Rémi Labed Séance 2 : La construction de l’objet Jean Claude Chamboredon, « La délinquance juvénile, essai de construction d’objet » Revue Française de sociologie, 1971. J-C. Chamboredon : Proche collaborateur de P. Bourdieu (Le Métier de sociologue, 1967) de qui il s’éloigne en 1981. A travaillé avec Robert Castel. Enseignant à l’ENS, membre du centre de Sociologie Européenne. Revue française de sociologie : revue trimestrielle fondée en 1970 par Jean Stoetzel (normalien, chercheur à l’INED, fondateur de l’IFOP dont il démissionne en 1979, première chaire de sociologie à la Sorbonne pendant 23 ans). THESE : La délinquance juvénile est un objet pré-construit, dont l’unité substantive ne reflète pas nécessairement une unité de substance. L’analyse de construction sociale de cet objet est un préalable nécessaire son étude sociologique. Rompre avec l’étiologie commune Nécessité de comparer le comparable Rapporter les stats des jeunes délinquants aux stats des jeunes de la même commune, pas à celles de tous les jeunes. Rompre avec l’analyse fonctionnaliste traditionnelle Fondée sur l’image du choix moral rationnel, déterminé par les chances de réussite dans les voies légitimes et le degré d’intériorisation des buts légitimes. Une seule délinquance ? C- : surreprésentés dans la population délinquante, + %vols, + d’actes collectifs, âge + étalé, délinquance endémique, conséquence des conditions de vie et de loisirs + que d’une crise d’éducation. C moy. et + : délinquance anomique concentrée sur l’âge de la « crise d’adolescence ». L’anomie familiale, cause première ? Chiffres de l’anomie familiale pas supérieurs chez les délinquants d’une classe sociale par rapport à la population de la même commune. C- : Part de récidivistes et de précoces + grandes parmi les sujets issus de ménages ordinaires. Rôle privilégié de la désunion familiale observable seulement chez les Cmoy. Anomie familiale est une caractéristique générale des C-, surreprésentés dans la population délinquante, pas un facteur explicatif de la délinquance juvénile. Rompre avec l’hypothèse implicite d’une socialisation uniforme. ≠ des formes de socialisation explique la précocité des jeunes des classes populaires. Définition ≠ des âges car différences dans l’éducation (plus de régulation et de contrôle des conduites dans les C+), les cursus scolaires, l’âge d’entrée au travail. La construction de la délinquance : un processus de sélection Influence du contexte et de la composition de la population Les taux de délinquance culminent dans les zones où l’hétérogénéité sociale est la plus forte. Grand ensemble vs. Reste de la commune. Le groupe en position dominante peut imposer ses normes comme référence commune. Rôle et importance de l’éthos de classe Tous les comportements contraires à la loi ne sont pas signalés (tolérance de certaines classes, habitudes de police). Un comportement doit susciter le scandale pour que la police intervienne (réaction du sous-groupe nécessaire). La police recueille un jugement collectif, occasion d’une confrontation des morales de classe. Chaque classe définit les limites du licite et de l’illicite (ex : bagarre nécessaire ou coups et blessures ?). Préjugés renforcent l’attention sur des groupes particuliers + de chance que leurs délits soit reportés. Rapports entre les classes influe sur le choix du mode de résolution des conflits (processus informel ou recours aux institutions spécialisées). Les C+ disposent de + de cercles de socialisation préalables, médiations avant l’entrée dans le domaine public. Ce n’est pas le cas des C-. Rôle des agents et des institutions de détection et de traitement de la délinquance. Police occupe une place importante : intervient en 1ère, décide de donner suite juridique ou non. Elle retient des comportements isolés et abstraits de leur signification à l’intérieur du groupe de référence, les rendant disponibles pour une autre interprétation (cf. terminologie policière). + Construction d’un jugement total sur le délinquant, faisant intervenir des jugements moraux liés à l’éthos de classe. L’enquête définit un « caractère psychologique » du délinquant plutôt que des comportements (influence de la vulgate psychologique, surinterprétation moralisante). Récriture de l’histoire personnelle comme menant inéluctablement à l’acte délictueux. L’interprétation substantialiste répond à une nécessité sociale. La caractérisation de la délinquance comme naturelle et dotée d’essence permet à la société de justifier ses lois comme nécessaires et naturelles. Le traitement de la délinquance est un effort d’inculquer ou d’imposer la vision dite objective de l’institution sur l’acte considéré comme délictueux. Les institutions imposent aux délinquants une image d’eux-mêmes qui, en raison de leur âge, a de fortes chances de les marquer profondément. Disparités selon les classes sociales et leurs capitaux culturel, juridique et économique quant à la possibilité de refuser ou relativiser la vision de l’institution.