La belle au bois dormant
Fabienne Bergmann
Sa beauté était légendaire. Elle vécut à la cour du plus grand roi et y fut
courtisée. Un jour, on ne l'entendit plus et on la crut morte. Mais ce n'était
qu'une léthargie. D'ailleurs les docteurs se refusèrent à diagnostiquer un coma
et la traitèrent avec déférence. Nombre d'entre eux, bien longtemps, se sont
pressés à son chevet et l'ont choyée. Mais entendait-elle seulement tout ce que
l'on chuchotait en son nom ? Sans doute a-t-elle souri dans son sommeil,
sachant qu'elle en sortirait grandie. Et un jour arriva un prince et son amour et
sa détermination ont eu raison de tous les obstacles.
On ne sait pas grand-chose de la langue ancienne que parlaient les Hébreux
entrés au pays de Canaan (au 13ème siècle avant l'ère chrétienne). Nous
connaissons beaucoup mieux la langue des prêtres, des prophètes et des
fonctionnaires royaux du roi David. C'est l'hébreu dans lequel est écrit la
presque totalité de la Bible.
A la destruction du premier Temple (en 586 avant l'ère chrétienne), les élites
furent exilées en Babylonie. Les villageois, restés dans le pays, continuèrent
de parler des dialectes à partir desquels se développa la langue de nos Sages
(םימכח ןושל( que l'on parlait à l'époque du Second Temple et jusque vers l'an
200 de notre ère. Les meguilot trouvées dans le désert de Judée sont de cette
époque, mais elles sont écrites dans un hébreu qui se voulait châtié (donc
biblique) qu'on ne parlait plus. La Michna, par contre, basée sur les notes
prises par les étudiants à leur cours, est écrite dans la langue parlée de
l'époque. Cette langue fut influencée par l'araméen langue officielle des
royaumes de Babylonie et de Perse. L'hébreu acquit par ce biais les mots
darga ( הגרד grade), ouvda (הדבוע fait), zaban (ןבז vendeur), machkanta
(אתנכשמ hypothèque), harpatka (הקתפרה aventure) que nous employons
couramment aujourd'hui et même le verbe qui définit mon métier : letarguem
(םגרתל traduire). A l'époque hellénistique, toujours par la langue de Sages,
l'hébreu s'enrichit aussi de mots grecs comme ambatia (baignoire היטבמא(,
basis (base סיסב(, zoug (couple ou paire גוז(, partsouf (figure ףוצרפ( ou tik (sac
קית( qui apparaissent dans nos conversations les plus banales.
Après la révolte de Bar Kohba, la majorité des Juifs ne vivaient plus en Terre
d'Israël et l'hébreu fut de moins en moins parlé. Jusqu'à la fin du dix-neuvième
siècle, il cessa d'être une langue nationale parlée. Il resta cependant la langue
écrite des Juifs et outre la littérature rabbinique, il produisit des œuvres
poétiques comme le piyout - chants liturgiques ajoutées aux prières - qui se
développa notamment en Terre d'Israël au troisième siècle.
Au Moyen-âge, Rabbi Yehouda Halevi ou Shlomo Ibn-Gbirol
recommencèrent à écrire de la poésie en hébreu. Par ailleurs, suite au désir du
monde chrétien de profiter des fruits de la science ou de la philosophie
développés dans le monde musulman, se développa une gigantesque œuvre de
traduction qui passa souvent par l'hébreu. Les traducteurs avaient besoin de
mots nouveaux et l'hébreu s'enrichit ainsi de termes "scientifiques" comme
mercaz (centre זכרמ ), chétah (surface חטש(, camout (quantité תומכ), eyhout
(qualité תוכיא(, éfèss (zéro ספא(, higayon (logique ןויגה(, metsiout (réalité
תואיצמ(etc.
Mais notre belle continuait à dormir…
Fabienne Bergmann
Traductrice
français-hébreu-anglais
www.traduc71.com
052-46 66 210
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