"Je suis comme je suis", nous dit l'hébreu en douce Première partie : les racines Fabienne Bergmann L'hébreu souffre, chez nombre de Français, de la réputation d'être une langue absconse. Ne dit-on pas de quelque chose d'incompréhensible que "c'est de l'hébreu" ? Le francophone peut se sentir dépaysé en hébreu, du fait que cette langue s’écrit et se lit de droite à gauche et possède un alphabet consonantique. Certes, la logique interne de la langue hébraïque est tout autre que celle de la langue de Voltaire, mais cela ne signifie par pour autant qu'elle n'en a pas, bien au contraire ! La structure de l'hébreu est si consistante qu'elle en est presque mathématique. Ainsi, en hébreu tout mot peut s’analyser par l'interaction de deux phénomènes: la racine et le schème (michkal). Laissons ce dernier pour le moment (je vous en parlerai une autre fois) et penchons-nous sur le phénomène des racines. Qu'y a-t-il de commun entre une dictée, un contrat de mariage, une épigraphe et le révisionnisme historique ? Pas grand-chose en français. En hébreu, ces mots - hahtava הכתבה, ketouba כתובה, ketovet כתובתet chihtouv שכתוב ההיסטוריה- viennent tous de la même racine kaf, taf, bet qui est celle du verbe écrire. De surcroît, la langue la plus ancienne à être parlée aujourd'hui, porte intrinsèquement en elle, des vérités toutes modernes. Bien avant la science, l'hébreu - en faisant dériver les deux mots de la même racine - nous disait déjà que l'oreille (ozen )אזןest non seulement l'organe de l'audition, mais également celui de l'équilibre (izoun איזון maazan מאזן, moznaim מאזנייםse rapportent à ce concept). La racine de chaque mot se dégage naturellement pour le locuteur hébraïsant qui distingue l'ajout d’une consonne préfixale ou suffixale. Une racine hébraïque a généralement trois lettres, mais la langue connaît aussi des racines de quatre, voire de cinq lettres, surtout pour des mots "importés". C’est ainsi que l’on peut produire un adjectif, une conjugaison, une forme passive, un indicatif, etc. à partir de n’importe quelle racine, même si le mot est un néologisme ou d’origine étrangère [laazim לעזי"םcomme l’écrit Rashi]. Prenons par exemple le mot téléphone ( )טלפוןse prononçant bien entendu « téléfone ». Le verbe « téléphoner » suivant les règle de la grammaire hébraïque, se dit « letalepène » ( )לטלפןCertains prononcent « letalefène » par assimilation, ce qui est une erreur, puisque le verbe, arrivé en Terre Sainte avec une racine de cinq lettres, a automatiquement été intégré à la forme de conjugaison renforcée du Piel [ ]פיעלqui ne connaît à l'infinitif que la mélodie é-a-é et le daguech transformant le f en p. C'est mathématique, vous disais-je. L'hébreu a pu ainsi générer des mots et enrichir son vocabulaire selon sa propre logique. On peut même inventer un mot absent de tous les dictionnaires hébraïques et être pourtant parfaitement compris si on dérive ce mot d'une racine connue avec un schème courant; ce qui n'est pas vraiment le cas en français.