•
“Aidez-moi… mais je ne vous laisserai pas m’aider.”
Certains malades, pour des raisons difficiles à définir, ne peuvent
accepter d’amélioration de leur maladie et souhaitent plus ou
moins consciemment que leur médecin soit “coincé” en position
“basse”, c’est-à-dire dans une situation où il ne peut, contraire-
ment à sa mission, les soulager ou les guérir.
Madame Y., 33 ans, présente un cancer du sein opérable. Elle
harcèle son médecin avec une demande renouvelée de médecines
douces alors qu’elle refuse obstinément le traitement standard
nécessaire. Après un an de consultations itératives, malgré les
efforts de persuasion de son cancérologue, elle refuse toujours
le traitement éprouvé nécessaire. La patiente finit par prendre
conscience de l’impasse dans laquelle elle se trouve avec son
médecin : “Vous me faites perdre mon temps, on n’avance pas”
dit-elle. Son médecin l’adresse aussitôt à un autre cancérologue
qui a une position administrative plus élevée, sans compétence
supplémentaire ; la patiente accepte le traitement similaire pro-
posé, sans aucune réserve.
•
“Je demande un avis complémentaire… Je vous fais confiance
mais je refuse les examens qui découlent de cet avis.”
Madame V. a subi des mammographies pour une tuméfaction
mammaire. Les différentes interprétations ne permettent pas de
conclure ; les avis sont contradictoires. La dernière mammogra-
phie date de 3 mois. La patiente nous est adressée pour avis com-
plémentaire. L’examen clinique montre la persistance de la
tuméfaction incriminée. On propose un nouveau bilan sénolo-
gique avec échographie complémentaire et éventuelle biopsie.
La patiente refuse tous les examens malgré la suspicion d’une
tumeur maligne. Plus les explications sont précises sur le risque
encouru, plus la patiente s’entête dans son refus. Elle est adressée
à un autre sénologue de l’institution.
•
“J’accepte la radiothérapie et le choix des rendez-vous
proposés par le manipulateur de radiothérapie… mais les
rendez-vous proposés sont impossibles, j’impose le mien et
je porte plainte.”
Madame B. doit subir une radiothérapie mammaire. C’est une
femme de 50 ans recommandée, mondaine et sportive. Les
manipulateurs, malgré un planning très chargé, lui proposent
avec l’attention habituelle plusieurs horaires afin qu’elle puisse
poursuivre son golf. Elle répond que son traitement ne pourra se
faire qu’à 10 h 20 ou… à 10 h 20. Elle dit à son cancérologue,
qu’elle trouve trop débordé, qu’il travaille trop et qu’il devrait
se distraire et faire du golf comme elle. En fin de traitement, son
mari adresse au directeur de l’établissement une plainte pour
accueil insuffisant alors qu’elle a toujours été très entourée. La
patiente et son mari n’ont pas supporté leur “dépendance”,
malgré un désir de soins et de guérison bien légitimes.
COMMENTAIRES
Dans la communication paradoxale, quel que soit le responsable,
le patient ou le médecin, il existe toujours un affrontement nar-
cissique du type “tu me tiens… je te tiens” qui peut être d’autant
plus explosif que le patient se trouve en situation de sidération
en raison d’un diagnostic ou d’un traitement proposé difficiles à
accepter. En miroir, l’annonceur de mauvaises nouvelles, le
médecin dont la mission est d’aider le patient, se sent rejeté dans
une situation incompréhensible, injustifiée et qui lui échappe
totalement.
Les messages paradoxaux aboutissent à un blocage relationnel,
à une impasse dont les conséquences peuvent être graves.
Aucun changement spontané ne peut se faire à l’intérieur du
cadre soignant-soigné.
Le médecin ne doit surtout pas chercher obstinément, seul, trop
certain de son expertise, une solution possible. Il est préférable
qu’il “passe la main”, qu’il fasse appel à un tiers, à un autre
médecin, à un psychologue, qui sauront dénouer, souvent très
facilement, l’imbroglio psychologique dans lequel les deux
partenaires se sont piégés.
La communication paradoxale n’a pas l’exclusivité du colloque
singulier médecin-malade. Elle existe aussi au sein de l’équipe
soignante, avec les infirmières, les manipulateurs, etc. Pour
désamorcer ce piège, l’information donnée au patient, ses réac-
tions psychologiques doivent être partagées au sein de l’équipe
afin d’éviter toute information contradictoire qui conforterait
encore plus la dyscommunication.
CONCLUSION
Reconnaître les messages paradoxaux, tenter de les intégrer dans
leur “réalité”, permet d’éviter de s’enferrer dans une impasse
relationnelle qui enchaîne aussi bien les soignants que les soignés.
Quelle solution proposer ? Le changement d’interlocuteur ne
peut être que bénéfique, et c’est bien là le domaine du “psy” (4).
Les enjeux de la communication (6), en particulier en sénologie
et en cancérologie (7), sont tels qu’elle mérite une approche spé-
cifique. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Delvaux N, Razavi D, Farvaques C. Cancer care – A stress for health profes-
sionals. Soc Sci Med 1988 ; 27 : 159-66.
2. Dilhuydy JM, Dilhuydy MH, Taris M et al. Réactions psychologiques des
patientes à l’annonce du plan de traitement d’un cancer du sein. J Gynecol Obstet
Biol Reprod 1989 ; 18 : 1017-23.
3. Watzlawick P, Beavin JH, Jackson DD. Une logique de la communication.
Paris : Éditions du Seuil, 1972, 286 p.
4. Watzlawick P, Weaklan J, Fish R. Changements : paradoxes et psychothérapie.
Paris : Éditions du Seuil, 1975, 181 p.
5. Fresco R. Textes et prétextes : les groupes de paroles. Communication sur
les formations relationnelles en psycho-oncologie. XIXes Journées de la Société
française de psycho-oncologie, Avignon, 19-20 septembre 2002.
6. Picard D. De la communication à l’interaction : l’évolution des modèles.
Communication et langage, 1992 ; 93 : 69-83.
7. Libert Y, Conradt S, Reynaert C et al. Améliorer les stratégies de communi-
cation des médecins en oncologie : état des lieux et perspectives futures. Bull
Cancer 2001 ; 88 : 1167-76.
DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002