BEH 42-43 | 15 Décembre 2015 | 799
Personnes sourdes ou malentendantes : un handicap méconnu, une population vulnérable
visio-gestuelles et culturelles spécifiques qui leur
manquent : par exemple, les réunions de service
se déroulent en langue des signes. Une telle orga-
nisation bouleverse les représentations fondées sur
des préjugés des professionnels et des patients
(voir plus loin), créant un espace possible pour une
véritable prise en compte de l’existence des patients
à travers une communication adaptée.
Le travail d’interprétation confié à des interprètes
diplômés, titulaires d’un master II d’interprétation
(Bac + 5), seule garantie d’une levée rigoureuse
de l’obstacle linguistique et du respect d’un cadre
déontologique sans équivoque.
Des intermédiateurs sourds, indispensables au
dispositif, aident à combler le hiatus culturel entre
professionnels et patients. Titulaires de diplômes
généralement sociaux, ils assurent l’adaptation
des discours par la reformulation des questions et
des explications lors des consultations médicales
et améliorent la compréhension mutuelle, comme
lorsque les patients présentent des déficiences
associées ou des carences linguistiques. Véritables
référents identitaires pour les patients comme pour
les professionnels, ils peuvent également aider les
patients sourds dans leurs démarches administratives.
Parcours de soins du patient sourd
dans les Urass
Le patient est autonome pour prendre son rendez-
vous par SMS, courriel ou fax. Son entourage peut
utiliser le téléphone. Le patient est accueilli sur place
par un ou plusieurs membres de l’équipe, qui le
recevront dans la langue de son choix. Banale pour
la population générale, la possibilité de rencontrer
un médecin, un psychologue ou un travailleur
social dans sa propre langue est inédite pour un
patient sourd.
Si des consultations spécialisées, examens ou hospi-
talisations, sont nécessaires, les unités assurent la
mise à disposition, sur l’intégralité du parcours de
soins au sein du CHU, des moyens humains d’adap-
tation : un interprète diplômé et, si besoin, un intermé-
diateur, parfois un médecin ou une assistante sociale.
Tout soignant, quel qu’il soit, peut ainsi exercer
son métier normalement, sans être entravé par les
questions de communication.
Ce dispositif permet aux patients sourds d’accéder
aux droits élémentaires dont ils sont habituellement
privés : confidentialité (la surdité ne rend plus obliga-
toire la présence d’un proche) et consentement
éclairé (par une information adaptée, le patient est en
mesure d’accepter ou de refuser les soins qui lui sont
proposés). Le patient sourd devient ainsi acteur de
son parcours de soins. Du point de vue des soignants,
le dispositif optimise la prise en charge : réduction des
erreurs diagnostiques, des durées d’hospitalisation
et des examens « de couverture » inutiles, améliora-
tion de l’observance, diminution de la iatrogénicité,
possibilité d’éducation thérapeutique...
Représentations et erreurs professionnelles
Le chiffre de 5 millions de déficients auditifs 6 recouvre
des réalités très diverses. La question n’est pas
« Qu’entend le patient ? » mais « Dans quelle langue
est-il le plus à l’aise ? ». Les sourds profonds de
naissance, majoritairement locuteurs de langue des
signes, représentent 80 000 à 100 000 personnes :
ils ne se plaignent pas de leur surdité (1) mais sont en
difficulté d’accès aux soins. Les personnes devenues
sourdes ou malentendantes, quant à elles, sont plus
nombreuses et rarement concernées par la langue
des signes, mais les difficultés qu’elles expriment
concernent avant tout la carence de lieux de prise en
compte des souffrances et difficultés occasionnées
par leurs troubles auditifs, largement minimisées ou
ignorées par les professionnels 7.
Ainsi, les représentations des patients sourds
qu’ont les professionnels entendants correspondent
rarement à la réalité :
• en France, 80% des sourds sont en difficulté
avec le français écrit, dont l’utilisation donne lieu
à de nombreux malentendus, potentiellement
dramatiques (exemple : 3 comprimés après le
repas = je prends 3 comprimés, et après, je
prends le repas) et, selon la seule étude réalisée
à titre officiel en France 8, 80% des sourds
profonds sont illettrés ;
• la lecture labiale permet au maximum de discri-
miner 1 mot sur 3, la suppléance mentale (2)
assurant un complément de compréhension.
De plus, elle n’est possible qu’en face à face et
perd toute efficacité si plusieurs interlocuteurs
sont en présence ;
• le port d’appareils auditifs ne présume en rien de
la capacité de percevoir la voix. Certains sourds
profonds portent des appareils pour un meilleur
repérage spatial, pour d’autres ils sont inutiles ;
• la présence d’un tiers est faussement rassurante
pour le patient comme pour le soignant. Outre
les problèmes de confidentialité déjà signalés,
l’interprétation est incertaine (95% des parents
entendants d’enfants sourds ne connaissent
pas la langue des signes et utilisent au mieux
un code familial partiel).
(1) Nous faisons référence au fait que ce n’est pas la surdité
qui rend les sourds plus ou moins malheureux mais plutôt le
traitement social de la surdité qui provoque de l’exclusion.
« Être sourd c’est d’abord ne pas être entendu » affirmait
Bernard Mottez 2.
(2) La suppléance mentale est une stratégie principalement
utilisée par les personnes sourdes et malentendantes afin
d’interpréter une discussion suivant le contexte, que ce soit en
contact visuel direct ou en situation d’audition (comme au télé-
phone). Dans ce dernier cas, il est fréquent pour un malentendant
de ne pas comprendre plus d’un quart des mots, mais finale-
ment de comprendre l’essentiel de la discussion. Utilisée avec la
lecture labiale, ou plutôt lecture maxillofaciale, elle permet de
trouver le sens des mots selon le contexte de la discussion, la
logique permettant ainsi d’identifier le mot approprié et de lever
partiellement des confusions ou malentendus.