Traitement du diabète et cancer - International Diabetes Federation

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Pratique clinique
Traitement du diabète
et cancer : cinq ans
après l'annonce de
« nouvelles brûlantes »
Andrew Renehan
En juin 2009, la publication collective
Une des premières conséquences construc-
médicaments prescrits au fil du temps et, à
de quatre études épidémiologiques à
tives des événements de 2009 a été la ren-
défaut d'être prise en charge correctement, se
la pointe de l'actualité examinant les
contre de spécialistes en diabétologie et en
traduit par de fausses associations de risque
liens entre le traitement du diabète
cancérologie. Un des exemples visibles a été
dans le sens positif ou négatif.
et le cancer dans le même numéro de
la création du Diabetes and Cancer Research
la revue Diabetelogia a suscité un vif
Consortium, un groupe international de
émoi au sein de la communauté du diabète. Ces articles ont mis en lumière
le lien entre l'utilisation thérapeutique
d'insuline exogène et, en particulier,
de glargine (Lantus®), un analogue
d'insuline, et le développement ultérieur d'un cancer. Les quatre études
présentant des limites en termes de
conception, il s'est avéré impossible de
tirer des conclusions définitives. Si les
études ont dans un premier temps créé
la confusion au sein de la communauté
du diabète, des conséquences positives
n'ont cependant pas tardé à émerger.
En 2010, je suis revenu sur les deux
premières années de cette aventure
dans Diabetes Voice.1 Le présent article
me permettra de faire le point sur les
trois dernières années.
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DiabetesVoice
chercheurs qui examine principalement
des questions pharmaco-épidémiologiques,
mais a également pour objectif majeur de
développer et d'optimiser des approches méthodologiques en vue de s'attaquer aux liens
complexes entre le diabète, son traitement
et la cancer. Le groupe a publié deux documents-cadres : un sur l'incidence du cancer2
et l'autre sur la mortalité due au cancer.3
Deux caractéristiques analytiques impor-
Le Diabetes and Cancer
Research Consortium
développe et optimise
des approches
méthodologiques
en vue de s'attaquer
aux liens complexes
entre le diabète, son
traitement et le cancer.
tantes ont été mises en exergue : (1) la prise
Insuline glargine
en compte du « biais de temps de détection »
Après 2009, plusieurs études observation-
et (2) la configuration des données pour la
nelles se sont penchées sur le lien présumé
prise en compte des « expositions variables
entre l'insuline glargine et le risque de cancer,
dans le temps ». La première se traduit par
mais, dans l'ensemble (même avec des mé-
des associations de risque exagérées en rai-
thodologies robustes), aucune donnée con-
son de la cooccurrence temporelle du diag-
cluante n'a émergé. La publication de l'essai
nostic du diabète, ou du début du traitement,
ORIGIN en 2012 a toutefois permis de cla-
et du diagnostic du cancer. La deuxième
rifier la situation. Les chercheurs d'ORIGIN
fait référence aux variations réelles dans les
ont réparti aléatoirement 12 537 patients
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Pratique clinique
présentant une intolérance au glucose ou
un diabète de type 2 dans des groupes sous
insuline glargine ou sous traitement stan-
Figure 1. Diminution du suivi selon le traitement attribué dans
le cadre de l'essai ORIGIN
dard4 – le plus grand essai de ce type jamais
protocole étaient les événements non fatals
6000
et les décès d'origine cardiovasculaire, les
5000
la suite des craintes soulevées par les articles
de 2009. Aucun différence n'est apparue
entre les groupes de traitement en ce qui
Nb de patients
chercheurs ont également détaillé le risque
par type de cancer et par traitement reçu à
4000
3000
2000
concerne l'incidence et les décès tous cancers
confondus, pas plus que pour les types de
côlon, poumon et mélanome. Ces données
0
semblaient concluantes, ce qui a conduit
0
certains commentateurs à laisser entendre
tefois été émises concernant l'interprétation
de l'essai ORIGIN et du risque de cancer.
Exposés à la glargine
Non exposés à la glargine
(traitement standard)
1000
cancer rapportés suivants : sein, prostate,
que le sujet était clos. Des réserves ont tou-
Suivi médian
7000
réalisé. Même si les critères d'évaluation du
1
2
3
4
Années
5
6
7
Le nombre renseigné pour chaque groupe correspond au nombre de patients suivis après la randomisation moins
ceux qui ont interrompu la glargine dans le groupe de l'intervention et ceux qui ont débuté la glargine dans le
groupe sous traitement standard.
Adapté de la référence n° 4.
Premièrement, bien que le suivi médian ait
été de 6,2 ans, la diminution a été tellement
rapide par la suite que seuls 14 % des patients
ont été suivis la septième année (Figure 1).
Pour de nombreux épidémiologistes du
cancer, cette période de latence trop courte
pour évaluer les liens entre l'exposition et
gue et à procéder à une « analyse basée sur
bon nombre des études épidémiologiques
l'incidence du cancer.
le protocole » (comparaison des groupes
antérieures présentaient des biais liés au
en incluant uniquement les participants
temps importants qui ont donné l'impres-
Deuxièmement, la contamination entre les
qui ont réussi à maintenir le traitement
sion que les résultats étaient « protecteurs
groupes a été importante – 16,7 % des pa-
qui leur avait été initialement attribué), en
». Mais surtout, elles présentaient des biais
tients sous glargine ont arrêté celle-ci, tan-
plus de l'« analyse en intention de traiter »
appelés « biais de temps immortel ». Cet
dis que 11,5 % des patients sous traitement
déjà présentée.
aspect statistique est compliqué d'un point
standard ont commencé
à prendre de l'insuline
sous une forme quelconque durant la période de
suivi. En résumé, la mise
en balance des données
probantes penche en faveur de l'absence de lien
La mise en balance des données
probantes penche en faveur de
l'absence de lien entre l'insuline
glargine et le risque de cancer.
entre l'insuline glargine
de vue conceptuel et n'a
peut-être pas été apprécié
correctement par les communautés de chercheurs
en diabétologie et en
cancérologie. Un tel biais
survient lorsque l'analyse
ne prend pas en compte le
laps de temps sans traite-
et le risque de cancer. Cependant, les ré-
Metformine
ment entre le début de l'étude de cohorte et
serves émises concernant l'interprétation
Aujourd'hui, nous comprenons mieux l'effet
le début du traitement. Les individus doivent
de l'essai ORIGIN devraient encourager
protecteur présumé de la metformine et le
survivre au début de l'exposition – d'où le
les chercheurs d'ORIGIN à analyser leurs
risque de cancer. Il est notamment apparu
nom d'« immortel ». Le résultat est un avan-
données sur une période de suivi plus lon-
de manière claire ces dernières années que
tage pour les utilisateurs du médicament à
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Pratique clinique
l'étude lorsque l'analyse est classée simple-
reux ont été décrits et validés. Il est toutefois
Pioglitazone
ment en fonction des catégories d'utilisation
apparu que de nombreuses études préclini-
Lors de l'examen de leurs bases de données,
« toujours » ou « jamais ». Ce phénomène
ques in vivo utilisent des concentrations de
les chercheurs ont découvert que l'exposi-
a été parfaitement illustré par Suissa et ses
metformine supérieures à celles utilisées en
tion au pioglitazone pourrait être associée
collègues , qui ont établi que de nombreuses
toute sécurité en milieu clinique. En outre, la
à un risque accru de cancer de la vessie. Les
études épidémiologiques faisant état d'une
plupart des études in vitro indiquent utiliser
premières études reposaient sur des analyses
réduction du risque de cancer associé à la
des doses de metformine comprises entre 1
assez rudimentaires des bases de données
metformine présentaient un biais de temps
et 40 mM, ce qui est bien au-delà des con-
des systèmes d'assurance santé contenant un
immortel. En revanche, les études faisant
centrations plasmatiques thérapeutiques
faible nombre de cas de cancer de la vessie.
appel à des méthodes analytiques pour éviter
pouvant être atteintes (0,465-2,5 mg/l ou
Ce « signal d'alarme » a toutefois suffit pour
de tels biais n'ont mis en évidence aucun effet
2,8-15 mM) chez l'être humain (Figure 2). Il
que les autorités françaises et allemandes de
de la metformine sur l'incidence du cancer.
est donc possible que la metformine induise
réglementation des médicaments retirent
5
6
un stress énergétique dans ces études très
cet agent en juin 2011. Depuis lors, trois
Il est probable que les biais liés au temps
supérieur aux effets qui seraient enregistrés
analyses de grande ampleur s'appuyant sur
identifiés dans le cadre des études portant
sur le plan clinique. En résumé, la mise en
la General Practice Research Database au
sur l'utilisation de metformine et l'incidence
balance des données probantes penche éga-
Royaume-Uni,7 le Système National d'Infor-
du cancer sont également fréquents dans les
lement en faveur de l'absence de lien entre la
mation Inter-régimes de l'Assurance Maladie
études de la survie des patients atteints de
metformine et le risque de cancer. La dose
en France8 et le registre du diabète Kaiser
cancer sous metformine. Ces incertitudes
de metformine actuellement utilisée dans les
Permanente Northern California (KPNC)
font aujourd'hui l'objet de plusieurs essais
essais oncologiques est celle qui a démontré
aux États-Unis9 ont été réalisées – avec un
randomisés de phase III chez des patients
être efficace pour le contrôle de la glycémie.
nombre élevé de cas de cancer de la vessie, et
atteints d'un cancer sans diabète. L'essai NCIC
Il convient à présent de déterminer la dose
toutes ont laissé entendre l'existence d'un ris-
MA.32 de grande envergure portant sur les
appropriée de metformine en vue d'obtenir
que accru de cancer. Mais ici aussi, des biais
traitements adjuvants dans le cancer du sein
l'effet anticancéreux escompté.
pourraient avoir entravé l'interprétation. De
au stade précoce, avec pour principal critère
de référence la survie à cinq ans sans
cancer invasif, en est un exemple
notable. 3 582 femmes ont terminé la
procédure d'enrôlement début 2013
Figure 2. Concentrations de metformine utilisées
dans les études en laboratoire
et nous attendons à présent les ré-
Concentrations de metformine
sultats de cet essai avec impatience.
Il convient à présent
de déterminer la
dose appropriée
de metformine en
vue d'obtenir l'effet
anticancéreux
escompté.
Le troisième facteur d'appréciation
clé du lien entre la metformine et le
cancer réside dans la biologie. De
nombreux laboratoires à travers le
monde étudient désormais le rôle
de la metformine dans le développement de cancers, et plusieurs
Dose
Dose
relative*
Utilisation clinique
standard
Études précliniques
in vivo
Études en laboratoire
in vitro
250 à 2 250 mg/
jour
750 mg/kg par jour
2 à 50 mM
0,15 à 1,0
2 à 45
25 à 1 000
. Les études cliniques et épidémiologiques utilisent des doses de metformine allant jusqu'à 2 250 mg/jour. En
revanche, les études in vitro et précliniques in vivo utilisent souvent des concentrations non physiologiques
extrêmement élevées de metformine qui dépassent les niveaux thérapeutiques atteints en toute sécurité chez
les patients humains. Adapté de la référence 6.
*Par rapport à l'utilisation clinique standard.
nouveaux mécanismes anticancé-
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DiabetesVoice
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Pratique clinique
hoc de metformine chez des patients souffrant d'un cancer mais pas de diabète ne
peut être justifiée ; son utilisation doit être
limitée à des essais prospectifs enregistrés.
En cas de prescription de pioglitazone, le
clinicien doit être attentif aux patients ayant
des antécédents de cancer de la vessie ou
une prédisposition à celui-ci. Pour ce qui est
des hypoglycémiants à base d'incrétine, les
données probantes sont actuellement trop
immatures pour avoir un impact significatif
sur la pratique clinique.
Andrew Renehan
Andrew Renehan est professeur d'études
et de chirurgie du cancer su sein de
l'Institute of Cancer Sciences de l'Université
de Manchester, au Royaume-Uni.
Références
récentes analyses actualisées de l'étude de
un cancer du pancréas.10 Il pourrait par ai-
cohorte du KPNC sur le pioglitazone et le
lleurs y avoir un risque accru de cancer de la
cancer de la vessie montrent que le risque
thyroïde. Ces données sont particulièrement
disparaît pour l'essentiel lorsqu'un ajuste-
difficiles à interpréter, et ce pour plusieurs
ment pour l'albuminurie est réalisé. D'après
raisons. D'une part, l'utilisation à long ter-
ces nouvelles analyses, le lien établi avec le
me d'hypoglycémiants à base d'incrétine
cancer de la vessie serait donc dû à un biais
est limitée et, d'autre part, on ignore avec
de détection. Des études complémentaires
certitude si les données des modèles animaux
sont par conséquent clairement requises
précliniques se traduisent directement par le
pour trancher cette question.
développement d'un cancer chez l'homme et
s'il y a eu un ajustement et une modélisation
Hypoglycémiants à base d'incrétine
adéquats afin de prendre en compte les biais
Les hypoglycémiants à base d'incrétine ont
et la confusion expliqués dans les premiers
été introduits sur le marché américain en
paragraphes de cet article.
2005 et ont démontré leur efficacité, que ce
soit en tant qu'agonistes des récepteurs du
Conclusion
GLP-1 (glucagon-like peptide 1) ou qu'in-
Que signifient donc ces diverses observations
hibiteurs de la DPP-4 (dipeptidyl peptidase
pour la pratique clinique au quotidien ? En ce
4). Des craintes quant aux conséquences
qui concerne l'utilisation d'analogues d'insu-
à long terme de l'utilisation de ces traite-
line à action longue, les données sont rassu-
ments en termes de cancer ont toutefois
rantes : s'il y a des raisons théoriques (sur la
surgi ces dernières années. Les problèmes
base d'études en laboratoire) de penser que
invoqués concernent la capacité de ces
ces analogues peuvent accroître le risque de
deux classes de médicaments à favoriser
cancer, cette hausse est toutefois négligeable,
une pancréatite aiguë, puis à induire des
voire nulle, chez les patients. Pour ce qui est
modifications histologiques évoquant une
de la metformine, il convient d'encourager
pancréatite chronique subclinique avec lé-
la poursuite de l'étude en laboratoire de ce
sions précancéreuses associées (prolifération
médicament en tant qu'agent anticancéreux.
canalaire, par exemple), voire, à long terme,
Dans la pratique clinique, la prescription ad
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