LA RELATION DANS LES GROUPES
1) La sociométrie de Moreno
Par sociométrie, Moreno entend à la fois :
une technique susceptible de quantifier les interactions sociales, ce qui d'ailleurs se fait effectivement quand
on met en oeuvre le"test sociométrique" ;
une théorie de la société, on pourrait même dire une philosophie sociale fondée impliquant une opposition
entre la spontanéité créatrice des groupes sociaux et la rigidification des conduites et des cultures (d'où sa
notion de "conserves culturelles ", par exemple).
Cette philosophie a d'abord trouvé sa source dans la pratique et la théorisation du psychodrame, car c'est par là
que Moreno a commencé. Elle retrouve ailleurs des équivalents, et par exemple dans l'oeuvre de Reich lorsqu'il
oppose l'énergie libre et l'énergie liée et montre dans la constitution de la "cuirasse caractérielle" aussi bien la base
de névroses individuelles que celle des sociétés autoritaires, du fascisme.
La genèse de la sociométrie et son programme peuvent se lire dans les articles et ouvrages que Moreno publie
dans les années 40 et dont certains, traduits en français, ont paru pendant la même période dans les Cahiers
Internationaux de Sociologie : ils ont contribué à faire connaître, en France, cette école de la sociométrie dans le
temps même où le psychodrame y était également diffusé, à partir de 1950.
Moreno entend finalement par microsociologie - car il finit par employer ce terme pour parler de la sociométrie -
l'étude d'un petit groupe ou, à la limite, d'un établissement. Il tend à autonomiser cet objet et le mode d'approche
qui lui correspond.
Ce mode d'approche, c'est-à-dire la sociométrie au sens que ce terme indique directement (il s'agit de "mesurer" le
"social") se propose comme tel.
Mais, à propos de cette mesure, il faut, avec Moreno toujours, distinguer trois tendances :
certains s'occupent de la "mesure" mais ne rendent pas compte du caractère qualitatif de ce qui doit être
mesuré, comme le font par exemple, un grand nombre de démographes, de statisticiens "et de praticiens des
sondages d'opinion" ;
d'autres s'intéressent à la spontanéité sociale et à l'instant social, aux rôles sociaux, aux relations
interpersonnelles et n'admettent aucune possibilité, ou presque, d'appliquer dans ce domaine des mesures
quantitatives ;
d'autres, enfin, tentent d'utiliser à la fois la mesure et la compréhension qualitative.
Du point de vue des techniques microsociologiques toujours, on peut encore relever chez Moreno deux idées
celle d'organiser des expérimentations sociologiques proprement dites, en créant, comme en physique, des
dispositifs expérimentaux artificiels ;
celle selon laquelle, dans ces expérimentations sociologiques, les enquêteurs doivent devenir, non seulement
des observateurs-participants, mais également des acteurs-participants.
La microsociologie morenienne s'est définie progressivement comme une étude consacrée uniquement à des
formes sociales de dimensions restreintes.
Les écrits de Moreno ont influencé fortement la première vague de la psychothérapie institutionnelle française.
L'idée morénienne d'une "révolution sociométrique", a fortement marqué certains courants de la pensée politique
française de la même époque : elle a convergé avec la conviction selon laquelle un changement révolutionnaire de
la société - une "révolution sociométrique" pour parler comme Moreno, - devrait se faire à partir des petits groupes.