529 Antiplaquet Print - Précis d`anesthésie cardiaque

Précis d’anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 29 Antiplaquettaires 1
CHAPITRE 29
LES ANTIPLAQUETTAIRES
EN CHIRURGIE CARDIAQUE
ET NON-CARDIAQUE
Edition: Novembre 2016
Table des matières
Physiopathologie des thrombocytes 3
Activation plaquettaire 3
Récepteurs plaquettaires 6
Antiplaquettaires classiques 9
Aspirine 10
Clopidogrel 12
Anti-GP IIb/IIIa 15
Inhibiteurs des PDE 16
Résistance aux antiplaquettaires 17
Réactivité plaquettaire 23
Nouveaux antiplaquettaires 26
Prasugrel 26
Ticagrelor 29
Cangrelor 34
Agents en essai clinique 36
Tests d’activité plaquettaire 39
Tests à disposition 41
Impact clinique 45
Vers une thérapie sélective 53
Antiplaquettaires (AP) en périopératoire 56
AP et maladies vasculaires 57
Arrêt des antiplaquettaires 70
Risque hémorragique 76
Balance des risques 80
Recommandations chir non-cardiaque 83
Recommandations chirurgie cardiaque 93
AP et anesthésie loco-régionale 99
Transfusion plaquettaire 103
Conclusions 107
Précis d’Anesthésie Cardiaque
PAC 5
Précis d’anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 29 Antiplaquettaires 2
Auteurs
Pierre-Guy CHASSOT Ancien Privat-Docent, Faculté de Biologie et de Médecine, Universi
de Lausanne (UNIL), CH - 1005 Lausanne
Ancien responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service
d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV),
CH - 1011 Lausanne
Alain DELABAYS Cardiologue FMH, Médecin associé, Ensemble Hospitalier de la Côte
(EHC), Hôpital de Morges, CH - 1110 Morges
Médecin-Adjoint au Service de Cardiologie, Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois (CHUV), CH - 1011 Lausanne
Donat R. SPAHN Professeur d’Anesthésiologie, Facul de Médecine, Université de
Zürich, CH - 8031 Zürich
Chef de Service, Institut für Anästhesiologie, UniversitätSpital Zürich
(USZ), CH - 8031 Zürich
Lectures conseillées
EBERLI D, CHASSOT PG, SULSER T et al. Urologic surgery and antiplatelet drugs after cardiac and cerebrovascular accidents. J Urol 2010;
183:2128-36
CAPODANNO D, ANGIOLILLO DJ. Management of antiplatelet therapy in patients with coronary artery disease requiring cardiac and
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FERRARIS VA, SAHA SP, OESTREICH JH, et al. 2012 update to the Society of Thoracic Surgeons Guidelines on use of antiplatelet drugs in
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Recommandations
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Précis d’anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 29 Antiplaquettaires 3
Physiopathologie des thrombocytes
Les plaquettes, ou thrombocytes, sont des éléments essentiels dans la constitution du caillot sanguin.
Elles jouent également unle primordial dans le syndrome coronarien aigu (SCA) et dans la genèse des
plaques athéromateuses. Elles sont doublement associées au processus inflammatoire : d’une part, elles
sécrètent des médiateurs inflammatoires lorsqu’elles sont activées, et d’autre part, elles sont stimulées
par la réaction inflammatoire systémique (SIRS, systemic inflammatory response syndrome).
Les plaquettes sont produites par les mégacaryocytes ; ce sont des cellules anuclées dépourvues de DNA
mais porteuses de RNA, et donc capables de synthèse protéique. Dans l’impossibilité de se multiplier,
elles ont une durée de vie de 10 jours ; ceci signifie que 10% des plaquettes circulantes sont renouvelées
quotidiennement [2]. Leur taux sanguin habituel (150'000 440'000 mL-1) assure une bonne marge de
sécuri pour l’hémostase, car le temps de saignement est normal dès que le taux de plaquettes
fonctionnelles est la moitié de la norme. Pour cette raison, il suffit d’arrêter pendant 5 jours les
substances qui bloquent irréversiblement leur fonctionnement, comme l’aspirine ou les thiénopyridines,
pour retrouver une capacité hémostatique normale.
Les plaquettes et les molécules de fibrinogène circulent de manière fluide dans le courant sanguin tant
que l’endothélium est intact. Une rupture dans la continuité de ce dernier, qu’elle soit due à une brèche
vasculaire ou à une plaque athéromateuse instable, met en contact avec le flux sanguin des éléments
normalement camouflés dans la paroi du vaisseau : collagène, facteur de von Willebrand (FvW), lipides,
etc. Ce phénomène va déclencher l’activation plaquettaire, qui procède en trois phases [1].
Phase d’initiation, pendant laquelle les plaquettes adhèrent à la lésion ;
Phase d’extension, caractérisée par un recrutement et une agrégation d’autres plaquettes ; il se
forme un thrombus blanc ;
Phase de perpétuation, marquée par la stabilisation du thrombus au moyen de la thrombine et
des facteurs de coagulation (thrombus rouge).
Les plaquettes
Les plaquettes (taux habituel: 150'000 440'000 mL-1) ont une durée de vie moyenne de 10 jours. Un
taux de 50% par rapport à la norme suffit à maintenir une hémostase normale, pour autant qu'il n'y ait ni
demande ni consommation excessives.
Références
1 ANGIOLILLO DJ, UENO M, GOTO S. Basic principles of platelet biology and clinical implications. Circ J 2010; 74:597-607
2 DAVI G, PATRONO C. Platelet activation and atherothrombosis. N Engl J Med 2007; 357:2482-94
Activation plaquettaire
Lorsque survient une lésion endothéliale, les plaquettes entrent en contact avec le collagène, avec le
facteur von Willebrand, et éventuellement avec les lipides d’une plaque athéromateuse instable ; cette
dernière est constituée d’un amas de lipides, de macrophages et d’éléments inflammatoires recouverts
Précis d’anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 29 Antiplaquettaires 4
d’une fine capsule. Lors de cette rupture endothéliale, la rencontre entre les structures sous-
endothéliales et les thrombocytes circulants active spécifiquement le récepteur GP Ib/V/IX et provoque
une dégranulation plaquettaire qui libère de la thromboxane A2 (TXA2), de l’adénosine-diphosphate
(ADP) et de la thrombine. Ces substances stimulent à leur tour les cepteurs correspondants de chaque
plaquette et ceux des thrombocytes voisins ; elles amplifient ainsi la réaction par recrutement de
nouveaux éléments (Figure 29.1) [3]. Les plaquettes activées changent de forme et développent des
spicules typiques.
© Chassot 2016
GPIb/V/IX
von Willebrand
GPIb/V/IX
von Willebrand
GPIb/V/IX
Endothélium
F
i
b
Plaquette
Plaquette
Plaquette
Collagène
Collagène
Endothélium
Collagène
Endothélium
F
b
von Willebrand
TXA2
ADP
TXA2
ADP
F
i
b
Plaq*
Plaq*
Plaq*
Figure 29.1.A : Les plaquettes et les
molécules de fibrinogène (F) circulent
fluidement dans le courant sanguin
tant que l’endothélium est intact. Le
récepteur GP Ib/V/IX rest inactivé ; le
facteur von Willebrand est à l’intérieur
de la paroi vasculaire. Le sang n’a
aucun contact avec les éléments sous-
endothéliaux tels le collagène ou les
lipides.
Figure 29.1.B : Lorsque survient une
lésion endothéliale, les plaquettes
entrent en contact avec les lipides,
avec le collagène et avec le facteur
von Willebrand, ce qui active le
récepteur GP Ib/V/IX et provoque une
dégranulation plaquettaire ; la
libération de thromboxane A2 (TXA2)
et d’ADP active les plaquettes, qui
adhèrent à l’endothélium lésé. Les
plaquettes activées (Plaq*) dévelop-
pent des spicules typiques.
Figure 29.1.C : La stimulation des
récepteurs correspondants par la TXA2
et l’ADP active le récepteur GP
IIb/IIIa plaquettaire qui se lie alors au
fibrinogène circulant. Les molécules
de fibrinogène forment des ponts entre
plusieurs plaquettes et la chaîne ainsi
formée amorce le bouchon plaquettaire
(thrombus blanc).
Précis d’anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 29 Antiplaquettaires 5
Figure 29.1 : Activation des plaquettes et formation d’un thrombus plaquettaire (thrombus blanc) lors de lésion
endothéliale mettant à nu les lipides et le collagène normalement recouverts d’endothélium : phase initiale
(29.1.B) et phase d’extension (29.1.C). Les agents antiplaquettaires (aspirine, clopidogrel, etc) agissent en
bloquant la phase d’activation des plaquettes. Plaq* : plaquette activée.
La stimulation des récepteurs plaquettaires par la TXA2, lADP et la thrombine transmet un signal
intracellulaire qui conduit à une hausse du Ca2+ ionisé sarcoplasmique et à une baisse de la production
d’AMP cyclique (cAMP) ; ce phénomène active le complexe GP IIb/IIIa situé à la surface des
plaquettes. Une fois activé, ce dernier se lie au fibrinogène circulant. Cette liaison forme des ponts entre
plusieurs plaquettes et devient le ciment qui agglutine les thrombocytes entre eux. La chaîne ainsi
formée amorce le bouchon plaquettaire (thrombus blanc).
Lorsqu’elles sont stimulées, les plaquettes libèrent des agents activateurs de la coagulation (TXA2,
ADP, sérotonine, thrombine) dont certains sont aussi des vasoconstricteurs locaux (TXA2, sérotonine),
alors que l’endothélium sécrète des substances qui freinent l’activité plaquettaire et ont un effet
vasodilatateur : le NO (baisse du Ca2+ ioniintracellulaire), la prostacycline PGI2 (augmentation du
cAMP, modulation de la réponse au TXA2) et l’ecto-ADPase (suppression de la phase de recrutement
plaquettaire) (Figure 29.2).
Figure 29.2 : Une plaque instable est constituée d’un amas de lipides, de macrophages et d’éléments
inflammatoires recouverts d’une fine capsule. Lorsque celle-ci vient à se rompre, les structures sous-endothéliales
entrent en contact avec les éléments circulants : les plaquettes sont activées, s’aggluttinent autour des molécules
de fibrinogène et déclenchent ladhésion de molécules de thrombine. Les plaquettes sécrètent des agents
activateurs de la coagulation (TXA2, ADP) et vasoconstricteurs (TXA2), alors que l’endothélium sécrète des
substances qui freinent l’activité plaquettaire et sont vasodilatatrices (NO, PGI2).
La situation peut évoluer de deux manières [2] :
Endothelium
Collagène
TXA2, ADP
NO, PGI2
F
F
F
F
F
Lipides Macrophages
Rupture
capsule
Pl*
Pl*
Pl*
Pl*
Pl*
Thrombine
Thrombine
© Chassot 2012
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