Valorisation des ressources au sein d’une chaîne logistique Jean-Claude Hennet1, Sonia Mahjoub1,2 1 LSIS-CNRS ; Université de Marseille ; Avenue Escadrille Normandie Niemen, F-13297 Marseille, France 2 {jean-claude.hennet, sonia.mahjoub}@lsis.org FIESTA , ISG de Tunis, 41 rue de la liberté, 2000 Le Bardo, Tunisie Mots-clés : théorie des jeux coopératifs, programmation linéaire. 1. Introduction Le problème de formation d’une chaine logistique au sein d’un réseau d’entreprises peut être modélisé grâce à la théorie des jeux coopératifs. Chaque entreprise candidate est vue comme un joueur cherchant à maximiser sa fonction d’utilité, qui est son espérance de profit. Le moyen pour atteindre ce but est la formation d’une coalition de joueurs, qui consiste en la mise en commun de ressources de production en vue de maximiser l’espérance de profit total obtenu par la production et la vente de produits finis. Le problème de distribution de ce profit espéré entre les entreprises fédérées est crucial aussi bien dans la réalité que dans le modèle de jeux coopératifs, où il conditionne les propriétés d’efficacité, de rationalité, de stabilité et d’équité d’une coalition. Le jeu de production linéaire est décrit dans cet article. Il peut conduire à des politiques de répartition du profit stables mais non équitables. Pour obtenir des politiques stables et équitables, nous proposons de remplacer les contraintes de capacité des ressources par des contraintes de saturation linéaires par morceaux. 2. Un modèle coopératif de formation d’une chaîne logistique Soit un ensemble d’entreprises N = {1,..., N } et l’ensemble P (N ) de toutes les coalitions possibles entre ces entreprises. Dans le modèle de jeux coopératifs proposé, la capacité productive d’une entreprise j ∈ N est représentée par les quantités possédées des différentes ressources de production. Pour les R types de ressources considérées dans ce modèle, on note c rj la quantité de ressource r (r=1,…,R) disponible pour l’entreprise j. On construit alors la matrice non négative des capacités de production C = ((c rj )) ∈ ℜ R× N . A chaque coalition S ∈ P (N ) , on associe le vecteur caractéristique N e S ∈ {0,1} tel que : (e S ) j = 1 si j ∈ S et le vecteur des capacités de production C S = Ce S . (e S ) j = 0 si j ∉ S 2.1 Le modèle de production multi-étape On définit, sur une période de référence, le vecteur non négatif ω ∈ ℜ n des productions brutes pour les n produits primaires, intermédiaires et finis. Le vecteur ω est relié au vecteur y ∈ ℜ n des produits sortants (produits mis sur le marché) par l’intermédiaire du bilan de matières (bill of materials), avec comme matrice de sortie la matrice identité Ι n ∈ ℜ n×n et comme matrice d’entrée la matrice des coefficients techniques, notée Π = ((π ij )) ∈ ℜ n×n . Par définition, le coefficient non négatif π ij représente la quantité de produit i qui entre dans la production d’une unité de produit j. L’équation du bilan de matières s’écrit : y = (Ι n − Π )ω . Le vecteur de production brute ω s’exprime alors ainsi en fonction du vecteur des produits sortants y : ω = (Ι n − Π ) −1 y . 2.2 Le jeu de production linéaire Le modèle linéaire de production repose sur l’hypothèse de taux de profit constant et sur l’hypothèse de proportionnalité entre ressources et production. Selon la première hypothèse, l’espérance de profit, P, liée à la vente des produits sur le marché, est proportionnelle aux quantités n vendues : P = p T y = ∑ p i y i avec p = [ p1 , , p n ]T . Selon la seconde hypothèse, les quantités i =1 produites sont proportionnelles aux quantités de ressources utilisées. On définit alors la matrice M = ((m ri )) ∈ ℜ R×n telle que le coefficient m ri représente la quantité de ressource r nécessaire à la production d’une unité de produit i. La contrainte de faisabilité de la production ω par S s’écrit : (1) Mω ≤ C S Dans ce cadre linéaire, la fonction de profit maximal espéré, v( S ) ≥ 0 , associée à chaque coalition S ∈ P (N ) , est la solution du programme linéaire suivant : n Maximiser P = ∑ p i y i sous M ( I − Π ) −1 y ≤ Ce S , y ∈ ℜ +n , e S ∈ {0,1} N (2) i =1 Le jeu de production linéaire (LPG) étudié en particulier par Owen (1975), Van Gellekom et al. (2000) vise à trouver la coalition optimale S * qui maximise v(S ) et une répartition du profit (u j ) , j ∈ N qui soit dans le cœur du jeu, c'est-à-dire qui satisfasse à la fois les conditions d’efficacité (Pareto optimalité) : ∑ u i = v(S* ) et de rationalité : ∑ u i ≥ v(S ) j∈N pour toute coalition S ∈ P (N ) .Une j∈S condition additionnelle pour la stabilité robuste de la coalition est la propriété d’équité, formulée dans (Hennet et Mahjoub, 2010) sous la forme: u j > 0 ∀j ∈ S * . Il a été montré que la solution parfaitement compétitive, dite solution d’Owen, est dans le cœur mais n’est pas équitable en général. Hennet et Mahjoub (2010) ont proposé une condition d’existence de solutions équitables dans le cœur du jeu. Cependant cette condition est rarement satisfaite. Pour corriger ce défaut, nous proposons dans cet article de modifier la formulation du problème (2) par modifications des contraintes (1). 2.3 Le jeu de production avec contraintes de saturation sur les ressources Le risque de non-équité de la solution d’Owen pour le LPG vient du fait que les ressources excédentaire pour le vecteur de production optimal ne sont pas valorisées, c'est-à-dire que leurs propriétaires ne reçoivent pas de rémunération pour leur possession. La solution proposée dans cet article consiste à introduire des coûts marginaux non nuls pour les ressources en excès, en remplaçant les contraintes de capacité de production (2) par des contraintes de saturation linéaires par morceaux, qui s’appliquent avant d’atteindre la capacité maximale des ressources. Elles s’écrivent en fonction d’un vecteur de variables auxiliaires, ξ ∈ ℜ n+ , correspondant à des consommations désirées de ressources, sous la forme (terme à terme) : Mω ≤ min( Mξ , A1Ce S + AMξ , Ce S ) . Les degrés de liberté introduits par ces nouvelles contraintes permettent de conférer la propriété d’équité recherchée à la solution du jeu de production linéaire. Références [1] J-C. Hennet, S. Mahjoub, Toward the fair sharing of profit in a supply network formation, International Journal of Production Economics,127( 1), 112-120, 2010. [2] G.Owen. On the core of linear production games, Math. Programming 9, 358.370, 1975. [3] J.R.G. Van Gellekom, J.A.M. Potters, J.H. Reijnierse M.C. Engel and S.H. Tijs, Characterization of the Owen Set of Linear Production Processes, Games and Economic Behavior, 32(1), 139-156, 2000.