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L’Encéphale (2008) 34 Supplément 2, S45–S46
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
ÉDITORIAL
T. Gallarda
Centre d’évaluation des troubles psychiques et du vieillissement, S.H.U., Hôpital Sainte-Anne, 75014 Paris
« La vieillesse est comparable à l’ascension d’une montagne. Plus vous montez, plus vous êtes fatigué et hors
d’haleine, mais combien votre vision s’est élargie ! » (Ingmar Bergman, 1918 - 2007)
« Tardif » : lent à agir, qui est long à venir ; qui
apparaît, qui a lieu tard, vers la fin d’une période, d’une
évolution : « une maturité tardive » ; qui se forme, se
développe plus lentement ou plus tard que la moyenne,
après la pleine saison (opposé alors à précoce) « fruits tardifs » « tulipes tardives » (in, Le Petit Robert, Dictionnaire
de la langue française). Que pouvons-nous entendre alors
par « dépressions tardives » : une dépression qui pourrait
être longue à venir ? Une dépression qui surviendrait plus
tard que la moyenne, à la fin de l’existence ? Une dépression qui se développerait plus lentement et plus tard
que la moyenne ? Ces trois définitions du terme « tardif »
nous semblent pouvoir être convoquées dans la notion de
« dépressions tardives ». Médicalement, « dépression tardive » renvoie à l’éclosion d’un trouble dépressif à un âge
chronologique plus avancé que l’âge chronologique moyen
auquel surviennent communément les premiers symptômes
d’une maladie dépressive. Sont généralement exclues du
cadre des dépressions tardives les dépressions d’installation précoce qui ont subi l’influence du vieillissement
normal ou pathologique.
La définition du caractère tardif d’un processus dépressif
a varié considérablement au sein de la littérature psychiatrique. A l’aube de la nosographie psychiatrique moderne,
Kraepelin en fixait ainsi le seuil à 45 ans dans son évocation
des « psychoses de la vieillesse ». Un homme qui avait atteint cet âge faisait alors figure de barbon. Depuis les trente
dernières années, le seuil permettant de définir un trouble
dépressif tardif a souvent été fixé après la soixantaine, de
façon arbitraire. Dans nos sociétés, la décennie qui s’étend
de 55 à 65 ans est celle de l’âge de la mise à la retraite de
l’activité professionnelle. Chez la femme, après l’installation de la ménopause, elle vient inscrire la perte inéluctable
des capacités reproductrices et est souvent concomitante
du départ des derniers enfants du domicile parental. Un inAdresse e-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêts
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
dicateur sociologique, l’âge d’interruption de l’activité professionnelle autour duquel les débats actuels font d’ailleurs
rage et un événement de l’horloge biologique hormonale,
permettraient donc d’identifier un sous-groupe homogène de
maladies dépressives. Par les pertes dont elle est contemporaine, perte d’un rôle social actif et/ou perte de la capacité
à procréer, cette période de l’existence a pu longtemps être
vécue comme l’antichambre de la vieillesse. De nos jours,
elle est souvent appréhendée sur un registre bien différent :
l’interruption définitive de l’activité professionnelle et le
départ des enfants du domicile parental éveillent au contraire le désir de se lancer dans de « nouvelles entreprises »,
de jouir d’une « nouvelle jeunesse » voire d’une « nouvelle
existence » même si ces dernières s’avéreront souvent bien
décevantes à côté des innombrables possibles qui ont été
convoités. De fait, les progrès continus de la médecine ont
contribué à une remarquable augmentation de l’espérance
de vie. Ces progrès offrent à une population croissante la
possibilité d’un gain parfois considérable d’années passées
en bonne santé, à l’abri de la plupart des avatars somatiques
de la vieillesse et du handicap. En faisant reculer inexorablement les frontières de ce « tardif » dont on qualifie les
dépressions ou les autres troubles mentaux, la science médicale confère ainsi une toute autre perspective à cette
« deuxième partie de la vie ». Les dépressions, fréquentes
par ailleurs, qui voient le jour au décours immédiat de la
mise à la retraite ou en période post-ménopausique ne nous
semblent désormais plus si tardives que cela. Plus que « dépression de la personne âgée » ou « dépression tardive », la
notion de « senior » est préférée pour les désigner. Avec la
dilatation temporelle de la « deuxième partie de la vie », il
deviendrait légitime d’individualiser la notion de « dépressions très tardives » « very-late onset depressive disorder »
pour les distinguer des troubles dépressifs affectant les plus
âgés, ceux qu’on désigne parfois comme « vieillards » ou
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même « grands vieillards ». En effet, postuler l’existence de
caractéristiques communes entre un épisode dépressif survenant chez un sénior, se vivant en parfaite condition physique et celui affectant un octogénaire polypathologique, en
institution apparaît tout aussi discutable qu’entre un adolescent et un adulte d’âge moyen.
Doit-on alors invalider toute tentative de réflexion médicale et scientifique autour d’une psychopathologie dépressive selon l’âge de début ? Du point de vue médical,
distinguer des troubles psychopathologiques selon ce modèle sous-tend principalement la question de mécanismes
pathogéniques différents et de stratégies thérapeutiques
différenciées.
L’impact lésionnel progressif de micro-infarcts cérébraux silencieux sur l’intégrité des circuits cortico-souscortico-frontaux impliqués dans la régulation émotionnelle
a été très largement étudié chez les patients présentant
un premier épisode dépressif après la cinquantaine et des
facteurs de risque vasculaire. « L’hypothèse vasculaire »
pour une catégorie de troubles dépressifs, évoquée par les
aliénistes dès le XIXème siècle, sous la forme des « dépressions artériosclérotiques » a été ainsi exhumée à la faveur
des formidables progrès de la neuroimagerie cérébrale et
de l’épidémiologie. Des critères diagnostiques clinico-radiologiques ont été proposés pour la recherche. Des modèles
pharmacogénétiques tentent de lancer des pistes explicatives à la moindre réactivité aux antidépresseurs. Mais cette
hypothèse demeure toujours controversée, les applications
thérapeutiques curatives ou préventives, par action sur les
facteurs de risque vasculaire, semblent pour le moment assez limitées.
T. Gallarda
Le lien étiopathogénique éventuel qui existe entre les
dépressions installées avec l’avance en âge et les démences dégénératives, maladie d’Alzheimer ou démences apparentées continue également à susciter d’innombrables
travaux. De multiples études épidémiologiques ont pu mettre en évidence que certains états dépressifs pourraient
élever le risque de développer une démence ultérieure. De
plus, il est bien établi que des symptômes dépressifs inaugurent fréquemment la plupart des maladies démentielles,
constituant en cela de potentiels indices cliniques pour leur
repérage diagnostique précoce. Les enjeux thérapeutiques
sont majeurs : planification d’une stratégie pharmacologique spécifique mais également orientation dans la filière
de soins la plus appropriée et réflexion éthique autour de
l’annonce diagnostique…
Les dépressions de la deuxième partie de la vie n’ont
pas fini de livrer leurs secrets. Leur étude approfondie
convoque l’ensemble des courants de la psychiatrie et
forcent la pluridisciplinarité. Ce thème apparaissait donc
comme un thème de prédilection pour la 5ème édition des
« Journées troubles mentaux, vieillissement et démences »
du Centre Hospitalier Sainte-Anne. Un grand merci à l’auditoire nombreux et très fidèle de ces journées, merci aux
Professeurs Henri Lôo et Jean-Pierre Olié qui ont accompagné avec bienveillance cette initiative d’échanges scientifiques autour de la psychiatrie du sujet âgé et merci bien
sûr à notre partenaire industriel, les laboratoires EISAI et
PFIZER, impliqué dès la 1ère édition dans cette aventure,
enfin merci à François Chary (agence CARCO) et à Annie
Bloch pour leur remarquable contribution dans l’organisation logistique et l’édition de cette journée.
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