Fiche support séquence 3

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Leçon 3 : Les langues du Tanakh
Séquence 3: L’hébreu biblique (lechone hakodèch) et l’araméen,
langues de la sainteté.
Nommer l’hébreu biblique, langue de sainteté
Revenons donc à la langue, l'hébreu biblique. Comment s'appelle-t-elle dans les livres
hébraïques eux-mêmes ?
D'abord il faut savoir que l'hébreu biblique ne s'appelle pas, contrairement à ce que dit
Wikipedia, *Ivrit tanakhit : cela c'est une appellation moderne de l’hébreu biblique. Dans la
Bible, on trouve une fois dans les Rois l'expression*Yehoudit qui est la langue de
Juda, puisque Yehouda en hébreu c'est le nom de Juda qui va devenir le nom de tout le
royaume de Juda le royaume de la dynastie de David. Toute la région du royaume de Juda va
s'appeler la Judée et la langue qu'on parle en Judée s'appelle le Judéen. Cela semble assez
normal, et donc on trouve dans la Bible une fois l'appellation Yehoudit, l'hébreu de Juda.
On trouve également quelque part l'appellation *Cnaanit d'après le Livre de Daniel où Daniel
parle de cnaanit. Cnaanit serait donc l'hébreu de Canaan, ce qui est logique puisque c'est là
que l'hébreu de la Bible s'est développé. Et puis, par la suite, on va trouver dans la Mishna, le
Talmud, les Targoumim, diverses appellations de l'hébreu et l'appellation qui est la plus
courante dans les textes rabbiniques anciens c'est *Lechone HaKodesh: la langue de la
sainteté. Jusqu'à ce jour, les rabbins voulant parler de l'hébreu biblique ne parlent pas
d'hébreu biblique mais de langue de la Sainteté. On revient à cette légende selon certains, ce
mythe selon d'autres, cette vérité selon les Juifs, que la langue hébraïque est une langue
particulière dans laquelle repose la Sainteté.
Je vous faire remarquer quelque chose d'important : lorsqu'on parle français, on a tendance à
parler de terre sainte, langue sainte, ville sainte. Cela traduit en fait des expressions qui en
hébreu sont en forme construite, c'est à dire la terre de la sainteté *Eretz HaKodesh, *
Yerushalaïm ir HaKodesh. L'hébreu s'appelle donc langue de la Sainteté. Cette forme
construite, et là je me réfère à mon maître, Manitou, le rabbin Léon Ashkenazi (1922-1996) :
cette forme construite montre que la sainteté n’est pas intrinsèque à la langue, à la terre, à la
ville : la sainteté est descendue. C'est, si vous voulez, une transcendance qui devient
immanence, elle est descendue pour s'investir dans des choses concrètes qui ont été données à
l'homme. C'est à dire qu'il y a quand même une différence entre l'hébreu dans lequel le monde
a été créé et que Dieu parlait et Lechone HaKodesh, qui est l'hébreu de la Sainteté donnée à
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l'homme. Cet hébreu de la Sainteté, Lechone HaKodesh, est la langue dans laquelle la Torah a
été donnée à Moïse sur le Mont Sinaï. C’est pourquoi la Torah est considérée comme un texte
de la Sainteté, un écrit saint, Kitve HaKodesh.
En effet, si l'on croit que chaque mot a été dicté à Moïse par Dieu on comprend pourquoi les
exégètes se sont penchés sur chaque syllabe, y compris sur chaque lettre, y compris sur les
couronnes qui illustraient les lettres de l'alphabet hébraïque. On considère que ce texte n'est
pas écrit par hasard, pour des raisons de style ou d'époque, mais qu'il est la traduction de la
parole divine, avec des allusions, avec des leçons reçues au Sinaï oralement, et que donc
l'exégèse se justifie.
L’araméen : langue sainteté
Dans la Bible, l'hébreu n'est pas la seule langue je vous en ai parlé tout à l'heure. Il y a aussi
l'araméen. L'araméen va apparaître dans les livres tardifs des Prophètes qui se trouvaient en
Babylonie après l'exil de Babylone, le premier exil de 586 après la destruction du premier
Temple. Je pense évidemment à Daniel et au livre d'Ezra, mais Ezra et Daniel, Ezra et
Néhémie ne formaient qu'un seul livre dans l'Antiquité.
En tout cas, Ezra, Néhémie et Daniel sont écrits par des gens nés en Babylonie dont l'araméen
est aussi langue maternelle et donc une partie du livre de Daniel est écrite en hébreu, l'autre
en araméen. Ces langues sont considérées comme langues de la Bible, donc aussi langues
sacrées, et le Talmud se donne énormément de mal pour expliquer que tant l'hébreu que
l'araméen sont des langues différentes des autres. Alors on nous dit que les anges ne
comprennent que l'hébreu et que, souvent, lorsque le peuple d'Israël veut s'adresser à Dieu en
implorant son pardon, sa clémence, sa compassion - alors que les anges ont comme mission
d'appliquer la rigueur - Israël parle en araméen parce que les anges ne le comprennent pas.
Il y a énormément d'explications qui montrent que tout de même l'araméen a un emploi assez
spécifique dans la tradition juive. Si on revient aux textes de la Bible, Alliance de Jacob et
Laban (Genèse, Chapitre 3) : pratiquement à la fin, lorsque Jacob et Laban établissent entre
eux une alliance et, en signe d'alliance, ils édifient un monticule de pierres. Ce monticule de
pierres, Laban va l'appeler en araméen *Yegar Saadouta (le monticule de pierres nommé par
Laban) alors que Jacob va l’appeler *Gal HaEd (le monticule de pierres nommé par Jacob).
Gal c'est un monceau, galgal c'est rouler : ce sont deux consonnes redoublées galgal. Gal :
les deux consonnes forment le noyau de la racine. Gal c'est donc un monticule et Ha Ed c'est
le mot témoin, témoignage. D'ailleurs, les tables d'Alliance, les Tables de la loi s'appelleront
aussi Loukhot Ha Edout (Tables de la loi, du témoignage). Vous voyez, ce nom est donné en
hébreu par Jacob, chapitre 31 verset 48, alors que donc Laban, au verset 47, l'appelle Sahar
Yehadouta.
Ce qui est très intéressant, c'est que dans les commentaires, on trouve dans le Targoum
Yonathan (on parlera des Targoumim, des traductions en araméen de la Bible dans une
prochaine leçon) que Laban l'appela Hogar Sahid (en araméen) : « Monticule du
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Témoignage ». Hogar, cela nous rappelle les Monts du Hoggar dans le Sahara, et Sahid cela
ressemble à Shahid qui veut dire le témoin, bien avant de vouloir dire le martyre.
D'ailleurs, martyre en latin - comme shahid en arabe - veulent d'abord dire témoin, c'est à dire
quelqu'un qui atteste de la vérité de la transmission des textes sacrés, le texte de la sainteté
pour reprendre ce que je disais. Et c'est le Targoum Yonathan (qui date sans doute du IIème
siècle après l'ère chrétienne) qui développe en disant que c'est dans la langue de la Maison de
Sainteté. Donc c'est déjà une appellation de l'hébreu biblique Ekhishan beth Koudcha. Rachi,
lui, va dire que Yegar Saadouta c'est la traduction araméenne de Gal HaEd. Si on reprend
une logique historique, évidemment cela n'est pas une traduction araméenne de Gal
HaEd, c'est le contraire.
L'araméen est la langue primitive des Patriarches. Les Patriarches, bien sûr Abraham d'abord,
parlaient l'araméen. Mais n'oublions pas que Dieu dit à Abraham : « Lève-toi et va pour toi
vers le pays que je te désignerai » et ce pays s'avère être Canaan. Abraham est tenu de tout
quitter ; la maison de ses pères, son lieu de naissance et sans doute sa langue. Il doit arriver en
Canaan et, dans ce pays, il va adopter la langue des Cananéens qui est peut-être finalement la
langue qui était destinée au peuple hébreu de même que la terre lui était destinée. Donc, la
langue de Canaan est devenue la langue de la Sainteté parce que c'est la langue de la terre de
la Sainteté qui a été promise par Dieu au peuple Juif, au peuple d'Israël, Bne Israël, les enfants
d'Israël, les enfants de Jacob qui descend d'Abraham.
En résumé, la langue originelle des Patriarches, non pas de la Création du Monde selon la
tradition juive mais celle des Patriarches selon la Bible, c'est bien l'araméen. Abraham se
déplace vers Canaan et commence à parler le cananéen. Finalement, nous retrouvons le
tableau que je vous avais montré concernant les langues sémitiques, avec le protosémitique
(voir séquence 1) les diverses langues orientales, occidentales, le cananéen, l'hébreu et le
moabite dans la même section. Les Patriarches parlent donc araméen et ce n'est qu’en Canaan
qu'ils parlent cananéen jusqu'à l'époque où le cananéen devient un dialecte très spécifique des
Hébreux - qu'on va appeler l'hébreu - et qui, on l'a vu, s'appelle Yehoudit, la langue de Juda
dans la Bible qui est donc une langue attestée ensuite par les documents que nous avons.
Lorsque le peuple de Juda est déporté -ou en tout cas ses élites- en Babylonie, il va
réapprendre l'araméen. Lorsqu'il reviendra en terre d'Israël grâce au décret de Cyrus, il
continuera à parler l'araméen mais il réapprendra l'hébreu à partir du 5ème siècle avant l'ère
chrétienne et l'hébreu sera probablement langue parlée et pas seulement langue de la
Bible. Lorsque l'on veut comprendre le moment où l'hébreu évolue encore, il faut voir les
textes mis par écrit qui attestent, en fait au IIème siècle de l'ère chrétienne à cause d'aléas
historiques. Ces textes qui deviennent en fait des textes écrits alors qu'ils étaient transmis
oralement et qui vont donc attester de l'état tardif de l'hébreu écrit et parlé, l'hébreu
mishnique.
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