BO / SA 2009, Sociologie de l’action collective 1
Sociologie de l’action collective
Cours de Bachelor
Bertrand Oberson
Cours no 2 Société « postmoderne » : individualisme hédoniste et la
construction du sujet
La société postmoderne1
Avant les années soixante, les valeurs dominantes étaient l'épargne, la chasteté, la
conscience professionnelle, l'esprit de sacrifice, l'effort, la ponctualité, l'autorité. Les années
soixante accordèrent beaucoup d'attention au nationalisme, à la justice sociale, à la nouveauté.
Aujourd'hui, la spontanéité, l'accomplissement de soi, la jouissance, la permissivité, l'humour
seraient des marques distinctives. «L'air du temps est à la différence, à la fantaisie, au
décontracté; le standard, l'apprêté n'ont plus bonne presse. Le culte de la spontanéité et la
culture psy stimulent à être «plus» soi-même, à «sentir», à s'analyser, à se libérer des rôles et
des «complexes». On y prétend qu'il n'y a pas de vérité objective – ni « vrai », ni « faux » –
aucune possibilité d'être jamais sûr de son affaire. La seule « vérité », c'est ce qui satisfait
mes intérêts et mes goûts. La culture postmoderne est celle du feeling et de l'émancipation
individuelle élargie à toutes les catégories d'âge et de sexe.»2 L'être postmoderne doit être
«cool», décrispé, flexible, décontracté, permissif, tolérant.
Que faut-il penser de la société postmoderne? Certains y voient un progrès : l'être humain
jouit d'une plus grande liberté, devient plus tolérant, plus autonome, plus responsable; d'autres
craignent que la cohésion sociale se dissolve, que nous sombrions dans un certain chaos : «Le
danger ne réside pas tant dans un contrôle despotique que dans la fragmentation - c'est-à-dire
1 http://www.litterature-quebecoise.org/p-modern2.htm
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dans l'inaptitude de plus en plus grande des gens à former un projet commun et à le mettre en
exécution. La fragmentation survient lorsque les gens en viennent à se concevoir eux-mêmes
de façon de plus en plus atomiste, autrement dit, de moins en moins liés à leur concitoyen par
des projets et des allégeances communes.»3 La plupart s'entendent pour dire que notre société
est dans une phase de transition (comme la Renaissance en fut une), que les véritables
changements seront le fait du XXle siècle.
L’homme a perdu toutes ses illusions, illusions du progrès, illusion de l’omniscience et
illusion de la maîtrise de la nature. Les sociologues de la postmodernité décrivent l’avènement
imminent de sociétés sans classes, sans emploi fixe et sans culture dominante. Réseaux,
tribus, interactions à distances et styles de consommation feraient alors office de repères pour
chacun4.
La consommation est un argument central des sociologues de la postmodernité. Le principe
du plaisir et celui de la réalité, au lieu de s’opposer, sont confondus chez le consommateur
postmoderne. La postmodernité est un âge où le doute est envahissant. La culture,
l’organisation économique et la structure sociale sont affectées par trois tendances évolutives
globales :
1. À la consommation de masse uniforme se substituent des styles de vie. Le paysage des
consommations se complique et se transforme de façon spontanée, par fragmentation et
bricolage.
2. À la grande industrie se substitue des formes flexibles d’organisation industrielle et du travail.
3. À une stratification sociale hiérarchisée en un petit nombre de classe distinctes se substitue
une structure plus floue : la nébuleuse des classes moyennes5.
Retours sur l'agir en société:
L'action collective est définie comme une action commune d'un ou plusieurs groupes pour
faire triompher des fins partagées.
L'organisation assure la collaboration des individus. Une organisation est composée par des
mécanismes prévus de réponses institués qui interviennent aux attentes de ses membres. Une
organisation crée ainsi de la régularité : elle prévoit les modes d'intervention. L'action
collective ne prend pas toujours la forme d'une organisation, elle utilise parfois des canaux
2 LIPOVETSKY G., L'Ère du vide : essais sur l'individualisme contemporain, Paris, Éditions Gallimard, 1983, p.
24
3 Charles TAYLOR, cité dans BOISVERT Y., Le Monde postmoderne : Analyse du discours sur la postmodernité,
Paris, Éditions L’Harmattan, Collection Logiques sociales, 1996, p. 111.
4 Sciences Humaines, no 73, juin 1997, pp. 12-13.
5 HERPIN N., « Sommes-nous postmodernes ? » in Sciences Humaines, no 73, juin 1997, p.26.
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non-institutionnalisés, non-préexistants, non-définis d'expression d'intérêts (ex.
manifestations). Les finalités partagées sont alors la volonté de transformer la situation.
Une action collective a donc une vie, elle est un processus interactif non-linéaire.
Quelles conséquences à cet individualisme hédoniste? L'intérêt collectif, les fins visées ne
sont certainement plus des questions de classes sociales, mais plus parcellisées, localisées,
spécialisées. L'engagement personnel permettant ainsi de se construire en tant qu'être unique.
Nombre de caractéristiques contemporaines de l’engagement relèvent d’un fonctionnement en
réseau, en ce qu’elles ne contribuent aucunement à fixer les limites de l’unité sociale du
groupement. C’est le cas des collectifs qui accueillent des individus aux engagements
éphémères, résiliables à tout moment, limités dans le temps comme dans la tâche à accomplir.
Les groupements informels de jeunes en constituent un exemple frappant : la composition du
groupe n’est jamais fixée puisqu’elle dépend de la distribution quasi aléatoire de ses membres
au gré des actions ponctuelles décidées dans une logique d’anticonformisme revendiqué.
Enfin, on notera qu’en recrutant leurs membres de plus en plus souvent au nom de leurs
compétences personnelles et savoir-faire professionnels (avocats, médecins, infirmières,
comptables gestionnaires, « professionnels de la parole », ou de l’écoute, capital social,
capacité de médiation), les groupements peuvent se mettre en situation de renoncer à maîtriser
leurs identités collectives respectives. En d’autres termes, l’affiliation de l’individu au groupe
n’est plus le pré-requis principal : ces ressources sont mobilisées sans conditions d’intégration
préalable des personnes aux valeurs du groupement.
Engagement à la carte, éphémère, multiple, à distance: l'existence et la vie du groupement ne
constituent plus un enjeu fondamental de l'action. En cela, l'engagement ne saurait être
compris comme la confirmation d'un ancrage communautaire déjà présent ou comme la
manifestation de l'appartenance à une identité collective qui existerait à l'état latent: "la
sociologie du volontariat ne peut s'accommoder, a priori, de considérations subsumant la
diversité des cas d'investissement désintéressé sous une même réalité. De fait, les corps de
volontaires rassemblent aujourd'hui des individus aux trajectoires sociales si différentes qu'il
devient risqué de reconnaître une communauté de valeurs, d'admettre une similitude de
postures, sinon de stratégies, à l'égard de l'enrôlement".6 Nombre d'analyses de groupements
récents se trouvent également confrontés à l'extrême diversité sociale de leurs membres.
Certes, auteurs de leur engagement, les individus du groupement, réunis en réseau, continuent
d'agir en nom collectif; mais pour cela, vivre le collectif n'est plus un pré-requis.
6 RÉTIÈRE Ph., "Être sapeur-pompier volontaire. Du dévouement à la compétence" in Genèses, juin 1994, p. 95.
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À tout le moins ces obligations ont perdu de leur solennité voire de leur ritualité: témoins les
indicateurs relevés dans la quasi-totalité des groupements observés: disparition des cartes de
membres, absence de rappel des cotisations, voire refus de toute obligation de cotisation,
moindre importance conférée aux rapports d'activité, désignation quasiment informelle des
responsables. Pour autant, l'action n'est pas désorganisée; mais l'action institutionnelle des
groupements est réduite aux objectifs formels de l'association: différenciée selon les
compétences de chacun et les prises d'initiatives individuelles.7
7 ION J. & RAVON B., "Causes publiques, affranchissement des appartenances et engagement personnel" in Lien
Social et Politiques, RIAC, no 39, printemps 1998, p. 64.
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