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lier les troubles de la personnalité histrionique et border-
line [3].
La comorbidité entre dépressions et troubles de la per-
sonnalité constitue à plus d’un titre un indice de sévérité
de la dépression. En effet, les patients présentant un trou-
ble dépressif et une pathologie de la personnalité se distin-
guent des patients présentant un trouble dépressif sans
pathologie de personnalité sur la base de différents critè-
res caractérisant la sévérité du trouble dépressif [2].
Premièrement, ils sont plus jeunes lors de leur premier épi-
sode dépressif, ce qui laisse augurer d’un nombre de récur-
rences dépressives plus important au cours de la vie et
d’épisodes de plus en plus sévères. Deuxièmement, plu-
sieurs études montrent que leur soutien social est moins
important, leurs conditions de vie plus instables. En parti-
culier, ils sont plus souvent célibataires ou divorcés, isolés
socialement, sujets à des difcultés professionnelles. À
symptomatologie équivalente, ces caractéristiques condui-
sent à un moins bon pronostic du trouble dépressif.
Troisièmement, et ce point est une conséquence des deux
précédents, les patients présentant un épisode dépressif
associé à un trouble de la personnalité sont plus souvent
hospitalisés que les patients présentant un épisode dépres-
sif sans trouble de la personnalité. Quatrièmement, leur
symptomatologie dépressive est plus sévère dans le sens où
ils présentent davantage de symptômes et des symptômes
plus intenses. Ce résultat va à l’encontre d’une idée
ancienne, qui était de penser que les dépressions dites
névrotico-réactionnelles étaient moins sévères que les
autres formes de dépression. Certains auteurs ont toutefois
noté que les épisodes dépressifs associés à des troubles de
la personnalité présentaient d’une façon moins fréquente
que les autres épisodes dépressifs des symptômes mélanco-
liques (symptômes somatiques, anhédonie, maximum
symptomatique le matin, idées de culpabilité, d’incurabi-
lité, d’auto-accusation, idées délirantes en particulier), ce
résultat étant compatible avec la classique dichotomie
endogène versus névrotico-réactionnel. Cinquièmement,
et il s’agit d’un élément essentiel lorsque l’on parle de
sévérité d’un trouble dépressif, les patients déprimés ayant
un trouble de la personnalité présentent une idéation suici-
daire et des gestes suicidaires plus fréquents que les épiso-
des dépressifs sans troubles de la personnalité. En effet, la
dépression est la première cause de suicides et de tentati-
ves de suicide, puisque 40 % à 80 % des tentatives de sui-
cide sont directement liées à un épisode dépressif, que
l’existence d’un trouble dépressif multiplie par 10 le risque
de tentatives de suicide et par 13 à 30 le risque de suicide
par rapport à la population générale. Chez un patient
déprimé, les troubles de la personnalité en particulier du
cluster B (borderline, antisociale, narcissique et histrioni-
que) doivent être systématiquement recherchés car ils
constituent un facteur de risque suicidaire supplémentaire,
en partie médié par l’isolement social et affectif et l’im-
pulsivité [2, 10]. Sixièmement, l’association entre dépres-
sion et trouble de la personnalité majore signicativement
le risque d’association à d’autres comorbidités et donc le
risque de trouble dépressif plus sévère. On citera principa-
lement les comorbidités addictives, qui sont très fréquen-
tes chez les patients présentant des troubles de la
personnalité. Et on n’omettra pas les pathologies somati-
ques, souvent négligées chez ce type de patient, qui peu-
vent conférer un caractère de gravité au trouble dépressif.
Septièmement, l’existence d’un trouble de la personnalité
diminue l’observance chez les patients déprimés. Ceci se
manifeste par exemple par l’absence à certains rendez-
vous de consultation ou une observance médiocre des trai-
tements. Huitièmement, l’existence d’une pathologie de la
personnalité altère également la réactivité thérapeutique
aux traitements biologiques du trouble thymique [11], dé-
nissant une autre caractéristique potentielle de la sévérité
d’un trouble dépressif. En effet, il a été mis en évidence
dans plusieurs études que l’existence d’un trouble de la
personnalité diminue la réponse aux antidépresseurs.
Toutefois, il semble que les patients ayant un trouble de la
personnalité aient moins de chances que les autres patients
de recevoir un traitement médicamenteux adapté pour
leur épisode dépressif [12]. Pour l’électroconvulsivothéra-
pie (ECT) comme pour les antidépresseurs, l’existence
d’une pathologie de la personnalité associée à un épisode
dépressif diminue la réponse thérapeutique. Toutefois, les
sismothérapies ne sont pas contre-indiquées s’il existe une
pathologie de personnalité et elles peuvent permettre
d’obtenir de réelles rémissions symptomatiques chez les
patients résistant aux traitements médicamenteux [4].
Dimensions de personnalité et vulnérabilité
aux dépressions sévères
Impulsivité
La pratique clinique montre que l’impulsivité peut être un
facteur de risque de dépression sévère dans la mesure, où
elle peut faciliter les passages à l’acte, notamment suicidai-
res. Des arguments génétiques, biologiques et neuropsycho-
logiques permettent aujourd’hui d’étayer ces connaissances
cliniques. Toutefois, tous les patients impulsifs ne voient pas
leur impulsivité majorée au cours d’un épisode dépressif. Et
certains d’entre eux voient également leur impulsivité abra-
sée au cours d’un épisode dépressif.
« Névrosisme » et autres dimensions
Des travaux d’évaluation systématiques réalisés dans les 30
dernières années ont effectivement mis en évidence des
dimensions de personnalité précédant la survenue d’épiso-
des dépressifs unipolaires et donc susceptibles de les favo-
riser. Des études prospectives [2, 3, 13] d’une durée
d’observation maximale de 12 ans ont ainsi identié cer-
tains facteurs pré-morbides comme le « névrosisme »
(dimension associant instabilité émotionnelle, anxiété, irri-
tabilité et nervosité), la labilité émotionnelle, l’asthénie,
la timidité, le manque de conance en soi. Des études
familiales ont permis d’identier des traits relativement
proches chez les apparentés de sujets déprimés. Ces traits
sont le névrosisme, la psycho-rigidité, l’émotionnalité et la
timidité. De plus, les études de jumeaux de Kendler et al.
[7, 8] montrent que le névrosisme est le facteur qui permet
de prédire le plus clairement la survenue d’épisodes
dépressifs. Toutefois, ces dimensions semblent relative-