Transition écologique et investissements verts Version

publicité
Transition écologique et investissements verts
Version préliminaire
Dominique Bureau
Résumé
Derrière la notion de croissance soutenable, il y a la prise de conscience que la croissance
économique utilise actuellement des services, notamment ceux fournis par les énergies
émettrices de gaz à effet de serre, dont la production dégrade les actifs naturels, et que leur
épuisement ou leur détérioration très rapide la menace à terme. Pour rétablir sa soutenabilité,
il faut agir sur la demande pour ces services, ou trouver des modes de production plus
économes de ces ressources. La composition optimale de ces deux types d’actions dépend de
la comparaison des élasticités relatives à la demande d’une part, et à la substituabilité entre
capital vert et ressources naturelles, d’autre part.
Si, comme le suggèrent beaucoup d’études sectorielles, le gisement correspondant au premier
type d’action ne suffira pas, une réallocation importante du capital, vers le capital vert, est
nécessaire, qui requiert une politique macroéconomique appropriée, dégageant une épargne
suffisante et orientée vers ce type d’investissement. Certes, leur déploiement sera progressif et
doit se faire « par ordre de mérite ». Mais il demeure une correction immédiate des structures
de production à réaliser, qui doit être intégrée dans les stratégies macroéconomiques.
Si la productivité du capital vert est limitée, son accumulation, nécessaire pour éviter
l’épuisement des actifs naturels, tend à prélever progressivement l’essentiel de l’épargne.
Dans le cas plus favorable, le taux d’épargne rejoint progressivement son niveau habituel.
L’introduction, dans un modèle de croissance de type AK, d’un actif naturel non renouvelable
permet de passer en revue les différentes facettes d’une politique de transition écologique,
notamment par rapport à l’accumulation du capital vert.
1
Introduction
Dans leur rapport au G20, Edenhofer et Stern (2009) mettaient en avant que nous étions
confrontés à une double crise, économique et écologique. Ce diagnostic les conduisait à
recommander que la sortie de crise s’attache à promouvoir une stratégie globale de croissance
de long terme, prenant en compte le risque climatique et, plus généralement, les perspectives
de rareté de certains actifs naturels, en veillant à ce que ceux-ci puissent continuer à fournir
les ressources et services environnementaux dont dépend notre bien-être. Concrètement, ils
plaidaient pour que les investissements contribuant à ces objectifs, c’est-à-dire les
investissements pour la transition écologique, soient considérés comme prioritaires.
Cette recommandation apparaît très congruente avec les conclusions de nombreux travaux de
prospective sectorielle s’intéressant, par exemple, à la transition énergétique et la
« décarbonation » du secteur électrique (AIE, 2010) ou, a fortiori, à celles, beaucoup moins
engagées à ce jour -comme le montre la récente « feuille de route » de la Commission
européenne (2011)-, des bâtiments, des villes ou des transports, qui soulignent que ces
transformations nécessitent de nouvelles infrastructures (et en amont de la R et D, de
l’innovation, des démonstrateurs….), et une réallocation forte des investissements, des
équipements utilisant les combustibles fossiles vers des technologies propres. Ces études
estiment souvent qu’une part importante de ces investissements constituent des mesures
« sans regret », qui seraient rentables même en l’absence de prix du carbone significatif. Leur
crainte (cf. Grandjean et al., 2011) est que l’épargne ne soit pas assez orientée vers le
financement de ces investissements « verts », ou ne soit pas à la hauteur de l’ampleur de
l’effort d’investissement considéré comme nécessaire. L’horizon souvent très long des
équipements considérés (réseaux et centrales électriques, infrastructures de transports et
urbaines), et la difficulté à en répartir les risques-notamment pour les technologies et filières
émergentes, constituent par ailleurs des obstacles à leur financement (CEDD, 2011).
Cependant, cette idée qu’il faudrait intégrer un biais délibéré vers l’investissement « vert » en
sortie de crise financière reste considérée comme hétérodoxe par beaucoup de responsables
économiques et financiers, d’autant plus qu’elle leur paraît antinomique avec la maîtrise des
dettes publiques et le besoin, mis en exergue par la crise financière, de renforcer le contrôle
des risques dans la régulation financière. Certes, il est objecté à cela que les investissements à
réaliser concernent autant le secteur privé que le secteur public, et qu’ils visent
fondamentalement à réduire les risques à long terme. Cependant, cet argument est loin de
suffire à résorber le fossé qui demeure entre ces différentes approches ou types de
préoccupations, tous légitimes.
Les controverses qui ont suivi la « Stern Review » (2007) à propos de l’évaluation de la
rentabilité économique et sociale des investissements d’atténuation du risque climatique
constituent une toile de fond pour ces controverses. Cependant ce n’est pas le seul, ni même
peut-être l’élément déterminant, dès lors que l’analyse développée par Edenhofer et Stern (op.
cit.), par exemple, prend justement soin de justifier ses recommandations par le fait que ces
2
investissements sont rentables au sens de l’analyse socio-économique « coûts-bénéfices ».
Plus généralement, le développement de l’évaluation du coût des dommages, ou,
symétriquement, celle de la valeur des services environnementaux, a constitué, ces quinze
dernières années, un champ de recherches et d’études extrêmement fécond, qui permet
aujourd’hui de disposer de références -certes perfectibles et à utiliser en étant conscient de
leurs incertitudes- pour évaluer les politiques ou projets d’investissements, par rapport aux
enjeux d’environnement, de risques, et de long terme qui sous-tendent la notion de
développement durable (Bureau, 2012). La rentabilité économique générale des
investissements verts peut ainsi être documentée, mais si elle pose encore de redoutables
problèmes d’évaluation (Gollier, 2013).
Mais, pour apprécier la place à accorder, aujourd’hui, aux investissements verts dans les
équilibres macroéconomiques, il convient de discuter plus précisément le « timing » de cet
effort, et de justifier plus avant l’importance de la « bosse » qui devrait être financée à courtterme. A cet égard, les questions plus précises que soulèvent les « macro-économistes »
concernent :
-
l’ampleur alléguée des mesures « sans-regret » ou des investissements à réaliser
immédiatement, qu’ils interprètent comme un diagnostic implicite d’une inefficacité
apparente des marchés extrême,
-
la rentabilité « immédiate » de ces projets. Certes, il est reconnu qu’il convient
d’intégrer les raisonnements en valeur d’option à la « Arrow-Fisher-Henry »
(Baumstark et Gollier, 2009) ou les contraintes résultant des courbes d’apprentissage,
qui justifient une action précoce et expliquent aussi que les dates optimales de
réalisation des projets « vert » soient peu sensibles à la conjoncture macroéconomique.
Pour autant, celles-ci restent dépendantes des trajectoires de prix, notamment des
ressources naturelles, ou du carbone, si bien que la question de la programmation des
investissements par ordre de mérite, et celle de leurs dates optimales de réalisation
demeurent pertinentes,
-
l’affectation des instruments, au regard de la typologie classique de Musgrave, qui
sépare nettement les fonctions de stabilisation et de redistribution, de celles
d’allocation des ressources. Dans cette perspective, il est mis en avant, qu’une fois
établis les prix écologiques nécessaires pour assurer l’internalisation des différentes
raretés des ressources naturelles, la conduite de la politique macroéconomique se
poserait dans les termes « usuels », sous-entendu, sans qu’il y ait lieu de prendre en
compte à ce niveau les considérations allocatives. Toutefois, ceci suppose que les
instruments redistributifs d’accompagnement soient en place, et que les conditions de
financement des investissements verts soient parfaitement efficaces.
Ces questions se situent à un niveau intermédiaire, entre, en amont, l’analyse des contraintes
de soutenabilité, et, en aval, celle des problèmes de financement des investissements verts.
Elles interrogent l’articulation entre les politiques spécifiques de transition écologique
(normes, incitations, orientation du progrès technique) et les autres politiques, ou, dit
autrement, les risques que les imperfections d’autres marchés ou d’autres politiques, fassent
obstacle à la pleine efficacité de celles-ci. Pour cela, il faut en premier lieu identifier ces
interactions potentielles : par exemple, les problèmes de financement seront d’autant plus
aigus que les investissements « verts » seront lourds et « s’ajouteront » aux autres besoins
d’investissement. Comme ce fût le cas au début des années 90 avec les débats sur les besoins
3
d’infrastructures pour la croissance, l’appréciation de ces enjeux est délicate car la prospective
sectorielle raisonne plutôt à partir de modèles technico-économiques, et l’analyse
macroéconomique utilise des fonctions de production très globales. Il est donc nécessaire de
développer des cadres permettant de réaliser le passage entre les deux approches.
Pour cela, il faut distinguer l’évolution des modes de consommation de celle des modes de
production, et enrichir l’analyse des modèles de croissance avec actifs naturels, en explicitant,
au sein du capital productif et de son accumulation, la dynamique des infrastructures ou
équipements qui conditionnent directement la transition écologique, ce que sous-tend le
vocable « investissements verts ». De plus, il faut une description du processus de
remplacement des ressources naturelles par ce capital « vert » qui soit plus réaliste que celle
des modèles « backstop ». Dans ce cas, les deux types d’actifs (capital vert, ici « innovant »,
et ressource épuisable) sont en effet supposés parfaitement substituables, si bien que les
trajectoires optimales consistent en général à utiliser d’abord les actifs naturels, et à
n’introduire le nouveau capital qu’au delà de leur épuisement. Au contraire, les scénarios de
prospective sectorielle évoqués ci-dessus décrivent un processus beaucoup plus progressif,
reflétant implicitement une substituabilité imparfaite entre actifs naturels et capital vert pour
produire les services énergétiques ou environnementaux, obligeant à préserver une quantité
suffisante des premiers pour les générations futures et, aussi, à engager tôt l’accumulation de
capital vert au niveau approprié.
On se propose ici, dans une perspective pédagogique, de détailler l’analyse d’un tel modèle de
croissance, avec le souci de passer ainsi en revue différents aspects, « micro » ou
« macroéconomiques », de la politique économique dans un contexte de transition écologique.
Ceux-ci ne sont pas forcément originaux mais, souvent, sont vus séparément. La première
partie décrit le modèle, et établit une typologie des scénarios (optimaux) possibles de
réallocation du capital entre capital courant et capital « vert ». La seconde partie étudie, dans
l’hypothèse où les économies de ressources ou d’énergie immédiatement mobilisables sont
épuisées rapidement, et ne suffisent pas au regard de la contrainte, de rareté globale, les
impacts de cette dynamique sur l’évolution souhaitable du taux d’épargne.
I. Les réallocations du capital nécessaires à la transition écologique
Le modèle considère le processus d’accumulation du capital le plus simple qui soit. Il
combine un modèle de croissance productive stylisé comme ceux introduits par Ramsey et
Solow, mais potentiellement auto-entretenue (modèle prototype de croissance endogène, dit
« AK », qu’utilisent aussi Guéant et al.(2012) pour étudier le taux d’actualisation à utiliser
pour évaluer les projets visant à préserver la qualité de l’environnement) et, comme c’est
l’usage en économie de l’environnement, la gestion d’une ressource épuisable. Outre la
combinaison de ces deux éléments contrastés eu égard aux possibilités et contraintes mises
sur la croissance, sa spécificité est de considérer que cette ressource constitue « un input »
pour la production de certains services fournis aux ménages (« énergétiques, ou
écologiques »), l’autre « input » nécessaire, et imparfaitement substituable, étant du capital
« vert ». Après avoir présenté le modèle et caractérisé les scénarios de croissance optimale,
on analyse leur conditions générales de réalisation. On montre alors, que selon les
caractéristiques de l’offre et de la demande pour les services utilisant la ressource naturelle,
les réallocations de capital à opérer, entre capital productif et capital vert, peuvent être très
typées.
4
I.1 Le modèle
Au niveau de la consommation des ménages, le modèle distingue deux biens, la
consommation de bien courant (C), et celle des services « énergétiques ou écologiques » (Ĕ)
dont la production combine : des inputs prélevés dans les actifs naturels (F) ; et du capital vert
(V). On suppose que les deux biens de consommation se combinent de manière additive quasilinéaire dans la fonction d’utilité, et on note : u(Ĕ) le consentement brut à payer pour ces
services utilisant les ressources naturelles comme facteur de production (u’>0,u’’<0) ; et D(p)
la fonction de demande qui s’en déduit, si p est le prix de ces services (D’(p)<0).
On suppose par ailleurs une fonction d’utilité U croissante, strictement concave, deux fois
continûment dérivable, et telle que l’utilité marginale d’une consommation nulle est infinie.
Le modèle est écrit en temps continu, en notant ρ le taux de préférence pur pour le présent de
la fonction d’utilité intertemporelle (W).
La fonction de production (E(F,V)) des services énergétiques ou écologiques est à rendements
constants, quasi-concave, et y est associée la fonction de coûts unitaires
c(r,q) , r étant le coût d’usage du capital vert, et q le coût relatif de la ressource naturelle par
rapport à celui de l’usage de capital vert. On note f(q) et v(q) les demandes (unitaires) de
facteurs en ressource naturelle et capital vert correspondantes, vérifiant les propriétés
habituelles.
Par ailleurs, on suppose que le capital total productif (K) se décompose entre du capital à tout
faire (K-V), et le capital « vert » (V). Le capital à tout-faire (équipements, bâtiments, mais
aussi capital humain et connaissances) permet de produire à la fois le bien de consommation
courant et le bien d’investissement servant à l’accumulation du capital, avec une rentabilité
marginale constante (a, avec a>ρ, et donc, potentiellement une croissance auto-entretenue).
La production de bien courant vaut donc Y= a(K-V). Pour alléger le formalisme du modèle et
en faciliter la lecture, on considèrera un taux de dépréciation nul 1. On note K0 le stock de
capital disponible à l’instant initial et S0 le stock de ressource naturelle résiduel à cette date.
La contrainte de non-renouvelabilité de celle-ci pourra s’interpréter, soit comme une
contrainte sur un stock de ressources, par exemple fossiles, mais aussi, alternativement,
comme un plafond strict sur les émissions de gaz à effet de serre. Au niveau de la
caractérisation des trajectoires optimales, il n’y a pas besoin de distinguer entre ces deux
interprétations possibles. En revanche, les conditions institutionnelles de réalisation devront
évidemment préciser selon que la ressource naturelle considérée fait, ou non, l’objet de droits
de propriété établis.
L’essence des exercices auxquels nous voulons nous livrer consiste à imaginer qu’à l’instant
t=0, la société prend conscience que la rareté des ressources naturelles est beaucoup plus forte
que ce qui était antérieurement imaginé ( S0 < S0- ). Pour cela, on s’intéressera donc à la
statique comparative des trajectoires optimales en fonction de S0, dont on note W*(K0,S0)
l’issue en termes de bien-être inter-temporel.
Si, pour identifier l’orientation des réallocations à envisager, on fait l’hypothèse idéale d’un
capital total parfaitement mobile entre ses deux formes ( V ou K-V), disponible en quantité
1
Le paramètre « a » doit donc être vu comme reflétant la productivité marginale nette du capital.
5
suffisante pour ne pas avoir à introduire d’autre contrainte dans le programme d’optimisation,
et plus généralement, qu’il existe des scénarios compatibles avec les contraintes sur
l’épuisabilité des ressources, l’accumulation du capital et les « besoins » des consommateurs,
le problème de croissance optimale à considérer s’écrit, en indiçant par t les flux à l’instant t.
Notant (λ) le multiplicateur de Lagrange de la contrainte de rareté de la ressource naturelle, et
(μt) la variable adjointe de l’équation d’accumulation du capital, l’hamiltonien de cette
économie convexe s’écrit :
Les trajectoires optimales pour la consommation des ressources épuisables , l’accumulation
du capital
, les structures de production et de consommation vérifient donc (si F,V>0,
cf.infra):
Les trois premières équations reflètent un modèle de croissance à taux d’intérêt constant (a),
égal à la productivité marginale du capital, dans lequel le partage entre consommation et
6
investissement est optimal à tout instant, si bien que la valeur sociale ( ) du bien courant est
indépendante de l’usage qui pourrait en être fait, consommation (que l’on utilisera comme
numéraire), ou investissement. Certes, cette fixation quasi-exogène du taux d’actualisation est
discutable quand on s’intéresse au très long terme. Mais notre propos ici est plutôt de fournir
des éléments de description de la transition à engager à un horizon plus rapproché, de court ou
moyen-terme.
Si, pour décentraliser cet optimum, on prend le bien courant comme numéraire, le coût
d’usage du capital « vert » à considérer vaut aussi (a), qui représente le coût d’opportunité
d’affecter du capital à la production des services énergétiques ou écologiques, plutôt qu’à
celle de bien courant. Par ailleurs, ce scénario de croissance optimal est associé à un prix de la
ressource épuisable (πt) qui suit la règle de Hotelling, c’est-à-dire croissant comme le taux
d’actualisation (a).
Cette caractérisation vaut aussi lorsque les isoquantes de E(F,V) coupent les axes. Dans ce
cas, où les deux facteurs sont donc très substituables, il est notamment possible de se passer
totalement de la ressource épuisable, ce qui se réalise quand son prix devient suffisamment
élevé.
Compte tenu que la fonction d’utilité a été supposée séparable entre C et Ĕ, et sans effetrevenu pour la demande de services « écologiques ou énergétiques », les trajectoires du
capital vert V et des prélèvements F ne dépendent que de S0, qui détermine le « prix » initial
de la ressource épuisable. En revanche, elles sont indépendantes de K0.
Le modèle se résout donc récursivement, la partie concernant les services liés aux ressources
naturelles ne dépendant que de (a) –intangible- et de S0. La trajectoire de V doit ensuite être
intégrée dans l’équation d’accumulation pour déterminer celle du taux d’épargne. On pose :
Avec ces notations pour les prix liés à la ressource à l’instant 0, le prix de celle-ci et le prix
relatif des facteurs de production des services énergétiques ou écologiques (qt) valent
respectivement :
Ces éléments permettent de décrire les différentes formes de trajectoires envisageables pour F
et V. Le schéma ci-dessous correspond au cas où les isoquantes de la fonction de production
E(F,V) ne coupent pas les axes , c’est-à-dire où la substituabilité demeure limitée.
7
Evolution de la structure de production
v
E
Isoquante
E(v,f)=1
Et
vt
a
E0
v0
π0 πt
ft
f0
f
Partant du point E0 correspondant à la structure de prix ( , a) pour les facteurs de
production, le relèvement progressif de π conformément à la règle de Hotelling implique
donc que la structure des facteurs de production substitue du capital vert à la ressource
épuisable, suivant la direction indiquée sur l’isoquante.
Ce processus prend éventuellement fin si la demande pour les services correspondants devient
nulle à partir d’un certain instant. Ceci ne sera cependant le cas que si le consentement
marginal à payer pour leur première unité consommée est borné.
Lorsque la substituabilité entre facteurs est telle que les isoquantes coupent les axes, il peut
s’ajouter à cela une phase préalable, où seul le facteur épuisable est utilisé. Par ailleurs, si le
service fourni est un bien essentiel, dont la demande est toujours positive, seul le capital vert
sera utilisé au-delà d’un certain instant.
Dans le cas extrême d’une substitution parfaite entre facteurs de production, l’isoquante est un
segment de droite. La phase intermédiaire où les deux facteurs sont utilisés simultanément
disparait : on retrouve ainsi comme cas-limite celui des technologies dites « Backstop »
(cf.schéma).
8
Forte substituabilité entre F et V
v
vmax
E0
Cas de base
Cas d’une ressource « plus » abondante
Et
vt
a
v0
π0 πt
ft
f0
fmax
f
I. 2 La réalisation de l’optimum de 1e rang
La règle de Hotelling peut émerger du fonctionnement du marché de la ressource épuisable, si
celui-ci existe, -ce qui suppose que les droits de propriété sur celle-ci soient définis-, et s’il est
concurrentiel. Elle reflète alors, qu’à l’équilibre, aucun producteur n’a intérêt à changer son
plan de production intertemporel, son profit actualisé (ici au taux a) restant inchangé au 1er
ordre. Si, par ailleurs, ceux-ci anticipent parfaitement le plafond de ressources (S0), et que la
production, en aval, des services utilisant la ressource épuisable est elle-même concurrentielle
(ou que la production de ces services est réalisée directement par les ménages), l’équilibre
concurrentiel sous prévision parfaite de ces secteurs d’activités s’identifie alors aux conditions
précédentes, et il vérifie :
9
Ce système définit donc implicitement la fonction
, dont se déduit la trajectoire
complète du prix des facteurs pour la production du bien Ĕ, compte-tenu de la règle de
Hotelling, ainsi que celle de son coût unitaire de production et par là celle de sa demande.
Plus précisément,
vérifie :
Si la ressource naturelle est initialement en libre-accès, non régulé, le fonctionnement des
marchés spontané conduira à son épuisement précoce. Sa gestion efficace requiert donc
d’établir un prix adapté, dont l’évolution devra être conforme à la règle de Hotelling. Cela
peut se faire, soit par un système concurrentiel de type « cap and trade » (marché de licences
sous plafond global), soit par le biais de la fiscalité environnementale. Les voies et moyens
pour cela (de même que la description plus fine des actifs naturels à considérer, en fait
multiples : ressources fossiles mais aussi minérales -probablement encore plus contraintes-,
qualité de l’atmosphère, biodiversité) sont le domaine de l’économie de l’environnement, qui,
à la suite de Weitzman, a précisé les conditions de choix entre les deux types d’instruments
lorsque l’on quitte l’hypothèse d’information parfaite (où ils sont équivalents), et les
implications distributives des règles d’allocation des droits initiaux. Plus récemment,
Acemoglu et al.( 2012) ont précisé la panoplie d’instruments à mettre en œuvre -écotaxes et
aides à la recherche- pour orienter l’innovation dans ce contexte, Henriet et al.(2012) en
déclinant les enjeux dans le contexte de la « décarbonation » de l’économie française.
A cet égard, notre modèle, qui considère seulement une ressource épuisable est le plus
standard qui soit. Il n’appelle pas de commentaire particulier, par rapport aux points généraux
d’attention mis en exergue par Guesnerie et al.(2012). Ce qui nous intéresse est plutôt qu’il
permet de passer en revue les interactions entre cette régulation de la ressource naturelle et la
conduite des autres volets de la politique économique : redistribution et stabilisation
macroéconomique. De ce point de vue, un premier élément est que la règle de Hotelling,
combinée à un coût d’usage du capital vert constant, détermine une dérive du prix relatif des
services utilisant la ressource épuisable, par rapport aux biens de consommation courante,
pour permettre de s’en affranchir progressivement.
Le constat que la rareté de certaines ressources risque de peser sur la croissance future signifie
donc aussi que le poids des « rentes » dans le revenu total est appelé à augmenter. Il importe
de l’anticiper, si l’on veut : éviter les phénomènes de type « malédiction des ressources
naturelles », où la recherche de ces rentes tend à prendre le dessus sur les comportements
d’innovation ; écarter les tensions inflationnistes résultant des conflits dans leur
appropriation ; et, avant cela, assurer l’acceptabilité de la « vérité des prix » de ces ressources.
A cet égard, les difficultés que rencontre la mise en place de taxes carbone reflètent bien un
tel conflit, entre équité et efficacité, sachant qu’elle impliquerait un transfert important de
rentes, entre les producteurs de combustibles fossiles, qui verraient leurs rentes se réduire, et
l’Etat qui percevrait les rentes « carbone » ainsi créées.
La Norvège, qui taxe fortement les revenus venant de l’exploitation de ses ressources fossiles
et les affecte à la gestion de ses retraites constitue un exemple d’anticipation de ces questions.
10
Les performances macroéconomiques différenciées des différents pays suite aux chocs
pétroliers, ou le « Dutch Disease », illustrent l’importance d’intégrer ces dimensions dans les
réflexions sur la conduite de la politique économique. Sinon, on peut craindre que l’impact
d’une réduction de la disponibilité des actifs naturels sur la croissance future soit bien
supérieur à l’effet estimé en supposant que l’on atteint toujours le 1er rang, comme on le fera
ci-dessous.
De manière très concrète, l’acceptabilité sociale de cette dérive de prix s’avère délicate quand
les services associés sont, au moins pour partie, considérés comme des biens essentiels. Ainsi,
toute évolution forte des prix pétroliers déclenche des demandes de compensations, pour les
carburants ou les combustibles, arguant que les trajets domicile-travail sont ‘subis’, de même
les dépenses de chauffage. Cependant les politiques à mettre en œuvre pour traiter cette
dimension distributive sont contraintes: non seulement un « tarif social », sous forme de
réduction des prix des produits concernés est à proscrire, car allant à l’encontre des principes
de la politique de 1er rang qui prescrit d’éviter de distordre le système de prix, et de traiter les
questions redistributives par des transferts aussi forfaitaires que possible. Mais ce
subventionnement risque in fine d’être sans impact par rapport à l’effet distributif recherché.
Proposition 1. Un subventionnement uniforme des ressources naturelles est intégralement
capté par leurs producteurs.
En effet, imaginons que, par souci de préserver l’accès à une ressource jugée essentielle, la
puissance publique subventionne avec un taux uniforme la demande pour la ressource
naturelle (supposée par ailleurs faire l’objet de droits de propriété établis). Le prix à la
production de celle-ci suivra encore la règle de Hotelling, et il en ira donc de même pour le
prix relatif des deux facteurs de production du bien Ĕ. Le plafond de ressources étant
inchangé (S0), la trajectoire de ce prix relatif (cf. formule (6) ci-dessus) ne sera donc pas
affectée, ni donc celle du prix « à la consommation » de la ressource, puisque le coût d’usage
du capital vert est fixé (a). En d’autres termes, seule la structure de ce prix aura été modifiée,
ce qui signifie donc que la subvention publique aura été intégralement accaparée par les
producteurs de la ressource naturelle.
I . 3 Typologie des scénarios de réallocation du capital
Dans le cadre étudié, la politique publique première -et suffisante- consiste à établir la « vérité
des prix » : il faut s’assurer que la trajectoire de prix de la ressource naturelle suit la règle de
Hotelling, pour diminuer progressivement l’usage de cette ressource; et il faut que son niveau
initial soit compatible avec sa disponibilité globale. L’impact du signal-prix correspondant
passe en fait par deux canaux. D’une part, il affecte directement la demande des services
produits à partir de cette ressource. D’autre part, l’anticipation de l’accroissement du prix de
la ressource rentabilise les investissements en capital « vert » permettant de l’économiser, au
niveau de leur production.
Plus les possibilités de substitution des ressources naturelles, soit au niveau de la demande,
soit à celui de la fonction de production de ces services, sont élevés, plus facile sera donc la
transition écologique. Mais, de plus, selon les caractéristiques des fonctions u et E, les poids
respectifs de ces deux mécanismes seront variables, et par là les enjeux macroéconomiques de
réallocation du capital à considérer.
11
Pour le montrer, on peut tout d’abord remarquer qu’une réduction de S0 conduit
nécessairement à un relèvement de la trajectoire du prix de la ressource.
Proposition 2.
En effet, on a D’≤0 et f’≤0 en tout point. Si l’on différencie la formule (6), il vient donc :
Cette statique comparative exprime que, suite à une hausse du prix de la ressource, la
demande pour celle-ci subit deux impacts allant dans le même sens : la substitution des
facteurs dans la production des services utilisant la ressource comme facteur de production; et
la réduction de la demande pour ces services, suite à la hausse de leur prix, compte tenu de la
répercussion dans ce dernier de la hausse de celui de la ressource.
Ces deux effets jouent en revanche de manière contradictoire sur le niveau de capital vert mis
en oeuvre. La trajectoire de celui-ci suit en effet :
Si l’on note , l’élasticité - prix de la demande (D), et l’élasticité de substitution de la
fonction de production E(V,F) au point considéré, on a donc, compte-tenu des propriétés des
fonctions de demande de facteurs de production :
Proposition 3. Si on considère des fonctions de demande et de production à élasticités
constantes, une raréfaction de la ressource ( Δ S0 < 0 ) appelle un accroissement (resp. une
diminution) du besoin en capital vert (V) à tout instant, et donc notamment, en t=0, si
l’élasticité de la demande
est inférieure (resp. supérieure) à celle
de l’élasticité de
substitution dans la production des services énergétiques et écologiques.
En effet, l’anticipation que la ressource disponible est réduite conduit à un relèvement de sa
trajectoire de prix, et donc aussi du prix des services qu’elle permet de produire. Si l’élasticité
de la demande est forte, l’ajustement se fait essentiellement au niveau de la demande, c’est-àdire des « économies d’énergie » (par exemple), et c’est par ce canal que « joue la « vérité »
des prix de la ressource. Dans cette configuration, il n’y a pas besoin de capital vert
supplémentaire, et donc pas de contrainte macro-économique particulière pour gérer la
transition écologique.
12
En revanche, si ces services sont des biens essentiels, inélastiques, l’ajustement doit se faire
au niveau du mode de production de ces services. Il passe alors essentiellement par un
accroissement de capital vert, le rôle du signal- prix dans ce cas étant de rendre rémunérateurs
les investissements économisant la ressource naturelle, ce qui implique qu’il soit inscrit dans
la durée pour être prévisible.
Dans ce cas, la trajectoire optimale pour le capital vert marquera un saut à l’instant t=0, c’està-dire au moment où l’on prend conscience de la rareté plus aiguë des ressources naturelles.
En effet, il y a alors à prendre la mesure que cette rareté, qui n’avait pas été anticipée
antérieurement, signifie aussi que les structures productives héritées du passé sont devenues
inadaptées. Il serait donc souhaitable de les corriger immédiatement, en opérant une
réallocation instantanée du capital productif vers le capital « vert » (sous réserve évidemment
d’éventuelles contraintes à prendre en compte sur cet ajustement et la mobilité du capital, cf.
infra).
Dans ces conditions, l’observation, rappelée en introduction, qu’il y aurait un gisement
potentiel de mesures « sans regret » ne doit pas forcément surprendre.
Par exemple, une part importante du parc de bâtiment a été réalisée dans un contexte
d’énergie supposée indéfiniment peu chère. La simple réévaluation de la prospective des prix
de l’énergie justifie ainsi la réalisation immédiate de certaines opérations d’isolation ou de
changements de sources d’énergie sur ce parc. En résumé, les marchés n’ayant aucune raison
d’avoir anticipé le risque climatique avant que les scientifiques ne l’aient documenté, il n’y a
pas lieu d’être surpris d’avoir à corriger la trajectoire d’accumulation du capital vert au
moment où l’on en prend conscience.
En pratique, s’il est vrai qu’il existe des gisements d’économies d’énergie comportementales,
mobilisables immédiatement, celles-ci sont bien insuffisantes pour réaliser des scénarios de
type « facteur 4 » en matière de gaz à effet de serre : la réduction des émissions de ces gaz par
les transports, les villes, et le secteur électrique nécessite en effet des investissements lourds.
Le scénario (
), dans lequel il faudrait pouvoir immédiatement réallouer du capital, pour
disposer de plus de capital « vert », et assurer ensuite l’accumulation de ce dernier, semble
donc la configuration la plus réaliste. C’est donc ce scénario que l’on approfondit plus avant
dans ce qui suit.
Avant cela, ce tableau illustre cependant la proposition 3 dans quelques autres cas polaires.
13
Impact sur V d’une diminution du stock de ressource S0
σ
η
Demande
inélastique
Elasticité
unitaire u=Log
Facteurs
complémentaires
Fonction de
Cobb-Douglas
Facteurs
parfaitement
substituables
Pas de solution
soutenable
Accroissement
cf. Partie II
Modèle
Backstop V0 = 0
Diminution
V inchangé
idem
II. Besoins d’épargne et transition écologique
On considère le cas où la demande de services utilisant de la ressource naturelle est
totalement inélastique. L’ajustement pour que les prélèvements sur la ressource demeurent
compatibles avec sa disponibilité globale ne peuvent donc se faire qu’en accumulant du
capital vert s’y substituant. Tout d’abord on caractérise complètement la solution du modèle
(dans un cas particulier), ce qui permet de visualiser les trajectoires optimales pour
l’accumulation du capital, et le taux d’épargne suite à un choc sur l’évaluation du stock de
ressource. On précise aussi les règles d’évaluation de la politique macroéconomique dans ce
cas. Puis on introduit une contrainte sur la mobilité du capital, entre capital-à-tout faire et
capital « vert ».
II.1. Trajectoires optimales
De manière plus précise, on considère que la fonction d’utilité correspond à un indice relatif
d’aversion pour le risque unitaire ( U(C)=Log(C) )2, et que la fonction de production des
services utilisant comme input la ressource naturelle et le capital vert est une fonction de
Cobb-Douglas (σ=1), que l’on note, sous réserve de normalisation appropriée:
2
Cette hypothèse ne vise qu’à la simplicité de l’exposé. L’extension du modèle à des fonctions d’utilité dont
l’élasticité (γ) de l’utilité marginale du revenu est constante est immédiate : la principale modification des
résultats concerne la dynamique de la consommation et du capital associé, valant alors (a-ρ)/γ.
14
En d’autres termes, remplacer 1 % d’input naturel F nécessite de disposer de
% de
capital vert supplémentaire: si est élevé, le prélèvement à opérer sur le capital courant est
faible ; et élevé, si est faible.
Le programme à résoudre devient :
Avec les mêmes notations que précédemment, on a :
et :
En d’autres termes, une réduction de 1 % du stock de ressource disponible, anticipé en t=0,
nécessite un accroissement de (1/β) % du capital vert. Au-delà, le capital vert s’accumule au
taux a/(β+1) par unité de temps.
Le niveau de stock
de ressource disponible affecte proportionnellement la trajectoire des
prélèvements sur la ressource, puisque l’on a :
15
On a par ailleurs, pour tout t:
En d’autres termes, la consommation de bien courant suit une trajectoire de croissance autoentretenue, à un taux constant (a-ρ) , qui dépend de la préférence pour le présent de la société,
et, sous réserve que le stock initial de capital ne soit pas trop faible
la
trajectoire optimale pour l’accumulation du capital, est la somme de deux exponentielles :
La première reflète le processus d’accumulation du capital vert pour réaliser la transition
écologique, au taux a/(β+1) et avec un poids initial d’autant plus fort que le stock de
ressource naturel est limité ; la seconde, celui de capital productif, pour soutenir la croissance
économique, à un taux (a-ρ) d’autant plus élevé que le taux de préférence pour le présent est
faible. La consommation en t=0 vaut par ailleurs :
Elle est naturellement réduite quand le besoin de capital vert s’accroit. Finalement, la valeur
de la fonction objectif vaut :
Elle vérifie évidemment, pour ce qui concerne les valeurs sociales des deux actifs:
et
Les trajectoires pour la consommation de bien courant C , le prélèvement sur les ressources
naturelles F , et l’accumulation de capital vert V sont donc à taux de croissance constants,
indépendants des niveaux de stocks et actifs initiaux, respectivement : a-ρ,
, a/(β+1).
Si l’on imagine qu’à l’instant t=0 , la société prend conscience que le stock de ressources
disponibles
est réduit d’un taux
, les trajectoires des
16
différentes variables sont donc simplement déterminées par les sauts que cela implique pour
celles-ci à l’instant initial :
Les schémas suivants illustrent cette statique comparative, en distinguant selon le
positionnement relatif du taux de croissance du capital vert par rapport à celui du capital
commun et de la consommation de bien courant.
Cas 1.Productivité marginale du capital vert élevée, transition relativement facile
Trajectoires Cas 1 (β>ρ/(a-ρ))
Log (Xt / X0-)
C
V
Δ/β
1
-Δ
F
t
17
Cas 2. Productivité marginale du capital vert faible, transition relativement difficile
Trajectoires Cas 2 (β<ρ/(a-ρ))
Log (Xt / X0-)
V
Δ/β
C
1
-Δ
F
t
Par ailleurs, le taux d’épargne courant vaut:
Avec en particulier :
Ce taux d’épargne en t=0 est une fonction croissante de . Un choc défavorable sur
implique donc, non seulement une réallocation immédiate de capital pour disposer d’un stock
suffisant de capital vert, mais, ensuite un effort d’investissement accru, pour continuer la
transition écologique.
Par ailleurs, la trajectoire ultérieure de ce taux d’épargne dépend de la position relative du
taux de croissance du capital vert a/(β+1) par rapport à celui de la consommation (a-ρ) : si
la productivité du capital vert est élevée, il tend vers le taux (
)
du modèle croissance sans actif naturel. Si elle est faible, les besoins d’investissements en
capital vert, pour se passer progressivement de la ressource naturelle, finissent par absorber
l’essentiel de la production (en termes de part relative). En effet, dans la formule donnant la
trajectoire d’accumulation du capital, c’est alors la première exponentielle, liée à
l’accumulation du capital vert, qui croit le plus vite. Pour autant, la consommation s’accroît
tout de même à taux constant, si bien que ce scénario reste « soutenable », la capacité de
18
l’économie à réaliser une croissance auto-entretenue, combinée à la substituabilité suffisante
des prélèvements par du capital vert, permettant de concevoir des scénarios soutenables.
La figure suivante, qui considère des cas très typés (
) suggère cependant que cette dynamique du taux d’épargne est lente. Mais elle
contraste bien l’évolution de ce taux en fonction du temps, selon que :
- la préférence pour le présent est faible. Alors le taux d’épargne initial est élevé, et le
taux de croissance du capital courant supérieur à celui du capital vert. Le taux d’épargne
décroît donc, et il tend vers la valeur du modèle AK standard,
- la préférence pour le présent est élevée. Le taux d’épargne initial est faible mais il
doit être augmenté progressivement pour assurer la constitution de capital vert nécessaire pour
se passer de la ressource épuisable,
- le cas limite correspond à la situation où les deux composantes du capital croissent
au même taux.
Proposition 4. Le taux d’épargne tend asymptotiquement vers 1-(ρ/a) si
, et 1
si l’inégalité est inverse et stricte (il est constant et égal à si il y a égalité). Dans tous les
cas, ce taux d’épargne doit être accru, notamment en t=0 , lorsque le stock disponible de
ressource naturelle est réévalué à la baisse.
19
II.2. L’évaluation des politiques
L’épargne qui a été calculée ci-dessus fournit une première indication de l’arbitrage à réaliser
au profit des « générations futures », au niveau du bien courant. Mais, elle ne rend compte que
de manière incomplète de leurs possibilités de consommations futures, qui dépendent à la fois
du capital qui leur sera transmis, mais aussi du stock de ressource naturelle S qui leur est
légué à un instant donné. Si l’on suppose que ceux-ci les utiliseront au mieux, le bien-être
ultérieur, actualisé à cet instant t, qu’ils peuvent en escompter, est mesuré par
W*(K,S), et c’est donc par rapport aux variations de cette grandeur que peut être appréciée
l’épargne (ou l’investissement) « véritable » de l’économie.
Ainsi, si l’on imagine que, pendant un court instant (entre 0 et t, t
), l’économie dévie de sa
trajectoire, déterminant un écart
de consommation courante, et
de prélèvement sur la
ressource épuisable, les actifs légués en t seront modifiés de
.
Exprimée en prenant comme numéraire la consommation, et actualisée en t=0, la variation
d’épargne véritable induite vaudra donc (cf. Pearce et Atkinson,1993) :
Proposition 5. L’évaluation de l’investissement « véritable » de l’économie doit intégrer (en
net) la valeur sociale de la dégradation des actifs naturels. Dans cette économie, supposée
optimisée, la valorisation correspondante doit être effectuée en considérant le prix régulé .
La comptabilité nationale doit en effet considérer l’écofiscalité comme des « prix », reflétant
la valeur sociale des biens. De plus, le PIB à considérer est un PIB « vert », duquel sont
déduites les consommations de ressources naturelles monétarisées, et les deux approches, de
l’épargne véritable et du PIB vert, doivent être vues comme les deux faces d’une même pièce,
puisque:
Dans ce contexte, l’évaluation des projets publics considérerait sans hésitation un taux
d’actualisation a, et un prix de la ressource
. Ce système de prix doit donc être utilisé
pour évaluer les projets publics, mais aussi, par la « comptabilité nationale », pour qualifier,
en termes de bien-être, la soutenabilité d’une trajectoire macroéconomique. Dans le cas de
cette économie, ce résultat reflète directement les conditions d’optimalité, et les prix
correspondants sont les prix réels, supposés établis grâce à l’écofiscalité, par exemple. Mais
Arrow, Dasgupta et Mäler (2003) ont montré que ce principe de cohérence entre les
évaluations micro- et macroéconomiques valait aussi pour des économies imparfaites.
A titre d’illustration de leur résultat, on peut considérer le cas où les Autorités publiques
prendraient conscience de contraintes de soutenabilité accrues t=0, mais ne seraient pas
capables d’infléchir leur politique avant t=τ, le délai τ reflétant, par exemple les contraintes
d’économie politique pour relever l’écofiscalité à son niveau optimal. Si l’on fait l’hypothèse,
par exemple, qu’entre 0 et τ , l’économie suit son cours, les comportements de consommation
et d’épargne restant inchangés, on aura :
20
avec
correspondant aux trajectoires optimales définies au II.1, quand on dispose
de
en t= 0 (ie. les trajectoires qui se poursuivent entre 0 et τ). Notons par ailleurs δ
le coefficient d’actualisation entre 0 et τ sur cette trajectoire un temps imparfaite, c’est-àdire :
Un prélèvement supplémentaire d’une unité de ressource naturelle en t=0
une désepargne véritable égale à
représente alors
Ainsi, le prix à considérer pour comptabiliser un tel prélèvement n’est pas le prix courant de
la ressource, qui n’a pas encore intégré le renforcement de la contrainte sur la ressource
détecté à ce moment, mais le prix (actualisé en t=0) qui sera mis en place en t=τ,
et reflètera l’état alors dégradé de la ressource. C’est bien ainsi que l’on procède pour le calcul
économique quand on considère une valeur « tutélaire » du carbone dans l’évaluation des
projets publics. Mais c’est donc ce même prix qui devrait servir pour évaluer l’épargne
véritable au niveau macroéconomique des « comptes nationaux ».
II.3. Contraintes sur la réallocation du capital
Dans tout ce qui précède, on a supposé possible une réallocation immédiate de capital, du
capital courant vers du capital vert, au moment où l’on constate que l’état des ressources
naturelles est plus contraignant que ce que l’on imaginait. De cette manière, on a pu apprécier
simplement les besoins en capital vert que requiert la transition écologique.
Cependant, il faut reconsidérer cette hypothèse de mobilité parfaite entre les deux formes de
capital. En effet de manière réaliste, ce capital vert ne pourra se constituer que
progressivement, au travers de nouvelles générations d’équipements. Dans ces conditions,
l’effort d’investissement qui sera nécessaire pour réaliser la transition écologique sera
fortement accru par rapport à ce qui a été envisagé jusqu’à présent, où la restructuration de
capital initial ne nécessitait pas d’investissement supplémentaire. Pour illustrer cette idée, on
ajoute au programme d’optimisation étudié au II.1. une contrainte formalisant une capacité de
production limitée pour les investissements verts En effet, ceci permet de mieux cerner les
conséquences de telles contraintes que des coûts d’ajustement ad hoc, se contentant de
formaliser un processus de rattrapage de la trajectoire optimale, et masquant que ces
contraintes d’ajustement, non seulement renforcent les besoins d’investissement, mais
peuvent aussi empècher la réalisation de tout scénario soutenable. On pose donc:
Dans cette formule, n représente donc le coefficient de rattrapage maximal que l’on peut
envisager sur le capital vert, par rapport à son taux de croissance « normal » a/(β+1) , vu cidessus, qui s’appliquera à nouveau une fois que son niveau adéquat aura été retrouvé, à un
instant que l’on notera T. Par ailleurs, on suppose qu’à l’instant initial le stock de capital vert
( ) est inférieur à celui
qui serait souhaitable pour réaliser les
scénarios optimaux décrits ci-dessus. On caractérise l’écart correspondant par référence à
l’excès (θ) de prélèvement de ressource qui sera nécessaire en t=0 , soit :
21
La trajectoire optimale sous cette contrainte supplémentaire est toujours caractérisée par un
taux d’actualisation a, la valeur sociale du bien courant valant
, et la
consommation croissant au taux a-ρ sur l’ensemble de celle-ci, avec
.
Par contre, entre 0 et T, la croissance de
est limitée par la contrainte supplémentaire sur le
rythme d’accumulation possible du capital vert, qui détermine par ailleurs les flux de
consommation de ressource naturelle pendant cette période (
) , et par là l’évolution du
stock résiduel de ressource (S). Ce régime prend fin quand
a alors :
. On
Proposition 6. Cette économie n’est soutenable que si n>θ. En effet, dans le cas contraire, la
nécessité de satisfaire des besoins essentiels incompressibles en services écologiques ou
énergétiques, combinée avec l’insuffisance permanente de capital vert, conduit à l’épuisement
de la ressource, et donc l’impossibilité de satisfaire ces besoins au-delà.
Entre 0 et T, le processus d’accumulation du capital vérifie :
et, pour assurer la continuité de
en T :
Si n≠β, on aura, entre 0 et T:
avec :
Ceci résume en fait deux configurations assez différentes, sur le plan économique :
- si n>β, l’accumulation de capital vert peut se faire à un rythme élevé, supérieur à
celui (a) d’accumulation maximal du capital global dans cette économie. Mais la trajectoire
22
optimale de rattrapage est donc aussi contrainte par là. Elle consiste donc à engager un
processus d’accumulation du capital global aussi rapide que possible, pour rétablir vite le
niveau de capital vert qui serait souhaitable.
- si n<β, le rythme d’accumulation du capital vert est très contraint, et ne justifie pas
de chercher à accumuler trop vite le capital global, ce qui irait à l’encontre des arbitrages
intertemporels sur le profil de consommation. La logique est alors plutôt « additive », le
processus de rattrapage sur le capital vert venant seulement s’ajouter à l’accumulation
« normale » du capital ( taux a-ρ).
Dans tous les cas, ce processus de rattrapage se traduit (cf. formule (21)) par un renforcement
de l’investissement en t=0, l’accumulation accrue de capital vert en début de période se
substituant à l’impossibilité de transférer immédiatement du capital courant en capital vert à
l’instant initial. Ce résultat vaut aussi dans le cas le frontière, où le taux maximal
d’accumulation du capital vert vaudrait juste a (dans ce cas la « première exponentielle »
dans la formule (20) est remplacée par une fonction de type
).
La figure suivante décrit l’évolution du taux d’épargne en fonction du temps, pour différentes
valeurs de n (1,5 ; 2,5 ; 3,5 ; 4,5) lorsque l’on part d’une situation d’insuffisance de capital
vert ( avec a=6% , ρ=4,5% , θ=0,6 et β=3 , ce qui correspond donc au cas-limite où les taux
de croissance tendanciels des deux types de capital sont égaux).
23
On vérifie donc que ces trajectoires sont continues en t=T puisque les trajectoires de la
consommation courante et de la production le sont. Par ailleurs, le taux d’épargne final se
trouve accru si la contrainte sur l’ajustement du capital vert est forte, car il y alors un
prélèvement excessif sur la ressource épuisable pendant une plus longue période. Avec ce jeu
de paramètres, il apparait aussi que l’impact sur le taux d’épargne initial dépend
essentiellement de θ et non de n, qui affecte en revanche la durée du rattrapage.
Conclusion
Derrière la notion de croissance soutenable, il y a la prise de conscience que la croissance
économique utilise actuellement des services notamment les énergies émettrices de gaz à effet
de serre, dont la production dégrade les actifs naturels que leur épuisement ou détérioration
très rapide la menace à terme. Pour rétablir sa soutenabilité, il faut agir sur la demande de ces
services, ou trouver des modes de production plus économes de ces ressources. La
composition optimale de ces deux types d’actions dépend de la comparaison des élasticités
relatives à la demande pour ces services d’une part, et à substituabilité entre capital vert et
ressources naturelles, d’autre part.
Si, comme le suggèrent beaucoup d’études sectorielles, le gisement correspondant au premier
type d’action est limité, une réallocation importante du capital, vers le capital vert, est
nécessaire, qui requiert une politique macroéconomique appropriée dégageant une épargne
suffisante et orientée vers ce type d’investissement. Certes, leur déploiement sera progressif et
doit se faire « par ordre de mérite ». Mais il y a aussi à réaliser une correction immédiate des
structures de production, qui réclame un effort d’investissement « prioritaire ».
Dans tous les cas, la croissance verte nécessite en premier lieu d’instaurer le signal-prix
approprié. C’est le rôle des politiques environnementales. Mais il faut aussi en maitriser les
enjeux redistributifs et assurer le financement dans de bonnes conditions de l’investissement
vert.
24
Bibliographie

Acemoglu D., Aghion P. et al. (2012), “The Environment and Directed Technical
Change “, à paraitre, American Economic Review

AIE (2010), « Energy Technology perspectives 2010, Scenarios and Strategies to
2050 », Paris www.iea.org

Arrow K.J., Dasgupta P. et Mäler K.G. (2003), “Evaluating Projects and Assessing
Sustainable Development in Imperfect Economics”, Environmental and Resource
Economics, special Issue on the Economics of non Convex Ecological Systems

Bureau D. (2012), “L’évaluation économique et la décision publique dans le domaine
de l’environnement ”, Annales d’Economie et Statistiques, hors série n°1

Commission européenne (2011), « Feuille de route vers une économie compétitive à
faible intensité de carbone à l’horizon 2050 », Bruxelles

Conseil économique pour le développement durable (2011), « Le financement de la
croissance verte », Ministère de l’écologie, Paris

Gollier C. (2013), « Pricing the Planet’s Future », Princeton University Press

Gollier C. et Baumstark L. (2009), « La dynamique de la valeur carbone dans un cadre
incertain », Rapport de la Commission présidée par Alain Quinet sur la valeur tutélaire
du carbone, Centre d’Analyse Stratégique

Grandjean A. et al. (2011), « Financer l’avenir sans creuser la dette », Veille et
Propositions n° 5, Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme

Guéant O., Guesnerie R., et Lasry J.M. (2012), « Ecological Intuition vs Economic
Reason », Journal of Public Economic Theory, 14 :245-272

Guesnerie R., Henriet F. et Nicolai J.P. (2012), « Trois questions épineuses à l’arrièreplan des politiques climatiques », Annales d’Economie et Statistiques, hors série n°1

Henriet F., Maggiar N., et Schubert K. (2013), « A stylised applied energy-economy
model for France », mimeo

Stern N. (2007), “The Economics of the Climat Change : The Stern Review”,
Cambridge University Press

Stern N. et Edenhofer O. (2009), “Towards a global Green Recovery”, Rapport au G
20
25
Téléchargement