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d’une intensité variables ; elle s’exprime par une sémiologie
infi niment plus riche que ne le suggèrent les critères
diagnostiques formels des systèmes de classifi cation. Des
caractéristiques relatives à la perception du temps, à la
représentation de soi et d’autrui, du monde et de l’avenir,
donnent à chaque syndrome dépressif une tonalité singu-
lière. Relevant d’une expérience subjective, les symptômes
ne manqueront pas de s’exprimer par des changements de
comportement frappant l’entourage : altération visible
de l’humeur, désintérêt pour les proches et les activités
habituellement appréciées, manque d’énergie et de
motivation, fatigabilité, ralentissement psychique et
moteur, repli sur soi et clinophilie, réduction de l’activité
allant jusqu’à l’apragmatisme, troubles cognitifs (mémoire,
attention, concentration, prise de décision), manifestations
dites « somatiques » (diminution de l’appétit, insomnie,
baisse de la libido), propos pessimistes, expression de
sentiments de culpabilité, d’indignité, de dévalorisation, de
perte d’estime de soi, d’idées de suicide, etc. Selon l’état
clinique, le niveau d’éducation et les compétences cognitives
du sujet, ces symptômes seront rapportés à l’évaluateur de
façon plus ou moins précise et systématisée. Ils pourront
s’exprimer sur le registre de la retenue ou de la plainte,
de la dissimulation (idées suicidaires) ou de l’exagération,
en fonction de la nature et du contexte de l’entretien, des
valeurs personnelles, de l’origine sociale et ethnique, des
normes culturelles.
Le tableau peut être atypique : l’accablement moral et
l’effondrement de l’humeur laissent place à l’irritabilité,
aux explosions de colère, aux manifestations d’agressivité.
Les épisodes dépressifs marqués par l’irritabilité et
l’hostilité se rattacheraient aux états mixtes [5] ; de même
une symptomatologie caractérisée par l’hypersomnie et
l’hyperphagie, par un ralentissement psychomoteur marqué,
par une labilité et des changements rapides d’humeur
suggère une dépression bipolaire [6, 13] et doit conduire à
une investigation précise. Trop souvent en effet l’existence
d’épisodes dépressifs récurrents conduit au diagnostic de
trouble unipolaire, alors que la psychopathologie se rattache
au spectre des troubles bipolaires [1]. Cette distinction est
pourtant essentielle, car elle conditionne le choix des agents
pharmacologiques et, dans un contexte médico-juridique,
elle détermine l’évaluation des traitements instaurés et
l’appréciation du pronostic.
Les présentations somatiques (céphalées, douleurs
diverses, fatigue, etc.) d’un syndrome dépressif, souvent
associées à l’alexithymie, entraînent d’autres diffi cultés
diagnostiques. Elles sont particulièrement fréquentes
chez les sujets issus de cultures non occidentales, où
l’expression clinique des syndromes dépressifs ne
correspond souvent pas aux critères défi nis par le DSM-IV
ou la CIM-10 [9].
Enfi n, certaines comorbidités (dépendance à l’alcool,
troubles de la personnalité, etc.) sont susceptibles de
masquer la symptomatologie ou de lui donner un aspect
particulier.
III. La démarche diagnostique
Qu’il se laisse aisément isoler dans son décours temporel
ou qu’il prenne une forme indistincte et chronique, un
état dépressif doit être situé dans l’histoire personnelle et
familiale du sujet, inscrit dans une dynamique évolutive
dont il faut saisir les principales articulations, par une
anamnèse exhaustive, parfois diffi cile.
L’existence de traumatismes (affectifs, physiques,
sexuels) ou la présence d’affects dépressifs dès l’enfance,
le nombre, la sévérité et la polarité des épisodes thymiques
antérieurs doivent être investigués. Il sera utile aussi
d’explorer l’expression des affects et des émotions dans le
cadre familial, la nature des relations interpersonnelles, les
thèmes émotionnels récurrents…
Il s’agira enfi n d’inscrire le trouble actuel dans une
catégorie diagnostique (dysthymie à début précoce,
épisode dépressif unique ou récurrent, dépression bipolaire,
syndrome dépressif survenant dans le cadre d’une maladie
somatique) et d’en caractériser la dynamique (dépression
résistante aux traitements pharmacologiques, dépression
chronique, évolution dépressive d’un trouble anxieux, d’un
trouble de la personnalité, d’une addiction à l’alcool ou à
des drogues…).
IV. Mesurer la sévérité de la dépression :
place des échelles psychométriques
Des instruments psychométriques ont été développés dans
le but d’évaluer le degré de sévérité de la dépression et de
mesurer l’évolution du syndrome clinique en fonction du
traitement instauré. Dans certains contextes, ces échelles
peuvent faciliter le dépistage des états dépressifs, mais
elles ne sont pas destinées à se substituer à la démarche
diagnostique. Leur élaboration répond à une méthodologie
stricte et leur emploi dans un autre cadre et/ou une autre
population doit faire l’objet de validations complémentaires.
Sans ces précautions, leur usage peut s’avérer inapproprié.
Le tableau 1 défi nit les principaux critères de fi abilité et de
validité d’une échelle psychométrique.
Développée à la fi n des années cinquante dans le
but d’évaluer l’effi cacité des premiers médicaments
antidépresseurs lors d’essais cliniques, l’échelle de
Hamilton [10] reste largement utilisée, mais trop souvent
en dehors des contextes cliniques autorisant son emploi.
Douleur analg. (2009) Supplément 1: S19-S23