2) L’Art du vrai
« Dans l’art nous n’avons pas à faire à un jeu simplement agréable et utile, mais au déploiement de la
vérité ». Hegel considère que l’art est une manifestation forte de la vérité de l’homme malgré les
principes de créations. Le beau artistique est supérieur au beau naturel puisque l’esprit est porteur
de vérité. On a donc une idée de recherche de la vérité dans l’œuvre d’art. Il y a une tendance dans la
musique du XXe siècle à rechercher d’avantage la vérité que le beau. A l’époque des Lumières, vérité
et beauté étaient toujours associés. La vérité n’est pas forcément belle, et toute beauté n’est pas
forcément vraie. La vérité peut être l’expression d’idées sombres qui ne doivent pas être embellie.
Schönberg est intéressé par cette pensée, qui s’échappe de la tonalité et de l’accord parfait, créant
des œuvres qui font preuve d’une violence, avec des contrastes brutaux, des dissonances âpres. L’art
ne va plus transcender la société, mais se fondre en elle. « Les dissonances qui effraient les auditeurs
leur parle de leur propre condition, c’est uniquement pour cela qu’elles leur sont
insupportables »,Philosophie de la nouvelle musique, Adorno.
à Klavierstücke No. 3 Op. 11 – Schönberg
C’est une musique éclatée dans le registre, un rythme non pulsé. Beaucoup de silences qui
interrompent la matière musicale. Il n’y a pas d’illustration précise, mais la musique est très
expressive, avec beaucoup de violence. La forme n’est pas difficile à percevoir, la première partie est
éclatée, la seconde plus lente avec un soupçon de mélodie, puis un retour à l’éclatement.
Adorno va beaucoup critiquer la musique Classique et Romantique, qui est souvent réduite dans
l’image qu’en ont les auditeurs à des « thèmes faciles », ou d’une « beauté néfaste ». L’apparence
n’est pas la vérité (Platon et le mythe de la caverne). Les associations d’images sont fallacieuses. La
musique, comme Nietzsche ou Hanslick, se grandit quand elle n’exprime pas quelque chose de
précis, quand elle reste un art de l’abstrait. Pour Adorno, les œuvres du passé sont devenues des
objets de consommation du capitalisme culturel, « du genre décoration ». Il n’attaque pas l’œuvre en
soit, mais les conditions de représentation de cette œuvre. Il juge cette approche superficielle. Il
dénonce également des attitudes très répandues au tournant du XIXe siècle et au début du XXe siècle
à l’utilisation de musiques populaires qui représenteraient une image très bourgeoise du peuple, par
le mélange symphonique des thèmes populaires. « Tout ce que, après Chopin, la musique a contenu
de national est empoisonné tant socialement qu’esthétiquement », Introduction à la sociologie de la
musique (1962). Le renfort de l’identité national est néfaste. Le mélange entre le savant et le
populaire n’est pas un mélange réussi. Boulez considère que ça ne donne aucune identité propre.
Pour Adorno, faire appel au folklore est régressif. La musique moderne doit expliquer le réel dans sa
vérité et dans sa complexité, mais sans l’exprimer concrètement. Plus la musique va avoir une
expression concrète, descriptive, narrative, moins elle sera expressive, car elle n’exprimera que
l’apparence des choses. La vérité se situe au-delà de ça, dans ce qui est ineffable. Elle dépasse le réel
en même temps qu’elle l’exprime. Le réel ne doit pas être exprimé de trop près pour être exprimé
justement. La musique instrumentale, car elle est musicalement pure réinvente des moyens
d’expressions par des nouveaux canaux détachés des canaux sémantiques classiques.
Schopenhauer avait intégré ces pensées. La musique est contemplative, un art du temps. Le
dépassement du réel et du concret.
La beauté peut-elle être néfaste ? Deux concepts s’affrontent, le beau et le bien. Pour Kant, le beau
et le bien sont liés. Pour Adorno, seul le vrai est bien, le beau est un accessoire complémentaire ;
bien que le beau puisse être suspect, et détourner les autres de la réalité. Les compositeurs de
l’école de Vienne considéraient que la recherche du beau avait quelque chose de facultatif, voir
inutile. Berg confie à un journaliste en parlant des mélodies de Schönberg « J : Peut-être qu’on les
trouvera belles un jour. B : Pourquoi pas, mais continuons. ». Jusque là, l’idée de beauté était
fondamentale pour un artiste.
« Une dissonance ne doit pas être acceptée ou rejetée sur un critère de beauté. La cohérence, la