INTOXICATIONS
La prise en charge d’une intoxication aiguë comporte quatre étapes:
- réanimer et stabiliser le patient;
- obtenir un diagnostic en fonction des données épidémiologiques, des circonstances,
du toxique, des symptômes, des résultats des examens paracliniques et de l’analyse
toxicologique;
- évaluer la gravité en fonction des symptômes, de la nature du toxique, du terrain
et des concentrations plasmatiques ;
- juger de la nécessité, en dehors du traitement stabilisateur et symptomatique, d’un
traitement spécifique, évacuateur (décontamination), épurateur ou antidotique.
Réanimation et stabilisation
Appliquer de la règle du VIP: maintien des voies aériennes perméables et d’échanges
gazeux satisfaisants, administration de liquides intraveineux et au besoin d’agents
vasoactifs pour assurer ou rétablir un état hémodynamique stable (tableau I). Un
traitement antiarythmique ou anticomitial peut aussi s’imposer d’urgence.
V : ouverture des voies aériennes, oxygénothérapie, intubation endotrachéale
éventuelle.
I:fluid challenge en cas d’hypotension artérielle.
P: vasopresseurs, dobutamine, antiarythmiques.
Interventions en cas de coma:
- thiamine (100 mg IV);
- naloxone (0,4-1,2 mg IV);
- glucosé 50 % (25 à 50 g IV);
- éventuellement flumazenil (Anexate®).
Tableau I – Manœuvres de réanimation et de stabilisation.
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On peut trouver un certain nombre de syndromes toxicologiques (tableau II).
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Bilan toxicologique
Le bilan toxicologique ne peut donner un diagnostic spécifique ni détecter toute
intoxication chez tous les patients, mais peut confirmer ou infirmer une suspicion
anamnestique ou clinique. Des dosages qualitatifs sont suffisants mais des dosages
quantitatifs sont surtout importants pour les substances reprises dans le tableau III.
Les spécimens comprennent des échantillons de sérum, d’urine et de liquide gastrique.
Tableau II – Principaux syndromes toxicologiques.
Type
Cholinergique
Anticholinergique
Adrénergique
Hypnotique
Tricycliques
Opioïdes
Salicylés
Signes cliniques
Myosis, salivation, larmoiement, bronchorrhée, défécation,
bradycardie, hypotension, faiblesse musculaire
Mydriase, bouche sèche, peau sèche, rétention urinaire,
tachycardie, tachypnée
Mydriase, sudations, hyperthermie, tachypnée, tachycardie,
hypertension
Dépression respiratoire, coma, hypothermie
cf. anticholinergique + altérations ECG
Myosis, dépression respiratoire, hypothermie
Sudations, vomissements, bourdonnements d’oreille, hyper-
tension, tachypnée, acidose métabolique
Barbituriques.
Carboxyhémoglobine, méthémoglobine.
Digitaliques.
Diphénylhydantoïne.
Éthanol, méthanol, éthylène-glycol.
Lithium, fer, plomb, arsenic, mercure.
Salicylés, paracétamol (acétaminophène).
Théophylline.
Tableau III – Substances pour lesquelles un dosage quantitatif est utile.
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Traitements toxicologiques spécifiques
Décontamination
La décontamination vise à raccourcir la durée du contact avec le toxique pour limiter
ses effets locaux et à prévenir son absorption pour réduire ses effets systémiques.
Décontamination cutanée, muqueuse et oculaire
En cas d’exposition cutanée, muqueuse ou oculaire à des produits, caustiques ou
irritants, la sévérité des lésions est proportionnelle à la durée de contact avec le
produit. Une décontamination aussi précoce que possible s’impose donc.
Les autres facteurs déterminant la sévérité des lésions sont la nature du produit,
son état physique (gaz, vapeurs, liquide, particules solides), la concentration, le pH et
la température. L’irrigation agit aussi sur la plupart de ces facteurs.
Une décontamination peut aussi être indiquée si la peau ou les muqueuses sont
entrées en contact avec des produits susceptibles d’induire une toxicité systémique,
même s’ils n’ont pas ou peu d’effets locaux (alcools, insecticides, etc.).
Exposition oculaire
L’irrigation oculaire doit être entreprise immédiatement avec de l’eau. Si le matériel
est disponible, on utilisera de préférence une poche de sérum physiologique tiédi
d’un litre, montée sur une trousse de perfusion intraveineuse et l’irrigation sera
réalisée après l’application d’un collyre anesthésiant. L’anesthésie préalable réduit le
blépharospasme secondaire à la douleur et permet une meilleure irrigation des culs-
de-sac palpébraux. Les particules peuvent être ôtées au moyen d’un Coton Tige
humide. L’utilisation de solutions spécifiques n’a guère d’avantage et toute tentative
de neutralisation doit être proscrite, car elle risque d’accroître le dommage oculaire.
L’irrigation doit être poursuivie pendant au moins 20 à 30 minutes et plus
longtemps encore dans les brûlures alcalines sévères. En cas d’atteinte d’un seul œil,
des précautions doivent être prises pour éviter la contamination de l’autre œil.
Exposition cutanée
La décontamination consiste à ôter vêtements, chaussures ou bijoux contaminés, à
éliminer les particules solides par un brossage doux, puis à irriguer à grandes eaux.
Les effets récupérés doivent être isolés dans un sac en plastique. Le personnel doit
être protégé (gants, survêtement, lunettes…). Toutes les zones atteintes doivent être
décontaminées. Dans le doute, la douche complète, y compris des cheveux, doit être
la règle. L’irrigation doit être prolongée (20 à 30 minutes). Le haut débit d’irrigation
prévient une lésion thermique secondaire. Toute neutralisation doit être proscrite
(réaction exothermique).
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La brûlure peut ensuite être traitée comme une brûlure thermique classique par
une compresse grasse type Tulle Gras® ou un pansement à la Flammazine®. La
protection antitétanique doit être systématiquement réévaluée.
De rares situations peuvent nécessiter une attitude complémentaire particulière
(acide fluorhydrique ou chromique, phosphore, phénols, goudron). En règle
générale, ces manœuvres devraient être réalisées avant le transport du patient aux
urgences.
Prévention de l’absorption digestive des toxiques
ingérés
L’ingestion de toxiques est la situation la plus fréquemment rencontrée. Pour
prévenir leur absorption par le tube digestif, diverses approches ont été proposées:
- la vidange du contenu gastrique par induction de vomissements ou aspiration et
lavage de l’estomac;
- la fixation in situ sur une matrice adsorbante (généralement le charbon activé);
- l’accélération du transit digestif par induction de diarrhées, voire par lavage
intestinal complet.
Vomissements provoqués
Quel que soit le moyen utilisé (attouchement de la luette, sirop d’ipéca,
apomorphine sous-cutanée), l’induction de vomissements n’est plus recommandée.
L’efficacité de cette manœuvre est très inconstante (environ 10 à 20 % des cas), la
qualité de la vidange gastrique obtenue est médiocre et la technique n’est pas
dépourvue de complications.
Même à domicile, l’administration précoce de charbon adsorbant est plus
souhaitable que l’induction de vomissement, pour autant que les contre-indications
soient formellement respectées.
Lavage gastrique
Les avantages et les risques du lavage gastrique ont été récemment réévalués de
manière critique. Son utilité en routine est mise en doute.
L’aspiration du contenu gastrique doit systématiquement précéder
l’administration de charbon activé si celui-ci est instillé par une sonde. L’intérêt d’y
associer un lavage de plusieurs litres doit être évalué individuellement. En règle
générale, le lavage ne doit être pratiqué que s’il a des chances de retirer des quantités
significatives d’un produit dangereux. Il faut évaluer si le même effet ne peut pas être
obtenu par l’administration de charbon activé adsorbant seul.
Il est difficile de définir une règle générale quant au délai utile : certaines drogues
ont une absorption gastrique rapide (30 à 60 minutes pour la nicotine ou la
strychnine par exemple); d’autres, par un effet intrinsèque (atropiniques,
tricycliques, phénothiazines, opiacés), retardent la vidange gastrique et le lavage peut
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garder une certaine efficacité plus longtemps après l’ingestion. Pour certaines
substances, l’absorption est théoriquement rapide, mais peut être limitée par la
solubilité et la formation de concrétions gastriques (salicylés, barbituriques,
méprobamate). Le lavage gastrique plus d’une heure après l’ingestion est
généralement peu utile.
L’ingestion de caustiques est une contre-indication formelle, tant à l’introduction
d’une sonde gastrique qu’au lavage. Les ingestions d’acides fluorhydrique ou
oxalique peuvent faire exception, en raison de leur toxicité systémique sévère.
L’ingestion simultanée d’objets blessants ou l’existence d’une pathologie
œsophagienne préalable sont d’autres contre-indications, de même que les diathèses
hémorragiques.
L’intubation endotrachéale avec ballonnet gonflé est un préalable indispensable à
l’insertion d’une sonde gastrique si la conscience est altérée et/ou si les réflexes
pharyngés sont absents. Il faut utiliser un tube oro-gastrique large (32-40 F chez
l’adulte, 16-26 F chez l’enfant) et multiperforé. Le patient est placé en décubitus
latéral gauche, tête déclive, ce qui a l’avantage de collecter le contenu gastrique dans
le fundus, plutôt que de favoriser le passage au travers du pylore. De surcroît, le
risque d’inhalation est réduit, en cas de vomissements. Le liquide de lavage doit être
instillé en quantité connue et limitée (250 à 300 mL chez l’adulte, 50 à 100 mL chez
l’enfant) pour éviter de forcer le pylore. L’eau du robinet convient parfaitement chez
l’adulte; elle doit être tiédie en cas d’hypothermie. Chez l’enfant en bas âge, on
préférera une solution salée à 0,45 %. Il est préférable de vidanger le liquide instillé
par simple gravité, plutôt que de le réaspirer à la seringue. Le lavage gastrique doit
être poursuivi jusqu’à limpidité.
Avant d’entamer le lavage, il convient toujours de préserver un échantillon de
liquide gastrique pour analyse.
Adsorption, neutralisation ou dilution des toxiques in situ
Cette approche consiste à adsorber le toxique sur une matrice dans le tube digestif,
ce qui réduit son absorption. La matrice la plus utilisée est le charbon activé, produit
de distillation de substances organiques diverses (pulpe de bois, écorce de noix de
coco, charbon, céréales…), activé par des vapeurs d’acide fort à haute température.
L’administration de charbon est surtout indiquée en cas d’ingestion endéans l’heure
de quantités toxiques d’une substance carboadsorbable. On utilise la forme
pulvérisée, mise en suspension dans l’eau, à raison de 50 à 100 g chez l’adulte (1 g/kg
chez l’enfant), à délayer dans 4 volumes d’eau. Si un lavage gastrique a été pratiqué,
cette suspension est instillée par la sonde gastrique. Bien que le charbon soit inodore
et insipide, l’administration orale est plus difficile en raison de son aspect répugnant
et du caractère granuleux de la suspension. Elle peut être facilitée chez l’enfant par
l’addition d’édulcorants, tels le sirop de groseilles ou de chocolat (qui n’altère pas les
propriétés d’adsorption du charbon), ou l’usage d’un récipient opaque et d’un gros
chalumeau.
Théoriquement, le charbon ne devrait plus être utile une fois le toxique résorbé.
Pourtant, l’élimination de certains produits peut être accrue en cas de cycle entéro-
hépatique (digitaline par exemple) ou « entérodialyse » (barbituriques par exemple).
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