Revue généraliste des travaux de recherches en éducation et en

Revue généraliste des travaux de recherches en
éducation et en formation
CENTENAIRE MORT DE BINET
Binet, entre la psychologie cognitive et la psychanalyse
GROLLIER Michel
Numéro 5 Année 2011
pp.181-192
ISSN Format électronique : 1760-7760
© Recherches et Educations . Tous droits réservé.
Paris- France- 2013
PERMALIEN
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POUR CITER CET ARTICLE
GROLLIER Michel, « Binet, entre la psychologie cognitive et la psychanalyse »,
Recherches & Educations, n°5, octobre 2011, pp. 181-192, [en ligne],
http://rechercheseducations.revues.org/834 (consulté le ...)
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Numéro 5 Octobre 2011
Binet, entre la psychologie cognitive et la psychanalyse.
Michel Grollier,
Maître de Conférences en Psychologie, UEB Rennes 2.
pp. 181-192
Intelligence, esprit et émotion
Il peut paraître paradoxal d’évoquer la psychologie cognitive concernant Binet. Pourtant la
psychologie, après quelques hésitations, se scinde désormais en grande partie entre ces deux
pôles que sont cognition et psychanalyse. Concernant cette dernière, nous savons que Binet
s’y intéressa et se demandait même si elle n’était pas susceptible d’apporter le nouveau
nécessaire à l’épanouissement de la psychologie. Mais nous verrons aussi que bien des
questions que pense résoudre la psychologie cognitive moderne ont été posées par Binet et
que, à ces formulations, la cognition ne répond pas toujours.
Restant dans la ligne de Ribot, Binet écrit dès 1892 :
« Ce qu’il faut principalement retenir de tout ceci, c’est que ce que nous
appelons notre esprit, notre intelligence est un groupement d’évènements internes
extrêmement nombreux et variés, et que l’unité de notre être psychique ne doit pas
être cherchée ailleurs que dans l’agencement, la synthèse, en un mot la coordination
de tous ces évènements » (Binet, 1892, p. 317)
Ce qu’il propose donc de retenir comme personnalité est une résultante, un groupement de
plusieurs éléments, dont tous ne lui paraissent pas analysables au même niveau. Ce qui
évidemment semble étrange à notre modernité cognitive. De même que l’idée de faire de la
psychologie de Binet une psychogénétique, comme le proposait Larguier, peut étonner.
« La psychologie individuelle de Binet reste donc descriptive des états mentaux,
tandis que le constructivime de la psychogenèse prétend expliquer la production des
états mentaux ». (Andrieu, 2001, p. 105)
Et en effet, sur la question de la cause, Binet reste en retrait, voire éminemment critique
envers ceux qui se précipitent à proposer des réponses. Il n’hésite pas ainsi autant à critiquer
la psychologie de Wundt que l’associationnisme de Ebbinghauss.
« Décrire l’homme mental exigeait de fonder la psychologie en dehors du
modèle physiologique strict de la psychologie scientifique allemande, sans pour
autant renoncer à la correspondance entre le corps et l’esprit. » (Andrieu, 2001,
p. 102)
Sa proposition, dans sa conclusion de son travail sur l’âme et le corps, se présente ainsi : si
la pensée a besoin du corps pour se constituer et se stocker, le corps n’est pas le propre et
l’essence de la pensée ! Un constat qui, sans proposer de réponses causales, évite au
raisonnement de se fourvoyer.
C’est autour de la question des émotions et plus particulièrement alors de ce qu’il repère
comme « moi » que Binet anticipe la critique.
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« C’est moi qui souffre disons-nous, moi qui me plains, moi qui espère. Il est
vrai que cette attribution n’est pas absolument caractéristique des phénomènes
mentaux, car il nous arrive de mettre une partie de notre moi dans des objets
matériels, comme notre corps, et même dans des objets séparés de notre corps, et
dont la seule relation avec nous est celle d’une propriété juridique. Il faut se garder
contre cette erreur assez fréquente d’identifier le moi et le psychique ». (Binet, 1905,
p. 90)
De même, sur la question de l’intelligence, Zazzo note combien Binet va progresser. Dans
l’article de 1905 Binet présente pour la première fois les principes de son test, Zazzo
retient : « L’organe fondamental de l’intelligence c’est le jugement, autrement dit le bon sens,
le sens pratique, l’initiative, la faculté de s’adapter ». Dans Les idées modernes sur les
enfants, il nous montre combien la terminologie est différente : « Compréhension, invention,
direction et censure : l’intelligence tient dans ces quatre mots ». La censure consiste en ce
que, en tout travail intellectuel, « les idées soient jugées à mesure qu’elles se produisent, et
rejetées si elles ne conviennent pas à la fin poursuivie » (Zazzo, 1993). l’on voit
néanmoins toujours le jugement, cette dimension hautement subjective, rester, au risque du
désir, point de résistance à la « scientifisation ».
Nous pouvons rappeler que dès les années 90, des chercheurs proposaient une certaine
prudence.
« Par « fonctions cognitives » nous entendons un conglomérat d’entités plus ou
moins hypothétiques, psychiques et comportementales, qui ont reçu des appellations
et des définitions fort différentes. Elles ont cependant toutes quelque chose en
commun, à savoir qu’elles renvoient d’une façon ou d’une autre a l’intelligence, aux
aptitudes, à la connaissance, aux facultés, etc., ainsi qu’aux instruments
hypothétiques dont se servent ces instances du psychisme ». (Chatelanat, Droz,
1990)
Peut-on penser que notre modernité a permis de surmonter le problème comme le laisse
supposer Andrieu ?
« Or, ne disposant pas de science de synthèse, comme aujourd’hui les sciences
cognitives pour les psychologues,… Entre deux siècles, A. Binet reste exemplaire
d’un de ces travaux de transition, de passage, de sélection et de fondation qui aura
été nécessaire pour fonder le XXe siècle ». (Andrieu, 2001, p. 102-103)
Né formellement au détour de l’année 1956 de la rencontre entre des promoteurs de
l’intelligence artificielle, des informaticiens, mathématiciens, économistes, linguistes et des
psychologues ; les sciences cognitives ont souhaité poursuivre la voie ouverte par les
comportementalistes vers une « scientifisation » de la psychologie, tout en ne reculant pas à
interroger la construction même de la pensée. Patrick Lemaire présente ainsi la psychologie
cognitive comme « l’étude scientifique de la pensée humaine » (Lemaire, p. 12).
La question se reformule alors d’une définition de l’esprit humain qui pourrait s’écrire et
s’étudier comme tout autre objet scientifique. Il s’agit d’étudier les grandes fonctions, la
mémoire, l’intelligence (à travers l’étude du raisonnement et de la résolution de problèmes),
la perception, ainsi que ces éléments plus problématiques que sont le langage, la perception
ou l’attention. Ces dernières années sont venues au premier plan les questions de l’affectivité
et de l’émotion, alors même que leurs conceptions avaient du mal à s’équivaloir avec celle de
l’intelligence. Nous retrouvons là les questions posées par Binet.
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Néanmoins il faut relativiser ce que le discours ambiant promet et ce que les chercheurs
approchent. Ainsi, les travaux contemporains nous illustrent désormais le décrochage entre la
reconnaissance des émotions et l’intelligence verbale, puisqu’à mesure équivalente, selon le
type de population typique et non typique, mais aussi entre type pathologique, les chercheurs
trouvent des écarts significatifs. (Lacroix et al, 2009 Lacroix et al, 2007).
Le développement du concept de cognition, qui désormais envahit tous les champs de la
psychologie (au point d’effacer quasiment la psychologie du développement), s’appuie sur
des conceptions scientifiques de cette intelligence, qui pose la question de ce dont il retourne.
Les concepts théoriques voire idéologique s’impose là, à l’encontre de la position de Binet qui
reste finalement, elle, plus scientifique. L’examen en psychologie cognitive pose ainsi de
nouvelles questions.
« Le but prioritaire de l’examen est de contribuer à résoudre les problèmes
rencontrés par l’individu. II s’ensuit que le choix des tests et leur mode de mise en
œuvre ne devraient pas être principalement déterminés par des considérations
scientifiques, méthodologiques ou épistémologiques ». (Chatelanat, Droz, 1990,
p. 97)
C’est le retour sous l’égide de la clinique du pragmatisme scientifique de Binet. De même
que dès la disparition de Binet, Larguier, son élève, rappelait qu’un des progrès qui se
déduisait de son travail est
« l’emploi d’une méthode nouvelle, qu’on peut appeler « psychogénique » et
qui consiste à mettre en série, dans l’ordre de leur développement, un certain
nombre de déficients, pour suivre, à travers cette série, l’évolution de telle ou telle
fonction ; d’autre part, ouvrant de nouvelles perspectives sur le mécanisme de la
pensée, elles viennent préciser les vues esquissées dans « L’étude expérimentale de
l’intelligence », à laquelle elles apportent un précieux complément ». (Larguier,
1911, p. 31)
La notion même d’intelligence serait ainsi pour Binet l’introduction à une psychologie du
développement dont la traduction en cognition peut ne pas paraître évidente. En 1989
d’ailleurs, Zazzo pouvait encore espérer
« …une mise à jour de questions négligées sinon oubliées sur la nature de
l’intelligence, sur ses fonctions et ses diversités, questions qui jusqu’à maintenant
échappent encore, me semble-t-il, à la vague, à la vogue du cognitivisme ». (Zazzo,
1989, p. 188)
Cette question reste une vraie question pour la psychologie contemporaine, qui implique
des problématiques théoriques et idéologiques primordiales. Evaluer est un maître mot de la
modernité, mais ce mot se réduit souvent à un classement, donc en ce qui concerne l’être
humain, à des critères dont la variabilité reste majeure. Binet de ce coté ne se trompait pas, lui
pour qui
« … le niveau n’est pas assimilable à un âge. Le niveau de 10 ans d’un enfant de
8 ans, par exemple, n’est pas forcément identique, qualitativement, à l’intelligence
d’un enfant ayant 10 ans d’âge. Alors il se contente de calculer des années de retard
ou d’avance. Il a déjà procédé ainsi quand, avec Vaney, il a établi ses épreuves
scolaires, ce qu’il appelle ses « barèmes d’instruction » » (Zazzo, 1989, p. 190)
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Si Binet introduisait des classements c’était surtout pour repérer ce qui invalidait à un
moment donné un sujet dans ses apprentissages, en lien avec son projet de classe de
perfectionnement. Avant d’instruire les enfants, donc de modifier l’impact des difficultés
rencontrées dans les apprentissages, il fallait les recruter. Comment reconnaître ceux qui sont
suspects d’arriération ? Binet, appelé à faire partie de la commission spéciale, s’avise que
seule l’observation directe de ce qui se manifeste de l’intelligence était capable de fournir des
renseignements tout à fait sûrs ; d’où l’échelle métrique ! Mais l’idée de formaliser cela par
un pas de plus, un pas d’inspiration mathématique a très vite hanté les chercheurs, et les
politiques. Et cela fait l’écart entre le souhait d’une psychologie individuelle telle que
souhaitée par Binet avec une psychologie de la mesure à dimension épidémiologique. La boîte
ouverte par Binet avec sa construction de l’échelle métrique va ainsi produire plus qu’il ne
supposait, et transformer le champ social avec la structuration du QI (Stern, Terman) et des
modélisations à suivre.
Si la nature même de l’intelligence reste pour Binet une interrogation, il reconnaissait que
l’intelligence qu’il mesurait répondait plus d’une demande scolaire que d’une nature. Les
différences individuelles prévalaient sur l’ordre général, témoignant ainsi de sa formation
clinique, acquise auprès de Charcot. Evaluer répondait plus à des critères de soutien et
d’accompagnement qu’a des critères de classement. Et sa conception de la mesure proposait
une échelle que chacun pouvait parcourir selon ses moyens.
Cela a des conséquences jusque dans les classifications de psychiatrie, le fameux DSM
(Diagnostic and Statistical Manual of mental disturb) reprenant la notion de « mental », tout
en disant qu’elle est peu satisfaisante, et qu’il est impossible de lui trouver une définition
pleinement cohérente et accepté de tous ; mais que le terme s’étant imposé, il est donc
conservé en attendant mieux
1
.
Psychisme et Langage, la question de la psychanalyse
A n’être pas citée dans bien des manuels de psychologie cognitive, la psychanalyse n’en
reste pas moins l’alternative centrale à cette option.
Ainsi les sciences cognitives cherchent à déterminer : Comment un système naturel
(humain ou animal) ou artificiel (robot) acquiert des informations sur le monde dans lequel il
se trouve. Comment ces informations sont représentées et transformées en connaissances.
Comment ces connaissances sont utilisées pour guider son attention et son comportement
(Lemaire, 2005, p. 13). Mettre l’information au centre de cette théorie de l’esprit est en effet
antinomique de l’option que propose la psychanalyse. Ça supposerait que l’information existe
avant sa saisie et donc que la nature consiste dans une organisation symbolique, redoutable
problème philosophique. Ce que Lemaire par exemple introduit comme complexité pour la
cognition, précisant que le système cognitif est un système symbolique actif et non un simple
système d’enregistrement (Lemaire, p. 42). Binet déjà avait saisi cette difficulté, encore
autour de la question des émotions. Il écrivait ainsi :
« …mais on reste perplexe, et on se demande si cette clarté de conception n’est
pas un peu artificielle, si l’affectivité, l’émotivité, l’effort, la tendance, la volonté, se
1
Je cite le DSM IV p. 28 « Aucune définition ne spécifie de façon adéquate les limites précises du concept
de "trouble mental" ». Le physique étant en cause, et « l'anachronisme réducteur du dualisme esprit-corps »
gênant, mental n'est plus adapté concluent les auteurs du DSM. Mais « malheureusement, le terme existe
toujours dans le titre du DSM-IV car nous ne lui avons pas trouvé de substitut satisfaisant ».
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