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CHAPITRE 8
UNE ANALYSE DE SYNTHÈSE
Les chapitres précédents ont permis de mieux saisir les diverses dimensions des
représentations collectives concernant la délinquance et la justice pénale. Il s’agit maintenant
de voir si ces dimensions peuvent être réunies dans une analyse globale qui permettrait de
caractériser d’un trait les mentalités contemporaines en la matière. Bien entendu, une telle
démarche fait perdre le détail des résultats entrevus jusqu’ici. D’un autre côté, sa généralité
permet des comparaisons intéressantes, en particulier avec les types que nous avons dégagés
dans nos recherches portant sur la justice distributive. Ayant défini tout au long des pages qui
précèdent les principales manières de voir le juste dans le cadre de la peine, il s’agit
maintenant d’évaluer si ces conceptions s’approchent de celles mises au jour pour la justice
distributive.
La démarche que nous avons suivie s’inscrit dans la continuité des analyses présentées
jusqu’ici : nous avons d’abord fait une analyse des correspondances, complétée par une
analyse de classification. Il y a cependant une différence importante par rapport aux analyses
précédentes. Dans le cas présent, l’analyse a été faite sur les principaux types présentés dans
les différents chapitres, et non sur les questions posées aux répondants. On s’est donc en
quelque sorte élevé d’un niveau, en cherchant à voir comment ces «résumés» que sont les
types, s’associent les uns aux autres. L’analyse de classification a permis ensuite de construire
une nouvelle typologie, «résumé des résumés» ou «typologie des types». Cette réduction de la
complexité par paliers successifs offre l’intérêt de nous permettre de considérer le problème à
différents niveaux d’abstraction. Ainsi, ce que l’on perd en considérant la typologie globale,
on peut toujours le recouvrer en considérant les typologies spécifiques. De même, chaque
typologie spécifique prend un sens supplémentaire quand on la réfère au type global qui la
contient.
Les typologies retenues pour constituer la typologie globale ont trait aux quatre champs
analysés. En ce qui concerne les connaissances de la délinquance et de la criminalité, ce sont :
le sentiment d’insécurité (question 1), la perception de l'évolution de la criminalité (question
2), la perception du risque personnel de victimisation (question 3), les causes de la
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délinquance (question 5), la perception des populations délinquantes (question 6), la
caractérisation des délinquants (question 7) et la perception de l'activité des tribunaux
(question 4). Dans le domaine des objectifs assignés à la peine, il s'agit de la typologie des
finalités de la peine (question 8). Pour le secteur de l'adéquation entre le délit et la peine, nous
avons retenu les deux indices de sévérité (délits de faible gravité question 12 -, délits graves
et crimes question 13), les caractéristiques de l'accusé (question 9) et les caractéristiques de
la victime (question 10) de même que la typologie sur la proportionnalité (question 14). Enfin,
la typologie globale inclut les résultats de l'analyse de classification sur les acteurs de la
décision de justice (question 16).
Axes généraux
Un examen attentif des résultats de l’analyse des correspondances a permis la mise en
lumière de deux logiques structurantes, correspondant aux deux premiers axes produits par
cette analyse. Les autres axes ne présentent pas de résultats à la fois généraux et intelligibles.
De ce fait, ils ont été écartés de la description.
Le premier axe distingue très clairement une conception positive de la situation, sur sa
gauche, à une vision très négative des choses, sur sa droite. On trouve en effet sur la gauche
tous les indicateurs d’une perception assez optimiste en matière de délinquance: les risques et
le sentiment d’insécurité personnelle sont faibles et l’évolution de la délinquance n’est pas
catastrophique. Ce sont les facteurs psycho-sociaux (l’histoire de vie du délinquant) que l’on
met en avant pour fixer la juste peine, qui est essentiellement considérée dans un but
prospectif: réintégrer le délinquant dans la société, ramener dans le troupeau la brebis égarée.
De ce fait, le degré de punitivité des peines est faible.
Au contraire, la vision pessimiste, négative, bien mise en évidence par le côté droit du
premier axe, est associée au maximum de punitivité. Le sentiment d’insécurité personnelle y
est très fort, tout comme l’idée d’une dégradation sensible de la situation dans les dernières
années. On met alors en avant la victime et le jury comme acteurs essentiels de la fixation de
la peine.
Le second axe de l’analyse des correspondances est très clair lui aussi. Il fait une
distinction entre des visions de la peine essentiellement fondées sur l’idée de restitution à un
auteur d’infractions pleinement responsable de ses actes et non déterminé par son statut (en
dessous de l'abscisse), et des perceptions d’auteurs d’infractions considérés comme des êtres
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surdéterminés par leurs insertions sociales (en dessus de l'abscisse)1. Cette distinction prend
d’ailleurs une coloration très différente selon que l’on se situe sur la droite ou sur la gauche du
graphique, par rapport à l'ordonnée. Ainsi, la sensibilité aux statuts met en avant l’histoire
psychique et l’enfance difficile sur la gauche, alors qu’elle se centre sur les appartenances
(étrangers, hommes, drogués, etc.) sur la droite. De même, la restitution concerne des
délinquants considérés comme rationnels (le crime rapporte) et profitant de la démission des
institutions sur la droite du premier axe2, alors qu’elle voit plutôt les délinquants comme
victimes de leur propre faiblesse sur la gauche.
1 Cette interprétation repose sur la prépondérance attachée à la nature des facteurs utilisés dans l'explication de
l'acte déviant. En dessous de l'abscisse on a clairement affaire à des facteurs endogènes : l'homme est libre de ses
actes et autonome. Ses propres lois le régissent. En dessus de l'abscisse on est beaucoup plus proche de facteurs
exogènes : l'homme est conditionné par son histoire et l'environnement dans lequel il évolue. Il est régit par son
contexte.
2 A nouveau, l’orientation des axes est totalement arbitraire et ne doit pas être interprétée en termes d’affiliation
politique de droite ou de gauche.
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Graphique 8.1 : Les différentes philosophies de justice
Légende : Punitivité : -- minimum, - faible, + forte, ++ très forte
Evolution délits : -- faible, - moyenne, + forte, ++ très forte
Risque : -- faible, - moyen, + fort, ++ très fort
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Le premier axe distingue donc clairement des représentations de la justice pénale fondées
sur un certain finalisme, un providentialisme, qui regarde l’avenir du délinquant davantage
que sa faute, et dont la visée ultime est le pardon et la réinsertion dans la grande communauté
humaine, et des représentations qui se centrent sur l’acte commis, la faute, pour lesquels le
délinquant doit absolument payer. Cet axe propose donc avant tout une morale construite
autour de la faute : faut-il la considérer comme primordiale, imprescriptible, dans le jugement
de justice, ou, au contraire, le pardon et l’avenir du délinquant sont-ils des principes sacrés ?
Y a-t-il avant tout, en d’autres termes, un homme qu’il faut sauver ou une faute qu’il faut
punir ?
Sur le second axe s’opposent des visions de la condition humaine radicalement
différentes. L’homme est-il par essence «ce qu’il fait» ou «d’où il vient» ? Est-il libre et donc
responsable ou au contraire prisonnier de son contexte : de sa famille, de sa communauté,
voire de son propre parcours ? Est-il d’abord Jean ou le fils de Paul ?
Ces deux dimensions morales, celle de la faute et celle de la condition humaine, ne se
confondent pas. Ainsi, l’analyse des correspondances suggère que l’on peut à la fois croire au
contexte et vouloir que le délinquant paie pour ses fautes complètement, sans pardon ni
remise. De même, on peut, en théorie au moins, considérer le délinquant comme un être libre,
responsable de ses actes, et avoir pour but essentiel, voire unique, de le réintégrer dans la
fraternité des hommes. La question se pose alors de savoir quels grands profils l’on peut
dégager de ces axes. L’analyse de classification apporte une réponse à la question, en mettant
en lumière trois grandes manières de penser la peine. Le tableau 8.1 présente les distributions
des variables constitutives des trois types.
Trois philosophies de justice
Le type prospectivisme (48%) est paradigmatique de cette volonté de se servir de la faute
pour sauver l’homme. Cette volonté se fonde sur une vision optimiste de la société, qui n’est
pas irrémédiablement marquée par le crime, mais qui s’identifierait plutôt à un havre de paix.
Elle considère le délinquant comme une victime de son parcours, de son enfance, de sa
psychologie, et, en cela, elle penche plutôt du côté de la vision contextualiste de la condition
humaine.
Dans cette manière de penser la justice pénale, l'insécurité n'existe pas et la menace sociale
que constitue la délinquance comme la menace personnelle que constitue le risque d'être
cambriolé, agressé ou encore escroqué sont évaluées comme peu inquiétantes : des délits sont
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