C A R D I O L O G I E I N T E R V E N T I O N N E L L E Le guide pression ou la physiologie au service de la prise de décision au laboratoire de cardiologie interventionnelle ● M.E. Amara, A. Gatsis, P. Michaud, O. Nallet, S. Mazouz, J. Sergent, S. Cattan* Observation Mme L., 62 ans, est admise pour prise en charge d’un infarctus inférieur à la troisième heure avec une stratégie d’angioplastie primaire. Elle présente comme facteurs de risque une hypertension artérielle traitée par amlodipine et un diabète non insulinodépendant traité par sulfamide hypoglycémiant. La coronarographie, réalisée à l’admission, objective des sténoses jugées intermédiaires sur la circonflexe (CX) et sur l’interventriculaire antérieure (IVA). La coronaire droite est occluse au segment III (flux TIMI 0) et présente une sténose à 80 % au segment II. Une angioplastie avec pose de stent sur les segments II et III est réalisée. La coronaire droite est en flux TIMI 3 en fin de procédure. Dans les suites de la coronarographie, la patiente présente un œdème aigu du poumon avec une pression artérielle à 90/45 mmHg, une fréquence cardiaque à 110 pulsations/mn et des signes périphériques de choc, imposant le recours à la ventilation mécanique et à un traitement inotrope positif. L’échographie cardiaque transthoracique et transœsophagienne montre alors un ventricule gauche présentant une bonne fonction systolique avec une séquelle limitée en inféro-basal. Une insuffisance mitrale de grade 3/4 est retrouvée. La valve mitrale est remaniée. Le feuillet antérieur présente une restriction de mouvement avec aspect en genou fléchi. Le feuillet postérieur est rétracté, dense, complètement immobile. Il existe un défaut net de coaptation valvulaire. Les piliers sont intacts. L’évolution ini- tialement favorable est, par la suite, compliquée d’un second œdème pulmonaire nécessitant à nouveau une ventilation mécanique. L’échographie réalisée dans les suites montre une insuffisance mitrale massive. Le cathétérisme cardiaque enregistre une pression ventriculaire gauche à 93/20 mmHg, un index cardiaque à 3,5 l/mn/m2, une pression artérielle pulmonaire d’occlusion à 27 mmHg et une grande onde V mitrale à 55 mmHg (figure 1). La patiente présente donc une insuffisance mitrale massive d’étiologie mixte rhumatismale et ischémique. Une indication chirurgicale est portée sur la valve mitrale (plastie mitrale). Faut-il associer un geste sur les artères coronaires ? Une coronarographie de contrôle est réalisée. Elle montre l’absence de resténose sur la coronaire droite. La sténose de la circonflexe est évaluée à 38 % en angiographie quantitative, avec un diamètre luminal minimal à 1,66 mm. La sténose de l’interventriculaire antérieure est évaluée à 46 %, avec un diamètre luminal minimal à 1,27 mm (figure 2). Compte tenu du caractère intermédiaire des lésions, on décide d’effectuer une mesure de réserve coronaire (fractional flow reserve ou FFR) à l’aide d’un guide pression sur ces deux artères, afin de décider de l’opportunité d’une revascularisation associée. La FFR est mesurée à 0,94 sur la circonflexe indiquant son caractère hémodynamiquement non significatif (figure 3). Elle est mesurée à 0,72 sur l’interventriculaire antérieure indiquant son caractère significatif (figure 4). Figure 1. Courbe de pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) montrant une grande onde V mitrale de 55 mmHg et une élévation de la PAPO à 27 mmHg. * Service de cardiologie, CHI Le Raincy-Montfermeil, 93370 Montfermeil. 22 La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002 C A R D I O L O G I E I N T E R V E N T I O N N E L L E Figure 3. Mesure des pressions dans la Cx et l’aorte. Après adénosine intracoronaire, chute de pressions dans la Cx. FFR = 66/70 = 0,94 signant le caractère hémodynamiquement non significatif de la sténose. Après l’injection, retour à l’état basal : pas de différence entre les pressions Cx et aorte. a b Figure 2. Sténose IVA évaluée à 46 % en angiographie quantitative (2a) et sténose CX évaluée à 38 % (2b). La patiente est donc adressée en chirurgie en vue d’une plastie mitrale et d’un monopontage sur l’interventriculaire antérieure. Les constatations chirurgicales confirment les données notées en préopératoire. La patiente bénéficie d’une plastie mitrale et d’un monopontage mammaire interne-IVA. L’échographie cardiaque postopératoire note l’absence d’insuffisance mitrale significative. Discussion L’association d’un pontage aortocoronaire à un geste valvulaire (que ce soit un remplacement valvulaire ou une plastie mitrale) peut avoir des conséquences importantes, en particulier chez des patients fragiles. De ce fait, il paraît nécessaire de pouvoir démontrer de manière objective la sévérité des lésions avant de prendre une décision de revascularisation associée. La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002 Figure 4. Mesure des pressions dans l’aorte et dans l’IVA. A : après injection d’adénosine, augmentation du gradient de pression avec chute des pressions moyennes dans l’IVA à 60 mmHg et dans l’aorte à 82 mmHg. FFr calculée à 60/82 = 0,73 signant le caractère hémodynamiquement significatif de la sténose IVA. B : un gradient existait dès l’état basal et persiste à distance de l’injection. La décision thérapeutique chez les patients présentant des lésions coronaires jugées intermédiaires angiographiquement repose habituellement sur la mise en évidence d’une ischémie myocardique. Cette approche, dite “physiologique”, fait en général appel à des techniques disponibles à l’extérieur du laboratoire de cathétérisme. Ces techniques (tests d’effort habituellement couplés à une scintigraphie myocardique) ont l’inconvénient d’allonger la durée d’hospitalisation, et ne peuvent pas toujours être réalisables chez des patients hémodynamiquement instables. Les nouveaux outils tels que les guides pression et les guides doppler ont l’avantage d’être disponibles en percutané lors d’une coronarographie. Les guides pression, dont il est question dans le cas clinique cité, permettent de mesurer la pression en aval de la sténose de manière 23 C A R D I O L O G I E I N T E R V E N T I O N N E L L E simple, rapide, et ce sans augmenter significativement le risque pour le patient (1, 2). Le guide pression est un guide fin (0,014 pouce de diamètre) qui comporte à son extrémité un capteur permettant une mesure de pression. Il est positionné dans la coronaire à étudier juste en aval de la sténose. Son utilisation permet d’évaluer la réserve coronaire. En effet, lorsqu’une coronaire présente une sténose hémodynamiquement significative, la pression en état d’hyperémie est plus basse en aval qu’en amont de ladite sténose. On mesure la réserve coronaire fractionnelle (FFR), qui est définie comme le rapport de la pression coronaire moyenne hyperémique (après injection d’adénosine) en aval de la sténose sur la pression théorique de la même coronaire en l’absence de sténose, cette dernière étant représentée par la pression aortique moyenne mesurée au maximum de l’hyperémie (figure 5). RÉSERVE CORONAIRE (FFR) Pression moyenne coronaire distale/pression moyenne aortique = Pd/Pa FFR < 0,75 = sténose hémodynamiquement significative FFR calculée en utilisant les mesures moyennes de pressions au maximum de l’hyperémie Figure 5. Calcul de la réserve coronaire. ✔ La FFR normale est égale à 1,0. Elle n’est pas affectée par les variations de fréquence cardiaque, de pression artérielle et de contractilité (3), ce qui représente un avantage par rapport aux guides doppler. ✔ Une FFR inférieure ou égale à 0,75 indique l’existence d’une sténose hémodynamiquement significative (3, 4) avec une sensibilité de 88 % et une spécificité de 100 %, et ce en comparaison avec les techniques non invasives (4). ✔ Une FFR supérieure à 0,75 est associée à un bon pronostic avec une progression de la sténose < 10 %, 92 % des patients n’ayant pas besoin d’une revascularisation (5, 6). Au total Les guides pression employés pour mesurer la réserve coronaire constituent un outil fiable d’évaluation des sténoses coronaires. Leur utilisation est à la fois facile, rapide, peu risquée et d’infrastructure légère. Ils permettent d’évaluer le retentissement hémodynamique des sténoses afin de porter une indication de revascularisation dans les cas difficiles. ■ Bibliographie 1. Kern MJ, De Bruyne B, Pijls NH. From research to clinical practice : current role of intracoronary physiologically based decision making in the cardiac catheterization laboratory. J Am Coll Cardiol 1997 ; 30 (3) : 613-20. (Review). 2. De Bruyne B, Pijls NH, Paulus WJ, Vantrimpont PJ, Sys SU, Heyndrickx GR. Transstenotic coronary pressure gradient measurement in humans : in vitro and in vivo evaluation of a new pressure monitoring angioplasty guide wire. J Am Coll Cardiol 1993 ; 22 (1) : 119-26. 3. De Bruyne B, Bartuneck J, Sys SU, Pijls NJH, Heyndrickx GR, Wijns W. Simultaneous coronary pressure and flow velocity measurements in humans ; feasibility, reproducibility, and hemodynamic dependence of coronary flow velocity reserve, hyperaemic flow versus pressure slope index, and fractional flow reserve. Circulation 1996 ; 94 : 1843-9. 4. Pijls NHJ, de Bruyne B, Peels K et al. Measurements of myocardial fractional flow reserve to assess the functional severity of coronary-artery stenosis. N Engl J Med 1996 ; 334 : 1703-8. 5. Kern MJ, Donohue TJ, Aguirre FV et al. Clinical outcome of deferring angioplasty in patients with normal translesional pressure-flow velocity measurements. J Am Coll Cardiol 1995 ; 25 : 178-87. 6. Bech GJW, De Bruyne B, Bonnier HJRM et al. Long-term follow-up after deferral of percutaneous transluminal coronary angioplasty of intermediate stenosis on the basis of coronary pressure measurement. J Am Coll Cardiol 1998 ; 31 : 841-7. Les articles publiés dans “La Lettre du Cardiologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai 1983 - EDIMARK S.A. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal : à parution 24 La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002