Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
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Introduction : Depuis la Révolution française, nombreux sont les hommes politiques français
à la recherche d'un système politique stable, pérenne, capable d'être accepté par la plus grande
majorité des Français. Cette recherche explique la multitude de régimes que connaît le pays à
partir de 1789 : monarchies, empires, républiques, tous plus ou moins libéraux et/ou
autoritaires, se succèdent jusqu'à la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870. Est alors
fait le choix d'un nouveau gime, républicain, qui apparaît pourtant très contesté, non
seulement à cause de l'opposition nette d'une partie de la classe politique monarchiste ou
bonapartiste, mais aussi à cause de la division entre les républicains eux-mêmes. Les
premières années de la III
e
République sont donc des années de questionnement et de combat
pour les républicains, qui doivent définir ce qu'est pour eux la République afin d'assurer le
fonctionnement de ses institutions et d'éviter qu'elle ne disparaisse.
Progressivement, une idée clé se met en place : en France, seule la République
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peut
incarner la démocratie
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. La victoire de la République est donc aussi celle de la démocratie, ce
qui explique que, depuis 1870, ce système politique n'a véritablement été remis en cause
qu'une seule fois, entre 1940 et 1944. Cependant, la République n'est pas figée : trois systèmes
successifs (III
e
, IV
e
et V
e
Républiques) ont été appliqués en France en un siècle et demi, ce
qui montre bien l'importance des débats politiques, encore présents aujourd'hui, autour des
valeurs de la République et de la démocratie.
Problématique : Quel est le caractère complexe de la République en France et comment ce
modèle s’est-il enraciné depuis les années 1870, sans pourtant être exempt de crises et de
remises en cause ?
I. L’enracinement de la culture républicaine dans les décennies 1880-1890 :
Comment l’enracinement de la culture républicaine contribue-t-il à rendre incontournable la
République en France dans les années 1880-1890 ?
A. Une République minoritaire dans les années 1870 :
Documents à utiliser : discours de Léon Gambetta du 9 octobre 1877, document 2 p. 303.
Document 1 : L’éloge du suffrage universel et du système républicain :
Aujourd'hui, citoyens, si le suffrage universel se déjugeait, c'en serait fait, croyez-le bien, de
l'ordre en France, car l'ordre vrai – cet ordre profond et durable que j'ai appelé l'ordre
républicain ne peut en effet exister, être protégé, défendu, assuré, qu'au nom de la majorité
qui s'exprime par le suffrage universel. (Très bien ! très bien ! - Bravo ! bravo !)
Et si l'on pouvait désorganiser ce mécanisme supérieur de l'ordre, le suffrage universel,
qu'arriverait-il ? Il arriverait, Messieurs, que les minorités pèseraient autant que les majorités ;
il arriverait que tel qui se prétendait investi d'une mission en dehors de la nation, d'une
mission que l'on qualifierait de providentielle, en dehors et au-dessus de la raison publique,
que celui-là irait jusqu'au bout, puisqu'on lui aurait donné la permission de tout faire jusqu'au
bout...
1
Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré
par le corps social en ce sens « république » s'oppose à « monarchie », mais ne se confond pas avec
« démocratie », dans l'hypothèse, par exemple, d'une restriction du suffrage –,
2
Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal mocratique moderne émerge à l'aube
du XVIII
e
s. d'une nouvelle conception de l'homme dans laquelle celui-ci, libre et doué de volonté autonome,
n'est plus soumis à la divine Providence. La liber est définie comme une faculté inhérente à la personne
humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de droits naturels, inaliénables et sacrés.
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Chapitre 9 : La République, trois républiques
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Mais, Messieurs, il n'est pas nécessaire, heureusement, de défendre le suffrage universel
devant le parti républicain qui en a fait son principe, devant cette grande démocratie dont tous
les jours l'Europe admire et constate la sagesse et la prévoyance, à laquelle, tous les jours, de
tous les points de l'univers, arrivent les sympathies éclatantes de tout ce qu'il y a de plus
éminent dans les pays civilisés du monde. Aussi bien, je ne présente pas la défense du
suffrage universel pour les républicains, pour les démocrates purs ; je parle pour ceux qui,
parmi les conservateurs, ont quelque souci de la modération pratiquée avec persévérance dans
la vie publique. Je leur dis, à ceux-là : Comment ne voyez-vous pas qu'avec le suffrage
universel, si on le laisse librement fonctionner, si on respecte, quand il s'est prononcé, son
indépendance et l'autorité de ses décisions, comment ne voyez-vous pas, dis-je, que vous
avez un moyen de terminer pacifiquement tous les conflits, de dénouer toutes les crises, et
que, si le suffrage universel fonctionne dans la plénitude de sa souveraineté, il n'y a plus de
révolution possible, parce qu'il n'y a plus de révolution à tenter, plus de coup d'État à redouter
quand la France a parlé ? (Très bien ! très bien ! Applaudissements.)
C'est là, Messieurs, ce que les conservateurs, c'est là ce que les hommes qui, les uns de bonne
foi, les autres par entraînement et par passion, préfèrent le principe d'autorité au principe de
liberté, devraient se dire et se répéter tous les jours.
C'est que, pour notre société, arrachée pour toujours entendez-le bien au sol de l'ancien
régime, pour notre société passionnément égalitaire et démocratique, pour notre société qu'on
ne fera pas renoncer aux conquêtes de 1789, sanctionnées par la Révolution française, il n'y a
pas véritablement, il ne peut plus y avoir de stabilité, d'ordre, de prospérité, de légalité, de
pouvoir fort et respecté, de lois majestueusement établies, en dehors de ce suffrage universel
dont quelques esprits timides ont l'horreur et la terreur, et, sans pouvoir y réussir, cherchent à
restreindre l'efficacité souveraine et la force toute puissante. Ceux qui raisonnent et qui
agissent ainsi sont des conservateurs aveugles ; mais je les adjure de réfléchir ; je les adjure, à
la veille de ce scrutin solennel du 14 octobre 1877, de rentrer en eux-mêmes, et je leur
demande si le spectacle de ces cinq mois d'angoisses si noblement supportées, au milieu de
l'interruption des affaires, de la crise économique qui sévit sur le pays par suite de l'incertitude
et du trouble jetés dans les négociations par l'acte subit du seize mai, je leur demande si le
spectacle de ce peuple, calme, tranquille, qui n'attend avec cette patience admirable que parce
qu'il sait qu'il y a une échéance fixe pour l'exercice de sa souveraineté, n'est pas la preuve la
plus éclatante, la démonstration la plus irréfragable que les crises, même les plus violentes,
peuvent se dénouer honorablement, pacifiquement, tranquillement, à la condition de maintenir
la souveraineté et l'autorité du suffrage universel. (Profond mouvement.)
Je vous le demande, Messieurs : est-ce que les cinq mois que nous venons de passer auraient
pu maintenir l'union, l'ordre, la concorde, l'espérance et la sagesse, laisser à chacun la force
d'âme nécessaire pour ne pas céder à la colère, à l'indignation, aux mouvements impétueux de
son cœur, si chacun n'avait pas eu la certitude que le 14 octobre il y aurait un juge, et que,
lorsque ce juge se serait exprimé, il n'y aurait plus de résistance possible ?... (Vive
approbation et bravos prolongés.)
C'est grâce au fonctionnement du suffrage universel, qui permet aux plus humbles, aux plus
modestes dans la famille française, de se pénétrer des questions, de s'en enquérir, de les
discuter, de devenir véritablement une partie prenante, une partie solidaire dans la société
moderne ; c'est parce que ce suffrage fournit l'occasion, une excitation à s'occuper de
politique, que tous les conservateurs de la République devraient y tenir comme à un
instrument de liberté, de progrès, d'apaisement, de concorde. C'est le suffrage universel qui
réunit et qui groupe les forces du peuple tout entier, sans distinction de classes ni de nuances
dans les opinions. Léon Gambetta, discours devant l’assemblée nationale, 9 octobre 1877.
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Questions :
1. A l’aide de votre livre, présentez le document.
Ce discours a été prononcé le 9 octobre 1877 à la chambre des députés par Léon Gambetta, un
des principaux leaders des républicains durant les années 1870 : défenseur de la France et de
Paris contre les Prussiens en 1871, il veut soutenir la poursuite de la guerre mais se résout
finalement à l’armistice. Principal défenseur d’un système républicain, il fait partie de ceux
qui poussent à la mise en place d’une réelle république, fondée sur le suffrage universel en
1877 par opposition au camp des monarchistes et au maréchal de Mac Mahon, alors dirigeant
de l’Etat français. C’est cette position qu’il reprend dans son discours faisant l’éloge du
système représentatif républicain, de l’usage du suffrage universel et refusant en bloc la
monarchie et tout système fondé sur une base autoritaire.
2. En vous appuyant sur le texte, donnez la vision de la République telle que Gambetta la
met en avant.
La République est d’abord définie en miroir : ce ne peut être un régime héréditaire, personnel
et monarchique. Gambetta garantit la République en s’appuyant sur le suffrage universel car,
selon lui, seule la souveraineté nationale, pleinement respectée peut permettre au nouveau
régime de se stabiliser et éviter les écueils connus par les régimes précédents : dérives
autoritaires et réditaires des monarchies, plébiscites sous le second Empire sans que le
suffrage universel soit réellement respecté.
La République doit donc être fondée sur le respect des droits et des libertés, conquises de
1789, héritage dont se réclament les Républicains et la majorité des Française selon Gambetta
ce qui n’est pas aussi sûr pour la population. Il veut donc fonder le gime sur un système
parlementaire, fondé sur la représentation nationale et s’oppose à l’idée d’un exécutif fort
risquant d’amener à nouveau les spectres de la monarchie, de l’Empire, voire d’une nouvelle
révolution.
3. A quelle autre vision du nouveau régime s’oppose-t-il dans son discours ? Qui sont les
soutiens d’un tel régime ?
Gambetta s’oppose fermement aux conservateurs, monarchistes et bonapartistes qui sont
encore membre de l’assemblée à ce moment-là. Ces derniers sont les partisans d’un exécutif
fort, qui plongerait ses racines dans la tradition de l’Etat monarchique, soit un pouvoir
héréditaire, fort qui ne s’appuierait pas sur le vote de la Nation entière et nierait une partie de
la représentativité et de la souveraineté nationale.
4. Au prix de ces oppositions, quel est le modèle qui sort vainqueur de cette lutte entre
conservateurs et républicains ? (Utilisez le document 2 p. 303)
Les élections de 1877 sont décisives pour la survie du régime républicain. Alors que les
républicains restent majoritaires, malgré une perte de 40 sièges (323 sièges au lieu de 363
précédemment), les ultra-conservateurs ont progressé de 77 sièges (200 contre 123 sièges
précédemment) sans pour autant obtenir la majorité. Mac Mahon refuse la sanction du
suffrage universel et nomme un gouvernement de combat avec à sa tête, le néral
Rochebouët. Les députés refusent par 325 voies contre 218 d’entrer en communication avec le
ministère pour la défense « des droits de la nation et des droits parlementaires ». Mac Mahon
accepte de se soumettre et finit par démissionner le 30 janvier 1879 ce qui marque la défaite
du camp monarchiste et conservateur. Peut alors se mettre en place la III
ème
République,
régime de type parlementaire, fondé sur le suffrage universel masculin. Cependant, la mise en
place du régime ne veut pas dire son enracinement immédiat dans la société. Tout un
processus doit alors se mettre en place pour diffuser et faire accepter les valeurs de la
République.
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B. Enraciner et diffuser les valeurs républicaines :
1) La République s’enracine dans le paysage par ses symboles
Document à utiliser : la célébration du 14 juillet 1883, estampe anonyme conservée au Musée
Carnavalet à Paris.
Document 1 : La Célébration de la République le 14 juillet.
Questions :
1. Qui est le principal défenseur de la République et de la démocratie selon cette estampe ?
Quelle image de ce peuple est donnée dans l’estampe ?
Le principal défenseur de la nation est ici le peuple représenté par le lion sur la statue mais
aussi présent dans l’ensemble de la cérémonie : hommes y compris ceux venus des colonies
comme les soldats, les instituteurs, les bourgeois issus de tous horizons, les femmes et les
enfants qui défilent dans les bataillons scolaires, tandis que les petites filles ont pris
l’apparence de Marianne (en bas à gauche de l’image). Le peuple est donc agissant et
souverain, à même de protéger les droits, les libertés, la démocratie, la patrie et la République.
Cela est aussi souligné par le lion, qui pose sa patte sur une stèle représentant les droits de
l’homme.
2. Quels sont les lieux symboliques de la République sur cette estampe ?
Deux lieux sont particulièrement symboliques de la République dans cette estampe : la mairie
et l’école.
République
Française
Drapeau
tricolore
Mairie
Bataillons
républicains
Bonnet
phrygien,
symbole de
liberté,
héritage de la
Révolution
Le peuple
triomphant
défenseur
des droits.
L’école
républicaine
Allégorie de
la justice et
de l’égalité
devant la loi
Allégorie de
la fraternité
Marianne,
allégorie de
la liberté
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La première est à la fois siège d’institution, lieu de pouvoir et lieu symbolique. La mairie est
républicaine par définition, puisque la France elle-même l’est depuis le 4 septembre 1870, et
que les mairies sont les sièges les plus nombreux du fonctionnement des institutions. Elles
forment les lieux le plus proches des citoyens et les plus universellement présents. La mairie,
depuis 5 avril 1884, doit être associée à un hôtel de ville, qu’elle en soit propriétaire ou
locataire et qu’il ne doit être en aucun cas le logement du maire, du secrétaire de mairie ou de
l’instituteur. Ce devait être un local indépendant loué par acte spécial. La commune devait
meubler son local de mobilier et du matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions
administratives et à le maintenir en bon état. Désormais, partout la Mairie, entre dans le
paysage, dans la vision banale de l’espace rural ou urbain, et au-delà, dans les traditions
républicaines.
La deuxième est le lieu dans lequel les valeurs républicaines sont diffusées, notamment depuis
les lois scolaires de 1881 et 1882. , qui donnent à tous l’accès à l’instruction primaire. Les
valeurs républicaines sont alors inculquées aux enfants durant les heures de classe. L’école
devient donc le deuxième lieu symbolique, que toute commune doit posséder et par
l’intermédiaire de laquelle s’enracine la culture républicaine (voir 2)
3. Quelle est la place de l’armée dans cette représentation de la République ?
L’armée est célébrée comme une institution essentielle de la République. Dans cette optique,
l’armée est une institution choyée, la majorité des gradés, même compromis par l’Empire ou
la répression de la Commune, étant maintenus. En 1889, une loi réduit le service militaire à 3
ans au lieu de 5.
L’école apparaît comme une institution complémentaire de l’armée : on éduque au
patriotisme, on crée des bataillons scolaires avec entrainement avec des fusils de bois (même
si l’expérience échoue et ne dure pas longtemps). Des transformations progressives ont lieu
amenant les officiers de l’Etat Major à être indépendants du corps politique et à se renouveler
progressivement.
D’ailleurs, le 14 juillet, outre les bals populaires et autres manifestations, se marque par la
prise d’armes la garnison se déploie dans des éclatants uniformes et le retentissement des
fanfares.
Vincent Duclert décrit le premier 14 juillet comme l’expression d’une volonté républicaine de
créer un lien indéfectible avec l’armée mais qui les entraîna à refuser toute démocratisation du
monde militaire. La cérémonie d’Etat eut lieu le 14 juillet 1880 à Longchamp où 400 colonels
commandant les giments récurent des drapeaux de la part du président de la République,
Jules Grévy élu chef d’Etat en janvier 1879 pour 7 ans démontrant comme le dit Jean-Marie
Mayeur que « la patrie et la nation sont bien au coeur de la culture politique républicaine ».
Les images naïves célèbrent la République triomphante présidant à la grande fête, en insistant
sur le ralliement de l’armée au nouveau régime mais aussi mettent en avant les sens de liberté
et de fraternité.
4. Que symbolisent le drapeau tricolore et l’allégorie de la liberté, appelée depuis les années
1880 Marianne ?
La couleur du drapeau, bleu, blanc et rouge est héritier de la révolution. La Légende a voulu
que ces trois couleurs aient été réunies le 17 juillet 1789 lorsque le roi arrivant à l’hôtel de
ville de Paris et accueilli par Bailly ait accepté de joindre à la cocarde blanche fixée à son
chapeau, les couleurs de la ville de Paris – le bleu et le rouge. Il semble que ces trois couleurs
aient déjà été associées quelques jours plus tôt par Lafayette qui voulait trouver un signe de
ralliement pour la garde nationale nouvellement créée : ainsi unit-il le blanc de l’uniforme des
gardes françaises, ralliées au mouvement insurrectionnel, au bleu et rouge de la milice
parisienne. Cette cocarde tricolore apparaissait donc comme un témoignage d’unité retrouvée
un symbole d’alliance et de concorde. Cependant, l’utilisation du drapeau bleu, blanc et rouge
avec les bandes dans le sens vertical est longue et semée d’embûches. Le drapeau devient un
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