Hallucinations, conscience et psychoses 349
au niveau des cortex frontocingulaires, de l’aire fasci-
culaire uncinée, des connexions frontostriatales et du
corps calleux, suggérant une altération préférentielle de
la connectivité interhémisphérique dans la schizophrénie
[10,31,43,45,46,47,48,51,55,65,66,69,70,73].
Le second mécanisme correspond à une plasticité synap-
tique dépendante de l’expérience anormale, en particulier
de la transmission glutamatergique médiée par les récep-
teurs au NMDA et de la régulation de cette transmission
glutamatergique par les systèmes de neuromodulation cho-
linergique, dopaminergique et sérotoninergique [32,64,63].
Dans ce modèle, les anomalies de la transmission glutama-
tergique apparaissent de facto comme une voie biologique
finale dont les causes peuvent être multiples, ce qui peut
être une explication possible à l’hétérogénéité clinique et
étiologique de la schizophrénie [52].
Ces deux processus ne sont pas exclusifs l’un de
l’autre car des mécanismes génétiques communs et/ou
des perturbations épigénétiques peuvent influencer les
deux processus. De surcroît, ces deux processus influent
considérablement l’un sur l’autre. Ainsi, cette plasticité
synaptique anormale a des conséquences importantes sur la
connectivité anatomique microscopique, sur l’arborisation
dendritique neuronale, et macroscopique, sur la structure
des fibres à longue distance qui semblent impliquées dans
les fonctions cognitives intégrées et dans la physiopatholo-
gie de la schizophrénie. Ce phénomène est particulièrement
marqué à la période de l’adolescence, lors du phénomène
de réduction et de sélection des connections neuronales que
l’on nomme «pruning ».
Inversement, les phénomènes moléculaires et cellu-
laires sous-tendant la myélinisation sont étroitement liés à
l’expérience et la myélinisation retentit sur le métabolisme
cellulaire, l’activité électrique des neurones et réseaux de
neurones et sur la plasticité synaptique [27]. De fait, des
anomalies de la substance blanche, qu’il s’agisse de la
myéline ou de l’ensemble de la glie, retentissent sur le
métabolisme neuronal et en affectent le fonctionnement et
l’activité synaptique [27].
Dysconnectivité et conscience
Frith et al. ont été les premiers à étudier cette dys-
connectivité en imagerie fonctionnelle chez les patients
schizophrènes par la mise en évidence de corrélations anor-
males entre l’activité frontale et temporale. Lors de la
génération spontanée de mots, l’activation frontale était
associée chez les sujets sains à la suppression de l’activité
dans le gyrus temporal supérieur (GTS) [33]. Chez des schi-
zophrènes sévèrement atteints, l’amplitude de l’activation
frontale était normale, mais il existait une augmentation
importante de l’activation du GTS. Ces résultats ont été
reproduits chez des patients non traités présentant un
premier épisode [29]. Frith et al. ont postulé que cette
dysconnection fonctionnelle frontotemporale pouvait être
à l’origine de l’attribution erronée d’une activité auditive
d’origine interne à une origine externe [34]. En d’autres
termes, lorsque le sujet parle à voix haute ou intérieu-
rement (pensées), il doit exister une coopération entre
les régions sensorielles auditives et les régions organisant
la production du langage (cortex frontal et cortex cin-
gulaire). Cette coopération consiste notamment en une
«préparation », une inhibition par ces régions frontocin-
gulaires, des régions corticales sensorielles auditives. En
quelque sorte, ces régions doivent être «averties »que les
stimuli auditifs perc¸us ne proviennent pas d’une source
extérieure mais émanent du sujet lui-même. Frith et al.
postulent qu’une action, quelle qu’elle soit, est évaluée
à chaque instant de son déroulement par une comparaison
des afférences sensorielles (informations visuelles, proprio-
ceptives, auditives, etc.) aux anticipations prédites par le
«programme initial »et que cette action peut de fait être
corrigée volontairement à chaque instant. Ce processus de
contrôle de l’action serait perturbé dans la schizophrénie,
notamment du fait d’anomalies des connexions à longue dis-
tance corticocorticales. Parmi les conséquences de cette
anomalie, le sujet schizophrène serait gêné dans la prise
de conscience de ses actions ; notamment, la perception de
l’intentionnalité de ses propres actions pourrait être alté-
rée : le patient attribuerait des stimuli d’origine interne (par
exemple, ses pensées propres ou les afférences propriocep-
tives qu’il rec¸oit de son mouvement volontaire) à une cause
extérieure (pensées ou mouvement imposés par une «force »
extérieure).
Plus récemment, notre équipe s’est intéressée au déficit
perceptif dans la modalité visuelle et, en particulier, lors de
la situation expérimentale de perception de stimuli masqués
dans la schizophrénie, particulièrement pertinente pour
l’exploration des altérations cognitives dans cette mala-
die. Ce paradigme appelé «masquage visuel rétrograde »
(visual backward masking paradigm) est caractérisé par
l’altération de la perception d’un premier stimulus visuel
«cible »lorsque celui-ci est suivi après un intervalle très
court (inférieur à 100 millisecondes) par un deuxième sti-
mulus visuel qui joue alors le rôle de «masque »[7]. Chez
les patients schizophrènes, une littérature riche et relative-
ment ancienne a observé une diminution de la perception
consciente de ces stimuli par rapport aux témoins (pour
une durée de présentation du stimulus et/ou un inter-
valle cible—masque équivalent) [36]. Le phénomène de
masquage est lié à l’interférence entre le masque et le sti-
mulus à différents moments de la perception du stimulus ;
il reproduit expérimentalement la transition d’un stimulus
du non-conscient au conscient et permet donc d’explorer
la dynamique de l’accès conscient et en particulier le
rôle des connections descendantes émanant des régions
antérieures frontocingulaires et pariétales vers les régions
postérieures occipitotemporales. Notre hypothèse de tra-
vail, s’inspirant du modèle théorique de l’«espace de travail
global conscient »[19,20,18], prédisait que les anomalies
mises en évidence lors de la perception des stimuli masqués
dans la schizophrénie reflètent la perturbation de la dyna-
mique de l’accès conscient et des processus de haut niveau,
descendants intervenant dans la perception (et plus géné-
ralement nécessaires à la réalisation d’une multitude de
processus cognitifs intégrés, de pensées et d’actions dirigées
vers un but). Une première étude comportementale a mon-
tré que l’élévation du seuil de masquage contrastait avec la
préservation de l’amorc¸age subliminal. Ainsi, ces résultats
suggéraient que les étapes visuelles précoces impliquées
dans cet amorc¸age étaient intactes chez les patients et
donc que le déficit observé chez les patients schizophrènes
correspondait à une altération des étapes visuelles tar-