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« C’est moi qui souffre disons-nous, moi qui me plains, moi qui espère. Il est
vrai que cette attribution n’est pas absolument caractéristique des phénomènes
mentaux, car il nous arrive de mettre une partie de notre moi dans des objets
matériels, comme notre corps, et même dans des objets séparés de notre corps, et
dont la seule relation avec nous est celle d’une propriété juridique. Il faut se garder
contre cette erreur assez fréquente d’identifier le moi et le psychique ». (Binet, 1905,
p. 90)
De même, sur la question de l’intelligence, Zazzo note combien Binet va progresser. Dans
l’article de 1905 où Binet présente pour la première fois les principes de son test, Zazzo
retient : « L’organe fondamental de l’intelligence c’est le jugement, autrement dit le bon sens,
le sens pratique, l’initiative, la faculté de s’adapter ». Dans Les idées modernes sur les
enfants, il nous montre combien la terminologie est différente : « Compréhension, invention,
direction et censure : l’intelligence tient dans ces quatre mots ». La censure consiste en ce
que, en tout travail intellectuel, « les idées soient jugées à mesure qu’elles se produisent, et
rejetées si elles ne conviennent pas à la fin poursuivie » (Zazzo, 1993). Où l’on voit
néanmoins toujours le jugement, cette dimension hautement subjective, rester, au risque du
désir, point de résistance à la « scientifisation ».
Nous pouvons rappeler que dès les années 90, des chercheurs proposaient une certaine
prudence.
« Par « fonctions cognitives » nous entendons un conglomérat d’entités plus ou
moins hypothétiques, psychiques et comportementales, qui ont reçu des appellations
et des définitions fort différentes. Elles ont cependant toutes quelque chose en
commun, à savoir qu’elles renvoient d’une façon ou d’une autre a l’intelligence, aux
aptitudes, à la connaissance, aux facultés, etc., ainsi qu’aux instruments
hypothétiques dont se servent ces instances du psychisme ». (Chatelanat, Droz,
1990)
Peut-on penser que notre modernité a permis de surmonter le problème comme le laisse
supposer Andrieu ?
« Or, ne disposant pas de science de synthèse, comme aujourd’hui les sciences
cognitives pour les psychologues,… Entre deux siècles, A. Binet reste exemplaire
d’un de ces travaux de transition, de passage, de sélection et de fondation qui aura
été nécessaire pour fonder le XXe siècle ». (Andrieu, 2001, p. 102-103)
Né formellement au détour de l’année 1956 de la rencontre entre des promoteurs de
l’intelligence artificielle, des informaticiens, mathématiciens, économistes, linguistes et des
psychologues ; les sciences cognitives ont souhaité poursuivre la voie ouverte par les
comportementalistes vers une « scientifisation » de la psychologie, tout en ne reculant pas à
interroger la construction même de la pensée. Patrick Lemaire présente ainsi la psychologie
cognitive comme « l’étude scientifique de la pensée humaine » (Lemaire, p. 12).
La question se reformule alors d’une définition de l’esprit humain qui pourrait s’écrire et
s’étudier comme tout autre objet scientifique. Il s’agit d’étudier les grandes fonctions, la
mémoire, l’intelligence (à travers l’étude du raisonnement et de la résolution de problèmes),
la perception, ainsi que ces éléments plus problématiques que sont le langage, la perception
ou l’attention. Ces dernières années sont venues au premier plan les questions de l’affectivité
et de l’émotion, alors même que leurs conceptions avaient du mal à s’équivaloir avec celle de
l’intelligence. Nous retrouvons là les questions posées par Binet.