62 SEPTEMBRE 2016 Taux d’intérêt et politique monétaire en zone euro (2/2) La banque centrale parvient à réduire les taux de long terme Les taux d’intérêt des pays de la zone euro atteignent des niveaux historiquement bas en 2016 pour toutes les maturités. La faiblesse des taux d’intérêt de court terme s’explique par le bas niveau des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) selon un canal de transmission traditionnel de la politique monétaire (cf. conjoncture 61). De façon moins traditionnelle, la BCE s’est attelée à réduire les taux d’intérêt de moyen et long termes avec un programme massif d’achat d’obligations. Cette politique a été mise en place pour éviter à la zone euro d’entrer en déflation1. Elle a rempli ses premiers objectifs en réduisant les taux d’intérêt et en favorisant la reprise économique. Pour être un succès complet il faut encore que la zone euro se rapproche de la cible d’inflation de 2 % sans quoi les achats devront être poursuivis audelà du terme prévu de mars 2017. Depuis 2015, la Banque Centrale Européenne déploie de nouvelles mesures pour lutter contre le risque de déflation. La BCE a d’abord mobilisé ses outils conventionnels pour réduire les taux courts. Elle a ensuite mis en place un vaste programme d’achat de titres de dette à long terme -titres obligataires- pour réduire les taux d’intérêt. Depuis janvier 2015, la BCE s’est ainsi engagée à acheter chaque mois 60 Md€ d’obligations, essentiellement des obligations d’Etat (80 Md€ depuis avril 2016, cf. graphique 1). L’ampleur et la teneur de cette politique d’assouplissement monétaire quantitatif (quantitative easing en anglais) sont exceptionnelles en zone euro. 1 La déflation est une situation de baisse durable et généralisée des prix où les agents économiques ne cessent de reporter dans le futur leurs dépenses de consommation et d’investissement. Graphique 1 : achats d’actifs de la BCE (Md€) 1200 1000 800 600 400 200 0 Titres ABS Obligations d'entreprises privées Obligations souveraines Obligations sécurisées ABS (Asset Backed Securities) : titres adossés à des actifs de l’économie réelle tels que les prêts immobiliers, à la consommation ou aux entreprises. Obligations sécurisées : obligations émises par le secteur bancaire et garanties par des crédits hypothécaires ou des crédits à des entités du secteur public. Source : DataInsight Le premier objectif de cette politique d’achat est de diminuer les taux d’intérêt des obligations à moyen et long termes et d’inciter les investisseurs privés à se diriger davantage vers les actifs qui financent directement l’économie réelle, mais risqués comme les actions, obligations d’entreprises ou le crédit bancaire. Les entreprises peuvent ainsi emprunter à des taux plus bas sur les marchés financiers et profiter, comme les ménages, de prêts bancaires à des conditions avantageuses. Cela doit stimuler l’investissement, l’activité économique et permettre un retour à la cible d’inflation de la BCE, inférieure et proche de 2 %. Le programme de la BCE a rempli son premier objectif en réduisant l’ensemble des taux souverains en zone euro depuis janvier 2015 et, par conséquent, les taux auxquels peuvent s’endetter les entreprises et les ménages (cf. graphique 2). Dans le cas de la France, l’ensemble des taux des obligations d’Etat (titres OAT) se situe désormais à un niveau significativement plus bas qu’avant la vague d’achat de titres (cf. graphique 3). Les effets de ce programme sont tels que, début septembre 2016, l’Etat français pouvait s’endetter à des taux négatifs jusqu’à 8 ans. Graphique 2 : principaux taux longs en France et en zone euro (%) 10 8 6 4 2 0 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 Taux à 10 ans de l'Etat français (OAT) Taux des obligations d'entreprises investment grade en zone euro (1) Taux des crédits immobiliers en France (1) Cf. encadré 1 pour la définition des obligations investment grade. Sources : Bloomberg et Crédit logement Graphique 3 : courbe des taux de l’Etat Français (%, moyenne par période) 4 > Encadré 1 : les taux d’intérêt de long terme Les taux d’intérêt à long terme d’une économie portent sur des prêts d’une maturité d’au moins 10 ans et se déclinent en trois catégories principales : i) les taux auxquels s’endettent les Etats via des obligations souveraines émises sur les marchés financiers, ii) les taux auxquels les entreprises empruntent via des crédits bancaires ou l’émission d’obligations corporate sur les marchés financiers. Ces titres ont une large palette de qualité depuis les titres investment grade pour les entreprises les mieux notées (audessus de BBB-) jusqu’aux catégories les plus spéculatives pour les entreprises les moins bien notées (catégories dites speculative grade ou high yield), iii) les taux auxquels les ménages s’endettent auprès d’une banque pour leur achat immobilier. Les taux souverains sont considérés comme les plus proches des taux sans risque de défaut. Dans une économie, l’Etat est traditionnellement l’agent qui a la plus faible probabilité de ne pas rembourser sa dette. Ses taux font donc office de référence pour les taux d’emprunt des entreprises et des ménages. Une prime est affectée à ces derniers, elle reflète le supplément de risque de défaut perçu par les investisseurs entre l’Etat et les ménages ou les entreprises. 3 2 Le taux souverain peut temporairement être supérieur au taux d’emprunt des ménages ou des entreprises en raison du délai de transmission du taux de référence au taux commercial. 1 0 -1 2 5 10 20 Maturités en années 2013 30 2ème trimestre 2016 Note de lecture : en moyenne en 2013, l’Etat français empruntait à 0,28 % à 2 ans et à 2,19 % à 10 ans. Au 2e trimestre 2016, l’Etat français empruntait en moyenne à –0,4 % à 2 ans et à 0,5 % à 10 ans. Source : Bloomberg La politique de la BCE devient le principal déterminant des taux longs Les taux d’intérêt à long terme des obligations de l’Etat français dépendent historiquement de quatre facteurs : le taux d’inflation anticipé, les taux courts de marché, les finances publiques et le taux d’intérêt américain (cf. encadré 2 pour plus de détails). Depuis 20 ans, le principal déterminant du taux long français a toujours été le taux d’intérêt long américain avec une élasticité proche de 1 selon nos estimations (cf. graphique 4). Cela signifie qu’une variation du taux long américain modifiait dans la même ampleur le taux long français. L’une des conséquences majeures du quantitative easing est qu’il a fortement réduit l’influence du taux américain. Le volume d’achat de la BCE est d’une telle ampleur (en 2015, il a couvert près de trois fois les émissions nettes de titres de dettes des pays de la zone euro) que l’impact d’une variation du taux long américain sur le taux français est désormais quasiment nul. La politique d’achat de la BCE a aussi diminué l’influence des finances publiques et des taux courts sur les taux longs. A l’inverse, elle a accru le rôle des anticipations d’inflation qui conditionnent le volume et la durée du programme d’achat de la BCE. En somme, le quantitative easing est efficace puisqu’il est devenu l’un des principaux déterminants du niveau des taux longs en zone euro. > Encadré 2 : les déterminants traditionnels des taux longs souverains en zone euro le taux d’inflation anticipé : les investisseurs incluent dans la rémunération demandée aux emprunteurs une prime d’inflation à long terme. Ils cherchent ainsi à protéger le rendement réel de leurs obligations, i.e. le taux d’intérêt qu’ils recevront après prise en compte de l’inflation. Les anticipations d’inflation reflètent elles-mêmes les anticipations de croissance économique puisque les tensions sur les prix dépendent largement du cycle économique et de la situation du marché du travail. les taux courts de marché sont très dépendants des taux directeurs fixés par la BCE dans le cadre de son mandat (cf. conjoncture 61). Les taux longs varient généralement dans le même sens que les taux d’intérêt de court terme et ce lien est d’autant fort que leurs maturités sont proches. Les taux longs dépendent également des anticipations des taux courts de marché futurs. les finances publiques : plus les finances publiques d’un pays sont saines, moins il aura à payer un taux d’intérêt élevé. A l’inverse, une dette et un déficit publics élevés augmentent le risque de défaut sur les obligations souveraines et incitent les prêteurs à demander un taux d’intérêt plus élevé. les taux d’intérêt internationaux : compte tenu de la large ouverture des marchés financiers, les taux longs de la zone euro sont étroitement liés aux taux pratiqués dans le reste du monde, en particulier ceux des États-Unis. Les taux d’intérêt américains dépendent eux-mêmes de facteurs propres à leur économie : anticipations d’inflation, finances publiques et taux d’intérêt à court terme. Graphique 4 : contributions de chaque déterminant à l’évolution du taux de l’OAT 10 ans 7% 6% 5% 4% 3% 2% 1% 0% -1 % 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Inflation anticipée Taux directeur de la BCE Taux 10 ans américain Solde primaire, zone euro Inexpliqué Taux OAT 10 ans France Solde primaire = recettes publiques - dépenses publiques hors charges d’intérêt. Sources : Bloomberg, DataInsight, calculs Caisse des dépôts 62 Les taux longs resteront bas tant que l’inflation ne sera pas revenue BCE, Bulletin Mensuel, Août 2010 https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/mb201008_f ocus03.en.pdf La BCE devra poursuivre sa politique très accommodante tant qu’elle ne se sera pas rapprochée de sa cible d’inflation de 2%. A ce stade, la politique de la BCE a eu des effets positifs sur l'activité économique en contribuant au redressement de la croissance du PIB en 2015 dans la zone euro (1,6 % après 0,9 % en 2014). BCE, Modalities of the Targeted Longer-Term Refinancing Operations, Juillet 2014 https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr 140703_2_Annex.pdf?16a4176ca5b8e1b2c73fa56538 12fbd7 BCE, Technical Annex 1 ECB Announces Details of the Asset-Backed Securities Purchases Programme, Octobre 2014 https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr 141002_1_Annex_1.pdf En revanche, l’inflation n’a pas augmenté, elle est proche de 0 %, et les anticipations d'inflation à long terme des acteurs des marchés financiers restent à un niveau historiquement bas. BCE, Implementation aspects of public sector purchase programme (PSPP), Juin 2016 https://www.ecb.europa.eu/mopo/implement/omt/html/ pspp.en.html Le programme d’achat de titres souverains de la BCE doit officiellement s'arrêter en mars 2017. Si l'inflation ne donne pas de signes de redressement durable d'ici là, il paraît peu probable que la BCE mette un terme à son programme. Dans une telle configuration, l’environnement de taux longs extrêmement bas pourrait encore perdurer plusieurs années. OFCE, L'influence de la politique monétaire sur les taux d'intérêt, Revue de l'OFCE n° 59, Octobre 1996 http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/2-59.pdf Pour en savoir plus Persée, Revue d'économie financière, , Octobre 1990 http://www.persee.fr/doc/ecofi_09873368_1990_num_12_1_1675 Eurostat, Taux d’intérêt : http://ec.europa.eu/eurostat/web/interestrates/overview > Indicateurs clés au 31/08/2016 Crois s ance du PIB s ur un an (%) 2012 2013 2014 2015 2016T2 Prévisions 2016* 2017* France 0,2 0,6 0,6 1,3 1,4 1,3 1,1 Zone euro -0,9 -0,3 0,9 1,7 1,6 1,5 1,2 Etats-Unis Chine 2,2 7,7 1,7 7,7 2,4 7,3 2,6 6,9 1,2 6,7 1,5 6,5 2,2 6,3 Taux (moyens , %) 2012 2013 2014 2015 août-16 2016** 2017** Taux repo Eonia Euribor 3 mois OAT 10 ans Inflation hors Tabac Livret A 0,88 0,23 0,57 2,52 1,90 2,25 0,54 0,09 0,22 2,20 0,80 1,63 0,16 0,10 0,21 1,68 0,40 1,15 0,05 -0,11 -0,02 0,86 0,00 0,90 0,00 -0,34 -0,30 0,15 0.2° 0,75 0,00 0,32 0.3*** - 0,00 0,70 1.2*** - Forward Forward fin 2016 fin 2017 -0,36 -0,33 0,18 - -0,40 -0,35 0,34 - * Consensus Bloomberg, moyenne annuelle ** Fin d'année *** Moyenne annuelle ° Mois précédent Source : Bloomberg Caisse des Dépôts - Direction des fonds d’épargne Directeur de la publication : Olivier Mareuse Responsable de la rédaction : Yann Tampéreau Auteurs : Sylvain Baillehache, Stéphanie Karam Contributeur à la rédaction : Nil Bayik Abonnement gratuit : [email protected] www.prets.caissedesdepots.fr Dépôt légal et ISSN en cours. 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