La prévention du crime sous tous ses angles! Par René-André Brisebois, M.Sc. Criminologie Coordonnateur du RÉSAL Centre d’expertise | Délinquance et troubles de comportement du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal Installation - Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire Bulletin numéro 8 du Réseau d’échange et de soutien aux actions locales Février 2016 Ce bulletin est produit par le Centre d’expertise|Déliquance et troubles de comportement Prévenir le crime : acteurs et cibles d’intervention B ien des actions peuvent être considérées comme préventives, mais la question la plus importante à se poser est : en prévention de quoi? Prévenir la délinquance est une chose, prévenir la victimisation en est une autre. Il en est de même pour la question de prévenir l’adhésion aux gangs de rue. Toutefois, certaines actions doivent être déployées dans une collectivité qui souhaite prévenir de telles problématiques. Ce type d’initiative doit généralement s’adresser au sentiment d’insécurité de la population, car des citoyens qui ont peur sont des citoyens qui s’isolent, créant ainsi d’autres problématiques tel l’isolement social. Les lieux publics Une collectivité en santé en est une qui sait organiser la vie de quartier en offrant une panoplie d’activités aux jeunes et aux moins jeunes. C’est aussi une collectivité qui sait entretenir ses lieux publics pour que les citoyens se sentent fiers de leur quartier. Généralement, le fait d’offrir des activités dans des endroits publics, tels les parcs, permet aux citoyens de s’approprier ou de se réapproprier leur quartier. En occupant ces lieux et en s’assurant de bien les entretenir, on s’assure par le fait même de créer un sentiment d’appartenance à sa communauté. Cela peut avoir un effet protecteur pour certains jeunes et leur famille, sans compter qu’on s’adresse directement au sentiment d’insécurité de la population. Très peu d’évaluations permettent de conclure avec certitude que de tels types d’activités préviennent la délinquance et la victimisation, mais chose certaine, cela permet de s’adresser directement à des facteurs de risque présents dans les collectivités où la délinquance et la victimisation sont choses fréquentes. En résumé, nettoyer les parcs, s’approprier les espaces publics et organiser des activités dans le quartier permet d’améliorer le sentiment de sécurité des citoyens en plus de tisser des liens d’attachement à sa communauté, brisant ainsi l’isolement social. L’école La grande majorité des élèves du Québec disent se sentir en sécurité dans leur école et ont une perception positive du climat. Les écoles où les élèves perçoivent une plus grande équité et estiment que les règles sont claires présentent moins de délinquance et de victimisation. Les acteurs d’une école aux prises avec des problèmes de délinquance et de certaines formes de violence (ex. : menaces, taxage, bagarres) pourraient avoir le réflexe de se réfugier derrière des éléments sécuritaires tels des caméras de surveillance, des détecteurs de métal et la présence d’autopatrouille aux abords de l’école. Généralement, ces moyens ont l’effet contraire à ce qui est escompté. Ce sont des dispositifs qui sèment davantage le doute et la peur quant au climat sécuritaire à l’école. Sans compter que ce sont des moyens qui donnent plutôt l’illusion d’une sécurité, avec pour effet inévitable de déplacer le problème. Ainsi, les jeunes qui fréquentent l’école, et même ceux qui ne la fréquentent pas, trouveront d’autres endroits pour faire leurs activités illicites ou leurs actes de violence. Pour s’adresser véritablement à cette réalité, il importe que les élèves développent un sentiment d’appartenance (engagement/attachement) à leur école, qu’ils s’y sentent importants, respectés, protégés et appréciés. Pour ce faire, il importe de créer un climat bienveillant au sein de l’école et des relations positives entre les élèves et les adultes. Les élèves qui fréquentent des établissements scolaires, où le personnel professionnel et enseignant est près d’eux, s’intéresse à eux et communique avec eux, sont plus susceptibles de mettre en place des mesures de soutien et d’appliquer des mesures disciplinaires de manière efficace lorsque nécessaires. Mais dans les écoles où ce lien est peu observable, l’application de telles mesures peut s’avérer davantage complexe et surtout, peut venir envenimer davantage le climat à l’intérieur des murs de l’école. La clé du succès : s’assurer d’aller vers les élèves et de créer un lien de confiance avec eux. Ainsi, ils se sentiront davantage appréciés, compris et surtout, cela risque d’avoir un effet concret sur le climat sécuritaire de l’école qui, rappelons-le, est essentiel à toute forme d’apprentissage. Pour plus de renseignements concernant cette publication ou émettre des commentaires, visitez le site Internet du Résal au http://cedtc.cjm-iu.qc.ca/Fr/resal/ LE BULLETIN DU RÉSAL février 2016 La prévention du crime sous tous ses angles! Le travail policier L es stratégies répressives sont incontournables en liens de confiance avec ses citoyens et travaille avec des prévention de la criminalité, car elles permettent de partenaires dans un souci de protection durable de la société. neutraliser les auteurs de délits. Toutefois, dans une réelle optique de prévention de la criminalité, la neutralisation n’est qu’une des étapes nécessaires. Une fois cette neutralisation Page 2 Les jeunes à risque Dans une perspective de bien-être collectif, tous les jeunes faite, des alliances doivent être établies avec des acteurs de la d’un quartier doivent être ciblés par des actions préventives, communauté qui, pour leur part, pourront déployer des axées sur le développement communautaire. Cependant, si initiatives pour aider et soutenir ces individus dans une nous démarche de réinsertion sociale à plus long terme. Ici on problématique de délinquance et de victimisation, il importe, pense, par exemple, à des organismes de travail de rue qui dans un premier temps, de bien cibler notre clientèle à pourront aider et accompagner ces jeunes dès leur retour dans desservir. Les jeunes les plus à risque de développer des leur milieu de vie, c’est-à-dire leur quartier. De plus, les comportements délinquants et criminels sont ceux chez qui on initiatives les plus probantes pour le travail policier sont celles dénote des problèmes dans leurs différentes facettes de vie. qui s’appuient sur une «police de proximité», c’est-à-dire un Par exemple, un jeune dont la famille est dysfonctionnelle, où travail policier qui axe davantage ses interventions sur la l’école est une source de frustrations pour lui, que les pairs création de liens avec les citoyens de la communauté et qui prosociaux rejettent en raison de son tempérament trop profitent de ces liens pour instaurer une image positive de la colérique et dont le quartier est fortement criminalisé se voit police. Il s’agit, en retour, d’une initiative gagnante puisque les grandement fragilisé, car toutes les dimensions de sa vie sont citoyens satisfaits seront davantage enclins à dénoncer des atteintes par des difficultés. Ainsi, en ciblant les jeunes vivant situations problématiques et à recourir à la police en cas de un cumul de facteurs de risque, et encore plus ceux dont les besoin. Une autre stratégie efficace est celle de la «police différentes facettes de vie sont touchées par ces facteurs de orientée vers la recherche de solution», soit un travail policier risque, on identifie la clientèle la plus vulnérable à choisir la qui consiste à s’attarder à des problématiques criminelles qui délinquance comme mode de vie ou stratégie d’adaptation. sont devenues préoccupantes, à en chercher les causes, à Une fois la bonne clientèle ciblée, il faut penser aux actions. recenser les bonnes pratiques sur le sujet et à appliquer la Bien entendu, il importe de leur offrir des activités récréatives, stratégie la plus adaptée pour résoudre le problème. Toutes des perspectives d’employabilité, un accompagnement dans ces initiatives sont considérées comme efficaces au plan du leurs démarches visant à régler leurs démêlés avec la justice, travail policier. D’autres actions doivent être sérieusement etc. Certainement, tout cela est crucial… mais ce qui l’est envisagées si un service de police ne souhaite pas envenimer encore plus est de s’adresser aux croyances et attitudes qui une situation déjà tendue dans un quartier. Par exemple, des entretiennent contrôles et des interpellations aléatoires (fait au hasard), délinquants. Offrir une activité récréative à un jeune en basés sur un «profilage» racial et économique d’individus, sont difficulté c’est bien, mais que faire lorsque celui-ci en vient des pratiques susceptibles de générer des tensions et des qu’à se battre avec un autre jeune de l’activité? Et offrir un conflits importants au sein d’une collectivité. Ce traitement emploi à un jeune en difficulté, c’est bien, mais qu’arrivera-t-il sera effectivement considéré tant injuste qu’injustifié. Les lorsque son patron lui exigera une tâche dont il n’a vraiment contrôles et interpellations efficaces sont effectués auprès des pas le goût d’accomplir? Bref, s’adresser aux pensées ou aux contrevenants à haut risque, en suivi probatoire, et auprès des attitudes qui soutiennent leurs comportements permet de individus qui sont recherchés pour la commission d’un délit. recadrer certaines croyances ou idées qui, ultimement, Bref, une pratique policière reconnue comme efficace est celle pourront avoir un impact réel sur leurs choix de vie et qui recherche des solutions probantes aux problèmes, crée des comportements futurs. souhaitons nous adresser directement à la leurs comportements problématiques ou LE BULLETIN DU RÉSAL février 2016 Prévenir le crime : trois dimensions à considérer pour ces jeunes dit «en difficulté» afin de répondre à leurs besoins Il faut savoir qu’il existe trois cibles concrètes pour prévenir le crime : d’avoir du personnel apte à intervenir lors d’une situation de conflit, le contrevenant, la victime et la situation. Concernant les d’insultes ou de violence permet plus concrètement le travail de contrevenants, il importe de souligner qu’une minorité d’individus prévention. Ainsi, on peut prévenir l’escalade des conflits et se créer sont responsables d’une majorité de délits. Ainsi, les contrevenants à une opportunité de travailler la gestion de la colère ou la résolution haut risque et les jeunes à risque de le devenir doivent être des cibles des conflits. En offrant les bons services aux bons clients, on est en de choix dans le développement des projets de prévention. La mesure d’agir de manière plus ciblée et préventive. deuxième cible, soit la victime, suit également cette même logique puisqu’une minorité d’individus subissent des victimisations répétées. Et dans le même sens que les contrevenants, il importe de s’adresser aux victimes potentielles en leur offrant service et soutien, mais également des moyens d’éviter une éventuelle victimisation. Enfin en ce qui a trait à la troisième cible, elle consiste à agir sur une situation propice à la commission d’un délit. Par exemple, en venant changer les configurations d’endroits mal éclairés ou encore isolés et sans issues de secours, on agit sur les lieux les plus propices à la commission des délits. Bref, c’est en travaillant à la fois sur les contrevenants, les victimes et les situations propices au crime qu’il est réellement possible de faire des actions qui auront une portée sur la criminalité dans un lieu donné. réels. Par exemple, organiser un tournoi de basketball peut être une excellente initiative, mais en soi, il ne s’agit pas de prévention. Le fait En prévention tertiaire, on cible spécifiquement les jeunes qui sont déjà impliqués dans une criminalité ou des activités de gangs de rue, ou qui en ont été victime. Le but de cette prévention est d’éviter la commission d’autres délits, aussi appelé la prévention de la récidive ou de la revictimisation. Ainsi, en offrant une qualité de traitement et d’intervention aux «agresseurs» et des stratégies de protection aux «victimes», il est possible d’avoir un impact sur l’éventuelle commission de délits et conséquemment, offrir aux citoyens un sentiment de sécurité et de protection. On parle ici de «protection durable de la population», en ce sens que si le jeune contrevenant change son mode de vie et sa façon de penser, il pourra éviter de récidiver et conséquemment, la population s’en sentira plus sécurisée. Les types de prévention : primaire, secondaire et tertiaire Ces trois types de prévention, pour être plus efficaces, doivent être Il est possible de penser à la prévention du crime selon trois types de auprès des individus déjà aux prises avec une problématique, que nos prévention, soit primaire, secondaire et tertiaire. En prévention actions peuvent avoir une portée plus grande. Et pour ce faire, il primaire, on sensibilise et on informe la population entière sur la importe de travailler autour d’actions concertées qui interpellent délinquance et la criminalité. On peut offrir aux citoyens des conseils tous les acteurs clés de la communauté (scolaire, municipal, ou astuces afin d’éviter d’être victime d’un acte criminel ou de savoir organisme communautaire, centre jeunesse, policier, citoyen, etc.) comment réagir si un tel événement survient. On peut aussi offrir des pouvant s’assurer de mieux répondre aux besoins des citoyens d’un activités sportives, artistiques ou récréatives à l’ensemble des quartier. intégrés à un continuum de services. C’est en agissant en amont du problème, auprès de populations ciblées, et en agissant en aval, citoyens, ou aux jeunes du quartier, de sorte à créer le tissu social nécessaire afin d’éviter la commission de délits. Que ce soit en prévenant l’occurrence du crime ou en prévenant l’occurrence de la victimisation, on assure une meilleure sécurité globale aux citoyens. En prévention secondaire, on cible une population particulière soit celle susceptible de commettre, d’être victime ou d’être témoin de crimes et de s’associer à des activités de gangs. L’exercice d’identifier les populations à risque devient alors crucial pour leur offrir des services adaptés à leurs besoins. Que ce soit à travers des apprentissages d’habiletés sociales et interpersonnelles, une offre de formation académique ou professionnelle ou à travers l’offre Sources : Howell, J. C. (2010). Gang Prevention: An Overview of Research and Programs. Juvenile Justice Bulletin. Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention. Waller, I. (2013). Smarter crime control: a guide to a safer future for citizens, communities, and politicians. Rowman & Littlefield. Gottfredson, D., MacKenzie, D., Eck, J., Reuter, P., & Bushway, S. (1997). Preventing crime: What works, what doesn't, what's promising: A report to the United States Congress. Washington, DC: US Department of Justice, Office of Justice Programs. d’activités récréatives structurées (ex. : ligue de sports), on cherche à cibler les jeunes ayant le plus de besoins entourant les enjeux de sécurité. Cibler n’est pas synonyme de stigmatiser, autrement dit, offrir des services à des jeunes en difficulté ne veut pas dire qu’on exclut tous les autres jeunes de nos activités et qu’on accole une étiquette à nos jeunes présentant plus de vulnérabilités. Ce que cela signifie, c’est que notre activité doit comporter un volet spécifique LE BULLETIN DU RÉSAL février 2016 Page 3