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ÉDITORIAL
T. Gallarda
Centre d’évaluation des troubles psychiques et du vieillissement, S.H.U., Hôpital Sainte-Anne, 75014 Paris
« La vieillesse est comparable à l’ascension d’une montagne. Plus vous montez, plus vous êtes fatigué et hors
d’haleine, mais combien votre vision s’est élargie ! » (Ingmar Bergman, 1918 - 2007)
« Tardif » : lent à agir, qui est long à venir ; qui
apparaît, qui a lieu tard, vers la fi n d’une période, d’une
évolution : « une maturité tardive » ; qui se forme, se
développe plus lentement ou plus tard que la moyenne,
après la pleine saison (opposé alors à précoce) « fruits tar-
difs » « tulipes tardives » (in, Le Petit Robert, Dictionnaire
de la langue française). Que pouvons-nous entendre alors
par « dépressions tardives » : une dépression qui pourrait
être longue à venir ? Une dépression qui surviendrait plus
tard que la moyenne, à la fi n de l’existence ? Une dé-
pression qui se développerait plus lentement et plus tard
que la moyenne ? Ces trois défi nitions du terme « tardif »
nous semblent pouvoir être convoquées dans la notion de
« dépressions tardives ». Médicalement, « dépression tar-
dive » renvoie à l’éclosion d’un trouble dépressif à un âge
chronologique plus avancé que l’âge chronologique moyen
auquel surviennent communément les premiers symptômes
d’une maladie dépressive. Sont généralement exclues du
cadre des dépressions tardives les dépressions d’instal-
lation précoce qui ont subi l’infl uence du vieillissement
normal ou pathologique.
La défi nition du caractère tardif d’un processus dépressif
a varié considérablement au sein de la littérature psychia-
trique. A l’aube de la nosographie psychiatrique moderne,
Kraepelin en fi xait ainsi le seuil à 45 ans dans son évocation
des « psychoses de la vieillesse ». Un homme qui avait at-
teint cet âge faisait alors fi gure de barbon. Depuis les trente
dernières années, le seuil permettant de défi nir un trouble
dépressif tardif a souvent été fi xé après la soixantaine, de
façon arbitraire. Dans nos sociétés, la décennie qui s’étend
de 55 à 65 ans est celle de l’âge de la mise à la retraite de
l’activité professionnelle. Chez la femme, après l’installa-
tion de la ménopause, elle vient inscrire la perte inéluctable
des capacités reproductrices et est souvent concomitante
du départ des derniers enfants du domicile parental. Un in-
dicateur sociologique, l’âge d’interruption de l’activité pro-
fessionnelle autour duquel les débats actuels font d’ailleurs
rage et un événement de l’horloge biologique hormonale,
permettraient donc d’identifi er un sous-groupe homogène de
maladies dépressives. Par les pertes dont elle est contempo-
raine, perte d’un rôle social actif et/ou perte de la capacité
à procréer, cette période de l’existence a pu longtemps être
vécue comme l’antichambre de la vieillesse. De nos jours,
elle est souvent appréhendée sur un registre bien différent :
l’interruption défi nitive de l’activité professionnelle et le
départ des enfants du domicile parental éveillent au contrai-
re le désir de se lancer dans de « nouvelles entreprises »,
de jouir d’une « nouvelle jeunesse » voire d’une « nouvelle
existence » même si ces dernières s’avéreront souvent bien
décevantes à côté des innombrables possibles qui ont été
convoités. De fait, les progrès continus de la médecine ont
contribué à une remarquable augmentation de l’espérance
de vie. Ces progrès offrent à une population croissante la
possibilité d’un gain parfois considérable d’années passées
en bonne santé, à l’abri de la plupart des avatars somatiques
de la vieillesse et du handicap. En faisant reculer inexora-
blement les frontières de ce « tardif » dont on qualifi e les
dépressions ou les autres troubles mentaux, la science mé-
dicale confère ainsi une toute autre perspective à cette
« deuxième partie de la vie ». Les dépressions, fréquentes
par ailleurs, qui voient le jour au décours immédiat de la
mise à la retraite ou en période post-ménopausique ne nous
semblent désormais plus si tardives que cela. Plus que « dé-
pression de la personne âgée » ou « dépression tardive », la
notion de « senior » est préférée pour les désigner. Avec la
dilatation temporelle de la « deuxième partie de la vie », il
deviendrait légitime d’individualiser la notion de « dépres-
sions très tardives » « very-late onset depressive disorder »
pour les distinguer des troubles dépressifs affectant les plus
âgés, ceux qu’on désigne parfois comme « vieillards » ou
L’auteur n’a pas déclaré de confl its d’intérêts
L’Encéphale (2008) 34 Supplément 2, S45–S46