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cinquante ans, rebondir
LA REVUE NOUVELLE
de Certeau, d’être « consistant » (sans contradiction entre ses énoncés), « propre »
(sans équivocité) et « contraignant » (interdisant par sa forme logique tout refus de
son contenu). Son écriture dispose ainsi d’une autonomie qui fait de l’« élégance »
le principe interne de son développement14.
En somme, l’interdépendance mondiale dominante en cette n de siècle et engen-
drée par la globalisation signie tout le contraire d’une mondialisation véritable.
Elle constitue paradoxalement un système de dépendance, de dualisation, voire de
multialisation planétaire, un « apartheid » global, « plus difcile à vaincre, si rien
n’est fait, souligne encore Riccardo Petrella, que le pourtant coriace système sud-
africain15 », une des cibles du combat des démocrates de nos cinquante dernières
années.
une planète divisée : intégrés et exclus
L’économie, la nance et la technologie se globalisent en se « triadisant16 ». En clair,
dans le contexte global, l’intégration technologique, économique et socio-culturelle
des trois régions considérées comme les plus développées du monde (l’Amérique du
Nord, le Japon, avec les pays nouvellement industrialisés de l’Asie du Sud-Est, et
l’Europe occidentale) offre des choix et des dispositions bien meilleurs que l’intégra-
tion (à supposer que ce terme ait en l’occurrence encore un sens) entre pays dits plus
développés et pays dits moins développés ou pauvres ou entre pays en développe-
ment17. À cet égard, par exemple, la distribution établie par Chris Freeman et John
Hagedoorn, des alliances technologiques stratégiques inter-entreprises par secteur et
par groupe de pays entre 1980 et 1989, fait clairement apparaitre qu’en fait ces
alliances se localisent, pour l’essentiel, dans les régions industrialisées du globe, et
plus spécialement dans la Triade, là où se trouvent implantés le pouvoir scientique,
les potentiels et la suprématie technologiques, le pouvoir culturel. Là donc où sont
concentrées la maitrise des conditions, l’aptitude à régir le monde économique et la
société, la capacité de façonner l’avenir18. Qui plus est, on assiste dans ces régions
à l’émergence d’un archipel de villes-régions riches, hyperavancées (une trentaine
aujourd’hui, surtout au Nord, quelques-unes au Sud : Mexico, Sao Paulo…) en
matière de technologie, de nance, d’industrie. Les nouvelles technologies de l’infor-
mation, de la communication, du transport favorisent un lien actif de plus en plus
serré entre ces villes-régions par l’intermédiaire des entreprises multi- et transnatio-
nales, elles-mêmes interconnectées, comme déjà souligné, en réseaux mondiaux
dans une recherche incessante de nouveaux marchés à conquérir19.
Voici donc, de par l’émergence de la globalisation, la planète, notre « village glo-
bal », nouvellement divisée, non plus en Est/Ouest mais, à l’intérieur des deux
hémisphères, par un rapport intégration/exclusion. L’intégration des riches et des
gagnants de la Triade (la « triadisation » du nouveau monde global compétitif) ne
cesse de se resserrer. Et en se resserrant, elle produit l’exclusion (« le largage »20)
de plus en plus massive des autres, les perdants. On notera, sur la base de travaux
de Chris Freeman et John Hagedoorn et de Ugur Muldur, que si la tendance de
l’économie mondiale devait se maintenir pendant vingt ans, la part de l’Afrique, du