L'IDÉE DE CONTINGENCE CHEZ BOUTROUX Io5
Dans la première œuvre, ce qui l'intéresse par dessus tout ce
sont les notions contraires de nécessité et de contingence et les
relations qu'elles soutiennent ;dans la seconde, c'est la relation
entre la contingence et le déterminisme. Mais les préoccupations
fondamentales et les idées directrices n'ont pas changé ;il n'a
fait que les enrichir et les préciser.
Considérons àprésent quelles furent les intentions philo¬
sophiques de Boutroux. Il avécu àune époque où le détermi¬
nisme des sciences s'affirmait et où l'idée de nécessité mathé¬
matique semblait triompher, en deux siècles àpeine, des
difficultés énormes auxquelles elle s'était heurtée àses origines.
Descartes avait proposé comme modèle àla science une réduc¬
tion totale du connaissable àl'analyse ;Leibnitz, malgré les
réserves que l'on peut faire, aspira plus encore àfonder une
caractéristique universelle, un système d'algorithmes qui permît
de ramener tout, jusqu'aux mathématiques elles-mêmes, àune
systématisation logique, àcette analyse dont il venait d'appro¬
fondir la notion par la découverte du calcul infinitésimal. Plus
tard les travaux gigantesques des Lagrange et des Laplace,
sans parler de ceux de Newton auparavant, amenèrent la
science àse modeler de plus en plus sur la conception de
Descartes et de Leibnitz :l'application de l'analyse àl'expé¬
rience n'avait-elle pas permis de fonder la dynamique, la méca¬
nique céleste et la physique mathématique presque d'un seul
coup Poncelet et Cauchy entre 1820 et i85o ne triomphaient-ils
pas des difficultés «métaphysiques »du calcul infinitésimal et
ne fondaient-ils pas ce que Brunschwicg appelle très heureuse¬
ment ce l'autonomie de l'analyse »L'idée de nécessité mathéma¬
tique devenait en quelque sorte le fondement de fa science et
de la philosophie des sciences.
Auguste Comte avait, il est vrai, modifié la conception uni¬
taire de la science en montrant dans sa fameuse classification
des sciences que chaque science particulière ases postulats et
ses méthodes propres, que chacune d'elles forme en quelque
sorte un système clos ;mais l'idée de nécessité demeurait àpeu
près intacte, car Comte considérait le progrès des sciences, leur
échelonnement comme une ce complexité croissante »et non
comme une superposition de sciences discontinues les unes par
rapport aux autres.