfizer, MSD, Astellas et Basilea. Les infections sont une complication fréquente et potentiellement sévère au cours des greffes ­d’organes en raison, d’une part, de l’utilisation de traitements immunosuppresseurs, et ce dès l’induc­tion de la greffe, mais aussi lors d’épisodes de rejets. Elles représentent la première cause de mortalité dans ce contexte, et ­plusieurs d’entre elles ont aussi un effet sur la survie du greffon. L’histoire naturelle de certaines infections est également modifiée au cours de la transplan­tation. Les traitements immuno­suppresseurs agissent en i­nhibant des voies impor­tantes de l’immu­nité cellulaire i­mpliquées dans la recon­naissance des pathogènes, dans la présentation d’antigènes microbiens, l’axe Th1 et Th17 mais aussi le “killing” des micro-organismes. Ceux-ci confèrent un profil d’infec­tions particulier c­ omportant par exemple des micro-­organismes tels Listeria, les myco­bactéries, les infections à herpèsvirus, la pneumo­cystose ou la cryptococcose. La présence associée d’une neutro­pénie ou d’une hypogamma­globulinémie élargit le spectre des micro-­ organismes impliqués. Interviennent éga­lement dans le risque infectieux des patients transplantés le type d’organe transplanté, la procé­dure chirurgicale, l’âge, l’état g­ énéral et nutri­tionnel, la fonction rénale, une co-­infection virale chronique (virus de l’hépatite B [VHB], virus de l’hépatite C [VHC] et virus de l’immuno­déficience humaine [VIH]) avec ou sans cirrhose, les antécédents infec­tieux ou de coloni­sation avant la transplan­tation, la ­présence de matériel étranger, les statuts sérologiques du d ­ onneur et du receveur (en parti­culier cytomégalo­virus [CMV] et virus d’Epstein-Barr [EBV]). Ces infections sur­viennent parfois tôt dans la phase postopératoire et se ­présentent sous la forme d’une infection du site opératoire, ou alors elles corres­pondent à une contami­nation liée aux procé­dures de soins, à une réactivation d’une infec­tion jusqu’alors latente chez le receveur, mais aussi parfois chez le donneur, à une infection du greffon ou une contami­nation du liquide de conser­vation. Plus tardivement, les infections peuvent être acquises hors de ­l’hôpital : des recommandations de prévention sont alors ­données, à l’occasion de voyages ou non. La préven­tion repose aussi sur des chimio­prophylaxies ciblées sur les micro-organismes les plus fréquents et sur le bon contrôle du statut vaccinal. Enfin, très récemment, une susceptibilité génétique particulière de certains patients a été mise en évidence. L’infectiologue intervient de manière conjointe au transplanteur dans différentes étapes de la préven­ tion ou de la prise en charge diagnos­tique et/ou théra­ peutique des infections et dans la g ­ estion pratique de l’immunosuppression. Ainsi, des consultations ciblées, parfois transdisciplinaires, peuvent être envi­sagées avant la transplantation, impliquant le futur receveur (VIH+ et optimisation du traitement anti­rétroviral, statut tuberculeux, ­portage de ­bactéries multi­résistantes [BMR], ­allergie à telle famille d’anti­bactériens, par exemple), mais aussi le d ­ onneur en cas de procédure impliquant un donneur vivant (antécédent infectieux, voyage en zone d’endémie, par exemple). Le recours aux consultations avant des voyages internationaux devrait être systé­matique, notamment chez les transplantés rénaux et hépa­tiques, les plus à même de voyager. Le choix de ­l’outil microbiologique permettant le diagnostic ainsi que l’optimisation du traitement anti-­infectieux à ­l’échelon individuel et le bon usage des anti-­infectieux à l­ ’échelon collectif sont des exemples concrets d’une bonne collabo­ration entre infectiologues et t­ ransplanteurs. C’est tout le mérite de ce numéro de La Lettre de ­l’Infectiologue et du Courrier de la Transplantation que d’illustrer ces concepts en traitant des infections ­fongiques, des diarrhées infectieuses, de la réacti­ vation ou de la primo‑infection par l’EBV ou le CMV, de l’hépatite E et, de manière originale, de souligner dans ce contexte le rôle du microbiote intestinal. ■ AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. 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