mise au point Approches diagnostiques de la dyspnée chronique de l’adulte Diagnosis approach of adulthood dyspnea C. Delclaux* L a conférence de consensus de l’American Thoracic Society (ATS) publiée en 1999 et reprise en 2012 définit la dyspnée comme étant “une expérience subjective d’inconfort respiratoire faite de plusieurs sensations élémentaires qualitativement distinctes, variant en intensité. Cette expérience est due à l’interaction de multiples facteurs, physiologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux et peut induire des réponses secondaires physiologiques et comportementales” (1). Par rapport à la plainte d’essoufflement, la dyspnée est caractérisée par un affect ou un vécu négatif (inconfort). Le diagnostic de dyspnée est donc un diagnostic d’interrogatoire, le patient se présentant pour une plainte d’essoufflement, qui est perçue comme potentiellement pathologique. Cette plainte a une importance pronostique puisqu’elle constitue un facteur indépendant de mortalité des maladies cardiorespiratoires dans la population générale, fait bien établi mais mal expliqué. L’approche diagnostique de la dyspnée ne fait l’objet d’aucun consensus (1). Toutefois, du fait de la fréquence du symptôme, il semble logique d’essayer de rationaliser son exploration diagnostique, objet d’ailleurs d’une des “conduites à tenir” enseignées à nos étudiants en médecine pour leur examen national classant (2). Physiopathologie de la dyspnée * Service de physiologie – clinique de la dyspnée, hôpital européen GeorgesPompidou, AP-HP, Paris ; université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, faculté de médecine. On peut distinguer, de façon réductrice, 2 grands cadres physiopathologiques : ➤➤ les dyspnées en relation avec l’exercice et le niveau de ventilation lié à l’effort respiratoire. Exprimées par le patient comme une “difficulté” respiratoire (charge respiratoire) augmentant avec l’intensité de l’exercice, elles représentent la grande majorité des dyspnées ; ➤➤ les dyspnées de repos, en relation avec le stimulus hypercapnique et/ou hypoxémique, indépendantes de l’effort respiratoire, et traduites par le patient comme un manque d’air, voire une sensation asphyxique. Cette distinction est très schématique sur le plan sensoriel, car bien souvent ces sensations (effort/manque d’air) peuvent s’associer ou se succéder, notamment à l’exercice, la sensation de difficulté inspiratoire/manque d’air étant alors présente en fin d’exercice, lorsque l’expansion du volume courant devient limitée, notamment au cours de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). De façon schématique : ➤➤ la fonction du système respiratoire est d’assurer une hématose normale ; ➤➤ il existe des informations relatives aux pressions partielles d’oxygène (O2) et de gaz carbonique (CO2) dans le sang artériel arrivant au système respiratoire ; ➤➤ des signaux partent du système de contrôle respiratoire vers le système mécanique respiratoire, permettant d’assurer la ventilation alvéolaire (obtention d’une hématose normale). Le système mécanique envoie des signaux au système de contrôle respiratoire afin que ce dernier puisse “examiner” l’adéquation entre l’ordre donné (commande respiratoire) et l’ordre effectué (ventilation alvéolaire normale). La dyspnée est liée à un déséquilibre entre la commande respiratoire, elle-même liée à la demande ventilatoire, et la réponse ventilatoire. La résultante est une augmentation de la commande respiratoire 16 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 16 28/02/13 16:22 Points forts »» L’approche diagnostique de la dyspnée d’exercice peut être faite selon un schéma physiopathologique donné par une équation décrivant la dyspnée comme résultant d’un déséquilibre entre demande et réponse ventilatoires. La demande ventilatoire est explorée au repos en routine par la mesure de l’hématose et de la diffusion du monoxyde de carbone (DLCO), la réponse ventilatoire par la mesure de la spirométrie, de la pléthysmographie et des pressions maximales respiratoires. »» La dyspnée en relation avec le niveau de ventilation est essentiellement présente à l’exercice et décrite comme une difficulté respiratoire ou un effort respiratoire augmenté. »» Une dyspnée de repos isolée, généralement décrite par un manque d’air, peut se voir au cours de l’asthme, des syndromes d’hyperventilation alvéolaire et des dyspnées inexpliquées médicalement. afin de rétablir l’adéquation indispensable entre la demande et la réponse et d’assurer l’hématose. La dyspnée est la conséquence de l’intégration corticale de cette nécessité d’augmenter la commande ventilatoire et surtout de l’impossibilité d’assurer la demande ventilatoire croissante à l’exercice. La littérature récente montre que l’on peut distinguer 2 dimensions à cette plainte, l’une sensorielle (décrite par des sensations respiratoires, liée à l’état physiologique du patient), et l’autre affective (émotionnelle, influencée par l’état psychologique du patient) [3]. Une équation “périphérique” de la dyspnée peut être proposée. Il s’agit bien sûr d’une modélisation qui a des limites, mais dont l’objectif est didactique. Cette équation a 2 termes : la demande ventilatoire et la réponse ventilatoire. Dans cette représentation, la dyspnée est donc avant tout liée à la ventilation effectuée par le patient et donc à l’effort musculaire respiratoire nécessaire (verbalisation de type “effort respiratoire”, “difficulté respiratoire”) puis à l’incapacité du système mécanique à assurer la demande ventilatoire croissante lors des activités (verbalisation de type “manque d’air”). La récente conférence de consensus de l’ATS détaille des diffé- Demande ventilatoire • • V E = k × VCO2/[PaCO2(1 – VDph/VT)] rentes dimensions de la dyspnée et les échelles de dyspnée évaluant chacune de ces dimensions (1). La demande ventilatoire Elle résulte de la nécessité pour le système respiratoire d’assurer l’hématose via la ventilation alvéolaire. Cette ventilation alvéolaire est réglée pour assurer le maintien d’une pression artérielle en CO2 (PaCO2) constante quel que soit le niveau de production de CO2 par les tissus (V’CO2). La régulation de la PaO2 intervient quant à elle essentiellement en situation d’urgence (hypoxémie marquée). L’équation de la ventilation dépend donc d’une V’CO2, d’un niveau de régulation de la PaCO2 (point de consigne) et de la proportion de ventilation efficace (volume courant, VT minoré de la ventilation “perdue” liée à l’espace mort physiologique : VDph), c’est-à dire de la ventilation alvéolaire par rapport à la ventilation totale (V’E). L’équation de la demande ventilatoire est fournie dans la figure 1. Elle est explorée au repos en routine par la mesure de l’hématose et par le coefficient de diffusion du monoxyde de carbone (kCO) [4]. Absence de plainte • Capacité ventilatoire • VE = RR × C × [ΔPm – RV] Équilibre : état physiologique Dyspnée Cortex sensoriel + Commande PO.1 Gaz du sang kCO (DLCO) + Demande majorée Capacité altérée Mots-clés Dyspnée Adulte Repos Exercice Diagnostic Highlights »» Diagnosis approach of exertional dyspnea can be made using a simple pathophysiological schema using an equation of ventilation determinants that describes dyspnea as resulting from an imbalance between ventilatory demand and capacity. Ventilatory demand is assessed in routine practice by resting blood gases and DLCO, ventilatory capacity by spirometry, body plethysmography and respiratory muscle assessment (maximal respiratory pressures). »» Ventilation related dyspnea is mainly encountered at exercise and is described by increased work or respiratory effort. »» Resting dyspnea, often described as air hunger, is encountered in asthma, hyperventilation syndromes and medically unexplained dyspnea. Keywords Dyspnea Adult Rest Exercise Diagnosis Spirométrie Impédance Résistances Volumes statiques VA (DLCO) Exercice = majoration de la demande majoration de l’effort (dyspnée d’“effort”). Déséquilibre quand la capacité ne peut plus augmenter face à la majoration de la demande (dyspnée “manque d’air”) En présence d’une altération de la demande ou de la réponse ventilatoire au cours des pathologies respiratoires chroniques, la restauration de cette balance indispensable à l’homéostasie implique une augmentation de la commande ventilatoire permettant d’­accroître la ventilation (demande accrue, augmentation secondaire de l’effort) ou l’effort respiratoire de façon primitive (réponse altérée). Lors des activités, la demande ventilatoire augmente (V’CO2), un effort supplémentaire est fourni (perçu : sensation d’effort) jusqu’à ce que l’incapacité du système mécanique face à la demande aboutisse à l’arrêt de l’effort (sensation de manque d’air). Figure 1. Équation “périphérique” de la dyspnée. La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 | 17 LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 17 28/02/13 16:22 mise au point Approches diagnostiques de la dyspnée chronique de l’adulte La réponse/capacité ventilatoire Assurée par le système mécanique ventilatoire, elle dépend de la capacité des muscles respiratoires à assurer la ventilation alvéolaire face à l’impédance du système respiratoire (contraintes mécaniques résistives et élastiques). Ces muscles respiratoires (inspiratoires essentiellement) vont devoir vaincre des forces résistives (liées à la résistance du système respiratoire [R], obstacle au débit V’ dans les voies aériennes) et élastiques (élastance du système respiratoire [E], obstacle au gain de volume courant : VT, à une fréquence respiratoire donnée : FR) en créant des modifications de pression (ΔPmus). L’équation de la réponse ventilatoire est donnée dans la figure 1. Elle est explorée au repos en routine par la spirométrie, la pléthysmographie et les mesures de pressions maximales à la bouche. Étiologies des dyspnées d’exercice en relation avec le niveau de ventilation Dyspnées en rapport avec une augmentation de la demande ventilatoire ➤➤ Diminution du point de consigne de la PaCO2 : elle est observée au cours des syndromes d’hyperventilation alvéolaire chronique. Toutefois, l’augmentation de la ventilation n’explique pas à elle seule la dyspnée de ces patients. ➤ ➤ Augmentation de l’espace mort physiologique : elle est observée dans toutes les pathologies s’accompagnant d’altérations vasculaires pulmonaires (espace mort alvéolaire), comme les hypertensions pulmonaires, l’emphysème, les pneumopathies interstitielles et l’insuffisance cardiaque gauche. ➤➤ Augmentation de la V’CO 2 : c’est sans doute l’aspect le plus discutable, mais il permet d’évoquer les dyspnées qui seraient liées au déconditionnement musculaire ou à l’anémie. En effet, dans ces 2 situations, il existe une diminution du seuil ventilatoire avec survenue précoce de l’augmentation de ventilation qui pourrait conduire à la dyspnée. Globalement, en cas de déconditionnement et en cas d’anémie, une diminution de la performance est observée et, l’essoufflement maximal restant constant, le sujet est trop essoufflé pour un effort donné. Dyspnées en rapport avec une altération de la réponse ventilatoire ➤➤ Majoration de la résistance du système liée aux pathologies bronchiques obstructives. ➤➤ Majoration de l’élastance du système respiratoire (diminution de compliance) au cours des pathologies fibrosantes pulmonaires, voire de la paroi thoracique (obésité, spondylarthrite ankylosante). ➤➤ Diminution des capacités d’effort musculaire respiratoire lors des affections musculaires de type myopathies, mais aussi insuffisance cardiaque gauche (myopathie de l’insuffisant cardiaque). Stimuli liés à la chimioréception : PaO2 et PaCO2 ◆◆ Hypoxémie Les données de la littérature montrent que l’effet dyspnéisant de l’hypoxémie chez le sujet sain est surtout en relation avec l’augmentation de la ventilation, même si une sensation de manque d’air est associée à l’hypoxie expérimentale. Les effets de l’hypoxémie entrent donc globalement dans le cadre des dyspnées liées à une augmentation de la demande ventilatoire. ◆◆ Hypercapnie À l’opposé, l’hypercapnie présente bien un effet dyspnéisant propre en l’absence de tout effort respiratoire chez le sujet sain. En condition pathologique, un effet dyspnéisant de l’hypercapnie se développant à l’exercice a pu être montré chez certains patients atteints de BPCO. L’effet de l’hypercapnie semble associé de façon assez spécifique à la sensation de manque d’air, d’asphyxie. De façon étonnante a priori, ce type de sensation respiratoire est celui qu’expriment bien souvent les patients atteints de syndrome d’hyperventilation alvéolaire chronique ou de dyspnées inexpliquées médicalement (5). On peut supposer que le stimulus dyspnéisant est la modification de capnie par rapport au point de consigne plus que le niveau de capnie luimême. Ce type de dyspnée est exprimé bien souvent au repos avec éventuelle majoration à l’effort. Approche diagnostique des dyspnées Un logigramme est fourni dans la figure 2. Il est fondé sur les 4 questions suivantes posées au patient et sur la 18 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 18 28/02/13 16:22 mise au point réalisation d’une radiographie thoracique systématique : 1. Dans quelles circonstances êtes-vous gêné pour respirer : au repos calme et/ou lors d’efforts, et pour quel niveau d’effort (échelle du Medical Research Council [MRC] : encadré) ? 2. Quelles sensations respiratoires éprouvez-vous lors de la gêne : difficulté pour remplir ou vider les poumons, respiration rapide, halètement, sensation que l’on ne peut pas faire entrer tout l’air nécessaire (manque d’air, inspiration insatisfaisante), voire asphyxie ou encore constriction thoracique (poumons serrés) ? 3. Y a-t-il des symptômes associés à votre gêne respiratoire : douleurs thoraciques au repos et à l’effort, toux, expectoration ? 4. Quels antécédents médicaux avez-vous (facteurs de risque et antécédents cardiovasculaires et thrombo­ emboliques, tabagisme, antécédents respiratoires : épisodes bronchitiques aigus, traitements pris) ? La quantification de la dyspnée d’exercice est un élément important, car, dans l’ensemble, plus la plainte est sévère et plus la probabilité de trouver une anomalie fonctionnelle est élevée. Ainsi les dyspnées survenant pour des efforts très modérés (marche rapide) chez un sujet d’âge moyen ou élevé sédentaire posent souvent des problèmes diagnostiques : normalité (physiologie du vieillissement sédentaire) ou anomalie débutante ? Enfin, l’état psychologique du patient peut bien sûr modifier la plainte, mais les échelles de dyspnée en relation avec les activités (de type MRC) ne semblent pas affectées par cet état psychologique, car elles prennent en compte la dimension sensorielle de la dyspnée essentiellement (6). Des échelles spécifiques tenant compte des dimensions sensorielle et affective de la dyspnée sont disponibles mais actuellement non traduites en français. Il est évident que des antécédents du patient et des réponses données à ces 4 questions dépendront les stratégies des examens complémentaires ultérieurs. Il est bien difficile d’envisager l’ensemble des arbres diagnostiques que l’on pourrait fournir. La plainte est présente au repos calme Dans notre expérience, les dyspnées présentes au repos se rencontrent essentiellement au cours de : ➤➤ la maladie asthmatique, le diagnostic d’interrogatoire étant le plus souvent facile. Parfois, la plainte est limitée à des épisodes de constriction thoracique (sensation assez spécifique de la maladie asthmatique [1]) avec sensation d’inspiration insa- tisfaisante. Un test à la métacholine peut alors être utile si la probabilité clinique d’asthme avant test est intermédiaire ; ➤➤ les syndromes d’hyperventilation alvéolaire, qui peuvent s’associer à la maladie asthmatique. Le diagnostic de ces syndromes repose sur la mise en évidence d’une hyperventilation alvéolaire (hypocapnie sans hypoxémie, donc inadaptée) sans acidose métabolique associée, permanente et/ ou provoquée (test d’hyperventilation et épreuve d’exercice avec V’O2/V’CO2). On pourra s’aider du score clinique de Nijmegen. En l’absence de mise en évidence d’une hyperventilation alvéolaire, il est souhaitable de parler de dyspnée médicalement inexpliquée (5). Le lecteur intéressé par ce sujet pourra se référer à l’excellente revue générale faite par W.N. Gardner (7) ; ➤➤ le reflux gastro-œsophagien de façon indépendante de l’asthme, notamment chez les obèses. La plainte est présente uniquement à l’exercice ➤➤ On envisage que la dyspnée puisse être d’origine cardiologique (antécédents, terrain, douleurs thora­ ciques associées). Dans cette situation, un bilan cardiologique est nécessaire : échographie cardiaque, électrocardiogramme (ECG) à l’effort et/ou scintigraphie myocardique à l’effort. Il faut avoir à l’esprit qu’il n’existe pas de corrélation entre le niveau de dysfonction Elle évalue la dimension “impact” de la dyspnée (1). • Stade 1 : le patient est gêné uniquement pour un effort intense. • Stade 2 : le patient est essoufflé pour une marche rapide à plat ou une légère côte. • Stade 3 : le patient marche plus lentement que des personnes du même âge ou doit faire des pauses à cause de sa dyspnée. • Stade 4 : le patient doit s’arrêter pour reprendre son souffle après une marche d’une centaine de mètres ou après quelques minutes. • Stade 5 : le patient est trop essoufflé pour sortir de chez lui ou est essoufflé en s’habillant ou en se déshabillant. Encadré. Échelle de dyspnée du Medical Research Council. Dyspnée chronique de l’adulte Radiographie thoracique Interrogatoire : 4 questions • Circonstances : repos/effort (stades MRC) • Sémiologie de la dyspnée (descripteurs) • Symptômes associés • Antécédents cardiorespiratoires, métaboliques Dyspnée de repos Sémiologie : inspiration insatisfaisante, manque d’air Mécanisme(s) : constriction/capnie • Asthme • Syndrome d’hyperventilation alvéolaire • Dyspnée inexpliquée médicalement, reflux gastro-œsophagien Dyspnée d’exercice Sémiologie : respiration difficile, avec effort Mécanisme : déséquilibre balance demande/ capacité ventilatoires • Origine cardiaque • Origine respiratoire • Acidose métabolique, anémie Figure 2. Démarche diagnostique. La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 | 19 LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 19 28/02/13 16:22 mise au point Approches diagnostiques de la dyspnée chronique de l’adulte cardiaque systolique ou diastolique et le niveau de dyspnée d’exercice (en effet, le niveau de dyspnée est essentiellement lié au niveau de ventilation à l’exercice, lui-même en relation avec l’espace mort physiologique) et que, au cours des cardiopathies ischémiques, une dyspnée d’exercice isolée (sans douleur thoracique) est présente chez environ 10 % des patients. Le bilan fonctionnel respiratoire peut montrer des arguments pour une cardiopathie (trouble ventilatoire restrictif dans de rares cas, obstruction bronchique minime, diminution des pressions maximales à la bouche et, plus fréquemment, altération du transfert du monoxyde de carbone [DLCO]). ➤➤ On envisage que la dyspnée puisse être en relation avec une BPCO (tabagisme cumulé > 15 paquetsannée, symptômes cliniques éventuels de bronchite chronique). Il existe une très faible corrélation entre le niveau de dyspnée d’exercice et le degré d’obstruction bronchique. En revanche, il y a une meilleure corrélation entre le niveau de dyspnée et la DLCO, retrouvée dans la plupart des études (8). En effet, la DLCO est le produit du kCO (sa diminution est le reflet de la destruction vasculaire pulmonaire liée à l’emphysème, augmentant la demande ventilatoire [4]) et du volume alvéolaire (volume accessible à la ventilation, dépendant donc de l’obstruction bronchique distale : altération de la réponse ventilatoire). Les atteintes obstructives et emphysémateuses consécutives au tabagisme peuvent être dissociées. Ainsi, certains patients ne présentent que la composante emphysémateuse de la maladie responsable d’une diminution précoce du kCO puis d’une distension. En pratique, lorsqu’un sujet fumeur se plaint de dyspnée, il est donc nécessaire de réaliser une spirométrie qui, si elle est normale ou peu anormale, doit être complétée par la mesure des volumes statiques par pléthysmographie et par celle de la DLCO. On complètera l’examen, en cas de trouble ventilatoire obstructif, par une mesure de la capacité inspiratoire après la prise d’un bronchodilatateur d’action rapide. En effet, l’effet bénéfique inconstant des médicaments bronchodilatateurs est associé à leur effet favorable sur la distension dynamique de repos. ➤➤ On envisage que la dyspnée puisse être liée à une pathologie interstitielle pulmonaire (sujet âgé, toux associée notamment, anomalies évocatrices sur la radiographie thoracique). Là encore, la corrélation entre la dyspnée d’effort et les anomalies spirométriques (diminution de la capacité vitale) ou pléthysmographiques est faible. Cette corrélation est meilleure avec la mesure de la DLCO, car une augmentation de l’espace mort physiologique est fréquente dans ce cadre. ➤➤ On envisage que la dyspnée puisse être liée à une pathologie vasculaire pulmonaire (antécédents thrombo­emboliques, prise d’anorexigène, etc.). Une scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion, un angioscanner thoracique, une échographie cardiaque de repos et, éventuellement, à l’effort ainsi qu’un cathétérisme cardiaque droit constitueront le bilan complémentaire. L’exploration fonctionnelle respiratoire est généralement normale en dehors d’un trouble ventilatoire obstructif minime (hypertensions artérielles pulmonaires) et éventuellement d’une diminution de la DLCO. ➤➤ On envisage que la dyspnée d’exercice puisse être liée à une maladie asthmatique. Une dyspnée d’exercice isolée (asthme induit à l’exercice) est une situation exceptionnelle chez l’adulte dans le cadre de la maladie asthmatique, en dehors de la situation spécifique du trouble ventilatoire obstructif fixé d’origine asthmatique (environ 20% des asthmatiques adultes) et du bronchospasme induit par l’exercice du sportif. Il n’est donc pas licite de réaliser un test à la métacholine systématique si le diagnostic d’asthme n’est pas étayé par l’interrogatoire (probabilité a priori intermédiaire), car la prévalence de l’hyperréactivité bronchique est importante (environ 20 %) par rapport à celle de l’asthme (environ 7 %) conduisant à un risque élevé de surdiagnostic d’asthme. ➤➤ L’ensemble du bilan fonctionnel de première inten­ tion (radiographie thoracique, échographie cardiaque de repos, spirométrie, pléthysmographie, DLCO) est normal, la dyspnée “isolée”. La réalisation d’une gazométrie artérielle doit être systématique, à la recherche d’une hypoxémie isolée, d’une anémie ou d’une acidose métabolique (rares cas cliniques d’acidose métabolique se présentant sous la forme d’une dyspnée isolée). En cas de normalité de l’hématose de repos, on pourra alors réaliser une épreuve d’exercice avec mesure de V’O2/V’CO2 et de l’hématose au pic de l’effort. Cet examen peut faire le diagnostic d’ischémie myocardique, de syndrome d’hyperventilation alvéolaire (chronique ou déclenché par l’effort), de pathologie interstitielle débutante (plus sensible que la mesure de DLCO [9]) ou de pathologie vasculaire pulmonaire avec hypertension pulmonaire présente uniquement à l’exercice (arguments indirects). Il peut aussi montrer une distension dynamique à l’exercice d’une BPCO dans une situation où le trouble ventilatoire obstructif de repos est discret. Le diagnostic de dyspnée liée à un “déconditionnement musculaire” (manque de 20 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 20 28/02/13 16:22 mIsE AU pOINT condition physique) doit rester un diagnostic d’exclusion. En revanche, l’épreuve peut parfois orienter vers un diagnostic de pathologie musculaire avérée (10). ➤ Le patient est obèse (indice de masse corpo­ relle ≥ 30 kg.m­2) La plainte de dyspnée d’exercice est très fréquente chez l’obèse sans pathologie cardiorespiratoire associée (près de 80 % ont une dyspnée ≥ 2 MRC [marche rapide] et 25 % une dyspnée ≥ 3 MRC [marche sur terrain plat]). Malheureusement, ni le degré d’obésité (évalué par l’indice de masse corporelle) ni aucune des discrètes anomalies fonctionnelles respiratoires (diminution du volume de réserve expiratoire très fréquente, de la capacité résiduelle fonctionnelle, et, très rarement, de la capacité pulmonaire totale, ou encore augmentation de la résistance des voies aériennes) n’est clairement associé à la dyspnée, qui semble principalement liée à l’augmentation de la consommation d’O2 d’origine ventilatoire à l’effort, impossible à prédire par les données de repos. Le diagnostic de dyspnée d’exercice liée à l’obésité doit donc rester un diagnostic d’exclusion, porté lui aussi avec prudence. Conclusion Le diagnostic étiologique d’une dyspnée d’exercice est le plus souvent aisé (11). Toutefois, il faut rester parfois prudent sur l’imputabilité d’une dyspnée d’exercice à une anomalie fonctionnelle respiratoire minime ou modérée, car la part (variance) de la dyspnée d’exercice expliquée par nos examens de repos n’est au maximum que de 40 %, la majeure partie (60 %) de la dyspnée reste donc mal expliquée. Il est bien établi que la plainte est très variable d’un sujet à l’autre pour un même stimulus, probablement parce que la dyspnée a plusieurs dimensions. Par ailleurs, c’est l’étude du transfert du monoxyde de carbone (CO) qui reste l’examen de repos le plus explicatif de la dyspnée d’exercice et qui devrait donc être systématique en cas de normalité ou d'anomalie mineure des débits et volumes. ■ Remerciements. Christophe Delclaux remercie l’ensemble de l’équipe de la physiologie respiratoire de l’hôpital européen Georges-Pompidou et les membres du Mosquito Research Group (MRG : Drs Nicole Beydon, Plamen Bokov, Bruno Mahut) pour les stimulantes discussions ayant contribué à cet article. Références bibliographiques 1. Parshall MB, Schwartzstein RM, Adams L et al. An offi­ cial American Thoracic Society statement: update on the mechanisms, assessment, and management of dyspnea. Am J Respir Crit Care Med 2012;185(4):435­52. 2. http://www.splf.org/s/spip.php?article1445 3. Lansing RW, Gracely RH, Banzett RB. The multiple dimen­ sions of dyspnea: review and hypotheses. Respir Physiol Neurobiol 2009;167(1):53­60. 4. Mahut B, Chevalier­Bidaud B, Plantier L et al. Diffusing capacity for carbon monoxide is linked to ventilatory demand in patients with chronic obstructive pulmonary disease. COPD 2012;9(1):16­21. 5. Han J, Zhu Y, Li S et al. The language of medically unex­ plained dyspnea. 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Analysis of a seven­year experience. Chest 1991;100(5):1293­9. À toutes et à tous… merci en toutes lettres Marc Humbert, rédacteur en chef, au nom du comité de rédaction, remercie tous les auteurs des articles parus en 2011 et 2012 dans La Lettre du Pneumologue, ainsi que les lecteurs de ces articles, dont les critiques et les suggestions contribuent aussi à la qualité de la revue. Parmi eux, Xavier Blanc, Francis Couturaud, Pierre Escourrou, Gilles Garcia, Jérôme Le Pavec, Marie-Camille Pierre-Chaumais, Arnaud Scherpereel La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 1 - janvier-février 2013 | LPN1 Janv-Fev 2013-01.indd 21 21 28/02/13 16:22