Les troubles du comportement dans les démences sévères

Synthèse
Les troubles du comportement
dans les démences sévères
CHRISTIAN DEROUESNÉ
Faculté de médecine
Pitié-Salpêtrière,
Université Paris VI
Résumé. Les troubles psychiques et comportementaux (TPC) bien que n’apparaissant ni
dans les critères de diagnostic des démences ni dans les échelles d’évaluation de leur
sévérité, constituent pourtant un élément essentiel de la charge des aidants et la cause
principale d’institutionnalisation. Ils sont à la fois la conséquence des lésions cérébrales,
mais aussi des réactions du patient à ses déficits et à l’attitude de l’entourage. En dépit des
troubles du langage et de la désorganisation de la pensée dans les démences sévères, les
patients gardent une vie psychique et relationnelle dont l’expression passe souvent par des
TPC. Beaucoup d’entre eux sont transitoires et peuvent être améliorés par une bonne
compréhension de leur signification et une approche non médicamenteuse. Néanmoins, un
traitement psychotrope est souvent utile voire nécessaire, mais, du fait de la fragilité des
patients au stade de démence sévère, ses modalités doivent être particulièrement réflé-
chies.
Mots clés : démence, maladie d’Alzheimer, trouble psychique, comportement
Abstract. Behavioral and psychological symptoms of dementia (BPSD) are not included in
the diagnostic criteria for dementia or in the assessment tools for grading its severity.
However, they constitute a major part of the caregivers’ burden and the main cause for
institutionnalization. They are, for one part, the direct consequence of the brain lesions, but,
for another part, they result from the psychological reactions of the patients to their
cognitive deficits or their relational difficulties with their familiy or carers. Despite speech
disorder and mind disruption, patients with severe dementia still have a psychic and
relational life, which is expressed through BPSD. Many BPSD are of short duration and can
be improved by a better understanding, psychological and behavioral approach. However,
psychotropic drugs are often useful or necessary, but, due to the frailty of the patients with
severe dementia, their use should be very cautious.
Key words:dementia, Alzheimer disease, non cognitive symptom, behavior
Tout comportement est communication
et toute communication
est comportement.Watzlawick
La logique de la communication
Le titre de cet article appelle des clarifications. La
définition de la démence, comme un déficit co-
gnitif multiple dont l’intensité entraîne une ré-
duction des activités de la vie quotidienne, suggère que
l’évaluation de sa sévérité reposerait sur les éléments
de la définition. Le DSM-III-R proposait d’évaluer la
sévérité sur le degré de dépendance dans la vie quoti-
dienne : la démence sévère correspondait ainsi à une
altération des activités quotidiennes telle que le sujet
devait être surveillé en permanence (par exemple, le
patient est incapable d’observer une hygiène person-
nelle minimale, il est incohérent ou mutique). Cette
évaluation de la sévérité sur le degré de dépendance,
a priori satisfaisante, a été abandonnée dans les édi-
tions ultérieures : le DSM-IV-TR ne fournit plus de critè-
res de sévérité, indiquant que le degré de handicap
dépend de la sévérité des déficits cognitifs et du sou-
tien social. Il était donc logique de recourir au seul
critère objectif : la sévérité du déficit cognitif. Dans la
classification de l’OMS, le degré de sévérité est précisé
pour chaque déficit, mais non pour l’ensemble des
déficits. Mais l’évaluation la plus répandue est de re-
courir au score d’un test universellement utilisé, le
MMSE, un score < 10 définissant les démences sévè-
res. Bien que communément acceptée, cette évaluation
suppose une relation directe entre les déficits cognitifs
évalués par le MMSE et la perte d’autonomie, ce qui
néglige deux facteurs qui interviennent de façon essen-
tielle dans la restriction des activités quotidiennes : le
déficit des fonctions exécutives, non exploré par le
MMSE, et l’influence des manifestations non cogniti-
ves. La troisième technique d’évaluation de la sévérité
repose sur des échelles composites comme la GDS [1]
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et la CDR [2] qui tiennent compte, à la fois, des déficits
cognitifs et du degré de dégradation des activités de la
vie quotidienne. Au total, aucune de ces évaluations de
la sévérité de la démence ne prend en compte les
troubles du comportement qui représentent pourtant la
première cause d’institutionnalisation. Ainsi, à l’excep-
tion des formes très avancées, terminales de la mala-
die, le terme de démence sévère est loin de regrouper
des patients homogènes et les limites entre démences
modérées et sévères sont loin d’être franches.
La notion de troubles du comportement mérite, elle
aussi, certaines précisions.
Le terme de comportement renvoie aux conduites
observables de l’extérieur, sans tenir compte du vécu
du malade ni du fait qu’un même trouble du comporte-
ment peut correspondre à des mécanismes différents
(par exemple : l’agitation).
Cette perspective comportementaliste d’approche
du psychisme, dérivée de la psychologie expérimen-
tale, est favorisée par l’idéologie de la psychiatrie bio-
logique qui considère que les maladies mentales ou les
troubles comportementaux sont liés à des anomalies
du fonctionnement cérébral responsables du trouble
mental, anomalies qu’elle a pour objectif de mettre en
évidence (recherche) et de corriger par des médica-
ments restaurant le fonctionnement cérébral. Ainsi,
abord comportementaliste et psychiatrie biologique se
rejoignent pour ne pas prendre en compte la vie psy-
chique et relationnelle du sujet dément. Ce rejet est
encore aggravé par la définition actuelle de la démence
comme un déficit cognitif multiple retentissant sur la
vie quotidienne. Or, le patient dément, en dépit de trou-
bles cognitifs qui peuvent être sévères et perturber
l’expression de sa vie affective, garde une vie psychi-
que et relationnelle. Bien que les troubles cognitifs
constituent son noyau spécifique, la démence entraîne
un bouleversement de l’ensemble de la vie psychique
et relationnelle. Il nous semble donc préférable de par-
ler de troubles psychiques et comportementaux ou,
plus simplement, de troubles psychocomportemen-
taux (TPC) pour souligner la prise en compte de l’as-
pect subjectif de la psychopathologie des sujets dé-
ments.
Longtemps négligées, les manifestations non cogni-
tives des démences, en particulier dans la maladie
d’Alzheimer et les démences frontotemporales, ont fait
l’objet de nombreuses publications au cours de ces
dernières années [3]. Leur retentissement sur la vie
quotidienne [4] et sur les décisions d’institutionnalisa-
tion [5] est aujourd’hui largement reconnu. Leur éva-
luation a bénéficié de la mise au point d’une échelle
largement répandue, le neuropsychiatric inventory
(NPI) [6], dont la traduction en français a été validée [7].
À quoi sont dus les troubles
psychocomportementaux ?
Les troubles psychocomportementaux que présen-
tent les sujets déments relèvent de deux principales
causes.
Certains sont directement liés aux conséquences
directes des lésions cérébrales soit parce qu’elles siè-
gent dans les régions dont l’activité sous-tend notre vie
affective (noyaux amygdaliens situés dans la région
hippocampique, cortex frontal) soit par les perturba-
tions biochimiques qu’elles entraînent sur les systèmes
de neurotransmission (déficit cholinergique mais aussi
déficits associés en dopamine, en sérotonine ou en
noradrénaline). Ces TPC, d’origine biologique (que l’on
peut appeler « symptômes primaires ») dépendent
donc de la localisation et de l’étendue des lésions qui
provoquent une désorganisation progressive du psy-
chisme, indépendante du patient et de l’entourage, et
relèvent d’un traitement médicamenteux.
D’autres manifestations sont, à l’inverse, d’origine
psychologique. Elles témoignent de la réaction du pa-
tient confronté aux déficits cognitifs et aux symptômes
précédents, mais également à l’attitude de l’entourage
face à ces troubles. Elles sont liées en grande partie à
des tentatives de surmonter la baisse de l’estime de soi
qu’entraînent la maladie et ses conséquences sur le
fonctionnement cérébral et de faire face à l’attitude de
l’entourage qui ne comprend pas ou n’accepte pas les
symptômes de la maladie. Elles dépendent de la per-
sonnalité antérieure du patient (une personnalité nar-
cissique supporte mal les atteintes à son image), de
l’importance symbolique qu’il accordait aux fonctions
déficitaires (le déficit de mémoire, du langage n’est pas
affectivement vécu de la même façon par un professeur
de lettre et par un travailleur manuel). Au stade de
démence sévère, en dépit des troubles du langage et
de la désorganisation de la pensée, le patient garde
une vie psychique et relationnelle qui s’exprime à tra-
vers les TPC ou les moments de plus grande lucidité.
Du plus ou moins bon fonctionnement antérieur du
couple, de la personnalité de l’aidant vont dépendre la
qualité de l’adaptation aux perturbations psychiques
du patient. L’importance de ces facteurs psychologi-
ques et relationnels est bien illustrée par l’effet placebo
lors des essais thérapeutiques. Les symptômes secon-
daires qui en résultent aggravent les déficits cognitifs,
la perte d’autonomie. Leur prise en charge nécessite
C. Derouesné
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ainsi une information pour comprendre leur significa-
tion et un soutien psychologique orienté vers le patient
comme vers son entourage, attitude dont l’efficacité a
été démontrée par les études d’intervention qui ont
établi qu’en améliorant la compréhension des aidants
institutionnels [8] ou familiaux, on diminuait l’intensité
des TPC.
Enfin, un certain nombre de troubles sont liés aux
difficultés de communication qui s’accentuent aux sta-
des avancés de la maladie. Le patient, surtout lorsqu’il
présente des troubles du langage importants ou lors-
que sa vie psychique est sévèrement désorganisée, ne
peut communiquer ce qu’il ressent et s’exprime par
son comportement. Par exemple, une douleur, un ma-
laise, une contrariété peuvent se traduire par une agita-
tion, un comportement agressif, un comportement
d’angoisse. À l’inverse, il est difficile d’accéder à leur
pensée, de comprendre leur fonctionnement psychi-
que. Il faut toutefois noter qu’il existe souvent des pé-
riodes d’amélioration transitoires pendant lesquelles la
communication peut être partiellement rétablie.
Ainsi deux écueils sont à éviter dans la prise en
charge de ces troubles :
d’un côté, méconnaître l’importance des facteurs psy-
chologiques et de l’influence de l’entourage, ce qui est
souvent le fait des médecins ;
de l’autre, la tentation d’expliquer tous les troubles
par des facteurs psychologiques en ne prenant pas en
compte le caractère inévitable, indépendant du patient,
de certaines manifestations, ce qui est une tentation
fréquente chez les aidants [9].
Fréquence
des troubles du comportement
La fréquence des divers TPC est difficile à établir car
elle varie grandement selon les études, en fonction des
regroupements sémiologiques, des modalités de re-
cueil comme des populations étudiées selon le lieu de
l’étude (consultations Mémoire, services de psychia-
trie, de neurologie, institutions gériatriques), et de leur
plus ou moins grande spécificité (études portant sur la
démence en général ou les TPC au cours d’une affec-
tion spécifique, démences frontotemporales (DFT), ma-
ladie d’Alzheimer (MA), démence vasculaire...). Dans
les DFT, les TPC représentent les symptômes inaugu-
raux et dominants de la maladie. Dans la MA, ils sont
constants tout au long de l’évolution, bien que beau-
coup moins sévères que dans les DFT. Certains symp-
tômes sont très précoces comme la démotivation, l’an-
xiété, d’autres habituellement d’apparition plus tardive,
comme les troubles psychotiques ou l’agitation [10].
Beaucoup d’études soulignent l’augmentation de fré-
quence et de la sévérité des TPC avec la progression de
la maladie, mais il existe des données contradictoires.
En effet, la sévérité des TPC semble plus liée à l’inten-
sité des perturbations de la vie quotidienne et des fonc-
tions exécutives qu’au score au MMSE, ce qui suggère
leur relation avec une atteinte frontale [11]. Nous avons
repris, pour cet article, les données d’une étude anté-
rieure des TPC dans la MA faite à partir d’un question-
naire rempli par l’aidant principal, le conjoint dans la
quasi-totalité des cas [12]. Ces données (tableau 1)
montrent que le score total des TPC n’augmentait sen-
siblement qu’entre les catégories MA débutante et dé-
mence légère. Les différences entre les autres groupes
étaient négligeables : les TPC sont donc, dans une cer-
taine mesure, indépendants des manifestations cogni-
tives et doivent être considérés comme une manifesta-
tion de la maladie au même titre que les déficits
cognitifs. Dans cette étude, la fréquence des TPC était
très variable selon les sujets, ce que traduit l’impor-
tance des déviations standards du score total dans
l’étude citée. Les troubles rapportés par l’aidant comme
les plus fréquents et les plus sévères, à tous les stades,
étaient l’apathie, les comportements violents et les
troubles sexuels. L’anxiété, l’humeur dépressive et la
méconnaissance des troubles étaient très fréquents
mais peu sévères. Seuls les troubles du comportement
alimentaire et l’agitation avaient tendance à augmenter
dans les démences sévères. Ces données sont néan-
moins à interpréter avec prudence du fait du faible
nombre de démences sévères et de leur provenance
d’une consultation spécialisée située dans un milieu
neurologique. Des chiffres très différents pourraient
être observés chez des patients institutionnalisés ou en
provenance d’un milieu psychiatrique. Enfin, il est pos-
sible qu’il y ait un biais d’observation de la part des
aidants qui accorderaient, à un stade avancé de la ma-
ladie, moins d’importance aux troubles du vécu psychi-
que des patients qu’aux manifestations comportemen-
tales. Leur évaluation peut également refléter le
caractère plus ou moins gênant qu’ils accordent aux
symptômes, ce qui n’était pas pris en compte spécifi-
quement dans l’échelle utilisée.
Principaux troubles
psychocomportementaux
L’apathie
Elle se définit aujourd’hui comme une diminution
de la motivation [13]. Elle se traduit par une diminution
Troubles du comportement
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d’activité (le patient refuse de sortir et peut rester assis
sur une chaise pendant des heures), un désintérêt pour
les activités qui l’intéressaient auparavant, un repli sur
soi grandissant associé à une diminution des réactions
émotionnelles, une difficulté à maintenir son attention.
La signification de l’apathie est variable. Sa fréquence
et sa précocité dans la maladie d’Alzheimer, comme
dans les dégénérescences frontotemporales, et sa
moindre fréquence dans les affections sous-corticales,
son aggravation au cours de la progression de la mala-
die sont des éléments en faveur d’une origine biologi-
que, liée aux lésions ou aux perturbations des noyaux
amygdaliens et du cortex frontal. Un autre argument
vient de leur amélioration par les traitements spécifi-
ques de la MA. Mais, bien souvent, le patient préfère se
replier sur lui-même plutôt que de s’exposer à des
échecs répétés ou à dévoiler ses troubles à son entou-
rage, ce qui provoque une réaction de repli. L’apathie
ne doit pas être confondue avec la dépression. Elle est
fort mal vécue par l’aidant car l’émoussement affectif
perturbe les relations familiales et elle accentue l’isole-
ment social. Son amélioration constitue une des répon-
ses les plus claires aux anticholinestérasiques. L’em-
ploi de certains médicaments à action psychotonique
peut se discuter, mais il convient de rester prudent à ce
stade car une augmentation de l’activité peut générer
une augmentation des comportements non appropriés.
La dépression
Sa fréquence varie grandement selon les études du
fait, notamment, de la confusion entre apathie et dé-
pression. Les symptômes dépressifs sont fréquents :
tristesse, pleurs, sentiment d’incurabilité, mais les épi-
sodes dépressifs majeurs sont rares, de même que les
idées d’autoaccusation ou de suicide [14]. Des élé-
ments sémiologiques distinguent la dépression de
l’apathie. Le patient déprimé souffre moralement, pré-
sente des plaintes multiples, exprime son inquiétude
pour sa santé, pour l’avenir, il ne réagit pas aux émo-
tions positives et a perdu le goût du plaisir (anhédonie),
mais vit douloureusement les situations négatives. Le
patient apathique est émoussé : ses réactions sont di-
minuées aussi bien face aux événements malheureux
qu’heureux, il n’exprime pas d’inquiétude ni pour la
situation présente ni pour l’avenir.
L’origine des symptômes dépressifs provient large-
ment d’une situation de mise en échec répétée (situa-
tion d’impuissance acquise qui constitue le modèle ex-
périmental de la dépression chez l’animal) et d’une
baisse de l’estime de soi. Néanmoins, un facteur biolo-
gique semble également intervenir car plusieurs étu-
des ont montré une relation entre dépression et déficits
en noradrénaline ou en sérotonine ou encore avec la
présence de lésions sous-corticales, notamment vascu-
laires.
Lorsqu’un traitement s’avère nécessaire en cas de
dépression caractérisée ou utile du fait de la sévérité ou
de la permanence des symptômes dépressifs, un
consensus a été établi pour prescrire, en première in-
tention, les inhibiteurs spécifiques de la sérotonine
(ISRS). Il est important de noter néanmoins que l’effet
des antidépresseurs est limité par deux facteurs : l’exis-
tence de perturbations irréversibles des systèmes de
neurotransmission du fait des lésions cérébrales et la
persistance des situations de mise en échecs répétés
du fait des troubles cognitifs. Le traitement médica-
menteux doit alors s’accompagner d’une prise en
charge de type psychothérapique. Dans les formes très
avancées, certains comportements peuvent être inter-
prétés comme le témoignage d’une dépression : refus
d’alimentation, refus de soin, syndrome de glissement.
L’anxiété
Elle est très fréquente, dès le début de la maladie.
Le patient exprime des craintes concernant sa situa-
tion, le retentissement sur la famille, craint de ne plus
pouvoir être utile, d’être considéré comme fou, écarté
des décisions... Plus tardivement, lorsque la communi-
cation orale est perturbée ou le déficit cognitif sévère,
l’anxiété s’exprime par un certain nombre de compor-
tements : conduites répétitives, agitation, agressivité,
refus de rester seul, d’aller se coucher ou de s’endor-
mir, manifestations somatiques, en particulier respira-
toires (crises de dyspnée). Il est difficile de rattacher
l’angoisse à des lésions cérébrales précises. En revan-
che, elle est très souvent la traduction d’une souffrance
psychique liée à la perte de l’estime de soi, à la recher-
che d’un étayage au fur et à mesure que le patient
devient dépendant des autres. Il est fréquent de noter, à
la fois, un émoussement affectif et une composante
anxieuse qui se traduit par une incontinence émotion-
nelle. La juxtaposition de ces deux types de perturba-
tions montre qu’elles relèvent vraisemblablement de
mécanismes différents. La prise en charge de l’an-
goisse est largement non médicamenteuse. Elle passe
par tout ce qui peut renforcer l’estime de soi du patient
et la réassurance des côtés positifs qui persistent, en
particulier au niveau des liens affectifs, mais aussi par
des contacts physiques rassurants. L’anxiété survient
habituellement par crises résolutives et ne nécessite
pas de traitement permanent. Souvent, elle est plus
importante le soir. Le recours, en cas de crise, à une
benzodiazépine d’action rapide et de demi-vie courte
peut aider. En cas de troubles plus sévères ou perma-
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nents, il semble plus judicieux de prescrire un ISRS que
des benzodiazépines au long cours du fait de leur ac-
tion sédative et myorelaxante (elles peuvent favoriser
les chutes).
Les troubles psychotiques
Ils réunissent différentes manifestations. Les idées
délirantes sont habituellement transitoires et ne consti-
tuent pas un délire systématisé. Les plus fréquentes
semblent sous-tendues par des mécanismes de dé-
fense psychologique. Les idées de vol contribuent à
masquer les troubles de mémoire en accusant les
autres de la disparition des objets dont la place a été
oubliée. Les idées de jalousie, d’abandon sont sous-
tendues par une baisse de l’estime de soi qui explique-
rait que le conjoint s’intéresse à une autre personne ou
veuille abandonner le patient, le placer en institution.
Des thèmes hypocondriaques (douleurs, sensations
anormales au niveau de l’appareil digestif ou génital)
sont également possibles et peuvent égarer vers une
pathologie d’organe. Dans ces cas, il est prudent d’éli-
miner une cause locale avant d’attribuer les troubles à
la MA, mais il faut garder à l’esprit qu’une origine
psychique est possible et ne pas s’acharner à mettre en
évidence une pathologie locale inexistante.
Les hallucinations sont le plus souvent visuelles,
parfois très élaborées, d’autres fois plus élémentaires
(vague sensation d’une présence qui passe). Elles peu-
vent être également auditives (voix d’un parent dis-
paru). Leur apparition peut également témoigner de
l’installation d’un état confusionnel.
Les troubles psychotiques se révèlent plus ou moins
perturbants pour le patient, chez lequel ils peuvent
générer des réactions anxieuses, et gênants pour l’en-
tourage (comme les idées de vol ou de jalousie). Par-
fois, ils ont, à l’inverse, une action apaisante : halluci-
nations agréables, présence imaginaire de parents
décédés (retour à des figures familières rassurantes).
C’est donc leur retentissement sur le patient qui justifie
ou non un traitement par les antipsychotiques, habi-
tuellement efficaces. Il est souvent nécessaire de rassu-
rer l’aidant sur le caractère sans gravité de certaines
hallucinations car elles sont perçues comme un témoi-
gnage direct de folie. On évite ainsi de prescrire des
antipsychotiques au patient pour calmer l’anxiété de
l’aidant.
D’autres troubles ont une base neuropsychologi-
que, mais ils se rapprochent des troubles psychotiques
par la conviction délirante qui les accompagne, le pa-
tient refusant toute mise à l’épreuve de la réalité : non
reconnaissance du conjoint et du domicile à l’origine
de fugues. Ces troubles sont intermittents : il suffit ha-
bituellement que le conjoint sorte quelques minutes de
la pièce pour que tout rentre dans l’ordre.
Tableau 1.Évaluation par l’aidant des troubles psychocomportementaux dans la maladie d’Alzheimer en fonction du score au
MMSE. Fréquence (%) et sévérité lorsque le trouble est présent (de1=rarementà6=laplupart du temps) d’après [12].
Table 1. Caregiver assessment of behavioral and psychological symptoms in Alzheimer’s disease according to the score on the
mini-mental state examination. Frequency (%) and severity when the disorder is present (from 1 = occurs rarely to 6 = most of the
time) [12].
MMSE < 10 10 MMSE < 20 20 MMSE < 25 MMSE 25
(démence sévère) (démence modérée) (démence légère) (MA débutante)
N=18 N=76 N=38 N=18
Score total
(maximum = 264)
81,2 ± 33,2 79,5 ± 39,7 82,4 ± 42,6 67,0 ± 40,0
Apathie 83 (3,5) 78 (3,0) 76 (3,0) 61 (2,7)
Dysphorie 78 (1,5) 84 (2,3) 86 (2,4) 83 (2,4)
Anxiété 89 (2,1) 93 (2,7) 87 (3,0) 89 (2,5)
Méconnaissance 78 (1,8) 95 (2,2) 92 (2,5) 83 (2,0)
Violence 89 (4,4) 91 (3,8) 84 (4,7) 78 (4,1)
Troubles psychotiques 39 (2,1) 43 (2,2) 39 (1,8) 39 (2,1)
Agitation 56 (2,0) 39 (1,9) 39 (2,0) 39 (1,4)
Fatigue 67 (2,9) 79 (3,6) 82 (3,7) 78 (4,1)
Refus de coopérer 67 (3,3) 50 (3,1) 50 (2,7) 39 (3,1)
Refus de voir des gens 22 (2,8) 39 (2,4) 53 (3,2) 44 (2,9)
Refus de rester seul 61 (3,8) 61 (3,0) 50 (3,1) 56 (2,9)
Troubles du sommeil 44 (2,2) 50 (2,4) 37 (2,0) 39 (1,6)
Troubles alimentaires 61 (1,6) 50 (2,1) 50 (2,2) 39 (1,7)
Troubles sexuels 89 (3,8) 76 (3,2) 71 (3,3) 72 (3,4)
Troubles du comportement
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