AK1978_5_10_545-550

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Mise au point
Recherche de justification
de la rééducation respiratoire
de l'asthme intermittent à partir
de la psychologie expérimentale
Ann. Kinésithér., 1978,5.545-550
G. PIERRON
*
A partir d'une double formation - kinésithérapeute et psychologue - l'auteur nous rappelle que l'approche thérapeutique par le
((conditionnement)) est très utilisée par le psychologue de manière
délibérée et formelle, par le kinésithérapeute de manière trop informelle,
souvent dans l'ignorance des principes même de cet abord du patient. La
((thérapie comportementale)) ou ((behaviourism)) présente cet intérêt
d'étudier les facteurs objectifs, visibles et enregistrables du comportement
individuel, et d'agir sur celà seul. L'utilité de cette approche est évidente
dans notre métier.
INTRODUCTION
Trois raisons essentielles ont déterminé ce besoin de justification.
1°) La maladie asthmatique capricieuse, plurifactorielle est difficile à
cerner tant sur le plan étiologique que physiopathologique. Il est donc
impossible de baser la kinésithérapie sur ces données.
2°) Si la rééducation paraît évidente face à l'asthme chronique bien
souvent intriqué à une bronchite et faisant alors partie des broncho-pneumopathies chroniques obstructives, elle peut sembler superflue voire
inutile dans l'asthme intermittent qui ne présente pas ou peu d'anomalies
cliniquement décelables en dehors des épisodes paroxystiques.
3°) Nous pensons que la kinésithérapie respiratoire peut être d'un
grand secours dans le traitement de cette maladie. Elle peut en outre
s'associer aussi bien à une psychothérapie qu'à une désensibilisation .
• M.C.M.K., enseignant au Centre Pédagogique
Kinésithérapie de Bourg-la-Reine.
Demandes
de tirés à part:
de Massa-Kinésithérapie
C.P.M.K., 12, rue du Val-d'Osne,
F 94410
de Saint-Maurice
et à l'Institut
de
Saint-Maurice.
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Nous allons ainsi tenter d'aborder l'asthme par le biais de la
psychologie expérimentale et plus particulièrement par celui du courant
béhavioriste.
Nous aborderons ensuite les techniques rééducatives qui sont très
classiques (1) (2). en insistant sur un point essentiel: la progression.
1. -
Les deux types de conditionnement
Le behaviorisme, contrairement aux méthodes introspectives, prend
uniquement en considération l'étude du comportement. Le terme comportement devant être pris dans un sens large, étudiant toute réponse
observable et mesurable d'un organisme, ces réponses peuvent être
externes (vie de relation) ou internes (neuro-végétative et glandulaire). Les
comportements se divisent en deux grands types que nous allons
considérer .
. Le comportement répondant: correspond à une réponse de l'organisme entraînée par une modification de l'environnement .
. Le comportement opérant: inversement caractérise une modification du milieu (interne ou externe) suite à un changement d'état de l'organisme.
Les lois régissant les modifications de ces comportements étudiés en
laboratoire sont qualifiées de conditionnement, et de même qu'il existe
deux types de comportement, nous aurons deux types de conditionnement.
1°) Le conditionnement classique: c'est un conditionnement répondant. Il a été mis en évidence par la célèbre expérience de Pavlov (6) :
un chien salive lorsqu'on lui présente de la viande et si on fait précéder
cette présentation de viande par une sonnerie et ce durant un certain
temps, la sonnerie seule, déclenche la salivation.
Ce type peut se résumer de la façon suivante:
SI (stimulus inconditionnel)
RI (réponse inconditionnelle).
-->
Prenons un stimulus conditionnel qui est neutre au départ SC.
Associons les deux stimuli.
(SC + SI) x n
RI (réponse inconditionnelle), puis présentation SC
seul H RC (réponse conditionnelle.
De nombreuses variantes sont possibles sur ce même schéma, l'JOUS
pouvons ainsi utiliser un agent nociceptif comme SI, et par exemple on
obtiendra une très forte anxiété chez un chien au déclenchement d'une
sonnerie après avoir associé un certain nombre de fois: sonnerie et choc
électrique. Une liaison stable peut même être créée après une seule
présentation du couple SI-SC lorsque SI possède une très forte valence et
surtout s'il est nociceptif.
-->
De même, il est possible d'observer le phénomène de généralisation
qui se traduit par la réponse de l'organisme non seulement à la pré546
sentation du SC mais aussi à tous les stimuli de la même famille, par
exemple tous les objets de la même couleur.
2°) le conditionnement opérant ou encore instrumental. Plusieurs
auteurs ont étudié ce type de conditionnement (3). mais c'est Skinner (7)
que nous prendrons en exemple avec ses boîtes expérimentales.
Une souris affamée est enfermée dans une boîte, à l'intérieur de
laquelle se trouve un levier relié à un distributeur de nourriture. La souris
va présenter un comportement d'exploration et va manœuvrer le levier par
hasard au cours de ses déplacements dans la boîte. Cette manœuvre va
déclencher la chute d'une boulette de nourriture. La souris va alors privilégier cet acte moteur et en augmenter la fréquence d'exécution.
Ce type de conditionnement peut se résumer de la façon suivante:
R réaction motrice ...• S2 modification du milieu
S2
S' (situation de départ) = valence ±
En effet, cette modification peut avoir deux valences:
- Soit une valence positive (caractère agréable, satisfaisant, comme
apparition de nourriture ou encore arrêt d'une stimulation nociceptive) et
dans ce cas, la réaction l'ayant entraînée va voir sa fréquence augmenter.
C'est le renforcement positif.
- Soit une valence négative (caractère désagréable nociceptif) et la
réaction de l'organisme va tendre à disparaître. C'est la réaction d'évitement ou d'échappement entraînée par un renforcement négatif.
*
Il. - Transposition de ces modèles à l'asthme intermittent
En analysant le déroulement des situations et des comportements au
cours de ces épisodes, il est possible de retrouver.
1) Un modèle répondant
Nous avons tout d'abord un agent déclenchant (soit allergène, psychologique ou autre) qui entraîne l'apparition de la crise, c'est donc le SI.
Mais pour le malade le contact avec l'agent déclenchant est toujours
associé soit à la vue de cet a{1ent, soit à une situation particulière, soit
encore à l'apparition de prodromes précédant la crise. Ces différents
éléments neutres au départ peuvent devenir des SC et entraîner à eux
seuls, la crise. Cela est illustré par l'exemple du sujet allergique au pollen
d'une certaine fleur et qui déclenche une crise à la seule vue de la
reproduction en plastique de cette fleur.
2) Un modèle opérant
L'analyse de la crise elle-même en nous plaçant dans l'optique du
conditionnement opérant, nous permet de distinguer une liaison particulièrement intéressante pour des rééducateurs.
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En effet, la crise comporte deux éléments:
Le premier est une modification du milieu interne du sujet se
traduisant par un broncho-spasme et un œdème bronchique; mais ce
trouble neuro-végétatif est toujours associé à une réaction motrice bien
particulière qui est le blocage inspiratoire caractéristique des asthmatiques
en crise.
Donc, pour le malade tout mouvement inspiratoire forcé correspond à
une crise et pourrait éventuellement favoriser la crise.
Cela expliquerait peut-être l'inversion du réflexe inspiratoire souligné
par le Pr Charpin (4) : alors qu'une inspiration forcée entraîne une bronchodilatation chez le sujet normal, elle entraîne une broncho-constriction chez
l'asthmatique, ou encore le fait que l'asthmatique utilise rarement ses
possiblités respiratoires au maximum (même en dehors des crises)
conformément à une réaction d'évitement.
En outre, la crise s'accompagne d'une angoisse, d'une anxiété extrêmement forte, et toute situation rappelant cet état de crise sera très
anxiogène avec retentissement respiratoire (pensons au diaphragme
muscle lié à tous les grands moments de la vie affective et émotionnelle).
La perturbation respiratoire peut alors favoriser l'apparition de la crise.
Les exemples d'asthmatiques déclenchant des épisodes paroxystiques à la
suite d'angoisse sont très nombreux.
III. -
Objectifs de la rééducation
La kinésithérapie respiratoire s'adressant à l'acte respiratoire luimême est donc directement intéressée par ce deuxième type de conditionnement puisqu'elle peut intervenir directement et efficacement dans
un processus de déconditionnement et ce, en se fixant deux objectifs
principaux.
1°) Briser la liaison entre perturbation
neuro-végétative
et
mouvement inspiratoire par une « désensibilisation» (5) progressive pour
utiliser un langage behavioriste. Et cela va déterminer une progression
rigoureuse au cours de la rééducation. Nous débuterons en effet par un
travail respiratoire aussi éloigné que possible de la position de crise, c'està-dire que nous commencerons par un travail expiratoire
et progressivement nous passerons à un travail inspiratoire sur une position
moyenne se déplaçant du secteur expiratoire vers le secteur inspiratoire.
2°) Affiner l'auto-contrôle respiratoire et en particulier, le contrôle du
diaphragme
en fournissant
au sujet le maximum d'informations
rétroactives. Ces informations seront fournies par un véritable guidage
manuel et verbal qui s'estompera en progression.
Il ne s'agit donc en aucun cas de travail diaphragmatique contre résistance en vue d'une musculation, la résistance doit être minime et à visée
informative uniquement.
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IV. -
Application
Ces deux objectifs étant poursuivis en parallèle au cours de la rééducation, nous proposons à titre d'exemple quelques exercices avec
progression.
1°) Contrôle expiratoire
Amener le patient vers un secteur expiratoire puis prolonger le temps
expiratoire d'une façon douce en demandant le son S ou F pour contrôler
la régularité du mouvement.
Arrêt doux, et inspiration nasale pratiquement passive.
En progression varier la position du sujet.
Remarque:
-
Éviter la soif d'air à la fin de l'expiration.
Guidage manuel et verbal important.
2°) Contrôle inspiratoire et diaphragmatique
- Position classique de travail du diaphragme
manuelle reste faible et guide la descente du muscle.
mais la résistance
3°) Respiration localisée
- Abdominale,
- Costale basse + abdominale,
- Costale haute,
d'abord contrôle expiratoire puis contrôle inspiratoire, jusqu'à obtention
d'une parfaite maîtrise de cette localisation.
4°) Respiration fractionnée
a) Expiration fractionnée par des apnées dont on augmentera
progressivement la durée et le nombre.
b) Inspiration fractionnée ensuite en suivant la même progression.
5°) Respiration courte, superficielle
Rythme lent et amplitude importante au départ et progressivement
raccourcir l'amplitude et augmenter le rythme.
Remarque: Chaque exercice sera déplacé en cours de progression
depuis le secteur expiratoire vers le secteur inspiratoire afin d'aborder en
fin de rééducation la position inspiratoire forcée.
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CONCLUSION
La désensibilisation et le contrôle musculaire permettront progressivement au sujet de s'aventurer dans des secteurs respiratoires jusque-là
critiques et même d'affronter la crise, d'en. diminuer l'intensité par une
parfaite maîtrise de son acte respiratoire. La rééducation s'adressant à un
aspect particulier de "affection, s'affirme ainsi comme un complément de
choix de l'arsenal thérapeutique médical.
Références bibliographiques
1. AUGÉ R. - La Kinésithérapie
de l'asthme
intermittent
et de l'asthme
chronique.
Monographies. E. C. K., Bois-Larris, Masson, Paris, 72.
2. AUGÉ R. - La Kinésithérapie respiratoire en pratique courante, Ma/aine, Paris, 77.
3. FRAISSE et PIAGET. - Traité de psychologie expérimentale. Tome 4, PUF, Paris, 75.
4. GAYRAUD P., OREHEK J., CHARPIN J., GERMOUTY J., CATTA J. - Allergies respi,
ratoires. Fisans, Paris, 74.
5. MALCUIT G., GRANGER L., LAROCQUE A. - Les thérapies behaviorales. Presses de
l'Université, Laval, Québec, 72.
6. PAVLOV. - Les réflexes conditionnels. A/can, Paris, 1932.
7. SKINNER. - The behavior of organisms. New York, Appleton Century Crofts, 1938.
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