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PREMIÈRE PARTIE : MODULES TRANSDISCIPLINAIRES
Module 10 – Cancérologie – Oncohématologie
Question 142
Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa
maladie. Problèmes psychologiques.
"LES SYNDROMES DEPRESSIFS EN CANCEROLOGIE.
SIGNIFICATION ET PRISE EN CHARGE"
Rédaction : Emmanuelle CORRUBLE, Patrick HARDY
I. INTRODUCTION
Les progrès thérapeutiques en cancérologie ont permis d'améliorer l'efficacité des
traitements, d'en diminuer la pénibilité et d'améliorer le pronostic des affections
cancéreuses. Elles deviennent de plus en plus des pathologies au long cours. Malgré les
progrès thérapeutiques constants, la représentation sociale du cancer demeure
associée à la mort, à la douleur, à l'impuissance et à l'incertitude quant à l'avenir.
Les épisodes dépressifs survenant chez les patients atteints de pathologies malignes
comportent des points communs avec toutes les autres dépressions. Nous insisterons
dans ce texte sur les éléments les plus spécifiques des syndromes dépressifs en
cancérologie.
II. REPERES EPIDEMIOLOGIQUES
La prévalence des épisodes dépressifs chez les patients atteints d'une affection
cancéreuse est importante, notablement plus élevée qu'en population générale.
Ainsi, 20% des patients ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des 12 mois
précédents souffrent d'un trouble dépressif.
III. ELEMENTS ETIOPATHOGENIQUES
Plusieurs types de relations ont été évoqués.
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Chez certains patients, ces deux pathologies peuvent survenir de façon indépendante
l'une de l'autre. Ce cas de figure est relativement rare.
De nombreux travaux ont montré que la dépression ou la dépressivité seraient en
cause dans la survenue de certains cancers. Cet aspect ne sera pas traité dans ce
document.
Certains cancers peuvent être la cause de syndromes dépressifs. Il s'agit du type de
relations le plus commun. Les mécanismes en cause peuvent être de trois types :
-biologiques et/ou lésionnels ;
-iatrogéniques, qui devront être systématiquement évoqués ;
-psychologiques : la dépression survient alors en réaction à la maladie physique et
aux deuils qu'elle impose : deuil de sa santé physique, de son rôle social, de la
possibilité de voir évoluer sa famille, deuil de sa prise en charge médicale intensive
lorsque l'état clinique s'améliore.
Ces mécanismes ne sont pas exclusifs les uns des autres, et, pour la majorité des
patients, plusieurs mécanismes parmi les précédents sont intriqués.
IV. LES ENJEUX DES EPISODES DEPRESSIFS
La première réaction de certains médecins, soignants ou parfois psychiatres, devant un
état dépressif associé à un cancer est parfois de penser "c'est normal avec ce qui lui
arrive", "on serait déprimé à moins". Cette première réaction pourrait rapidement
conduire à considérer que l'état dépressif n'est pas du domaine pathologique et ne
nécessite pas de traitement spécifique.
Ce serait ignorer les conséquences des épisodes dépressifs, aujourd'hui bien connues :
-la souffrance et le dysfonctionnement du patient et dans une moindre mesure de
l'entourage ;
-le risque suicidaire ;
-la péjoration du pronostic de l'affection néoplasique et l'augmentation de la
mortalité, notamment via la mauvaise observance des traitements médicaux ou même
les refus de soins.
Des travaux récents ont par ailleurs montré que les patients atteints d'épisodes
dépressifs ne se voyaient pas proposer les mêmes traitements médicaux que les autres
patients, comme si les médecins renonçaient à certains moyens thérapeutiques chez les
patients déprimés, oubliant par même que la dépression est, non pas une fatalité, mais
une pathologie qui se soigne et se guérit dans la plupart des cas, à condition de s'en
donner les moyens.
V. QUELS CANCERS ET DANS QUELS CONTEXTES ?
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V.1. Quels cancers ?
Tous les cancers peuvent être associés à des dépressions, les dépressions n'étant pas
l'apanage des tumeurs malignes neurologiques centrales.
Certains cancers sont toutefois souvent en cause : tumeurs du pancréas, de la sphère
ORL ou de la sphère génitale, par exemple.
V.2. Dans quels contextes ?
Les épisodes dépressifs peuvent survenir à toutes les étapes du diagnostic, du
traitement et de l'évolution du patient. Une dépression peut ainsi apparaître :
1. Chez un patient porteur d'un cancer encore méconnu, le plus souvent profond (cancer
du pancréas par exemple)
2. A l'annonce du diagnostic :
Le diagnostic de cancer est déjà une cause importante de stress. Même si les progrès
thérapeutiques modifient l'image des cancers dans l'esprit de chacun, l'évocation du
diagnostic de cancer renvoie toujours le patient à la possibilité, concrète et à court
terme, de sa propre mort. Une réaction de sidération anxieuse suit fréquemment
l'annonce du diagnostic et des éventualités thérapeutiques, et s'accompagne souvent
d'un sentiment de perte de contrôle du corps et de la vie et d'une crainte du
handicap physique. Cette réaction peut laisser la place à un authentique épisode
dépressif.
Ainsi, les premiers mois qui suivent le diagnostic constituent une période de
prévalence élevée de la dépression chez les patients cancéreux.
3. A l'arrêt du traitement :
Il n'est pas rare d'observer des troubles dépressifs au décours de l'arrêt des
traitements, et ce même si ces derniers ont été à l'origine d'un succès thérapeutique
et si l'état somatique des patients s'est amélioré. Du fait des progrès
thérapeutiques, ces cas sont de plus en plus fréquents.
Des arguments psychologiques tels que le deuil du statut de malade ont pu être
évoqués. La diminution des doses de corticoïdes et l'épuisement physique et
psychologique induit par les traitements peuvent aussi jouer un rôle dans la survenue
de ces épisodes.
4. Lors d'une récidive :
Il s'agit d'une étape physique et psychologique délicate. Elle peut favoriser
l'émergence d'un épisode dépressif.
5. Comme complication d'un traitement :
Les effets indésirables des traitements chimiothérapiques ou radiothérapiques,
comme l'asthénie, l'alopécie peuvent favoriser l'émergence d'épisodes dépressifs,
par des effets physiques (dimension d'épuisement) et psychologiques (modifications
de l'image du corps notamment).
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Certains médicaments utilisés dans les traitements des cancers peuvent aussi avoir
des effets iatrogèniques dépressogènes spécifiques. On citera par exemple les
traitements par corticoïdes, interféron alpha, interleukine, vincristine, vinblastine, ou
dacarbazine. Si l'on envisage la possibilité d'un facteur iatrogénique, il faudra, autant
que possible et en concertation avec les médecins, tenter de les contrôler.
6. Dans un contexte de handicap physique et de restriction des activités et/ou des
relations sociales :
Dans de nombreux cas, la maladie et ses traitements induisent un handicap physique
et une restriction des activités et relations sociales. Ceci peut expliquer en partie la
survenue d'états dépressifs.
7. Dans un contexte de la douleur chronique et de la fin de vie :
Les épisodes dépressifs sont fréquents dans ce contexte. Ils ont été abordés dans le
module "douleur - soins palliatifs - mort". Le renoncement aux traitements curatifs,
et le désinvestissement de la part des équipes soignantes sont souvent des facteurs
favorisants des épisodes dépressifs chez les patients cancéreux.
VI. PROBLEMES POSES PAR LE DIAGNOSTIC ET LE PRONOSTIC DES EPISODES
DEPRESSIFS
Aujourd'hui, les épisodes dépressifs sont insuffisamment diagnostiqués et traités chez
les patients atteints d'affections cancéreuses. Une étude récente montre que dans des
services d'oncologie médicale, moins de 50% des patients déprimés sont identifiés
comme ayant une souffrance psychologique et adressés à un psychiatre.
VI.1. La formation insuffisante des somaticiens :
Les soignants somaticiens craignent, parfois d'induire une souffrance psychologique en
abordant la question de la souffrance psychologique, ils estiment parfois ne pas avoir les
compétences suffisantes pour aborder ce type de questions et peuvent craindre de se
démarquer de l'équipe de soins en abordant ce type de questions. Dans bien des cas, il
s'agit de réactions défensives face à l'angoisse que peut générer chez le soignant, la
souffrance psychologique de son patient. En effet, la souffrance psychologique du
patient peut renvoyer le soignant à sa propre angoisse de mort et à son impuissance
thérapeutique.
On retiendra que la souffrance psychologique du patient nécessite d'être exprimée,
entendue et prise en compte et que chaque soignant devrait être capable de s'interroger
sur les réactions psychologiques que suscite chez lui la souffrance de son patient.
Ce travail relève de la compétence de tout médecin et de tout soignant.
VI.2. Eléments sémiologiques :
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La dépression comporte des symptômes psychiques, cognitifs et somatiques. Les
signes somatiques de la dépression sont difficiles à évaluer chez les patients atteints
d'affections somatiques, car leur attribution à l'épisode dépressif ou au cancer peut
poser problème. Les pathologies cancéreuses induisent ainsi souvent une asthénie,
une anorexie, des plaintes douloureuses. Les symptômes somatiques sont donc moins
contributifs pour faire un diagnostic de dépression chez les patients cancéreux que
chez les autres patients.
Pour établir un diagnostic d'épisode dépressif, les symptômes dépressifs les plus
discriminants chez les patients présentant une pathologie cancéreuse sont les
suivants : humeur dépressive, perte d'espoir, pessimisme, sentiments d'inutilité,
d'incapacité ou de culpabilité inappropriée, sentiment de ne pouvoir être aidé,
sentiment que la maladie est une punition, ralentissement psychomoteur ou agitation,
diminution des intérêts ou du plaisir dans la plupart des activités, idées récurrentes
de mort ou de suicide, troubles du sommeil, troubles de la mémoire, de l'attention et
de la concentration, indécision. Ces symptômes prédominantes souvent le matin.
VI.3. Les limites entre normal et pathologique et les différents types de troubles
dépressifs :
Une tristesse, des fluctuations de l'humeur, un découragement sont des sentiments
qui ne sont pas toujours pathologiques et qui sont parfois adaptés au cours de
certaines étapes de la maladie cancéreuse. Ils ne sont pas nécessairement synonymes
d'épisode dépressif. Toutefois, s'ils sont intenses, s'ils s'installent dans le temps,
s'ils sont associés à d'autres symptômes, ils doivent faire évoquer la possibilité d'un
épisode dépressif.
Les systèmes critériologiques se sont efforcés de définir des seuils de la pathologie.
-Un épisode dépressif caractérisé ou "majeur" se définit par la présence, pendant une
période d'au moins deux semaines, d'un nombre suffisant de symptômes pressifs,
d'une souffrance du sujet et d'un dysfonctionnement associés, ainsi qu'un
changement par rapport à l'état antérieur. Cette définition a été évoquée en détail
dans le cours consacré aux épisodes dépressifs. Dans le cas particulier l'on
considère que cet épisode dépressif est une conséquence physiologique directe du
cancer, on retient la catégorie diagnostique "épisode dépressif à une affection
médicale générale".
-Certains patients présentent des tableaux symptomatiques incomplets, n'atteignant
pas le seuil des épisodes dépressifs caractérisés, et qui surviennent en réaction à un
facteur de stress survenu dans les trois mois précédents. Ce facteur de stress peut
être la révélation du diagnostic de cancer, l'annonce d'un traitement mutilant ou
l'annonce d'une rechute par exemple. Pour ces patients, les classifications
internationales proposent le diagnostic de "trouble de l 'adaptation avec humeur
dépressive".
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