Titre 2 « Droits fondamentaux, citoyenneté et buts sociaux

Le système suisse de protection sociale
Thème 3 : Architecture et finances
du système suisse de protection sociale
Jean-François Bickel
Université de Fribourg
Année académique 2009-2010 (SA09)
Survol
1. Introduction
2. Statistiques financières des prestations de politique sociale
3. Un triple points de vue
4. Les régimes de protection sociale en Suisse
Introduction
Dans cette partie du cours, l’objectif est d’examiner l’architecture du système suisse de
protection sociale, en adoptant une perspective particulière qui est la perspective financière.
Pour réaliser cet objectif, une première étape est de circonscrire plus précisément le
champ de la politique sociale et les domaines ou dispositifs qui en font partie. Il existe
différentes conceptions ou approches à ce propos, et la frontière entre ce qui appartient à la
politique sociale et ce qui n’y appartient pas n’est pas définie une fois pour toute. Certains
auteurs ne considèrent que les assurances sociales ; d’autres y ajoutent l’aspect de la santé et
des soins ; d’autres encore ont une vision plus large. Pierre Gilliand et Stéphane Rossini1 par
exemple englobe dans la politique sociale (1) la sécurité sociale (assurances et aides sociales
publiques et privées), et (2) la santé publique, c’est-à-dire des politiques sociales globales,
concernant toute la population, mais aussi (3) les politiques sociales sectorielles (emploi,
jeunesse, famille, vieillesse), ainsi que (4) les interventions particulières visant des catégories
de population spécifiques (immigrants, prisonniers, toxicomanes, requérantes de pension
alimentaire, pauvres du « quart monde », etc.).
Définir très précisément ce qu’est ou n’est pas de « politique sociale » et les dispositifs qui
composent le champ, et se tenir à cette définition, est cependant nécessaire si l’on veut
pouvoir établir les flux financiers impliqués.
1 Gilliand P. & Rossini S., La protection sociale en Suisse. Recettes et dépenses, 1948 – 1997 – Comparaisons
avec les pays de l’Union européenne, Lausanne, Réalités Sociales, 1997.
1
Dans le droit fil du thème précédent, nous adoptons la délimitation opérée par Spartaco
Greppi et Heiner Ritzmann2, qui s’inspire eux-mêmes de divers travaux précédents3. Leur
travail est en effet celui sur lequel s’appuie l’appareil statistique suisse en matière de finances
de la protection sociale.
Ces auteurs circonscrivent le domaine de la politique sociale en Suisse en s’appuyant sur
le contenu de la Constitution fédérale de 1999 (cf. séance précédente). Ils distinguent ainsi les
domaines suivants4 :
1. La protection des travailleurs
2. Les assurances sociales au sens large
3. La politique de la santé
4. Les mesures conjoncturelles
5. L’aide sociale publique et l’aide aux victimes d’une infraction Les mesures dans le
domaine de l’asile
6. La protection des consommateurs
7. Les mesures en faveur de la formation
8. Les mesures structurelles, spécialement dans l’agriculture (branches, régions,
professions)
9. La protection de la famille
10. La protection des locataires, l’encouragement de la construction de logement et de
l’accession à la propriété.
A ces 10 domaines, on ajoute souvent l’aide sociale privée, qui n’est pas mentionnée
explicitement dans la Constitution fédérale, mais qui découle du principe de subsidiarité
mentionné à l’art. 41.
La liste est également souvent complétée par le domaine des assurances privées. La
Confédération n’a ici qu’un rôle de surveillance. Mais les auteurs qui incluent ce domaine
soulignent qu’historiquement les assurances privées – dont certaines sont obligatoires – ont
joué un rôle pilote, préparant le terrain aux assurances sociales ; que d’autre part les premières
ont une composante sociale et ne peuvent pas être simplement opposées aux secondes, mais
doivent plutôt vues comme complémentaires à ces dernières. Cette complémentarité est même
parfois explicitement prévue et favorisée dans la loi : c’est le cas de la prévoyance
individuelle et des mesures fiscales visant à l’encourager dans le cadre de la politique dite des
trois piliers de la prévoyance vieillesse.
Statistiques financières des prestations de politique sociale
Au sein de ces différents domaines, nous nous intéressons ici plus particulièrement aux
dispositifs et mesures dont l’objectif est de fournir des prestations, et impliquant de ce fait des
transferts financiers aux bénéficiaires des prestations ou à des tiers fournisseurs de prestations.
Une telle approche ne couvre donc pas l’entier de la politique sociale ! Certaines
interventions en matière de politique sociale n’impliquent pas l’existence de prestations, mais
relèvent d’une activité de régulation.
C’est le cas notamment de toutes les mesures législatives, comme par exemple
l’interdiction de travailler la nuit ou la protection des consommateurs.
2 Greppi S. & Ritzmann H., Les comptes globaux de la protection sociale : Méthodes et concepts, Neuchâtel,
Office fédéral de la statistique (OFS), 2002.
3 Cf. notamment Gilliand P. & Rossini S., Le budget social de la Suisse, Lausanne, Réalités Sociales, 1995;
Tschudi H.P., La constitution sociale de la Suisse, Berne, Documents de l’Union syndicale suisse, 1987.
4 Ibid., pp. 38-39.
2
Les statistiques financières des prestations de politique sociale visent à fournir un tableau
complet et détaillé des dépenses et des recettes en matière de politique sociale.
Les statistiques dont on dispose pour le moment n’incluent pas les mesures fiscales : en
matière de politique sociale, il s’agit principalement des allègements fiscaux pour la famille.
Cet aspect sera donc traité à part.
Deux approches
1. Les comptes globaux de la protection sociale (CGPS) au sens de la statistique
européenne (SESPROS)
2. Statistiques financières des prestations de politique sociale suisse, inclus les CGPS et
les prestations sociales non prises en compte par la statistique européenne.
L’élaboration des CGPS en Suisse s’est adaptée aux normes du « système européen de
statistiques intégrées de la protection sociale » (SESPROS) développé par Eurostat (le service
statistique de l’Union Européenne)
On va ainsi dans le sens d’une plus grande systématicité et comparabilité des données (qui
reste néanmoins un exercice difficile)
Inconvénient : malgré leur importance du point de vue de la politique sociale, toute une
série de prestations ne sont pas prises en compte par SESPROS.
D’où l’effort de compléter les CGPS par des statistiques financières portant sur
l’ensemble de la protection sociale.
Approche européenne (Eurostat, manuel SESPROS de 1996)
Selon SESPROS, la protection sociale est « toute intervention d’organismes publics ou privés
destinée à alléger la charge que représente la survenance de certains risques ou besoins pour
les ménages et les particuliers à condition qu’elle n’ait pas de contrepartie et ne relève pas de
dispositions personnelles »5
Pour SESPROS, une prestation d’un organisme relève de la protection sociale à la double
condition suivante :
1. Elle est fondée
a) Sur la solidarité sociale, c’est-à-dire qu’elle « implique un mécanisme de
redistribution: les cotisations à payer ne doivent pas être proportionnelles à
l’exposition individuelle au risque des personnes protégées »6
b) Ou / et sur une obligation ou convention.
2. Elle couvre un des risques ou besoins attribués aux huit fonctions reconnues:
Maladie/soins de santé
Invalidité
Vieillesse
Survie
Famille/enfants
Chômage
Logement
Exclusion sociale non classée ailleurs
5 Manuel SESPROS 1996. Système européen de statistiques intégrées de la protection sociale (SESPROS).
Luxembourg: Eurostat, Office statistique des Communautés européennes, 1997, partie 1, parag. 11; cité dans
Greppi & Ritzmann, op. cit., p. 25.
6 Ibid., note 61, p. 25
3
L’approche SESPROS a donc des limites, car elle laisse de côté tout un ensemble de
prestations de protection sociale :
1. elle exclut certaines fonctions :
exemples: formation, mesures structurelles
2. elle exclut certains éléments faisant pourtant partie des fonctions reconnues :
Exemple: les prestations financées par franchises et quotes-parts dans l’assurance
obligatoire de soins
Pour palier ces limites, les statisticiens de l’OFS élaborent également des comptes globaux de
la protection sociale dans un sens plus large, c’est-à-dire incluant les prestations non prises en
compte du point de vue de SESPROS. Pour distinguer cette seconde approche, je parle de
statistiques financières des prestations de politique sociale.
Malheureusement, cette seconde approche reste inachevée, notamment parce que ne sont
pas prises en compte les mesures fiscales.
Un triple points de vue
Ce triples points de vue peut s’appliquer aussi bien à la perspective des comptes globaux de la
protection sociale (au sens SESPROS) qu’à celle des dépenses et recettes de l’ensemble de la
protection sociale.
Le point de vue des régimes
Les régimes (dispositifs) constituent les unités d’observations statistiques et le point de départ
de la démarche.
Selon SESPROS, « un régime de protection sociale est un corps de règles distinct, géré
par une ou plusieurs unités institutionnelles, régissant la fourniture de prestations sociales et
leur financement ».7
Pour chaque régime, sont mis en évidence :
les dépenses totales
les recettes totales propres (dépenses et recette propres, c’est-à-dire sans les transferts
entre régimes)
Parmi les dépenses, on distingue:
Les prestations sociales
Les dépenses de fonctionnement
Les intérêts passifs et autres dépenses
Parmi les recettes, on distingue:
Les cotisations sociales (employeurs, employés, indépendants)
Les contributions publiques (Confédération, cantons, communes)
Les primes par tête
Les revenus de la propriété et autres recettes
Le point de vue des fonctions
Sur cette base, et pour les seules dépenses de prestations sociales, on distingue celles-ci selon
leur fonction, c’est-à-dire le risque ou le besoin qui est couvert.
Les huit fonctions définies par SESPROS citées plus haut sont :
7 Manuel SESPROS 1996, op. cit., partie 1, parag. 40; cité dans Greppi & Ritzmann, op. cit., p. 28
4
1. Maladie/soins de santé:
Maintien du revenu et assistance en espèces en rapport avec une maladie physique
ou mentale; soins hospitaliers et ambulatoires
2. Invalidité:
Maintien du revenu et assistance en espèces ou en nature (sauf soins médicaux) en
rapport avec l’incapacité des handicapés physiques ou mentaux d’exercer des
activités économiques
3. Vieillesse:
Maintien du revenu et assistance en espèces ou en nature (sauf soins médicaux) en
rapport avec la vieillesse
4. Survie:
Maintien du revenu et assistance en espèces ou en nature en rapport avec le décès
d’un membre de la famille
5. Famille/enfants:
Assistance en espèces ou en nature (sauf soins médicaux) en rapport avec la
grossesse, l’accouchement et l’adoption ainsi que la charge d’enfant
6. Chômage:
Maintien du revenu et assistance en rapport avec la situation des chômeurs
7. Logement
Aide aux frais de logement
8. Exclusion sociale (non classée ailleurs):
Prestations en espèces ou en nature (sauf soins médicaux) destinées
spécifiquement à lutter contre l’exclusion sociale lorsqu’elles ne sont pas
couvertes par une autre fonction.
En plus de ces fonctions, Spartaco Greppi et Heiner Ritzmann mentionnent l’existence
d’autres fonctions visées par les prestations des régimes de protection sociale en Suisse. A
savoir :
formation, éducation
aide aux branches et régions
défense nationale
incendie, éléments naturels
dommage aux biens
aide alimentaire et humanitaire
autres.
Deux éléments sont à souligner :
plusieurs régimes peuvent fournir des prestations pour une même fonction ;
un même régime peut fournir des prestations pour plusieurs risques ou besoins.
Le point de vue économique : types de dépenses et de recettes
Pour une fonction donnée, les prestations peuvent être distinguées selon leurs types :
Prestations en espèces ou en nature
Prestations octroyées sans ou avec conditions de ressources
Ces distinctions constituent le noyau de l’optique dite économique des statistiques
financières de la protection sociale, qui prend aussi en compte les autres dépenses et recettes.
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