revue générale
Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr :
physiopathologie et perspectives thérapeutiques
S. Depil
1,2
O. Moralès
2
C. Auriault
2
1
Service des maladies du sang,
CHU de Lille
2
UMR 8527, Institut de biologie de Lille
Article reçu le 14 juin 2004,
accepté le 16 août 2004
Résumé.Le virus d’Epstein-Barr (EBV) semble utiliser les voies normales de
différenciation des lymphocytes B pour se maintenir de manière latente dans
l’organisme. Ce processus est contrôlé de manière efficace par le système
immunitaire par le biais de lymphocytes T spécifiques, ce qui explique l’ab-
sence de pathogénicité du virus dans la majorité des cas. L’EBV est cependant
impliqué dans diverses pathologies tumorales. Ainsi, 30 à 50 % des maladies
de Hodgkin sont associées à l’EBV. On retrouve dans les formes EBV+ une
intégration clonale du virus dans les cellules tumorales. La maladies de Hodg-
kin se caractérise par une latence de type II avec une expression limitée aux
antigènes viraux EBNA1, LMP1 et LMP2. Les formes EBV+ sont plus fré-
quentes chez l’enfant, chez les sujets de plus de 45 ans et dans les formes à
cellularité mixte. L’association à l’EBV semble représenter un facteur de mau-
vais pronostic chez les sujets âgés. Le rôle exact de l’EBV dans le processus
tumoral reste à définir, mais il est probable qu’il intervienne en favorisant la
survie d’une cellule B anormale, destinée normalement à mourir par apoptose.
Enfin, quelle que soit la réelle contribution apportée par l’EBV dans le déve-
loppement tumoral, l’expression d’antigènes viraux par la cellule maligne offre
des cibles permettant d’envisager des perspectives thérapeutiques intéressantes.
Mots clés :EBV, maladie de Hodgkin, immunothérapie
Summary.Epstein-Barr virus (EBV) seems to use B cell normal differentia-
tion pathways to establish and maintain a persistent infection. This process is
effectively controlled by the immune system through the action of EBV-
specific T lymphocytes, so that the lifelong chronic infection is free of compli-
cations for most individuals. EBV is, however, associated with several mali-
gnancies. 30-50% of Hodgkin’s lymphomas (HL) are EBV-associated. In EBV-
positive HL, the virus is localized to the tumor cells and is clonal. HL is
characterized by a type II form of latency with viral antigen expression limited
to EBNA1, LMP1 and LMP2. EBV-positive HL is more frequent in childhood,
in older patients and in mixed cellularity cases. EBV association may represent
a poor prognosis factor in the elderly. The true contribution of EBV to the
pathogenesis of HL remains uncertain, but EBV may provide to abnormal B
cells survival signals protecting them from apoptosis. Finally, whatever the role
that EBV plays in tumor development, the presence of viral antigens in the
malignant cells may represent a target for new therapeutic strategies.
Key words:EBV, Hodgkin’s disease, immunotherapy
Découvert en 1964 dans une lignée de lymphome de Bur-
kitt africain, le virus d’Epstein-Barr (EBV) appartient à la
famille des herpesviridae, famille dont les membres ont la
particularité de persister à l’état latent dans l’organisme
après la primo-infection. L’EBV est présent dans plus de
95 % de la population adulte. Généralement asymptomati-
que chez l’enfant, la primo-infection peut être responsable
de la mononucléose infectieuse. L’infection par EBV est
Tirés à part : S. Depil
abc
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contrôlée de manière efficace par le système immunitaire,
ce qui explique l’absence de pathogénicité du virus chez la
plupart des individus. L’EBV est cependant un virus onco-
gène associé à différentes pathologies tumorales que l’on
peut distinguer par l’expression des profils de latence du
virus. Dans la latence de type I, retrouvée dans le lym-
phome de Burkitt et certains adénocarcinomes gastriques,
seule la protéine EBNA1 est exprimée. La latence de type
II, observée dans la maladie de Hodgkin, le carcinome
indifférencié du nasopharynx et les lymphomes T/NK, se
caractérise par l’expression des protéines EBNA1, LMP1
et LMP2. Enfin, dans la latence de type III, tous les antigè-
nes de latence du virus sont exprimés (EBNA 1, 2, 3A,
3B, 3C, LP ; LMP1 et LMP2). Ce dernier type de latence
est retrouvé dans les syndromes lymphoprolifératifs de
l’immunodéprimé, après transplantation d’organe, greffe
de cellules souches hématopoïétiques, déficit immunitaire
congénital ou acquis (sida) (tableau I) [1].
Nous verrons dans un premier temps de quelle manière le
tissu lymphoïde participe à la constitution d’une infection
latente et comment le système immunitaire contrôle cette
dernière. Nous résumerons ensuite les données acquises
concernant l’épidémiologie et la participation possible de
l’EBV dans la physiopathologie de la maladie de Hodg-
kin. Enfin, nous envisagerons les implications thérapeuti-
ques que procure l’expression de protéines virales par les
cellules tumorales.
Physiopathologie de l’infection à EBV
Participation du tissu ganglionnaire
à l’histoire naturelle de l’infection à EBV
Dans le modèle actuel, soutenu notamment par Thorley-
Lawson, l’EBV infecte initialement les lymphocytes B
naïfs présents dans les tissus ganglionnaires de l’anneau
de Waldeyer. La mise en route d’un programme de latence
de type III (growth program) conduit à l’activation de ces
cellules qui se transforment en lymphoblastes, similaires
sur le plan morphologique et phénotypique à ceux obser-
vés après activation de lymphocytes B naïfs par un anti-
gène. Ces lymphoblastes se différencient en cellules B
mémoire suite à la mise en place d’une latence de type II
par le virus (default program). L’expression des protéines
LMP1 et LMP2 mime les signaux de survie normalement
procurés par l’interaction avec l’antigène et par les lym-
phocytes T helper, ce qui permet aux cellules B infectées
par l’EBV de se différencier en cellules B mémoire au
sein de centres germinatifs en l’absence de stimulation
antigénique. Ces cellules B mémoire infectées par l’EBV
circulent ensuite dans le sang périphérique. Elles n’expri-
ment alors plus aucune protéine virale (latency program)
sauf si elles sont amenées à effectuer une division cellu-
laire dans le cadre de processus de régulation homéostati-
que (maintien d’un compartiment mémoire stable). Dans
ce cas, la cellule exprime EBNA1 de manière isolée afin
de permettre la réplication virale. Enfin, un certain nombre
de ces cellules B mémoire infectées par l’EBV se différen-
cieront en plasmocytes retrouvés dans l’anneau de Wal-
deyer. Cette différenciation terminale s’accompagne d’une
réactivation virale avec mise en route d’un cycle lytique
permettant la libération de virus et la transmission à un
nouvel hôte, ce qui clôt le cycle. De manière finaliste,
l’EBV utilise des voies de différenciation cellulaire nor-
males pour se maintenir et se propager. Les cellules B
mémoire à vie longue constituent une niche idéale où le
virus peut persister au long cours. De plus, l’absence d’ex-
pression de protéine virale lui permet de rester caché au
système immunitaire (figure 1) [2].
Ce modèle est basé sur l’analyse des profils de latence du
virus dans les lymphoblastes, les cellules du centre germi-
natif et les cellules B mémoire. Les relations entre ces
types cellulaires sont extrapolées à partir de la physiologie
de la cellule B normale et restent à établir expérimentale-
ment dans le cas de l’infection à EBV. Un certain nombre
de questions restent en effet soulevées. Ce modèle impli-
que la substitution par le programme viral des signaux
induits par la reconnaissance de l’antigène. Existe-t-il en
réalité une interaction entre antigène et programme viral
dans la différenciation du lymphocyte infecté ? Des cellu-
les possédant un phénotype de type cellule du centre ger-
minatif et exprimant une latence de type II ont pu être
caractérisées. Néanmoins, ces cellules n’ont pas été locali-
sées dans le ganglion et on ignore si elles participent réel-
lement à l’organisation d’un centre germinatif. Dans ce
contexte, il existe un autre modèle décrit par Kurth, dans
lequel l’EBV infecterait directement les cellules B mé-
moire sans intervenir dans la formation de centres germi-
natifs [3, 4].
Tableau I. Tableau récapitulatif des différents types de latence observés dans les pathologies associées à l’EBV.
Type de latence EBNA-1 EBNA-2 EBNA-3 LMP-1 LMP-2 Pathologie
Type1 +––––Lymphome de Burkitt
Type 2 + + + Carcinome indifférencié du nasopharynx,
maladie de Hodgkin, lymphome T/NK périphérique
Type3 +++++Syndrome lymphoprolifératif de l’immunodéprimé
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Principales caractéristiques
de la réponse immunitaire dans l’infection à EBV
La réponse de l’hôte contre l’infection à EBV est à la fois
humorale et cellulaire. Lors de l’infection primaire, la ré-
plication du virus dans les cellules épithéliales et dans les
lymphocytes B entraîne une réponse anticorps dirigée
d’abord contre les antigènes du cycle lytique puis contre
les antigènes de la phase de latence. Toutefois, cette ré-
ponse humorale n’a qu’une efficacité relative sur le
contrôle de l’infection. La réponse cellulaire joue en revan-
che un rôle primordial, et c’est cette dernière que nous
allons maintenant détailler.
Analyse de la réponse lymphocytaire T
durant la primo-infection (étudiée
dans le cas de la mononucléose infectieuse)
Le syndrome mononucléosique, rencontré dans le cas de
la primo-infection à EBV, se caractérise par une hyper-
lymphocytose brutale et réversible, composée majoritaire-
ment de lymphocytes T CD8 cytotoxiques. Cette hyper-
lymphocytose est essentiellement liée à l’expansion de
quelques clones reconnaissant spécifiquement des épito-
pes de l’EBV (expansion clonale antigène-spécifique) [5,
6].
La réponse lymphocytaire T cytotoxique est dirigée à la
fois contre les antigènes de latence du virus (les différents
EBNA, LMP1, LMP2), les antigènes lytiques (BRLF1,
BALF2, BMRF1, BMLF1, BZLF1) et les antigènes struc-
turaux (gp 350, gp 85 et gp 110). Néanmoins, la réponse
primaire semble nettement dominée par des lymphocytes
T CD8+ reconnaissant les antigènes lytiques [7]. L’équipe
de Callan a ainsi pu démontrer par l’utilisation de tétramè-
res que 5 à 50 % de l’ensemble des lymphocytes T CD8
étaient dirigés contre un seul épitope d’antigène lytique au
cours de la primo-infection, alors que seulement 1 à 3 %
de ces lymphocytes T CD8 reconnaissaient un épitope
dérivé d’un antigène de latence [5]. Le phénomène de
contraction clonale, consécutif à la résolution de la primo-
infection, entraîne une réduction considérable de la pro-
portion de ces lymphocytes T spécifiques d’antigènes lyti-
ques, au profit de ceux reconnaissant les antigènes de
latence [7]. Enfin, plusieurs études ont également souligné
le rôle important que pourraient jouer les lymphocytes T
CD4 cytotoxiques, classe II-restreints, dans le contrôle de
la primo-infection [8, 9].
Caractéristiques de la réponse T chez les sujets
séropositifs (phase de latence)
Le contrôle par le système immunitaire de l’infection la-
tente à EBV est primordial. Il est destiné à empêcher la
prolifération non contrôlée de lymphocytes B après réacti-
vation virale, événement observé chez les sujets sévère-
Cellule B
naïve
Aide des
cellules T
Antigène
Virus
Lympho-
blaste B
Cellule B
du CG
Cellule B
Post-CG
Signaux
de survie
Aide des cellules T
+ antigène
Division cellulaire
Cellule B
mémoire
EBNA-1
Infection par l’EBV
Différenciation normale des cellules B
Default
program
(latence II)
Growth
program
(latence III)
Latency
program
Figure 1. Stratégie utilisée par l’EBV pour se maintenir à l’état latent dans les lymphocytes B mémoire (d’après [2]). Ce schéma
présente le modèle décrit par Thorley-Lawson, dans lequel l’EBV utilise les voies de différenciation normales des lymphocytes B pour
persister de manière latente dans les lymphocytes B mémoire. Le processus de différenciation lymphocytaire B associé à la mise en
place des programmes viraux est mis en parallèle avec le processus d’activation observé après stimulation antigénique. CG : centre
germinatif.
Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr
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ment immunodéprimés. Cette immunosurveillance est
assurée à la fois par les lymphocytes T CD8 et les lympho-
cytes T CD4. La réponse immunitaire observée en phase
de latence possède les caractéristiques suivantes :
les épitopes immunodominants sont différents pour les
lymphocytes T CD8 et les lymphocytes T CD4, avec la
hiérarchie suivante : EBNA3C > EBNA1 > LMP2 >>
LMP1 pour les lymphocytes T CD8 ; EBNA1 >
EBNA3C >> LMP1, LMP2 pour les lymphocytes T CD4
Th1 [10] ;
– la qualité de la réponse CTL varie en fonction des haplo-
types HLA de classe I, avec une plus forte réactivité obser-
vée pour certains allèles HLA B (HLA-B7,-B8, -B27,
-B35, -B44 > HLA-A1, -A2, -A3, -A24) [11] ;
– chez un individu donné, la réponse CTL observée durant
la phase de latence est dominée par un ou deux épitopes.
La majorité de ces épitopes dérivent des protéines
EBNA3A, EBNA3B et EBNA3C [12] ;
on retrouve en phase de latence des lymphocytes T diri-
gés contre les antigènes lytiques. Ces derniers pourraient
représenter une seconde ligne de défense contre le virus,
susceptible de contrôler sa réplication in vivo. Une dimi-
nution de la réponse immune envers les antigènes lytiques
pourrait expliquer la réactivation d’un cycle lytique avec
libération de virus observée chez l’immunodéprimé [12] ;
il existe en réalité une dynamique de la réponse T dans
le temps. La fréquence des lymphocytes T dirigés contre
un épitope donné varie entre la primo-infection et la phase
de latence. Ainsi, comme nous l’avons souligné plus haut,
la réponse primaire semble surtout dominée quantitative-
ment par des lymphocytes dirigés contre les antigènes
lytiques, la proportion de lymphocytes spécifiques d’anti-
gènes de latence augmentant par la suite. Le passage à une
réponse de type mémoire s’accompagne également d’une
évolution phénotypique des lymphocytes T CD8, variable
en fonction de la spécificité de reconnaissance de ces lym-
phocytes [7] ;
– il était admis jusque récemment que la protéine EBNA1
n’était pas reconnue par les lymphocytes T CD8. EBNA1
est en effet composée dans sa région aminoterminale d’une
répétition de séquences glycine-alanine inhibant la dégra-
dation par le protéasome, ce qui limite ainsi la présenta-
tion d’épitopes dérivés de la protéine endogène par les
molécules HLA de classe I. La présence in vivo de lym-
phocytes T CD8 spécifiques d’épitopes de EBNA1 s’expli-
quait par un mécanisme de cross presentation (lymphocy-
tes T CD8 stimulés par des cellules dendritiques présentant
des épitopes dérivés de protéines EBNA1 d’origine exo-
gène) [13]. Des travaux récents suggèrent néanmoins que
des peptides issus de protéines EBNA1 incomplètes ou
mal formées (DRiP : defective ribosomal products) pour-
raient être présentés efficacement aux lymphocytes T CD8
via les molécules HLA de classe I [14-16] ;
les lymphocytes T CD4 semblent également jouer un
rôle important dans le contrôle de l’infection latente. Il a
été montré que des lymphocytes T CD4+ cytotoxiques
pouvaient intervenir dans le contrôle précoce de l’infec-
tion et de la transformation des lymphocytes B par l’EBV
[17]. Les lymphocytes T CD4 interviendraient donc non
seulement par leurs fonctions helper (aide aux lymphocy-
tes T CD8), mais aussi par leurs fonctions cytolytiques
propres (le mécanisme reste discuté : utilisation de la voie
Fas/Fas-L, système perforine-granzyme, sécrétion de gra-
nulysine ? [18-20]).
Maladie de Hodgkin et EBV : données
épidémiologiques et physiopathologie
Données épidémiologiques
Le génome de l’EBV est retrouvé dans les cellules de
Reed-Sternberg d’environ 40 % des maladies de Hodgkin
classiques (formes scléronodulaires et à cellularité mixte)
[21, 22]. On retrouve un profil de latence de type II (expres-
sion restreinte des protéines EBNA1, LMP1 et LMP2).
L’association est plus fréquente dans les formes à cellula-
rité mixte (50-75 %) que dans les formes scléro-
nodulaires (15-30 %). La proportion de maladies de Hod-
gkin EBV+ est plus importante dans les pays en voie de
développement (jusque 90 %), chez l’enfant, notamment
avant l’âge de 10 ans, et chez les adultes âgés de plus de
45 ans (tableau II). Il semble également exister une prédo-
minance masculine [22, 23]. Dans les maladies de Hodg-
kin survenant chez les patients HIV+, l’association avec
l’EBV est quasi constante (supérieure à 95 % des cas).
Enfin, il existe une augmentation de la fréquence des mala-
dies de Hodgkin après transplantation d’organe ou greffe
Tableau II. Données épidémiologiques.
Maladies de Hodgkin EBV-positives Maladies de Hodgkin EBV-négatives
Fréquence 30-50 % des cas (pays développés) 50-70 % des cas
Histologie Cellularité mixte > scléronodulaire Scléronodulaire > cellularité mixte
A
ˆge < 10 ans ou > 45 ans 15-45 ans
Valeur pronostique de l’association à l’EBV Péjorative après 45 ans
Mal définie chez les sujets jeunes
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de cellules souches hématopoïétiques. Il s’agit alors égale-
ment de formes EBV+ dans la majorité des cas [24, 25].
Différents travaux ont établi l’existence d’une association
entre infection à EBV et maladie de Hodgkin. Une étude
de cohortes a pu montrer une augmentation du risque rela-
tif de survenue de maladie de Hodgkin EBV+ d’un facteur
4 après mononucléose infectieuse, dans un délai médian
de 4 ans. En revanche, il n’était pas retrouvé d’augmenta-
tion du risque de lymphome de Hodgkin EBV- [26]. Des
données sérologiques anciennes avaient montré qu’il exis-
tait, dans les années précédant le diagnostic, des titres
d’anticorps anti-EBV plus élevés chez les patients atteints
de maladie de Hodgkin que chez des témoins sains. Cette
étude n’avait cependant pas distingué les formes EBV+
des formes EBV- [27]. Enfin, dans les années précédant la
maladie, la charge virale EBV serait plus importante dans
les formes EBV+ que dans les formes EBV- ou chez les
sujets sains [28]. Ces derniers résultats n’établissent pas
de relation causale entre EBV et maladie de Hodgkin, ne
traduisant peut-être que les perturbations du système im-
munitaire associées à la maladie.
Valeur pronostique de l’association avec l’EBV
et intérêt de la mesure de la charge virale
Pour l’instant, l’association entre maladie de Hodgkin et
EBV n’a pas de signification clinique ou pronostique clai-
rement établie. Il existe en effet des résultats contradictoi-
res. Plusieurs études n’ont pas retrouvé d’impact pronosti-
que du statut EBV de la maladie [29, 30]. D’autres auteurs
ont en revanche mis en évidence une meilleure survie sans
maladie des formes EBV+ chez les sujets jeunes (mais
sans différence significative de survie globale) [31, 32].
Deux études récentes ont montré que les formes EBV+
étaient associées à une survie significativement moins
bonne chez les sujets âgés [33, 34]. Enfin, une étude a
montré que les formes EBV+ étaient davantage retrouvées
chez les sujets âgés et associées à l’existence de symptô-
mes B (amaigrissement, fièvre et sueurs nocturnes) et à
une maladie de stade plus avancé. La différence de survie
n’était toutefois pas statistiquement significative [35]. Le
statut EBV+ de la maladie représenterait donc un facteur
de mauvais pronostic chez les sujets âgés, tandis qu’il
serait soit dépourvu de valeur pronostique soit associé à
un meilleur pronostic chez les adultes jeunes (tableau II).
Des travaux utilisant des techniques de PCR qualitative et
quantitative ont montré que l’ADN viral pouvait être dé-
tecté dans le sérum de patients atteints de lymphome de
Hodgkin EBV+ avant traitement (dans 90 % des cas avec
la PCR qualitative et dans 75 % des cas avec la PCR
quantitative) [36]. La PCR quantitative a l’avantage d’être
plus spécifique en détectant moins de faux positifs dans
les formes EBV-. Deux études, réalisées à la fois chez
l’adulte et l’enfant, ont montré que la réponse au traite-
ment était corrélée à la réduction de la charge virale plas-
matique : les patients en rémission présentaient en effet
une diminution significative de la charge virale, retrouvée
faible ou indétectable, alors que la progression tumorale
s’associait à une augmentation de cette dernière [37, 38].
Ces résultats n’étaient pas retrouvés si l’ADN était extrait
des cellules mononucléées sanguines [38]. L’ADN viral
retrouvé dans le sérum des patients serait en effet la consé-
quence de la libération d’ADN par les cellules de Reed-
Sternberg et ne proviendrait pas de la réplication du virus
dans d’autres sites.
Hypothèses pathogéniques
Les techniques de microdissection unicellulaire, combi-
nées à l’analyse moléculaire du réarrangement des gènes
des immunoglobulines, ont montré que les cellules de
Reed-Sternberg étaient en réalité des cellules B clonales
[39-41]. En effet, l’expression d’antigènes spécifiques des
lymphocytes B (CD20, CD79a) par les cellules de Reed-
Sternberg a été rapportée dans 30 à 60 % des maladies de
Hodgkin classiques [42]. De plus, la présence de réarran-
gements clonaux des gènes d’immunoglobulines a été dé-
tectée dans la plupart des études génotypiques réalisées
après microdissection. Ces études montrent en outre la
présence d’un taux élevé de mutations somatiques des
régions variables des gènes d’immunoglobulines. Toute-
fois, ces réarrangements n’aboutissent pas à une synthèse
des chaînes légères et des chaînes lourdes d’immunoglo-
bulines. Dans la majorité des cas, cette absence de syn-
thèse résulte d’un défaut de la machinerie transcription-
nelle (absence d’expression du facteur de transcription
Oct-2 et du cofacteur Bob-1/Obf-1 dans les cellules de
Reed-Sternberg) [43]. Cependant, dans 25 % des cas envi-
ron, l’absence d’expression des gènes d’immunoglobuli-
nes est due à l’existence de mutations somatiques non
fonctionnelles dans les chaînes lourdes (crippling muta-
tions) [40]. Ces observations indiquent que la cellule de
Reed-Sternberg dériverait d’un lymphocyte B du centre
germinatif anormalement rescapé de l’apoptose. L’infec-
tion par l’EBV pourrait intervenir dans la survie anormale
de ces cellules en l’absence des signaux fournis par la
reconnaissance de l’antigène. Une intégration clonale du
virus dans les cellules tumorales a ainsi été démontrée
dans les formes associées à l’EBV [44]. Les protéines de
latence de type II fourniraient différents signaux oncogé-
niques et antiapoptotiques. LMP1 est un oncogène majeur
de l’EBV. Il s’agit d’une molécule membranaire active de
manière constitutive, capable d’induire les voies d’activa-
tion cellulaire NFjB, MAP-kinases (JNK et p38) et
JAK/STAT[45]. L’activation de NFjB est retrouvée de
manière constante dans les cellules de Reed-Sternberg.
Elle interviendrait dans la prolifération cellulaire et l’inhi-
bition de l’apoptose. LMP1 activerait également différents
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