Exercices de Théorie Quantique des Champs II Séance 6

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Exercices de Théorie Quantique des Champs II
Séance 6 : Diagrammes de Feynman à boucles
Rappels :
La matrice Ŝ de la théorie des champs est l’opérateur unitaire décrivant la diffusion quantique d’un ensemble de champs entre les infinis passé et futur, où la théorie est supposée
être libre. (Bien entendu, entre les deux, la théorie n’est certainement pas libre !)
L’amplitude de diffusion entre un état initial |ini et un état final |outi est alors hout|Ŝ|ini.
On définit la matrice T̂ par Ŝ ≡ I + iT̂ . Si les états initiaux et finaux sont des collections
de particules libres d’impulsion et de polarisation bien définie, on écrit
|ini = |k1 , 1 , k2 , 2 , ..., kN , N i ≡ |{ki , i }i
et |outi = |p1 , ε1 , p2 , ε2 , ..., pN 0 , εN 0 i ≡ |{pj , εj }i
où les ki et les pj représentent les impulsions et où les i et εj représentent les polarisations.
Dans ce cas, on définit un élément de matrice M, invariant de Lorentz, par
X
X h{pj , εj }| iT̂ |{ki , i }i ≡ (2π)4 iM ({ki , i ; pj , εj }) δ 4
ki −
pj .
Toutes les quantités mesurables (sections efficaces et temps de vie) s’expriment en termes
de M. Par exemple, dans le cas d’une diffusion 2 particules → 2 particules où toutes les
particules ont la même masse, la section efficace de diffusion (par unité d’angle solide)
dans le référentiel du centre de masse est donnée par
dσ
dΩ
CM
|M|2
,
=
2
64π 2 Ecm
où on note dΩ ≡ sin θ dθ dϕ.
Pour calculer M, on recourt aux diagrammes de Feynman. Explicitement, M est donné
par la formule
iM ({ki , i ; pj , εj }) =
N
N0
Y
1/2 X Diagrammes amputés, complètement connexes,
Y
=
Zi
Zj
, (1)
avec ki , i en entrée et pj , εj en sortie
i=1
j=1
qui est en fait un corollaire de la formule de réduction LSZ. Détaillons un à un les termes
de cette expression :
— Le nombre Zi est la “renormalisation de la fonction d’onde” pour le champ i. A
l’ordre de l’arbre, Zi = 1.
— On rappelle que l’amputation d’un diagramme est définie comme suit : partant de
l’extrémité d’une patte externe du diagramme, trouver le dernier point où la patte
(et uniquement cette patte-là !) peut être séparée du reste du diagramme en coupant un seul propagateur ; couper à cet endroit-là. On dit alors qu’un diagramme
est amputé si plus aucune amputation ne peut être effectuée.
— Un diagramme est complètement connexe ssi chaque patte externe peut être reliée
à toutes les autres pattes en suivant les propagateurs du diagramme.
1
Evidemment, tous les diagrammes apparaissant dans la somme (1) ont N + N 0 pattes
externes.
L’objectif de cette séance est de calculer la section efficace de diffusion φφ → φφ pour la
théorie φ4 en dimension 4, en prenant en compte les effets à une boucle. Pour ce faire,
nous aurons besoin d’un peu de machinerie préliminaire pour gérer les diagrammes à
boucles, puis nous passerons à la théorie φ4 , dont nous dériverons les règles de Feynman
au moyen des intégrales de chemin. Enfin, on appliquera ces règles au calcul de l’élément
de matrice M pour la diffusion φφ → φφ.
Ce calcul est en fait un prétexte pour observer et interpréter les phénomènes profonds qui
apparaissent lorsque les effets quantiques de la théorie de champs sont pris en compte :
nous verrons qu’il y a une différence cruciale entre – d’une part – les paramètres apparaissant dans l’action de la théorie et – d’autre part – les paramètres physiques, observables,
de cette même théorie. Nous verrons également que la définition de ces paramètres physiques dépend explicitement d’une échelle d’énergie (que nous appellerons M ).
I. Méthodes de calcul des diagrammes à boucles
Rappels :
Lorsqu’un propagateur apparaı̂t dans un diagramme de Feynman, les règles de Feynman (en représentation d’impulsion) stipulent que ce propagateur doit contribuer au
diagramme par une quantité proportionnelle à
p2
1
.
+ m2 − iε
Un diagramme à boucles est un diagramme contenant des propagateurs qui forment des
boucles, de sorte que l’impulsion dans ces boucles doit être intégrée. On se retrouve ainsi
à calculer des intégrales du genre
Z
d4 p
1
,
(2)
4
2
(2π) (p + ∆ − iε)n
où ∆ > 0.
1. En supposant que l’intégrale (2) converge, montrez que le contour d’intégration de
Feynman permet de récrire cette intégrale comme
Z 4
d pE
1
i
,
(3)
(2π)4 (p2E + ∆)n
où pE est maintenant un vecteur d’impulsion euclidien, obtenu à partir de p au
moyen de la rotation de Wick
p0 = ip0E ,
pi = piE .
En particulier, p2E ≡ (p0E )2 + piE piE .
2. Le problème, c’est que l’intégrale (3) diverge en général. Montrez que, si vous
effectuez l’intégrale (3) en intégrant dans R4 sur une boule de rayon Λ, on doit
avoir une proportionnalité du type
Z 4
1
d pE
∝ Λ4−2n
(4)
2
4
n
(2π) (pE + ∆)
2
à grand Λ. Comment l’intégrale dépend-elle de Λ lorsque n = 2 ? Déduisez-en que
l’intégrale (3) diverge dès que n ≤ 2.
Remarque :
En théorie quantique des champs, l’échelle d’énergie Λ est appelée un cutoff (en
anglais).
3. Motivation :
Lorsque l’intégrale (3) diverge, on doit définir un procédé de régularisation pour
contrôler la divergence. Une possibilité est d’utiliser le cutoff Λ mentionné cidessus, en gardant Λ fini au cours des calculs. Une autre possibilité (que nous utiliserons tout le temps dans cette séance et qui est motivée par des considérations
de symétrie), c’est de réaliser que l’intégrale (2) dépend de la dimension d’espacetemps d. Pour d suffisamment petit, l’intégrale converge toujours, puisque la mesure d’intégration devient dd p et le terme de droite de (4) est remplacé par Λd−2n ,
qui tend vers zéro à grand Λ dès que d < 2n. Pour récupérer la version quadridimensionnelle des résultats ainsi obtenus, on écrit d = 4 − 2 et on garde fini au
cours des calculs. Cette régularisation est appelée régularisation dimensionnelle.
(Le apparaissant ici n’a rien à voir avec le ε du dénominateur dans (2) !)
Montrez que
Z
2i
1
dd p
=
d
2
n
d/2
(2π) (p + ∆ − iε)
(4π) Γ(d/2)
Z
+∞
dpE
0
pEd−1
.
(p2E + ∆)n
4. Montrez l’égalité suivante :
n−d/2 Z 1
Z +∞
pd−1
1 1
E
dpE 2
dx xn−d/2−1 (1 − x)d/2−1 .
=
n
(p
+
∆)
2
∆
0
0
E
(5)
5. On définit la fonction Bêta d’Euler par
Z 1
B(α, β) ≡
dx xα−1 (1 − x)β−1 .
0
Montrez que
Γ(α)Γ(β) = B(α, β)Γ(α + β).
6. Déduisez-en la valeur de l’intégrale (5) et montrez que
Z
dd p
1
i
Γ(n − d/2)
=
d
2
n
d/2
(2π) (p + ∆ − i)
(4π)
Γ(n)
1
∆
n−d/2
.
(6)
7. Application numéro 1 : prenez n = 2 dans (6) et écrivez d = 4 − 2. En utilisant
le fait que
1
Γ() = − γ + O()
(où γ ' 0.557 est la constante d’Euler-Mascheroni), montrez que
Z
dd p
1
i
1
=
− γ + ln(4π) − ln ∆ + O().
(2π)d (p2 + ∆ − iε)2
(4π)2 3
Ce résultat sera utile lorsque nous calculerons la renormalisation de la constante
de couplage dans la théorie φ4 .
8. Application numéro 2 : prenez n = 1 dans (6), écrivez d = 4 − 2 et utilisez le
prolongement analytique de la fonction Gamma d’Euler pour évaluer l’intégrale
Z
dd p
1
(2π)d p2 + ∆ − iε
à l’ordre zéro en . Ce résultat sera utile lorsque nous calculerons la renormalisation
de la masse du champ φ dans la théorie φ4 .
9. Quelle différence frappante avez-vous observée entre les divergences rencontrées
dans les applications numéros 1 et 2 ? Comment traduiriez-vous cette différence
en termes du cutoff Λ ?
10. Motivation :
En pratique, lorsqu’on calcule l’intégrale sur une boucle dans un diagramme de
Feynman, il est très rare de tomber sur une intégrale de la forme (2). Au contraire,
on trouve la plupart du temps une combinaison du genre
Z
1
1
1
d4 p
···
.
4
2
2
(2π) (p + k1 ) + ∆1 (p + k2 ) + ∆2
(p + kn )2 + ∆n
Pour une telle combinaison, la manière d’intégrer sur p n’est pas évidente. On
recourt alors à une astuce qui permet de convertir le produit des 1/(p2i + ∆i ) en
un unique terme de la forme 1/(P 2 + ∆)n .
Soient A et B deux nombres réels non nuls. Montrez que
Z 1
1
1
=
dx
.
AB
[xA + (1 − x)B]2
0
(7)
Le nombre x sur lequel on intègre ici est appelé un paramètre de Feynman.
Remarque :
La formule (7) peut être généralisée comme suit :
Z 1
X
1
(n − 1)!
=
dx1 dx2 ...dxn δ
.
xi − 1
A1 A2 ...An
[x1 A1 + x2 A2 + · · · xn An ]n
0
II. Masse physique d’un champ scalaire dans la théorie φ4
La théorie φ4 (en dimension quatre) est décrite par l’action
Z
1
m20 2 λ0 4
4
µ
S[φ] = d x − ∂µ φ∂ φ −
φ − φ ,
2
2
4!
(8)
où φ est un champ scalaire réel et où m20 et λ0 sont des paramètres réels positifs. Le but
de cet exercice est de calculer la masse du champ φ en prenant en compte la contribution
des interactions mais en se restreignant à l’ordre non trivial le plus bas – c’est-à-dire à
l’ordre d’une boucle.
4
1. On rappelle que les règles de Feynman pour la théorie (8), en représentation d’impulsion, sont les suivantes :
=
p2
−i
,
+ m20 − i
(9)
= −iλ0 .
(10)
Observez que la règle de Feynman pour le vertex d’interaction peut être obtenue
de manière “quick and dirty” en calculant la dérivée quatrième de l’action par
rapport au champ φ :
1
m20 2 λ0 4
∂4
µ
− ∂µ φ∂ φ −
φ − φ = −λ0 .
∂φ4
2
2
4!
Pourquoi est-ce le cas ? D’où vient le facteur i dans la règle de Feynman pour ce
vertex ?
2. Rappelez pourquoi, dans le cas λ0 = 0, on peut interpréter m0 comme la “masse”
du champ φ. Vous attendez-vous à ce que cette interprétation tienne toujours la
route lorsque λ0 est non nul ? Plus généralement, qu’appelleriez-vous la masse du
champ φ ?
3. Motivation :
On désire maintenant calculer la transformée de Fourier de la fonction à deux
points du champ φ :
D n
o E
ˆ φ̃(−p)
ˆ
Ω T φ̃(p)
Ω ≡ hφ̃(p)φ̃(−p)i.
Pour faire le calcul, on supposera que le paramètre λ0 est “petit”, de sorte qu’on
peut tout calculer en série de puissances en λ0 . Chaque puissance n correspond à
une certaine somme de diagrammes de Feynman contenant n vertex d’interaction.
En termes concrets, la fonction à deux points peut s’écrire comme
hφ̃(p)φ̃(−p)i =
,
où le cercle grisé représente la somme de tous les diagrammes de Feynman connexes,
avec une impulsion p en entrée et une impulsion p en sortie.
(a) Rappelez la définition d’un diagramme irréductible à une particule (1PI).
(b) Comment définiriez-vous un diagramme irréductible à n particules ?
(c) Expliquez pourquoi le cercle grisé peut être récrit comme
=
+
+
5
+ · · · , (11)
où la ligne droite est le propagateur de Feynman (9) et où on écrit
X Tous les diagrammes 1PI amputés
≡
avec p en entrée et p en sortie
+ O(λ20 ).
=
(12)
(d) Dessinez les contributions d’ordre λ20 dans (12).
4. On utilise désormais la notation
≡ −iM 2 (p2 ),
(13)
où la fonction M (p2 ) est appelée la self-énergie du champ scalaire.
Montrez que la somme (11) est une série géométrique qu’on peut écrire comme
hφ̃(p)φ̃(−p)i =
=
−i
.
p2 + m20 + M 2 (p2 ) − iε
Interprétation :
M (p2 ) est une contribution quantique à la masse du champ φ ; elle est due à la
self-interaction du champ φ et dépend de l’impulsion p. C’est pour cette raison que
M (p2 ) est appelé la self-énergie de φ. On définit alors la masse physique du champ
φ, notée m, comme étant la plus petite solution réelle positive de l’équation
m2 = m20 + M 2 (−m2 ).
(14)
Par opposition, on appellera masse nue le paramètre m0 apparaissant dans l’action
de la théorie. La masse nue est simplement un paramètre de la théorie ; ce n’est
pas une quantité mesurable.
5. En développant l’expression p2 + m20 + M 2 (p2 ) à proximité de p2 = −m2 , montrez
que
−iZ
p2 →−m2
,
hφ̃(p)φ̃(−p)i ∼
2
p + m2 − iε
où on note
Z≡
!−1
d
.
1 + 2 M 2 dp
p2 =−m2
Remarque :
Le nombre Z est appelé la renormalisation de la fonction d’onde du champ φ.
En anglais, on parle de field-strength renormalization. La terminologie anglaise
est mieux choisie, car elle reflète mieux le sens physique de Z : c’est la probabilité que le champ φ crée un état à une particule en agissant sur l’état du vide.
6
Dans une théorie libre (sans interactions), cette probabilité vaut 1, de sorte que
Z = 1 + O(couplage). Mais lorsque les interactions sont prises en compte (c’est-àdire lorsqu’on va au-delà du niveau de l’arbre), on trouve en général que Z diverge.
6. Nous allons maintenant calculer la self-énergie du champ scalaire à une boucle.
Compte tenu de (12) et de la définition (13), on a le développement
+ O(λ20 ) ≡ −iM12 (p2 ) + O(λ20 ).
−iM 2 (p2 ) =
(On note M1 (p2 ) la contribution d’ordre 1 en λ0 à M (p2 ).) Ecrivez −iM12 (p2 )
comme une intégrale sur l’impulsion dans la boucle et évaluez M12 (p2 ) en dimension
d = 4 − 2.
7. Déduisez-en que
2
m =
m20
λ0
1−
32π 2
1
2
− γ + ln(4π) + 1 − ln(m0 ) + O(λ20 ).
Conclusion :
La relation entre la masse physique m et la masse nue m0 implique une quantité
divergente, proportionnelle à 1/. Il faut donc admettre qu’au moins l’un de ces
deux paramètres est infini. Ceci serait une catastrophe si m et m0 étaient tous deux
des paramètres expérimentalement mesurables ; heureusement, le seul paramètre
mesurable apparaissant ici est la masse physique m. La masse nue, elle, est simplement un paramètre de la théorie, et il n’est pas particulièrement gênant de devoir
lui donner une valeur infinie.
8. Pour finir, montrez que
Z = 1 + O(λ20 ).
Ainsi, dans la théorie φ4 , il n’y a pas de renormalisation de la fonction d’onde à
l’ordre d’une boucle.
III. Amplitude φφ → φφ à une boucle
On désire maintenant calculer l’amplitude de diffusion φφ → φφ. On appellera k1 , k2 les
impulsions des particules entrantes, et p1 , p2 celles des particules sortantes ; on introduira
également k ≡ k1 + k2 pour se simplifier la vie. En utilisant la formule (1), on trouve ainsi
que l’amplitude de diffusion M recherchée doit être donnée par
X Diagrammes amputés, complètement connexes,
2
iM (k1 , k2 ; p1 , p2 ) = Z
. (15)
avec k1 , k2 en entrée et p1 , p2 en sortie
1. Dessinez explicitement les diagrammes de Feynman d’ordres λ0 et λ20 qui contribuent au terme de droite de (15).
2. Que vaut l’amplitude M à l’ordre de l’arbre ?
7
3. Montrez que la section efficace de diffusion pour le processus étudié doit être de
la forme
λ20
dσ
[k1 , k2 → p1 , p2 ] =
1
+
O(λ
)
.
(16)
0
2
dΩ CM
64π 2 Ecm
Ainsi, à l’ordre de l’arbre, la section efficace ne dépend pas de l’angle de diffusion :
c’est une section efficace uniforme.
4. Le but du reste de cet exercice est de calculer les corrections d’ordre λ0 dans (16).
Pour ce faire, on commence par calculer le diagramme
.
Montrez, en utilisant les règles de Feynman (9)-(10) et en faisant attention aux
facteurs de symétrie, que ce diagramme vaut
λ2
= 0
2
Z
1
1
d4 p
,
2 2
4
2
(2π) (p + k) + m0 p + m20
où on néglige d’écrire les termes i des propagateurs.
5. Montrez qu’on peut récrire ce diagramme comme
λ2
= 0
2
Z
1
Z
dx
0
d4 `
1
,
4
2
(2π) [` + ∆(x)]2
(17)
où ` est une nouvelle variable d’intégration et où on note
∆(x) ≡ m20 + x(1 − x)k 2 .
6. L’intégrale (17) diverge. Pour la régulariser, remplacez la dimension d’espacetemps par d = 4 − 2 et évaluez l’intégrale à l’ordre zéro en .
7. On introduit les variables de Mandelstam
s ≡ −(k1 + k2 )2 = −k 2 ,
t ≡ −(k1 − p1 )2 ,
u ≡ −(k1 − p2 )2 .
Montrez que l’amplitude (15) admet le développement
3λ0 1
iM (k1 , k2 ; p1 , p2 ) = −iλ0 × 1 −
− γ + ln(4π)
32π 2 Z 1
λ0
2
dx
ln
m
−
x(1
−
x)s
+
0
32π 2 0
+ ln m20 − x(1 − x)t
2
2
+ ln m0 − x(1 − x)u + O(λ0 ) . (18)
8
IV. Section efficace à une boucle
Il semble y avoir une divergence 1/ dans l’amplitude M donnée par (18) ! Naı̈vement,
c’est un gros problème : si le paramètre λ0 est fini, alors l’amplitude doit diverger, ce
qui contredit l’expérience. Heureusement, il y a une voie de sortie très simple : au même
titre que le paramètre de masse m0 , le paramètre de couplage λ0 n’est pas une quantité
expérimentalement mesurable ; de ce fait, il n’est pas gênant que λ0 lui-même soit une
quantité divergente. Tout ce qui importe, c’est que les prédictions observables de la théorie
soient finies. En pratique, on déclare donc que λ0 est une constante de couplage nue –
expérimentalement invisible –, par opposition à la constante de couplage physique notée λ
– qui, elle, est expérimentalement accessible. La seule subtilité, c’est qu’il faut trouver une
bonne définition pour λ. Dans le cas de la masse physique, on disposait d’une définition
naturelle : celle donnée (implicitement) par l’équation (14). Mais, au contraire de la masse,
il n’y a pas vraiment de définition privilégiée pour la constante de couplage ! Ceci dit,
une définition parfaitement satisfaisante consiste à définir λ par la condition
2
≡ −iλ,
(19)
Z ×
2
s=4m , t=u=0
où le cercle entourant “Amp.” désigne la somme de tous les diagrammes amputés, complètement
connexes, à quatre pattes externes (comme dans l’amplitude de diffusion générale (1)).
Dans ce cas, λ est simplement l’amplitude de diffusion φφ → φφ lorsque l’impulsion
de toutes les particules est nulle. De manière générale, les conditions du type (19), qui
spécifient la définition des paramètres physiques d’une théorie des champs, sont appelées
conditions de renormalisation.
1. Supposons que la constante de couplage physique est définie par la condition (19).
Montrez qu’alors on a
3λ0 1
− γ + ln(4π)
λ = λ0 1 −
32π 2 Z 1
λ0
2
2
2
2
+
dx ln m − 4x(1 − x)m + 2 ln m + O(λ0 ) .
32π 2 0
2. Déduisez-en le développement de λ0 au deuxième ordre en λ.
3. Utilisez ce développement dans (18) pour finalement montrer que
Z 1 m2 − x(1 − x)s
λ
dx ln
iM (k1 , k2 ; p1 , p2 ) = −iλ × 1 +
32π 2 0
m2 − x(1 − x)4m2
2
2
m − x(1 − x)t
m − x(1 − x)u
2
+ ln
+ ln
+ O(λ ) . (20)
m2
m2
C’est l’expression de l’amplitude de diffusion φφ → φφ à une boucle. Elle ne fait intervenir que les paramètres physiques m et λ ; les paramètres nus ont complètement
disparu et il n’y a plus aucune divergence : nous avons renormalisé l’amplitude.
9
4. On se place maintenant dans le référentiel du centre de masse, où les composantes
des vecteurs d’énergie-impulsion des particules diffusées sont explicitement données
par
k1
k2
p1
p2
où q =
=
=
=
=
(E, 0, 0, q),
(E, 0, 0, −q),
(E, 0, q sin θ, q cos θ),
(E, 0, −q sin θ, −q cos θ),
√
E 2 − m2 . L’énergie du centre de masse vaut donc Ecm = 2E.
Calculez les variables de Mandelstam en termes de Ecm , de m et de θ.
5. Ecrivez la section efficace de diffusion associée à l’amplitude (20) en termes de Ecm ,
de m et de θ. (Faites attention à bien développer la section efficace en puissances de
λ !) Montrez que cette section efficace dépend maintenant de l’angle de diffusion.
(Ce qui n’était pas le cas dans (16).)
6. Si vous disposez du logiciel Mathematica, dessinez la section efficace obtenue au
point précédent en fonction de l’angle θ ; montrez que la section efficace indique
un excès de particules diffusées dans les régions θ ' 0 et θ ' π, et un défaut de
particules diffusées dans la région θ ' π/2.
V. Conditions de renormalisation
On a dit plus haut qu’il n’existe pas de définition privilégiée pour la constante de couplage
physique λ. Dans (19), nous avons adopté la définition qui semblait la plus “naturelle”,
à savoir celle où λ est l’amplitude de diffusion des particules lorsque leur impulsion tend
vers zéro. Mais il n’y a aucune raison pour que cette définition soit meilleure qu’une
autre ! Supposons, par exemple, que vous êtes un extraterrestre habitant dans une galaxie où les processus de diffusion typiquement observés dans la vie de tous les jours sont
très énergétiques. Si vous désirez effectuer des expériences de collisions de particules, il
se peut que vous ne parveniez même pas à produire des particules de champ φ au repos ;
dans ce cas, la définition (19) n’est certainement pas “naturelle” à vos yeux, puisqu’elle
implique d’utiliser des particules au repos, ce que vous n’arrivez pas à faire. Du coup, pour
vous, une définition naturelle pourrait consister à imposer la condition (19) dans laquelle
l’égalité s = 4m2 est remplacée par s = M 2 , où M est une certaine échelle d’énergie.
(Dans l’exemple utilisé, on s’attend typiquement à ce que M m.) Ceci revient à adopter des conditions de renormalisation différentes de (19).
10
Dans cet exercice, nous allons adopter des conditions de renormalisation un peu bizarres,
en définissant la constante de couplage “physique” par
2
≡ −iλ̄(M ),
(21)
Z ×
2
s=t=u=−M
où M représent une échelle d’énergie et où on écrit λ̄(M ) pour insister sur le fait que
la constante de couplage ainsi définie dépend du choix de M . L’échelle M est appelée
échelle de renormalisation.
Ces conditions de renormalisation ne sont pas accessibles expérimentalement, puisqu’on a
la relation s + t + u = 4m2 pour toute diffusion de particules réelles. Ainsi, les conditions
de renormalisation (21) sont des conditions off-shell ; si on veut faire le lien entre ces
conditions et la vraie constante de couplage λ mesurée au laboratoire, il faut faire encore
un peu de boulot supplémentaire pour relier λ̄(M ) et λ. Cependant, ce détail ne sera pas
un problème pour nous : dans cet exercice, nous voulons seulement comprendre comment
λ̄(M ) dépend de M lorsque les paramètres m0 et λ0 de la théorie (8) sont fixés.
1. Montrez que, avec ces nouvelles conditions de renormalisation, la constante de
couplage physique λ̄(M ) est donnée en termes de la constante de couplage nue λ0
par
Z 1
3λ0 1
2
2
2
− γ + ln(4π) −
dx ln m0 + x(1 − x)M
+ O(λ0 ) .
λ̄(M ) = λ0 1 −
32π 2 0
2. Montrez que, pour M beaucoup plus grand que m, on a
M
dλ̄
3λ̄2
≡ β(λ̄) =
1
+
O(
λ̄)
.
dM
16π 2
(22)
3. Quelle est la solution de l’équation différentielle (22) ? Dessinez cette solution
comme une fonction de M . Vérifiez que λ̄(M ) croı̂t lorsque M croı̂t, et aussi qu’il
existe une valeur M∗ de M à laquelle λ̄(M ) explose. (La divergence de λ̄ en M∗
est appelée un pôle de Landau.)
Remarque :
La quantité M dλ̄/dM est appelée la fonction Bêta de la théorie. (Elle n’a évidemment
rien à voir avec la fonction Bêta d’Euler !) Cette fonction mesure la variation de la
constante de couplage physique lorsque l’échelle de renormalisation varie. Si β(λ)
est positive (comme c’est le cas ici), λ̄(M ) croı̂t lorsque M croı̂t, ce qui correspond à une théorie faiblement couplée dans l’infrarouge, mais fortement couplée
dans l’ultraviolet. Inversement, lorsque β(λ) est négative, λ̄(M ) décroı̂t lorsque
M croı̂t ; ceci correspond à une théorie faiblement couplée dans l’ultraviolet, mais
fortement couplée dans l’infrarouge. On dit alors de la théorie qu’elle est asymptotiquement libre : elle est faiblement couplée (c’est-à-dire libre) lorsque l’échelle
d’énergie d’intérêt est très grande (c’est-à-dire “asymptotiquement grande”).
11
4. Question de culture générale : avez-vous déjà rencontré une théorie des champs
asymptotiquement libre ? (Dans votre vie, je veux dire.)
12
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