Taux d`intérêt et politique monétaire en zone euro (2/2)

Taux d’intérêt et politique monétaire en zone euro (2/2)
La banque centrale parvient à réduire les taux de long terme
Les taux d’intérêt des pays de la zone euro atteignent
des niveaux historiquement bas en 2016 pour toutes
les maturités. La faiblesse des taux d’intérêt de court
terme s’explique par le bas niveau des taux directeurs
de la Banque Centrale Européenne (BCE) selon un
canal de transmission traditionnel de la politique
monétaire (cf.
conjoncture
61). De façon moins
traditionnelle, la BCE s’est attelée à réduire les taux
d’intérêt de moyen et long termes avec un programme
massif d’achat d’obligations. Cette politique a été mise
en place pour éviter à la zone euro d’entrer en
déflation
1
. Elle a rempli ses premiers objectifs en
réduisant les taux d’intérêt et en favorisant la reprise
économique. Pour être un succès complet il faut encore
que la zone euro se rapproche de la cible d’inflation de
2 % sans quoi les achats devront être poursuivis au-
delà du terme prévu de mars 2017.
Depuis 2015, la Banque Centrale Européenne déploie
de nouvelles mesures pour lutter contre le risque de
déflation. La BCE a d’abord mobilisé ses outils
conventionnels pour réduire les taux courts. Elle a
ensuite mis en place un vaste programme d’achat de
titres de dette à long terme -titres obligataires- pour
réduire les taux d’intérêt. Depuis janvier 2015, la BCE
s’est ainsi engagée à acheter chaque mois 60 Md€
d’obligations, essentiellement des obligations d’Etat
(80 Md€ depuis avril 2016, cf. graphique 1). L’ampleur
et la teneur de cette politique d’assouplissement
monétaire quantitatif (
quantitative easing
en anglais)
sont exceptionnelles en zone euro.
1
La déflation est une situation de baisse durable et généralisée des prix où les
agents économiques ne cessent de reporter dans le futur leurs dépenses de
consommation et d’investissement.
Le premier objectif de cette politique d’achat est de
diminuer les taux d’intérêt des obligations à moyen et
long termes et d’inciter les investisseurs privés à se
diriger davantage vers les actifs qui financent
directement l’économie réelle, mais risqués comme les
actions, obligations d’entreprises ou le crédit bancaire.
Les entreprises peuvent ainsi emprunter à des taux plus
bas sur les marchés financiers et profiter, comme les
ménages, de prêts bancaires à des conditions
avantageuses. Cela doit stimuler l’investissement,
l’activité économique et permettre un retour à la cible
d’inflation de la BCE, inférieure et proche de 2 %.
Graphique 1 : achats d’actifs de la BCE (Md€)
ABS (
Asset Backed Securities
) : titres adossés à des actifs de l’économie réelle
tels que les prêts immobiliers, à la consommation ou aux entreprises.
Obligations sécurisées : obligations émises par le secteur bancaire et garanties
par des crédits hypothécaires ou des crédits à des entités du secteur public.
Source : DataInsight
0
200
400
600
800
1000
1200
Titres ABS Obligations d'entreprises privées
Obligations souveraines Obligations sécurisées
62
SEPTEMBRE 2016
Le programme de la BCE a rempli son premier objectif
en réduisant l’ensemble des taux souverains en zone
euro depuis janvier 2015 et, par conséquent, les taux
auxquels peuvent s’endetter les entreprises et les
ménages (cf. graphique 2).
Dans le cas de la France, l’ensemble des taux des
obligations d’Etat (titres OAT) se situe désormais à un
niveau significativement plus bas qu’avant la vague
d’achat de titres (cf. graphique 3). Les effets de ce
programme sont tels que, début septembre 2016, l’Etat
français pouvait s’endetter à des taux négatifs jusqu’à 8
ans.
Graphique 2 : principaux taux longs en France et en
zone euro (%)
(1) Cf. encadré 1 pour la définition des obligations
investment grade.
Sources : Bloomberg et Crédit logement
Graphique 3 : courbe des taux de l’Etat Français (%,
moyenne par période)
Note de lecture : en moyenne en 2013, l’Etat français empruntait à 0,28 % à 2
ans et à 2,19 % à 10 ans. Au 2e trimestre 2016, l’Etat français empruntait en
moyenne à 0,4 % à 2 ans et à 0,5 % à 10 ans.
Source : Bloomberg
> Encadré 1 : les taux d’intérêt de long terme
Les taux d’intérêt à long terme d’une économie
portent sur des prêts d’une maturité d’au moins 10
ans et se déclinent en trois catégories principales :
i) les taux auxquels s’endettent les Etats via des
obligations souveraines émises sur les marchés
financiers,
ii) les taux auxquels les entreprises empruntent
via des crédits bancaires ou l’émission d’obligations
corporate
sur les marchés financiers. Ces titres ont
une large palette de qualité depuis les titres
investment
grade
pour les entreprises les mieux notées (au-
dessus de BBB-) jusqu’aux catégories les plus
spéculatives pour les entreprises les moins bien
notées (catégories dites
speculative grade
ou
high
yield
),
iii) les taux auxquels les ménages s’endettent
auprès d’une banque pour leur achat immobilier.
Les taux souverains sont considérés comme les plus
proches des taux sans risque de défaut. Dans une
économie, l’Etat est traditionnellement l’agent qui a la
plus faible probabilité de ne pas rembourser sa dette.
Ses taux font donc office de référence pour les taux
d’emprunt des entreprises et des ménages. Une prime
est affectée à ces derniers, elle reflète le supplément
de risque de défaut perçu par les investisseurs entre
l’Etat et les ménages ou les entreprises.
Le taux souverain peut temporairement être supérieur
au taux d’emprunt des ménages ou des entreprises en
raison du délai de transmission du taux de référence
au taux commercial.
0
2
4
6
8
10
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Taux à 10 ans de l'Etat français (OAT)
Taux des obligations d'entreprises investment grade en zone euro (1)
Taux des crédits immobiliers en France
-1
0
1
2
3
4
2 5 10 20 30
Maturités en années
2013 2ème trimestre 2016
La politique de la BCE devient le principal
déterminant des taux longs
Les taux d’intérêt à long terme des obligations de l’Etat
français dépendent historiquement de quatre facteurs :
le taux d’inflation anticipé, les taux courts de marché,
les finances publiques et le taux d’intérêt américain (cf.
encadré 2 pour plus de détails). Depuis 20 ans, le
principal déterminant du taux long français a toujours
été le taux d’intérêt long américain avec une élasticité
proche de 1 selon nos estimations (cf. graphique 4).
Cela signifie qu’une variation du taux long américain
modifiait dans la même ampleur le taux long français.
L’une des conséquences majeures du
quantitative
easing
est qu’il a fortement réduit l’influence du taux
américain. Le volume d’achat de la BCE est d’une telle
ampleur (en 2015, il a couvert près de trois fois les
émissions nettes de titres de dettes des pays de la
zone euro) que l’impact d’une variation du taux long
américain sur le taux français est désormais quasiment
nul. La politique d’achat de la BCE a aussi diminué
l’influence des finances publiques et des taux courts sur
les taux longs. A l’inverse, elle a accru le rôle des
anticipations d’inflation qui conditionnent le volume et la
durée du programme d’achat de la BCE.
En somme, le
quantitative easing
est efficace puisqu’il
est devenu l’un des principaux déterminants du niveau
des taux longs en zone euro.
Graphique 4 : contributions de chaque déterminant à
l’évolution du taux de l’OAT 10 ans
Solde primaire = recettes publiques - penses publiques hors charges d’intérêt.
Sources : Bloomberg, DataInsight, calculs Caisse des dépôts
-1 %
0 %
1 %
2 %
3 %
4 %
5 %
6 %
7 %
1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Inflation anticipée Taux directeur de la BCE
Taux 10 ans américain Solde primaire, zone euro
Inexpliqué Taux OAT 10 ans France
Les taux longs resteront bas tant que
l’inflation ne sera pas revenue
La BCE devra poursuivre sa politique très
accommodante tant qu’elle ne se sera pas rapprochée
de sa cible d’inflation de 2%. A ce stade, la politique de
la BCE a eu des effets positifs sur l'activité économique
en contribuant au redressement de la croissance du
PIB en 2015 dans la zone euro (1,6 % après 0,9 % en
2014).
En revanche, l’inflation n’a pas augmenté, elle est
proche de 0 %, et les anticipations d'inflation à long
terme des acteurs des marchés financiers restent à un
niveau historiquement bas.
Le programme d’achat de titres souverains de la BCE
doit officiellement s'arrêter en mars 2017. Si l'inflation
ne donne pas de signes de redressement durable d'ici
là, il paraît peu probable que la BCE mette un terme à
son programme. Dans une telle configuration,
l’environnement de taux longs extrêmement bas
pourrait encore perdurer plusieurs années.
Pour en savoir plus
Eurostat, Taux d’intérêt :
http://ec.europa.eu/eurostat/web/interest-
rates/overview
BCE, Bulletin Mensuel, Août 2010
https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/mb201008_f
ocus03.en.pdf
BCE, Modalities of the Targeted Longer-Term
Refinancing Operations, Juillet 2014
https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr
140703_2_Annex.pdf?16a4176ca5b8e1b2c73fa56538
12fbd7
BCE, Technical Annex 1 ECB Announces Details of the
Asset-Backed Securities Purchases Programme,
Octobre 2014
https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr
141002_1_Annex_1.pdf
BCE, Implementation aspects of public sector purchase
programme (PSPP), Juin 2016
https://www.ecb.europa.eu/mopo/implement/omt/html/
pspp.en.html
OFCE, L'influence de la politique monétaire sur les taux
d'intérêt, Revue de l'OFCE n° 59, Octobre 1996
http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/2-59.pdf
Persée, Revue d'économie financière, , Octobre 1990
http://www.persee.fr/doc/ecofi_0987-
3368_1990_num_12_1_1675
> Indicateurs clés au 31/08/2016
2016* 2017*
France 0,2 0,6 0,6 1,3 1,4 1,3 1,1
Zone euro -0,9 -0,3 0,9 1,7 1,6 1,5 1,2
Etats-Unis 2,2 1,7 2,4 2,6 1,2 1,5 2,2
Chine 7,7 7,7 7,3 6,9 6,7 6,5 6,3
Taux (moyens, %) 2012 2013 2014 2015 août-16 2016** 2017**
Forward
fin 2016
Forward
fin 2017
Taux repo 0,88 0,54 0,16 0,05 0,00 0,00 0,00 - -
Eonia 0,23 0,09 0,10 -0,11 -0,34 - - -0,36 -0,40
Euribor 3 mois 0,57 0,22 0,21 -0,02 -0,30 - - -0,33 -0,35
OAT 10 ans 2,52 2,20 1,68 0,86 0,15 0,32 0,70 0,18 0,34
Inflation hors Tabac 1,90 0,80 0,40 0,00 0.2° 0.3*** 1.2*** - -
Livret A 2,25 1,63 1,15 0,90 0,75 - - - -
* Consensus Bloomberg, moyenne annuelle ** Fin d'année *** Moyenne annuelle ° Mois précédent
Source : Bloomberg
Prévisions
Croiss ance du
PIB sur un an (%)
2012
2013
2014
2015
2016T2
Caisse des Dépôts - Direction des fonds d’épargne
Directeur de la publication : Olivier Mareuse
Responsable de la rédaction : Yann Tampéreau
Auteurs : Sylvain Baillehache, Stéphanie Karam
Contributeur à la rédaction : Nil Bayik
Abonnement gratuit : etudesdfe@caissedesdepots.fr -
www.prets.caissedesdepots.fr
Dépôt légal et ISSN en cours.
Avertissement : les travaux objets de la présente
publication ont été réalisés à titre indépendant par le
service des Études de la direction des fonds d’épargne.
Les opinions et prévisions figurant dans ce document
reflètent celles de son ou ses auteurs à la date de sa
publication, et ne reflètent pas nécessairement les
analyses ou la position officielle de la direction des fonds
d’épargne ou, plus largement, de la Caisse des Dépôts.
La Caisse des Dépôts n’est en aucun cas responsable de
la teneur des informations et opinions contenues dans
cette publication, y compris toute divulgation ou utilisation
qui en serait faite par quiconque.
Direction des fonds d’épargne
72 avenue Pierre Mendès France
75914 Paris cedex 13
Tél. : 01 58 50 00 00
62
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !