© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
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ÉDITORIAL
T. Gallarda
Centre d’évaluation des troubles psychiques et du vieillissement, S.H.U., Hôpital Sainte-Anne, 75014 Paris
« La vieillesse est comparable à l’ascension d’une montagne. Plus vous montez, plus vous êtes fatigué et hors
d’haleine, mais combien votre vision s’est élargie ! » (Ingmar Bergman, 1918 - 2007)
« Tardif » : lent à agir, qui est long à venir ; qui
apparaît, qui a lieu tard, vers la n d’une période, d’une
évolution : « une maturité tardive » ; qui se forme, se
développe plus lentement ou plus tard que la moyenne,
après la pleine saison (opposé alors à précoce) « fruits tar-
difs » « tulipes tardives » (in, Le Petit Robert, Dictionnaire
de la langue française). Que pouvons-nous entendre alors
par « dépressions tardives » : une dépression qui pourrait
être longue à venir ? Une dépression qui surviendrait plus
tard que la moyenne, à la n de l’existence ? Une dé-
pression qui se développerait plus lentement et plus tard
que la moyenne ? Ces trois dé nitions du terme « tardif »
nous semblent pouvoir être convoquées dans la notion de
« dépressions tardives ». Médicalement, « dépression tar-
dive » renvoie à l’éclosion d’un trouble dépressif à un âge
chronologique plus avancé que l’âge chronologique moyen
auquel surviennent communément les premiers symptômes
d’une maladie dépressive. Sont généralement exclues du
cadre des dépressions tardives les dépressions d’instal-
lation précoce qui ont subi l’in uence du vieillissement
normal ou pathologique.
La dé nition du caractère tardif d’un processus dépressif
a varié considérablement au sein de la littérature psychia-
trique. A l’aube de la nosographie psychiatrique moderne,
Kraepelin en xait ainsi le seuil à 45 ans dans son évocation
des « psychoses de la vieillesse ». Un homme qui avait at-
teint cet âge faisait alors gure de barbon. Depuis les trente
dernières années, le seuil permettant de dé nir un trouble
dépressif tardif a souvent été xé après la soixantaine, de
façon arbitraire. Dans nos sociétés, la décennie qui s’étend
de 55 à 65 ans est celle de l’âge de la mise à la retraite de
l’activité professionnelle. Chez la femme, après l’installa-
tion de la ménopause, elle vient inscrire la perte inéluctable
des capacités reproductrices et est souvent concomitante
du départ des derniers enfants du domicile parental. Un in-
dicateur sociologique, l’âge d’interruption de l’activité pro-
fessionnelle autour duquel les débats actuels font d’ailleurs
rage et un événement de l’horloge biologique hormonale,
permettraient donc d’identi er un sous-groupe homogène de
maladies dépressives. Par les pertes dont elle est contempo-
raine, perte d’un rôle social actif et/ou perte de la capacité
à procréer, cette période de l’existence a pu longtemps être
vécue comme l’antichambre de la vieillesse. De nos jours,
elle est souvent appréhendée sur un registre bien différent :
l’interruption dé nitive de l’activité professionnelle et le
départ des enfants du domicile parental éveillent au contrai-
re le désir de se lancer dans de « nouvelles entreprises »,
de jouir d’une « nouvelle jeunesse » voire d’une « nouvelle
existence » même si ces dernières s’avéreront souvent bien
décevantes à côté des innombrables possibles qui ont été
convoités. De fait, les progrès continus de la médecine ont
contribué à une remarquable augmentation de l’espérance
de vie. Ces progrès offrent à une population croissante la
possibilité d’un gain parfois considérable d’années passées
en bonne santé, à l’abri de la plupart des avatars somatiques
de la vieillesse et du handicap. En faisant reculer inexora-
blement les frontières de ce « tardif » dont on quali e les
dépressions ou les autres troubles mentaux, la science mé-
dicale confère ainsi une toute autre perspective à cette
« deuxième partie de la vie ». Les dépressions, fréquentes
par ailleurs, qui voient le jour au décours immédiat de la
mise à la retraite ou en période post-ménopausique ne nous
semblent désormais plus si tardives que cela. Plus que « dé-
pression de la personne âgée » ou « dépression tardive », la
notion de « senior » est préférée pour les désigner. Avec la
dilatation temporelle de la « deuxième partie de la vie », il
deviendrait légitime d’individualiser la notion de « dépres-
sions très tardives » « very-late onset depressive disorder »
pour les distinguer des troubles dépressifs affectant les plus
âgés, ceux qu’on désigne parfois comme « vieillards » ou
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L’auteur n’a pas déclaré de con its d’intérêts
L’Encéphale (2008) 34 Supplément 2, S45–S46
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même « grands vieillards ». En effet, postuler l’existence de
caractéristiques communes entre un épisode dépressif sur-
venant chez un sénior, se vivant en parfaite condition physi-
que et celui affectant un octogénaire polypathologique, en
institution apparaît tout aussi discutable qu’entre un adoles-
cent et un adulte d’âge moyen.
Doit-on alors invalider toute tentative de ré exion mé-
dicale et scienti que autour d’une psychopathologie dé-
pressive selon l’âge de début ? Du point de vue médical,
distinguer des troubles psychopathologiques selon ce mo-
dèle sous-tend principalement la question de mécanismes
pathogéniques différents et de stratégies thérapeutiques
différenciées.
L’impact lésionnel progressif de micro-infarcts céré-
braux silencieux sur l’intégrité des circuits cortico-sous-
cortico-frontaux impliqués dans la régulation émotionnelle
a été très largement étudié chez les patients présentant
un premier épisode dépressif après la cinquantaine et des
facteurs de risque vasculaire. « L’hypothèse vasculaire »
pour une catégorie de troubles dépressifs, évoquée par les
aliénistes dès le XIXème siècle, sous la forme des « dépres-
sions artériosclérotiques » a été ainsi exhumée à la faveur
des formidables progrès de la neuroimagerie cérébrale et
de l’épidémiologie. Des critères diagnostiques clinico-radio-
logiques ont été proposés pour la recherche. Des modèles
pharmacogénétiques tentent de lancer des pistes explicati-
ves à la moindre réactivité aux antidépresseurs. Mais cette
hypothèse demeure toujours controversée, les applications
thérapeutiques curatives ou préventives, par action sur les
facteurs de risque vasculaire, semblent pour le moment as-
sez limitées.
Le lien étiopathogénique éventuel qui existe entre les
dépressions installées avec l’avance en âge et les démen-
ces dégénératives, maladie d’Alzheimer ou démences ap-
parentées continue également à susciter d’innombrables
travaux. De multiples études épidémiologiques ont pu met-
tre en évidence que certains états dépressifs pourraient
élever le risque de développer une démence ultérieure. De
plus, il est bien établi que des symptômes dépressifs inau-
gurent fréquemment la plupart des maladies démentielles,
constituant en cela de potentiels indices cliniques pour leur
repérage diagnostique précoce. Les enjeux thérapeutiques
sont majeurs : plani cation d’une stratégie pharmacologi-
que spéci que mais également orientation dans la lière
de soins la plus appropriée et ré exion éthique autour de
l’annonce diagnostique…
Les dépressions de la deuxième partie de la vie n’ont
pas ni de livrer leurs secrets. Leur étude approfondie
convoque l’ensemble des courants de la psychiatrie et
forcent la pluridisciplinarité. Ce thème apparaissait donc
comme un thème de prédilection pour la 5ème édition des
« Journées troubles mentaux, vieillissement et démences »
du Centre Hospitalier Sainte-Anne. Un grand merci à l’audi-
toire nombreux et très dèle de ces journées, merci aux
Professeurs Henri Lôo et Jean-Pierre Olié qui ont accompa-
gné avec bienveillance cette initiative d’échanges scienti-
ques autour de la psychiatrie du sujet âgé et merci bien
sûr à notre partenaire industriel, les laboratoires EISAI et
PFIZER, impliqué dès la 1ère édition dans cette aventure,
en n merci à François Chary (agence CARCO) et à Annie
Bloch pour leur remarquable contribution dans l’organisa-
tion logistique et l’édition de cette journée.
T. Gallarda
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