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dossier
fais-moi signe - août/septembre 2015
pour cela. Au gymnase, l’AI a accepté
car il y avait peu de sourds. Lorsque j’ai
fait ma demande pour le remboursement
des frais du service d’interprètes pour
mes études à l’EPFL, l’administration
de l’AI ne s’est pas montrée très
enthousiaste car elle avait en tête les frais
que cela allait engendrer. J’ai donc été
convoquée pour expliquer mon choix.
Malgré mes explications, le responsable
de mon dossier auprès de l’AI a tenté
de me dissuader et de m’orienter vers
des études en haute école d’ingénierie
et d’architecture. Mais j’ai tenu bon en
refusant et, nalement, j’ai reçu une
décision positive.
Malgré cet accord, les dicultés
n’étaient pas terminées car planier
des interprètes pour toutes les heures
de cours et de pratique n’a pas été facile.
Maîtriser la LSF et le LPC s’est révélé
un avantage précieux car je pouvais faire
appel aussi bien aux interprètes qu’aux
codeuses.
Tu as terminé tes études en 2011.
Qu’as-tu fait après?
J’ai travaillé en parallèle comme architecte
indépendante et comme assistante à
l’EPFL. Cela m’a permis de prendre un
peu de temps pour pouvoir rééchir,
déterminer ce que je voulais faire.
J’ai ensuite eu l’occasion de partir pour
Montréal où j’ai travaillé dans un bureau
d’architecture et de paysage pendant un
an et demi. Ce fut l’occasion de vivre une
nouvelle expérience et de pouvoir avoir
le recul nécessaire pour réaliser la qualité
de l’architecture suisse. C’est aussi durant
cette période que j’ai compris que j’avais
envie de travailler dans un petit bureau
car c’est seulement ainsi qu’on peut avoir
un contact direct aussi bien avec les
clients que les entrepreneurs.
De retour en Suisse, une amie m’a
proposé une collaboration pour un projet
de transformation d’une grange, donc je
me suis mise à mon compte.
Comment se passent les contacts
avec les clients?
Durant mon séjour à Montréal, j’ai
appris l’importance de l’étiquette. Je
me présente donc toujours en premier
comme architecte et non comme sourde.
La communication est une question
secondaire et à laquelle on s’adapte.
Lorsque je suis en réunion avec beaucoup
de personnes, je fais appel à des codeuses
LPC ou aux interprètes LSF. Mais
si je suis seule avec un client, je lis en
général sur les lèvres, utilise l’écrit et le
dessin si nécessaire. Dans la gestion des
aaires, j’utilise beaucoup les e-mails,
Skype, le relais texte, etc. Les nouvelles
technologies aident grandement. Le
seul problème reste encore quand une
personne veut me téléphoner.
Penses-tu que ta surdité influence ton
architecture?
Pour moi, la maîtrise de la lumière est une
priorité dans mon travail et je pense, en
eet, que cela est partiellement lié à ma
surdité car c’est un élément qui est très
important pour les sourds qui sont très
visuels.
Pour le reste, je ne vois pas de réelles
inuences de ma surdité.
A tes yeux, quels sont les éléments
importants à prendre en compte en
vue d’une architecture adaptée aux
sourds?
En premier lieu, je dirais qu’il faut un
système de sécurité dans les bâtiments
qui soit adapté. Cela implique divers
éléments comme des alarmes lumineuses
ou des ascenseurs en partie vitrés, ce qui
permet de garder le contact visuel en cas
de panne. L’orientation dans le bâtiment
doit être claire. Le cloisonnement des
espaces rend paradoxalement la fuite plus
dicile.
En second, j’évoquerais l’accès à
l’information, soit la nécessité de
retranscrire toute information auditive
de manière visuelle. Cet élément doit
impérativement être pris en compte dans
les lieux publics.
Malgré l’existence de normes,
de nombreux bâtiments restent
inadaptés aux sourds. Comment
expliques-tu cela?
La surdité est invisible, il y a en
permanence un besoin d’explication et
de sensibilisation car les gens ne réalisent
et ne comprennent pas les dicultés
auxquelles font face les sourds.
Certes, il existe des normes d’accessibilité
dans la construction liées à la surdité.
Mais il faut être conscient qu’il existe
de très nombreuses normes et que
les architectes ne les connaissent pas
toujours toutes. A cela s’ajoute le fait
que respecter ces normes coûte souvent
plus cher, ce qui reste malheureusement
un frein important face à des clients qui
poussent à l’économie. Or ils oublient
que l’aspect visuel ne prote pas qu’aux
personnes sourdes, mais aussi aux
personnes ne maîtrisant pas la langue
locale, aux enfants, aux visiteurs…
Penses-tu que tes collègues soient
suffisamment sensibilisés et informés
des normes liées à la surdité?
Il faut avouer qu’il y a un gros manque
à ce niveau. La plupart des normes ne
s’apprennent pas en cours mais sur le
terrain. Concernant la sensibilisation à
l’accessibilité universelle, il faudrait peut-
être essayer de l’inclure dans le cursus de
la formation.
Cela se passe-t-il mieux ailleurs dans
le monde?
Selon mon expérience, il y a plus ou moins
les mêmes problèmes, liés à l’ignorance,
ailleurs dans le monde. La Suisse n’est pas
un cas à part. Lors d’un séjour à Paris, j’ai,
par exemple, travaillé dans un bureau de
scénographie. Lors d’un projet dans un
musée, ils n’avaient pas pris en compte
l’adaptation au public sourd. Pourtant, il
y a des solutions!
As-tu en tête un exemple
d’architecture particulièrement bien
adaptée?
Je pense notamment à l’Ecole cantonale
pour enfants sourds (ECES) à Lausanne,
réalisée par le bureau Boschetti
Architectes. Je tiens à les féliciter car c’est
une architecture adaptée aux besoins
des sourds qui est non seulement belle
et laisse beaucoup de place à la lumière
naturelle et au bois.
Quelque chose à ajouter?
J’ai envie de dire que les sourds peuvent le
faire! Mieux, la surdité peut apporter une
autre sensibilité par rapport à l’espace et la
lumière, ce qui est un plus.