1 PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES Module 10 – Cancérologie – Oncohématologie Question 142 Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa maladie. Problèmes psychologiques. "LES SYNDROMES DEPRESSIFS EN CANCEROLOGIE. SIGNIFICATION ET PRISE EN CHARGE" Rédaction : Emmanuelle CORRUBLE, Patrick HARDY I. INTRODUCTION Les progrès thérapeutiques en cancérologie ont permis d'améliorer l'efficacité des traitements, d'en diminuer la pénibilité et d'améliorer le pronostic des affections cancéreuses. Elles deviennent de plus en plus des pathologies au long cours. Malgré les progrès thérapeutiques constants, la représentation sociale du cancer demeure associée à la mort, à la douleur, à l'impuissance et à l'incertitude quant à l'avenir. Les épisodes dépressifs survenant chez les patients atteints de pathologies malignes comportent des points communs avec toutes les autres dépressions. Nous insisterons dans ce texte sur les éléments les plus spécifiques des syndromes dépressifs en cancérologie. II. REPERES EPIDEMIOLOGIQUES La prévalence des épisodes dépressifs chez les patients atteints d'une affection cancéreuse est importante, notablement plus élevée qu'en population générale. Ainsi, 20% des patients ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des 12 mois précédents souffrent d'un trouble dépressif. III. ELEMENTS ETIOPATHOGENIQUES Plusieurs types de relations ont été évoqués. 2 Chez certains patients, ces deux pathologies peuvent survenir de façon indépendante l'une de l'autre. Ce cas de figure est relativement rare. De nombreux travaux ont montré que la dépression ou la dépressivité seraient en cause dans la survenue de certains cancers. Cet aspect ne sera pas traité dans ce document. Certains cancers peuvent être la cause de syndromes dépressifs. Il s'agit du type de relations le plus commun. Les mécanismes en cause peuvent être de trois types : - biologiques et/ou lésionnels ; - iatrogéniques, qui devront être systématiquement évoqués ; - psychologiques : la dépression survient alors en réaction à la maladie physique et aux deuils qu'elle impose : deuil de sa santé physique, de son rôle social, de la possibilité de voir évoluer sa famille, deuil de sa prise en charge médicale intensive lorsque l'état clinique s'améliore. Ces mécanismes ne sont pas exclusifs les uns des autres, et, pour la majorité des patients, plusieurs mécanismes parmi les précédents sont intriqués. IV. LES ENJEUX DES EPISODES DEPRESSIFS La première réaction de certains médecins, soignants ou parfois psychiatres, devant un état dépressif associé à un cancer est parfois de penser "c'est normal avec ce qui lui arrive", "on serait déprimé à moins". Cette première réaction pourrait rapidement conduire à considérer que l'état dépressif n'est pas du domaine pathologique et ne nécessite pas de traitement spécifique. Ce serait ignorer les conséquences des épisodes dépressifs, aujourd'hui bien connues : - la souffrance et le dysfonctionnement du patient et dans une moindre mesure de l'entourage ; - le risque suicidaire ; - la péjoration du pronostic de l'affection néoplasique et l'augmentation de la mortalité, notamment via la mauvaise observance des traitements médicaux ou même les refus de soins. Des travaux récents ont par ailleurs montré que les patients atteints d'épisodes dépressifs ne se voyaient pas proposer les mêmes traitements médicaux que les autres patients, comme si les médecins renonçaient à certains moyens thérapeutiques chez les patients déprimés, oubliant par là même que la dépression est, non pas une fatalité, mais une pathologie qui se soigne et se guérit dans la plupart des cas, à condition de s'en donner les moyens. V. QUELS CANCERS ET DANS QUELS CONTEXTES ? 3 V.1. Quels cancers ? Tous les cancers peuvent être associés à des dépressions, les dépressions n'étant pas l'apanage des tumeurs malignes neurologiques centrales. Certains cancers sont toutefois souvent en cause : tumeurs du pancréas, de la sphère ORL ou de la sphère génitale, par exemple. V.2. Dans quels contextes ? Les épisodes dépressifs peuvent survenir à toutes les étapes du diagnostic, du traitement et de l'évolution du patient. Une dépression peut ainsi apparaître : 1. Chez un patient porteur d'un cancer encore méconnu, le plus souvent profond (cancer du pancréas par exemple) 2. A l'annonce du diagnostic : Le diagnostic de cancer est déjà une cause importante de stress. Même si les progrès thérapeutiques modifient l'image des cancers dans l'esprit de chacun, l'évocation du diagnostic de cancer renvoie toujours le patient à la possibilité, concrète et à court terme, de sa propre mort. Une réaction de sidération anxieuse suit fréquemment l'annonce du diagnostic et des éventualités thérapeutiques, et s'accompagne souvent d'un sentiment de perte de contrôle du corps et de la vie et d'une crainte du handicap physique. Cette réaction peut laisser la place à un authentique épisode dépressif. Ainsi, les premiers mois qui suivent le diagnostic constituent une période de prévalence élevée de la dépression chez les patients cancéreux. 3. A l'arrêt du traitement : Il n'est pas rare d'observer des troubles dépressifs au décours de l'arrêt des traitements, et ce même si ces derniers ont été à l'origine d'un succès thérapeutique et si l'état somatique des patients s'est amélioré. Du fait des progrès thérapeutiques, ces cas sont de plus en plus fréquents. Des arguments psychologiques tels que le deuil du statut de malade ont pu être évoqués. La diminution des doses de corticoïdes et l'épuisement physique et psychologique induit par les traitements peuvent aussi jouer un rôle dans la survenue de ces épisodes. 4. Lors d'une récidive : Il s'agit d'une étape physique et psychologique délicate. Elle peut favoriser l'émergence d'un épisode dépressif. 5. Comme complication d'un traitement : Les effets indésirables des traitements chimiothérapiques ou radiothérapiques, comme l'asthénie, l'alopécie peuvent favoriser l'émergence d'épisodes dépressifs, par des effets physiques (dimension d'épuisement) et psychologiques (modifications de l'image du corps notamment). 4 Certains médicaments utilisés dans les traitements des cancers peuvent aussi avoir des effets iatrogèniques dépressogènes spécifiques. On citera par exemple les traitements par corticoïdes, interféron alpha, interleukine, vincristine, vinblastine, ou dacarbazine. Si l'on envisage la possibilité d'un facteur iatrogénique, il faudra, autant que possible et en concertation avec les médecins, tenter de les contrôler. 6. Dans un contexte de handicap physique et de restriction des activités et/ou des relations sociales : Dans de nombreux cas, la maladie et ses traitements induisent un handicap physique et une restriction des activités et relations sociales. Ceci peut expliquer en partie la survenue d'états dépressifs. 7. Dans un contexte de la douleur chronique et de la fin de vie : Les épisodes dépressifs sont fréquents dans ce contexte. Ils ont été abordés dans le module "douleur - soins palliatifs - mort". Le renoncement aux traitements curatifs, et le désinvestissement de la part des équipes soignantes sont souvent des facteurs favorisants des épisodes dépressifs chez les patients cancéreux. VI. PROBLEMES POSES PAR LE DIAGNOSTIC ET LE PRONOSTIC DES EPISODES DEPRESSIFS Aujourd'hui, les épisodes dépressifs sont insuffisamment diagnostiqués et traités chez les patients atteints d'affections cancéreuses. Une étude récente montre que dans des services d'oncologie médicale, moins de 50% des patients déprimés sont identifiés comme ayant une souffrance psychologique et adressés à un psychiatre. VI.1. La formation insuffisante des somaticiens : Les soignants somaticiens craignent, parfois d'induire une souffrance psychologique en abordant la question de la souffrance psychologique, ils estiment parfois ne pas avoir les compétences suffisantes pour aborder ce type de questions et peuvent craindre de se démarquer de l'équipe de soins en abordant ce type de questions. Dans bien des cas, il s'agit là de réactions défensives face à l'angoisse que peut générer chez le soignant, la souffrance psychologique de son patient. En effet, la souffrance psychologique du patient peut renvoyer le soignant à sa propre angoisse de mort et à son impuissance thérapeutique. On retiendra que la souffrance psychologique du patient nécessite d'être exprimée, entendue et prise en compte et que chaque soignant devrait être capable de s'interroger sur les réactions psychologiques que suscite chez lui la souffrance de son patient. Ce travail relève de la compétence de tout médecin et de tout soignant. VI.2. Eléments sémiologiques : 5 La dépression comporte des symptômes psychiques, cognitifs et somatiques. Les signes somatiques de la dépression sont difficiles à évaluer chez les patients atteints d'affections somatiques, car leur attribution à l'épisode dépressif ou au cancer peut poser problème. Les pathologies cancéreuses induisent ainsi souvent une asthénie, une anorexie, des plaintes douloureuses. Les symptômes somatiques sont donc moins contributifs pour faire un diagnostic de dépression chez les patients cancéreux que chez les autres patients. Pour établir un diagnostic d'épisode dépressif, les symptômes dépressifs les plus discriminants chez les patients présentant une pathologie cancéreuse sont les suivants : humeur dépressive, perte d'espoir, pessimisme, sentiments d'inutilité, d'incapacité ou de culpabilité inappropriée, sentiment de ne pouvoir être aidé, sentiment que la maladie est une punition, ralentissement psychomoteur ou agitation, diminution des intérêts ou du plaisir dans la plupart des activités, idées récurrentes de mort ou de suicide, troubles du sommeil, troubles de la mémoire, de l'attention et de la concentration, indécision. Ces symptômes prédominantes souvent le matin. VI.3. Les limites entre normal et pathologique et les différents types de troubles dépressifs : Une tristesse, des fluctuations de l'humeur, un découragement sont des sentiments qui ne sont pas toujours pathologiques et qui sont parfois adaptés au cours de certaines étapes de la maladie cancéreuse. Ils ne sont pas nécessairement synonymes d'épisode dépressif. Toutefois, s'ils sont intenses, s'ils s'installent dans le temps, s'ils sont associés à d'autres symptômes, ils doivent faire évoquer la possibilité d'un épisode dépressif. Les systèmes critériologiques se sont efforcés de définir des seuils de la pathologie. - Un épisode dépressif caractérisé ou "majeur" se définit par la présence, pendant une période d'au moins deux semaines, d'un nombre suffisant de symptômes dépressifs, d'une souffrance du sujet et d'un dysfonctionnement associés, ainsi qu'un changement par rapport à l'état antérieur. Cette définition a été évoquée en détail dans le cours consacré aux épisodes dépressifs. Dans le cas particulier où l'on considère que cet épisode dépressif est une conséquence physiologique directe du cancer, on retient la catégorie diagnostique "épisode dépressif dû à une affection médicale générale". - Certains patients présentent des tableaux symptomatiques incomplets, n'atteignant pas le seuil des épisodes dépressifs caractérisés, et qui surviennent en réaction à un facteur de stress survenu dans les trois mois précédents. Ce facteur de stress peut être la révélation du diagnostic de cancer, l'annonce d'un traitement mutilant ou l'annonce d'une rechute par exemple. Pour ces patients, les classifications internationales proposent le diagnostic de "trouble de l 'adaptation avec humeur dépressive". 6 Ce sont ces derniers types de troubles qui posent avec le plus d'acuité la question des limites entre normal et pathologique. VI.4. Qu'en est-il du risque suicidaire chez les patients cancéreux ? quelles relations entre suicide et dépression ? Le risque suicidaire est plus élevé chez les patients cancéreux que dans la population générale : chez eux, le risque suicidaire est en effet multiplié par 1,5 à 2,0, voire même par 15 dans la première année qui suit le diagnostic. Les cancers les plus souvent impliqués sont les cancers ORL, du poumon, gastro-intestinaux et du sein. Le suicide survient dans les suites immédiates du diagnostic (18%), en période de rémission (42%), ou en phase terminale (30%). Les moyens utilisés sont plus violents qu'en population générale (défenestration, pendaison). Comme en population générale, le sexe masculin est un facteur de risque et 2 pics d'âge sont retrouvés (adultes jeunes et sujets âgés). Le suicide survient dans 85% des cas dans un contexte de trouble psychiatrique : il s'agit d'une dépression dans 80% des cas, mais on estime aussi que 20% des cancéreux qui se suicident présentent une confusion mentale ou un syndrome mental organique. Le risque suicidaire est inhérent aux épisodes dépressifs. L'évaluation du risque suicidaire est un point essentiel qui conditionnera en partie la démarche thérapeutique. Elle repose, non sur un paramètre unique entièrement fiable à lui seul, mais sur un faisceau d'arguments. Chez les patients cancéreux déprimés, les facteurs de risque de suicide les plus spécifiques sont : la symptomatologie douloureuse, les problèmes majeurs d'image du corps, les complications sévères des traitements somatiques (comme par exemple les neuropathies secondaires aux chimiothérapies), les conceptions très négatives des possibilités de soins. VII. CERTAINS PATIENTS CANCEREUX ONT-ILS PLUS DE RISQUES QUE D'AUTRES DE DEVELOPPER UNE DEPRESSION ? Chez les patients cancéreux, on peut retrouver des facteurs de vulnérabilité dépressive propres à chaque individu et des facteurs qui sont plus spécifiquement associés au cancer. Ce sont ces derniers qui retiendront notre attention. Il semble que ce soit le mode d'adaptation psychologique à la maladie (modes de "coping") qui permette le mieux de prédire la survenue d'un épisode dépressif chez un patient cancéreux: - Les patients qui sont capables de trouver une explication à leur maladie ont, en règle générale, une meilleure adaptation à leur maladie. Les questions qu'ils se posent sont 7 - - souvent (" Pourquoi moi ?", " Pourquoi maintenant ?", " Qu'ai-je donc fait pour mériter cela ?"). Les patients infèrent souvent que leur cancer est le résultat de leur fragilité personnelle, de leur incapacité à faire face à une situation ou à exprimer leur anxiété dans certaines situations. Parfois, ils attribuent à autrui la responsabilité de leur maladie. Les patients font mieux face à leur maladie s'ils pensent qu'ils peuvent contribuer à leur guérison. Ainsi, en règle générale, les patients qui sont actifs dans des organisations ou des groupes de patients, qui utilisent des techniques comme la relaxation, les régimes, le yoga ont un meilleur pronostic que les autres, à moins que leur façon de se battre contre leur maladie ne devienne une obsession autour de laquelle toute leur vie s'organise. De même, les patients font mieux face à leur maladie s'ils ont pu en parler à leur entourage proche, plutôt que s'ils gardent cette information " secrète". La perception par le patient du soutien des soignants est un autre élément important. Un suivi de qualité, associé à une information adaptée et à un bon niveau d'écoute, peuvent permettre de prévenir la survenue de certains épisodes dépressifs. Certains soignants éprouvent parfois des difficultés à communiquer avec les patients cancéreux. Cela les renvoie en effet à leur propre angoisse de mort et à leurs échecs thérapeutiques. Cela les conduit, consciemment ou le plus souvent inconsciemment, à éviter les contacts avec les patients, à moins que ceux-ci ne soient absolument nécessaires. Il s'agit d'un facteur de risque de développer un épisode dépressif pour le patient. Les éléments précédents doivent être systématiquement recherchés avec un patient cancéreux et doivent faire partie intégrante du travail thérapeutique. VIII. TRAITEMENTS CURATIFS DES EPISODES DEPRESSIFS VIII.1. Le contexte thérapeutique : Interaction nécessaire entre les soignants : Le traitement de l'épisode dépressif doit reposer sur une bonne articulation entre soignants, psychiatres, psychologues, somaticiens. Cette articulation a pour objectif d'échanger des informations, de permettre aux soignants d'exprimer et de gérer 8 leurs propres difficultés, de permettre au patient de recevoir une information aussi pertinente que possible à propos de sa maladie et de son pronostic, et d'élaborer une stratégie thérapeutique commune. Indications de l'hospitalisation : L'hospitalisation doit être proposée (voire, dans de rares cas, imposée) dans les cas suivants : en cas de dépression mélancolique sévère ; lorsque le risque suicidaire est important ; lorsqu'il existe des caractéristiques psychotiques ; lorsqu'une surveillance particulière est justifiée lors de l'instauration du traitement ; lorsqu'il existe un isolement social ou un environnement matériel ou affectif défavorable ; lorsque la dépression est résistante au traitement ; enfin, lorsqu'on observe une aggravation du tableau clinique malgré une thérapeutique a priori bien conduite. Traiter la dépression et la maladie somatique associée : Il s'agit d'un point essentiel. Le seul traitement du cancer ne permettra pas, en règle générale, de guérir la dépression, et vice-versa. VIII.2. Le traitement antidépresseur : Il constitue une des premières étapes du traitement de la dépression du patient cancéreux. - - - Le choix de l' antidépresseur : Il repose sur plusieurs points articulés autour du rapport bénéfices/risques. Le premier point est la nécessité d'un antidépresseur efficace. Les études montrent que les antidépresseurs sont moins efficaces chez les patients présentant des maladies somatiques que chez les autres. Les causes de ce phénomène sont probablement multiples (Popkin et al., 1985). On citera une efficacité intrinsèque inférieure, une tolérance parfois médiocre induisant une faible compliance et un sousdosage du traitement, et enfin des interactions pharmacocinétiques. Le deuxième point est la prise en compte des propriétés associées, comme par exemple l'efficacité sur la symptomatologie douloureuse ou la symptomatologie anxieuse. Le troisième point est la nécessité d 'un antidépresseur bien toléré compte tenu du terrain somatique. La prise en compte des interactions pharmacocinétiques est essentielle, notamment chez le sujet polymédiqué, chez le sujet présentant une insuffisance hépatique ou rénale, chez le sujet recevant des traitements se liant aux protéïnes plasmatiques (AVK) ou inhibant les systèmes du cytochrome P450. 9 - - La prise en compte des interactions pharmacodynamiques est tout aussi importante. On citera par exemple les propriétés anticholinergiques, les propriétés alpha 1 bloquantes, l'effet quinidine-like des antidépresseurs imipraminiques. Il est aussi utile de considérer les effets indésirables spécifiques de la molécule. On évitera par exemple les antidépresseurs susceptibles d'induire des nausées chez les patients cancéreux traités par chimiothérapie émétisante. Le choix de la dose d'antidépresseurs : Les doses efficaces standard sont établies chez des patients ne présentant pas de maladies somatiques. Les patients " somatiques" sont particulièrement sensibles aux effets indésirables et sont sujets aux interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. On débutera le traitement avec des doses relativement faibles et on augmentera les doses plus lentement. La durée du traitement antidépresseur : Il existe très peu de données sur ce sujet puisque les études disponibles ont une durée comprise en règle générale entre 4 et 8 semaines. Compte tenu du risque de rechute et de récurrence qui existe chez ces patients, la durée actuellement recommandée est d'au moins 6 mois après la rémission complète. VIII.3. Les interventions thérapeutiques associées aux antidépresseurs : Elles ont un rôle essentiel dans le traitement du patient déprimé présentant une affection cancéreuse. Elles comportent l'éducation du patient sur la dépression, les antidépresseurs et leurs relations avec la maladie somatique, l'information des soignants somaticiens afin d'obtenir leur collaboration, les interventions auprès de la famille, et les psychothérapies, notamment de soutien, ou à médiation corporelle. La psychothérapie de soutien devrait pouvoir être proposée à tous les patients. Elle permet aux patients de parler de leurs problèmes et d'exprimer leurs sentiments sans avoir peur d'être jugés. Ces patients ont parfois un point de vue pessimiste quant à l'évolution de leur maladie et ont l'impression que la poursuite des traitements est inutile. En particulier dans les phases précoces de la maladie cancéreuse, les patients et leurs familles ont besoin d'être informés, encouragés, et compris psychologiquement. Ultérieurement, ils peuvent nécessiter une aide pour accepter et s'adapter au handicap physique ou au diagnostic de maladie terminale. Lorsqu'il existe des facteurs qui risquent de pérenniser la symptomatologie dépressive, il convient de proposer des approches psychothérapiques plus spécifiques et formalisées. 10 L'indication d'une psychothérapie est établie à partir de plusieurs éléments qui seront systématiquement évalués : la réaction du patient à sa maladie, l'effet de la maladie sur la capacité du patient à assumer son rôle professionnel et familial, et comment la maladie interfère avec l'image qu'il a de lui-même et de son corps, son niveau de motivation et ses capacités d'élaboration psychique. Pour ces patients, des approches de type thérapie cognitivo-comportementale ou psychothérapie d'inspiration psychodynamique ou relaxation ou psychothérapie de groupe pourront être adjointes au traitement médicamenteux. IX. UNE PREVENTION DES EPISODES DEPRESSIFS CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS DE CANCERS EST-ELLE POSSIBLE ? Les études disponibles n'ont pas permis de démontrer avec certitude l'efficacité des interventions psychologiques dans la prévention des épisodes dépressifs chez le patient cancéreux en général. Toutefois, les psychothérapies de soutien ou cognitivocomportementales ont leur intérêt chez certains patients dans cette indication. De même, certains éléments sont importants pour la qualité de vie du patient au cours de sa maladie : qualité de la relation avec son médecin, information à propos du diagnostic et du traitement, conseils pratiques sur la façon de faire face à la maladie et aux complications du traitement, opportunité pour le patient de parler de ses problèmes et de ses sentiments, participation à des groupes psycho-éducationnels. X. CONCLUSION Bien que facteurs de péjoration du pronostic du cancer, de souffrance, de dysfonctionnement, de suicide, les épisodes dépressifs demeurent insuffisamment diagnostiqués et traités chez les patients atteints de cancers. Il est donc fondamental de former les professionnels et d'informer les patients et leur entourage. La prise en charge doit être concertée entre médecins, soignants, psychiatres et psychologues. Les traitements les plus efficaces des syndromes dépressifs en cancérologie associent traitement médicamenteux antidépresseur et soutien psychothérapique voire psychothérapie plus formalisée selon les cas. 11 Pour en savoir plus : Eschwège F. Dépression et cancer : le point de vue du cancérologue. L'Encéphale 1994 ; XX : 657-660. Gay C. Dépression et cancer : aspects thérapeutiques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 72-80. Marx G, Gauvain-Picard A, Saltel P. Anxiété, dépression, cancers : aspects cliniques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 66-71. Nezelof S, Vandel P. Cancers et dépressions : aspects épidémiologiques. L'Encéphale 1998 ; Numéro Hors série 2 : 59-65. Razavi D. La dépression au cours de la maladie cancéreuse. L'Encéphale 1994 ; XX : 647-655. 12 RESUME 1. Les troubles dépressifs sont fréquents chez les patients atteints d'une affection cancéreuse (ils s'observent chez 20% des patients ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des 12 mois précédents). 2. Habituellement secondaires au cancer, ces troubles peuvent être liés à différents facteurs : facteurs biologiques et/ou lésionnels ; facteurs iatrogéniques ; facteurs psychologiques, enfin. 3. Eux-mêmes source de souffrance, de handicap et de risque létal (suicide), les troubles dépressifs péjorent souvent le pronostic cancéreux (mauvaise adhésion aux soins, résignation médicale). 4. Ces troubles dépressifs peuvent apparaître à toutes les phases de l'évolution du cancer : chez un patient porteur d'un cancer encore méconnu ; à l'annonce du diagnostic (+++) ; après l'arrêt du traitement ; lors d'une récidive ; au cours du traitement (comme complication) ; en cours d'évolution, comme conséquence d'un handicap ou d'une douleur chronique ; en fin de vie. 5. Les troubles dépressifs demeurent encore insuffisamment diagnostiqués et traités. Plusieurs éléments contribuent à cet état de fait : la formation encore insuffisante des praticiens ; l'intrication symptomatique symptômes liés au cancer et symptômes dépressifs (dans ce contexte, les symptômes émotionnels et cognitifs sont les plus spécifiques de la dépression) ; la difficulté à distinguer parfois entre humeur normale et pathologique (la dépression pouvant être diagnostiquée comme "épisode dépressif" ou comme "trouble de l'adaptation avec humeur dépressive"). 6. Le suicide est relativement fréquent chez les cancéreux (risque multiplié par 15 dans la première année qui suit le diagnostic) : il survient dans 85% des cas dans un contexte de trouble psychiatrique (70% des cancéreux suicidés sont déprimés, 20% présentent une confusion mentale ou un syndrome mental organique). 7. Les patients cancéreux partagent les mêmes facteurs de vulnérabilité dépressive que les autres individus. Certains facteurs leur sont toutefois plus spécifiques : insuffisante capacité d'adaptation psychologique à la maladie ("coping"), perception par le patient d'un bon support de la part des soignants, notamment. 13 8. Un diagnostic de dépression nécessite un traitement spécifique (le traitement anticancéreux ne peut suffire à lui seul). Les patients cancéreux étant souvent polymédicamentés, le traitement pharmacologique devra particulièrement prendre en compte la tolérance ainsi que les effets pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des antidépresseurs. Les interventions éducationnelles et psychothérapiques jouent également un rôle essentiel dans la prévention et le traitement des troubles dépressifs.