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I.2. - …. Accentuées par des désaccords sur les sources de ces barrières
Prenons l’exemple des économies d’échelle qui constituent pour Bain une
source importante de barrières à l’entrée. En effet, en présence d’économies d’échelle
dans la production, la taille minimum efficiente peut représenter une part importante
du marché. Les entrants potentiels, dans la mesure où ils sont souvent de taille
modeste, connaissent alors un désavantage en terme de coûts de production et font
face à un dilemme. D’un côté, s’ils choisissent un volume de production faible, le prix
qui s’impose à eux après leur entrée est proche de celui observé avant l’entrée mais
les coûts unitaires, en raison d’une échelle réduite, sont très élevés. D’un autre côté, si
la taille des nouvelles firmes est importante, les coûts unitaires sont bas mais la
production additionnelle aura pour effet de réduire le prix de marché et les profits de
l’industrie. Dans les deux cas, les économies d’échelle découragent l’entrée4.
Pour Stigler, en revanche, il faut chercher une autre explication à l’absence (ou
à la difficulté) d’entrée sur le marché. Les économies d’échelle ne sauraient constituer
une barrière à l’entrée car les entrants ont accès aux mêmes conditions de coût que
les firmes installées5. Ils peuvent donc bénéficier des mêmes opportunités d’échelle
que les firmes en place pour peu qu’ils atteignent la taille minimum efficiente. Le
problème est en fait celui de la taille insuffisante du marché et non pas celui d’une
quelconque barrière à l’entrée. Si nous définissons, comme le fait Stigler, une barrière
comme un différentiel de coût défavorable aux entrants, celle-ci n’existe pas dans le
cas étudié ci-dessus et le nombre de firmes installées est conjointement déterminé par
les économies d’échelle et les conditions de la demande. L’absence d’entrée n’est que
la conséquence d’un niveau trop faible de la demande, laquelle est insuffisante pour
permettre aux firmes de produire une quantité comparable.
La seconde source de barrières à l’entrée identifiée par Bain, la plus
importante à ses yeux, est la différenciation des produits6. Lorsque les produits sont
différenciés, l’élasticité prix croisée de la demande n’est pas infinie lorsque les prix
sont égaux. Ainsi, une firme installée peut, si elle parvient à différencier son produit,
fixer un prix au-dessus du coût marginal, sans qu’une firme candidate à l’entrée
puisse détourner l’ensemble des consommateurs du bien proposé par la firme
installée. A l’origine de cette différenciation selon Bain se trouve essentiellement la
publicité mais aussi les caractéristiques du produit (durabilité, complexité et
4 Ce résultat est très sensible à ce que Modigliani appelle le « postulat de Sylos-Labini ». Ce postulat
stipule que les candidats à l’entrée anticipent une absence de réaction des firmes installées, celles-ci
maintenant leur production au niveau antérieur à l’entrée. Cette menace de la part des firmes
installées peut ne pas être crédible dans la mesure où le profit qu’elles réalisent peut être inférieur
dans ces circonstances à celui qu’elles pourraient obtenir en accommodant l’entrée, c’est-à-dire en
baissant leur niveau de production.
5 La définition des barrières à l’entrée au sens de Stigler met l’accent sur le différentiel de coût actuel
entre la firme installée et les firmes entrantes. Ainsi, un coût supporté au moment de l’entrée par les
seules firmes entrantes est une barrière à l’entrée, même si la firme ou les firmes en place avai(en)t à le
supporter au moment de leur entrée respective (McAfee, Mialon, and Williams (2004, p.462)).
6 Les avantages absolus de coûts constituent une autre source de barrières à l’entrée pour Bain mais
nous l’omettons ici car notre objet n’est pas d’être exhaustif mais de souligner les divergences entre
Bain et Stigler.