1 RUOZZI PAOLA - Sujet n°1 - Dipartimento di Lingue e Letterature

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RUOZZI PAOLA - Sujet n°1 : “L’EMPRUNT ET LE CALQUE (DECALQUAGE, DECALQUE) LINGUISTIQUE”
L-11 LLS (Ling) = Laurea triennale in Lingue e Letterature Straniere, curriculum Linguistico-didattico
3 LT- Corso: “Introduzione al cambiamento linguistico” (Linguistica d’area) – 36h – 6 CFU
Sources (monographies):
BLOCH O. & W. v. WARTBURG (2004 (2002, 1932)). Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris : PUF.
Collection « Quadrige ».
BRUNOT F. & C. BRUNEAU (1949). Précis de grammaire historique de la langue française. Paris : Masson & Cie. 5e éd.
HUCHON M. (2002). Histoire de la langue française. Paris : Librairie Générale Française.
KOCOUREK R. (1991). La langue française de la technique et de la science. Vers une linguistique de la langue savante.
Wiesbaden : Oscar Brandstetter.
ULLMANN S. (1970 (1966)). La semantica. Introduzione alla scienza del significato. Bologna: Il Mulino. Ullmann S.
(1962). Semantics: An Introduction to the Science of Meaning. Oxford: Basil Blackwell & Mott Ltd.
Sources (sitographie) :
FRANCE TERME. Tous les termes publiés au Journal Officiel par la Commission générale de terminologie et de néologie
(http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/ )
LE TRÉSOR DE LA LANGUE FRANÇAISE INFORMATISÉ (TLFi) (2004). Paris : CNRS Éditions (http://atilf.atilf.fr/tlf.htm)
Portail linguistique du Canada ( http://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/bien-well/fra-eng/angl-engl/syntaxfra.html)
Sources (articles) :
Laugier R. I. A. , " Rendons à Marianne ... ou les emprunts de retour". Interculturel, 2011, Vol. 15, pp. 35-47.
(1) L’EMPRUNT LINGUISTIQUE ALLOGÈNE (EMPRUNT, TERME D’EMPRUNT, UNITÉ LEXICALE D’EMPRUNT).
L’emprunt, sous ses multiples formes, est l’un des mécanismes les plus universels et répandus du
changement linguistique. Il répond à un besoin de la langue de nommer de nouveaux objets ou concepts
pour lesquels elle ne dispose pas, ou pas encore, de termes autochtones ou pour lesquels elle trouve ses
propres termes moins adéquats. Le terme en soi indique à la fois et le procédé par lequel, d’habitude, une
langue dite receveuse (ou emprunteuse ou d’accueil) emprunte un terme, une expression syntagmatique
ou une construction syntaxique à une langue étrangère, dite prêteuse, et le résultat de ce même procédé.
Le cas qu’on vient de décrire, dit emprunt allogène ne doit pas être confondu avec celui de l’emprunt
hérité, ou héréditaire, tels que les apports du latin (ou bien du francique, du gaulois), par exemple, dans le
développement naturel du français en tant que langue romane. A ce propos, l’adjectif « naturel » est
important, puisque le latin fera aussi l’objet, au cours des siècles, d’emprunts savants qui finiront par se
superposer, avec un sens différent, aux termes issus du fonds latin et naturellement modifiés par l’action
aveugle des lois phonétiques (par ex. le latin hospitale(m), sous l’action des lois phonétiques, avait donné
hostel > hotel > hôtel, la forme hospital > hôpital , avec restitution de la syllabe pré-tonique interne, est
donc un emprunt savant ). Pour qu’un emprunt puisse être défini comme tel, il faut que le terme ou
l’expression empruntés soient suffisamment fréquents dans la langue prêteuse pour intégrer le lexique de
cette dernière, soit-il celui de la langue courante et/ou celui d’une ou de plusieurs langues de spécialité
(technoscientifiques).
L’emprunt constitue donc un moyen d’innovation du système lexical, tout occupant une position marginale
de ce dernier ; l’emprunt est un élément important mais labile de l’enrichissement lexical, à cause du fait
qu’il peut connaître un sort différent et qu’il peut faire l’objet, lors de son accueil, de plusieurs procédés
d’adaptation (ou intégration, ou assimilation), notamment sur le plan phonétique et graphique. L’unité
lexicale empruntée peut être adaptée au français du point de vue phonique: les phonèmes anglais, par ex.,
sont remplacés par des phonèmes français imitant la prononciation anglaise ou américaine : tel est le cas,
par exemple, des mots
2
-
spray [sprε]
know-how [noaw]
coach [kotʃ ]
hardware [ardwεr]
rewriter [rəraitœr]
Parfois l’adaptation ne concerne que l’accent, que le français déplace sur la dernière voyelle ou diphtongue
disponible, comme dans le cas de
- jap. karaoke, pronconcé et graphié karaoké [karao’ke]
ou bien de l’anglais
- angl. ‘fitness [fitn’εs]
- angl. ‘glamour [glam’ur]
- angl. show-‘business [ʃ obis’nεs]
- angl. people [pi’pɔl]
- angl. leader [li’dεr]
- angl. cow-boy [ko’boi]
- angl. cocktail [kok’tεl]
- angl. summit [sœ’mit]
et de beaucoup d’autres.
Parfois, un phonème d’emprunt est transposé tel quel dans la prononciation française ; c’est le cas du
phonème [ŋ] de camping, meeting, planning, parking, merchandising, pressing, zapping, etc.
L’intégration ou adaptation phonique n’est réalisée que rarement, et deux variantes subsistent le plus
souvent dans la prononciation :
-
gas-oil [gɑzɔil] [gɑzwɑl]
-
pipe-line [pajplajn] [piplin]
container [kõtεnεr] [kõtεnœr]
check-up [ʃ εkœp] [tʃ εkœp]
-
flash-back [flɑʃ bɑk] [flɑʃ bεk]
-
merchandising [mεrʃ ãdizŋ] [mεrʃ ãdajzŋ]
Une assimilation avancée peut être signalée par une intégration graphique, c.-à-d. par une réfection
graphique francisée (le cas le plus répandu est ici celui des noms de lieux):
- gazole (gas-oil)
- héliport (angl. heliport)
- jerricane (angl. jerry can, jerrican)
- média (lat. media)
- redingote (angl. riding coat)
- Londres (angl. London)
- Copenhague (danois Copenhagen)
- Prague (tchèque Praha)
- Milan, Venise, Florence, Naples (it. Milano, Venezia, Firenze, Napoli) etc.
L’adaptation de l’emprunt peut passer par un démantèlement en morphèmes du terme étranger, ce qui
donne lieu à un emprunt lexico-morphologique : le morphème lexical originaire est le plus souvent
conservé, mais le suffixe étranger, ou morphème grammatical, est remplacé par un morphème dérivatif
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français fonctionnellement équivalent ; nous sommes ici à mi-chemin entre emprunt proprement dit et
calque morphologique (partiel) :
- zonage (angl. zoning)
- trappage (angl. trapping)
- ingénierie (angl. engineering)
- conteneur (angl. container)
- criticité (angl. criticality)
- boxeur (angl. boxer)
Lorsqu’un emprunt est bien acclimaté dans la langue d’accueil, il devient souvent productif, et utilise alors
pour ses dérivés les morphèmes grammaticaux mis à disposition par la langue d’accueil : ex. relooker, verbe
fr. du 1er groupe tiré de l’anglais to relook, alors que relooking, en tant que substantif indiquant le
processus, a conservé la forme anglaise. Même chose pour le verbe anglais rewrite, francisé sous la forme
rewriter (« il rewrite des articles », Gilbert ’80 : 560, cit. Kokourek 1991 : 155). D’autres emprunts
productifs :
- angl. sport > fr. sportif/ive
- angl. film > fr. filmer
- angl. sponsor > fr. sponsoriser
- angl. test > fr. tester
- angl. an/to interview > fr. interviewer
- angl. to scan > fr. scanner (nom et verbe)
- angl. to format > fr. formater
- angl. to box > fr. boxer ; boxer > fr. boxeur
- haut all. scoc, moyen haut all. schocke, angl. shock > fr. choc, choquer, choquant
- angl. manager > fr. managérial/e
- angl. to camp > fr. camper
Un cas particulier est celui des faux emprunts, et, en particulier, des faux anglicismes : le terme, une fois
emprunté, voit son sens virer vers une acception inconnue de la langue prêteuse :
- pressing (en fr. : teinturerie, blanchisserie) < angl. steam-pressing ou dry cleaner’s
- parking (en fr. : parc de stationnement) < angl. parking lot
- fuel (en fr. : carburant) < angl. fuel-oil
- smoking (tenue de grande soirée pour l’homme), forme en réalité issue de smoking jacket
« vêtement d’intérieur pour fumer » mais dont le sens est devenu celui de l’angl. dinner jacket ou
de l’amér. tuxedo.
Finalement il existe des cas, plutôt nombreux dans l’histoire du français, de mots apparemment empruntés
à l’anglais mais dont l’origine est française ; on parle alors de remprunts, d’emprunts de retour ou de
navette d’emprunt :
Quelques emprunts de retour
Les termes qui ont été choisi ici constituent seulement un exemplier [SIC]
du phénomène des emprunts français-anglais-français. Ceux qui sont
proposés répondent à l’exigence de donner un aperçu du processus de
migration à travers des mots usuels qui sont souvent faussement sentis
comme des xénismes, du moins sous leur aspect extérieur. Outre que dans les
trois répertoires de langue française déjà cités − GR, DH et TLF − les traces
de leur « va et vient » ont été recherchées également dans l’Online Etymology
4
Dictionary (OED), Old French-English Dictionary1 (OFE) et The Oxford
English Dictionary2 (OD). Étant donné que la variation de sens transparaît
dans la plupart des cas examinés, les lexèmes sélectionnés sont ainsi
présentés selon un ordre qui privilégie, là où il apparaît prépondérant, soit
l’aspect phonétique soit l’aspect graphique, sous lequel est illustrée leur
éventuelle évolution sémantique.
a) Variation phonétique/sémantique
Bacon
En français contemporain: lard fumé; prononcé bécon.
Selon le TLF et le DH, l’étymologie du mot renvoie (avant 1100) au judéofrançais bacun. Ce même terme se retrouve en ancien français au XIIème
provenant du francique bakko où il indique aussi bien le jambon que le lard.
Il est attesté en ancien provençal sous la forme bacon à la moitié du XIIème
(1157). Il se serait répandu pour désigner les tranches de lard qui servaient de
redevances en nature. Par métonymie, il a assumé le sens de jambon du
XIIème au XVIIème. Son emploi récent (1884), avec une prononciation plus ou
moins anglicisée, est un emprunt à l’anglais bacon qui avait été à son tour
emprunté à l’ancien français (v.1330) avec le sens de « viande du dos et des
parties latérales du porc » (OED, OFE). Sens qui s’est spécialisé par la suite
pour désigner le lard fumé.
Pour cet emprunt de retour, l’écart sémantique est minime puisque sa
valeur est restée confinée dans le même domaine de spécialité: de
lard/jambon à lard. Il a simplement perdu un de ses sèmes spécifiques
(jambon).
Jet
En français contemporain: avion à réaction; prononciation du t final.
En moyen français (XIème) [SIC], jet désigne l’« action de lancer »,
dérivation nominale du verbe jeter. En 1671, s’y ajoute le sens de jet d’eau et
c’est probablement avec cette signification que l’anglais l’emprunte (DH). Le
TLF précise qu’au XVIIème toutefois, jet s’était déjà spécialisé en français
pour indiquer l’action de faire couler un métal dans un moule de fusion et que
c’est à travers ce dernier sens qu’il en est venu à celui d’avion à propulsion
en 1867 (OED). A partir de la deuxième moitié du XIXème il a indiqué par
synecdoque l’avion lui-même.
Il s’agit ici d’un néologisme de retour dont le sens et la phonie sont venus
s’ajouter au lexique français où ils coexistent avec le modèle (jet d’eau).
Reporter
En français contemporain: journaliste affecté aux reportages; prononciation
du r final.
Le sens actuel est repris (1828) de l’anglais reporter, spécialisé en
journalisme, à son tour emprunté à l’ancien français reporteur (XIIème −
TLF), proprement « celui qui rapporte, qui relate » et spécialement en droit
(DH) « rapporteur des tribunaux » (1617). En français moderne, l’ancien
verbe a été substitué par rapporter, alors que l’anglais a conservé le verbe
original, qui est retourné « au bercail » sous forme de substantif, cohabitant
avec le nouveau verbe et le nom rapporteur.
Inaltéré dans sa graphie, il a été l’objet d’un changement fonctionnel (de
verbe à substantif) et d’une variation sémantique.
Set
En français contemporain: série de jeux (tennis) et de napperons de table.
La prononciation est identique à l’original sette, malgré la disparition du -te
final.
L’anglais set, aux acceptions variées, attesté seulement au XIVème avec le
sens de « séquence, collection d’objets », est un déverbal de to set, « établir,
1
2
A. HINDLEY − F.W. LANGLEY − B.J. LEVY, Old French-English Dictionary, Cambridge University Press, 2000.
ème
2 édition, Clarendon Press, 1989.
5
disposer » et un emprunt de l’ancien français sette (XIIème) “groupe de
personnes de même croyance » (TLF). […] Le mot revient au français
(1833) avec le sens aujourd’hui disparu (sauf dans le néologisme récent jetset) de « cercle, milieu mondain », puis comme terme de tennis (1893)
désignant une série de jeux. Au XXème il passe dans le domaine
cinématographique où, toutefois, il ne résiste pas longtemps à la concurrence
de plateau. Il est par contre en usage dans le sens de set de table (1933).
Du point de vue formel, bien que ce terme ait subi une apocope de sette à
set, sa nature phonétique restée en quelque sorte identique permet de le
classer dans cette catégorie.
Suspense
En français contemporain: état d’incertitude, d’appréhension; prononciation
de la nasale selon les règles phonétiques françaises.
A l’origine utilisé en anglais dans la locution « in suspense » (OED), le
terme dérive de l’adjectif français suspens (1440-TLF; 1485-DH) qui avait le
sens de « remis à plus tard ». La locution prend par la suite (1553) la valeur
« dans l’incertitude, l’indécision » et plus couramment (1636) « en état
d’inachèvement ». En tant que substantif féminin, le terme aujourd’hui
disparu, a signifié « interdiction » au début du XIVème et ensuite « intervalle,
délai » (DH). Après 1850, le substantif masculin suspens, qui désigne une
attente angoissée, sera remplacé par la graphie anglaise suspense.
La place de suspense dans cette catégorie renvoie aux observations faites
pour le terme précédent.
b) Variation graphique/sémantique
Budget
En français contemporain: somme d’argent dont on dispose pour acheter ou
faire qqch.; prononciation francisée en [budjé].
Repris de l’anglais (1764), ce mot est une évolution graphique de formes
plus anciennes: bowgette, bouget, boudget, bouget (DH). Sous ces différents
aspects, il vient du français bougette, « petit sac de cuir », dont il a pris
d’abord le sens de sac de voyage, bourse. En anglais, l’acception financière
date de 1764 en tant que « état annuel des dépenses et des recettes
publiques ». A la même époque, le terme retourne au français avec cette
même valence sémantique, mais en se réduisant à la sphère privée (budget
d’une famille, budget pour les vacances, etc.).
Le retour au français de bougette s’est effectué à travers le filtre de la
phonétique anglaise, et par conséquent, en en influençant la graphie: le
diphtongue -ou se transforme en -u, la consonne -g en -dg avec apocope du te final (comme pour sette – set).
Sport
En français contemporain: exercice physique ou jeu, individuel ou en
équipe; le t final n’est pas prononcé.
Emprunté de l’anglais après le XVème avec le sens de « passe-temps,
distraction, jeu », il remonte à l’ancien français deport/desport « plaisir,
amusement », dérivé des formes verbales deporter et desporter (XIIème). Au
sens de distraction (1523) a fait suite (1594), sous l’influence de l’anglais,
celui d’exercice physique en plein air et de compétitions athlétiques (TLF).
Le français a ainsi repris le terme sport, issu par aphérèse du desport
original, avec le sens premier d’exercice physique.
Square
En français contemporain: petit jardin au centre d’une place, généralement
entouré de grilles; prononcé [skwar].
Emprunté à l’ancien français esquire, esquierre (1300): « carré», dérivé de
esquerre (XIIème), « rectangle », il désignait en anglais un instrument pour
mesurer les angles (OED). A partir de 1867, il est attesté en français avec le
nouveau sens de « espace urbain approximativement rectangulaire, entouré
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d’habitations et contenant un jardin » (TLF). A la moitié du XIXème, il prend
son sens restreint actuel.
Comme pour sport, square est le résultat de l’aphérèse du modèle
esquire/esquierre, avec en outre un changement de voyelle: -a substitue -i/-ie.
Tennis
En français contemporain: jeu de balles avec raquette; la double consonne
ne se prononce pas.
Son usage actuel est considéré comme un emprunt de l’anglais « jeu de
mains ». En fait, il s’agit de la forme altérée de la deuxième personne
plurielle de l’impératif du verbe français tenir, « prendre, recevoir », que les
joueurs de paume exclamaient en lançant la balle: tenetz (1400),
teneys/tenyse (1440), tenys (1460) (TLF). Cette dernière forme a donné la
graphie actuelle tennis. De là, par extension, le calque tennis de table sur
l’anglais table tennis (1880), substitué ensuite par ping-pong.
Si l’on considère la forme tenys, l’altération graphique se traduit par un
simple redoublement de la consonne n.
(Régine Laugier, " Rendons à Marianne ... ou les emprunts de retour". Interculturel, 2011, Vol. 15, pp. 3547)
A ces exemples on pourrait ajouter, parmi d’autres, celui du verbe anglais to perform et de son substantif
performance, qui sont à la fois un cas d’emprunt de retour et d’emprunt productif :
- fr. performance (1839) « Emprunt de l’angl. performance, empr. lui-même de l’a.-fr. parformance
« accomplissement », XVIe, dér. d’un verbe parformer « accomplir, exécuter » (Bloch-Wartburg
2004 : 476).
« L'angl. performance est soit dér. de to perform « réaliser, accomplir » issu, en moy. angl., de l'a.
fr. parformer (ca 1200 Les enseignements de Robert de Ho, éd. M.-V. Young, 985) dér. de former*
(v. FEW t. 3, p. 717a), soit empr. au moy. fr. parformance, de même orig., att. en 1571-72 dans une
lettre de Marie Stuart (GDF.) ». (TLFi)
En fr., performance a produit l’adjectif performant(e), « Dér. de performance* (étymol. et hist. A 1
c) par substitution de la finale -ant des part. prés. adj. au suff. -ance* »(TLFi)
- angl. humour : « il termine humour, che l’inglese prese dall’antico francese, è basato su concezioni
fisiologiche completamente sorpassate: sulla teoria cioè dei “quattro umori 3 principali” (cardinal
humours) del corpo (sangue, flemma, bile, bile nera), dalle cui proporzioni si riteneva anticamente
fossero determinate la disposizione e le qualità fisiche e mentali di una persona (…). In seguito
queste nozioni furono dimenticate, ed humour divenne poco alla volta una delle parole –chiave del
modo di vivere inglese” (Ullmann 1970: 317).
Plusieurs sont enfin les mots que l’anglais a hérité du français, tels council, court, justice, parliament, judge,
verdict, challenge, change, merchant, debt, affair, money, blanket, towel, mustard, castle, dont certains ont
été rendus (ex. angl. parliament > fr. parlement (XIVe s.), de l’AF parlement/parlament, « pourparler ») ou
viennent d’être rendu à l a langue source (ex. challenge4) avec un sens désormais éloigné de l’acception
originaire (le parlement étant devenu toute assemblée législative dans un pays à régime représentatif, et le
challenge ayant migré du concept de « fausse accusation » dont il faut se défendre à l’idée, plus générale,
de « défi »).
3
Humor, en latin, signifie liquide (corporel, dans le cas présent), PR.
challenge (n.) late 13c., from O.Fr. chalonge "calumny, slander;" in legal use, "accusation, claim, dispute," from V.L.
calumniare "to accuse falsely," from L. calumnia "trickery" (see calumny). Accusatory connotations died out 17c.
Meaning "a calling to fight" is from 1520s. . The verb is recorded from c.1200, from O.Fr. chalengier, from L.
calumniari, from calumnia (http://www.etymonline.com/index.php?search=&searchmode=none ).
4
7
(2) LE CALQUE (OU DÉCALQUAGE, DÉCALQUE, CALQUAGE).
« Si l’emprunt ne paraît pas acceptable, la francisation prend une forme plus drastique : on recourt au
décalquage (au décalque, au calquage, au calque). On remplace l’emprunt par sa traduction littérale ou par
l’imitation autochtone de son type de formation et de motivation » (Kocourek 1991 : 156). Régine Laugier
met justement en évidence le caractère syntagmatique (ou syntaxique, dirais-je, au sens grec du terme), et
donc structurel du calque par rapport à l’emprunt ; si l’emprunt ne concerne souvent qu’une unité lexicale
isolée, le calque (lexical, mais aussi syntaxique) implique la manipulation d’une séquence de mots, soientils liés par un simple rapport de prédication par juxtaposition (mots composés) ou organisés autour d’un
prédicat verbal complet de ses arguments :
« Les calques, […], se situent au niveau structurel. Le passage d’une langue à
l’autre est plus complexe puisqu’il s’agit de l’emprunt d’une structure qui est
en quelque sorte adaptée à l’aide des ressources structuro-lexicales de la
langue réceptrice. Ils peuvent être de composition: outlaw/hors-la-loi; cold
war/guerre froide; redskin/peau-rouge; ou phraséologique: my name is/ mon
nom est; to put emphasis on/mettre l’emphase sur; absolutly yes /tout à fait.
Leurs signifiants autochtones les rendent plus difficiles à déceler mais ils sont
présents en grand nombre dans toutes les langues ».
(Laugier 2011)
En d’autres termes, si l’emprunt gère des mots relativement indépendants, le calque gère des mots
organisés dans une relation cohérente et plus ou moins contraignante ; en plus des mots, il faut gérer et
respecter les rapports qui les unissent.
Pour ce qui est du calque lexical, Kocourek (1991 : 156) souligne qu’il peut être partiel :
-
bande-vidéo (angl. video-tape)
mais qu’il est plus souvent intégral :
-
banque de données (angl. data bank)
base de données (angl. database)
processeur de données (angl. data processor)
industrie du spectacle (angl. show business)
navette spatiale (angl. space shuttle)
réseau informatique (angl. computer network) (France Terme)
réseau local (angl. local area network, LAN) (France Terme)
homme de la rue (angl. the man in the street) (Brunot 1949: 150)
« Si le calque n’arrive pas à résoudre le problème, on rejette complètement
l’influence formelle de l’emprunt, et l’on essaie de le remplacer par une autre
unité lexicale. C'est-à-dire que l’on a recours à un des nombreux types de
formation lexicale pour créer une nouvelle unité (un néologisme, un terme
nouveau ou néonyme), par exemple progiciel pour angl. software package.
Un grand nombre d’anglicismes terminologiques a été remplacé par des
néonymes indépendants et commodes. Dans l’Enrichissement de la langue
française (CILF ’76), on trouve par exemple les néonymes suivants :
accostage ou amarrage (angl. docking), […] bouteur (angl. bulldozer), […]
cadreur (angl. cameraman), plan serré ou gros plan (angl. close-up),
transbordeur (angl. ferry-boat), […] retombées (angl. fall-out), savoir-faire
(angl. know-how), visualiser (angl. display) ».
(Kocourek 1991 : 156)
8
Cela n’empêche, néanmoins, que les calques sont bien souvent concurrencés par les emprunts, surtout
anglais :
-
toile / web
matériel / hardware
logiciel / software
télécopieur / fax (téléfax)
transbordeur / ferry (boat)
ordinateur / pc
industrie du spectacle / show business / showbiz
écart, écart de cotation / spread
droits d’auteur / copyright
mise en page, pagination / (page) layout
pause / break
Parfois l’emprunt s’impose tel quel par manque d’équivalents linguistiques et/ou culturels adéquats :
-
cool
self-made-man
speaker
pizza
jazz
Pour ce qui est des calques syntaxiques, en plus de ceux cités par Laugier plus haut, on peut signaler les
deux exemples suivants ; le 1er, en particulier, qui rapproche le français de l’anglais, représente un piège
potentiel, en tant que « faux ami » pour les italophones :
(A) c’est le cas, ce n’est pas le cas, si c’est le cas < angl. it is the case ((non) è così, se è così)
≠ c’est la peine, ce n’est pas la peine = angl. it is worth it, it insn’t worth it (non) ne vale la pena)
-
-
5
(B) HAMELINAGE5 OU (ANGL.) PREPOSITION STRANDING (dans les phrases relatives – avec
omission du pronom relatif - ou interrogatives introduites par des wh-words, procédé par lequel
l’argument prépositionnel obligatoire remonte à gauche, alors que la préposition, déjà en position
régulièrement postverbale, est laissée « à la dérive » (stranded), disjointe de son propre argument,
en fin de proposition)
ANGLAIS
1. I am grateful to the doctor I have spoken to [ ]
2. This is a problem you must learn to live /deal with [ ]
3. Where are you from [ ]?
4. Which subject is he talking about [ ]?
FRANçAIS
Le français, surtout parlé, n’est apparemment sensible à cette construction que lorsqu’il s’agit de la
préposition AVEC ; le procédé se retrouve, contrairement à l’anglais, surtout en proposition
principale:
John Robert Haj Ross named this process "pied piping", conjuring an image of the wh-word luring the preposition out
of its original position, just as the Pied Piper lured the rats and children out of Hamelin. Preposition-stranding is
scorned by some prescriptivists, even though it has been used by well-respected writers for centuries
(http://itre.cis.upenn.edu/~myl/languagelog/archives/000743.html ). J. R. Haj Ross est un linguiste américain (North
Texas University), spécialisé en sémantique générative.
9
Si on (ne) peut pas l’éviter, il faut faire / vivre avec.
Ce chapeau est horrible, tu ne vas pas sortir avec !
Le TLFi (qui parle d’ « emploi adv.[erbial] » à cause de la nature apparemment insaturée de la prép.) atteste
que cet usage est bien documenté chez les auteurs (Céline, Gide, Romains):
Emploi adv., fam. (corresp. aux emplois prép. cités sous I et II) :
28. Enfin, un matin, le colonel cherchait sa monture, son ordonnance était
partie avec, on ne savait où, dans un petit endroit sans doute où les balles
passaient
moins
facilement
qu'au
milieu
de
la
route.
CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 16.
29. ... et tous les quatre pas [il] s'arrêtait, soulevait son tuyau de poêle, et
s'éventait avec, bien qu'il fît froid, puis sortait un sordide foulard de sa poche
et
s'épongeait
le
front
avec,
puis
le
rentrait;
...
GIDE, Les Nouvelles Nourritures, 1935, p. 262.
30. ... vivre dans une époque, dans un milieu, où le mensonge décent est
de règle, où le conformisme social et moral s'entoure d'un appareil de
puissance impressionnant, et qui, n'ayant pas l'héroïsme (...) de faire sauter
toute la boutique et lui avec, (...), se réfugie dans un discours secret, ...
ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, La Douceur de la vie, 1939, p. 8.
(TLFi ; entrée : AVEC)
Le français canadien, à cause de son bilinguisme et de sa proximité avec l’anglais, présente des calques
syntaxiques particuliers, inconnus du français métropolitain standard, tels par ex. les suivants, qui
concernent l’emploi des prépositions :
- être sur l’aide sociale (pour vivre de l’aide sociale) – to be on social welfare
- combien as-tu payé pour cela ? (pour combien as-tu payé cela ?) – How much did you pay for that?
- un patient sous observation (pour un patient en observation) – under observation
(Portail linguistique du Canada : http://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/bien-well/fra-eng/anglengl/syntax-fra.html )
(3) EMPRUNT ET CALQUE DANS L’HISTOIRE DU FRANÇAIS : UNE ESQUISSE.
Schéma des époques historiques du français :
VIIIe siècle : PROTOFRANÇAIS
IXe-XIIIe ss. : ANCIEN FRANÇAIS (AF)
XIVe-XVe ss. : MOYEN FRANÇAIS (MF)
XVIe siècle : FRANÇAIS CLASSIQUE (FC)
EMPRUNTS HÉRÉDITAIRES ET SAVANTS AU LATIN.
Le français, comme l’espagnol, le provençal, le catalan, le portugais, l’italien et le roumain est une langue
néo-latine, ce qui explique que les 4/5 du lexique français sont d’origine latine. Le français, comme il est
notoire, a imposé au latin des modifications importantes, surtout d’ordre phonétique, qui ont causé son
éloignement remarquable par rapport à la langue-mère et son émergence précoce en tant que romana
lingua bien distincte du latin (Serments de Strasbourg, 842 après J.-C., Séquence de Sainte Eulalie,
composée vers 880 après J.-C.)6. Le latin continue à être, pendant tout le Moyen Âge et sous certains
6
En 1260, Brunetto Latini (le maître de Dante), composera son Livres dou tresor en français, trouvant cette langue
plus « delitable » (« délectable ») et « commune » (« unitaire ») que les autres.
10
aspects jusqu’à la Renaissance (Édicte de Villers-Cotterêts de François Ier, 1539, qui imposera le français
comme langue juridique, au détriment du latin), la langue officielle de l’enseignement, de la justice, des
institutions, de l’église. Mais à côté des mots du sermo cotidianus qui évoluent naturellement7, plusieurs
variétés de latin se superposent au fil des siècles. A partir du IVe siècle après J.-C., le latin, qui n’a cessé
d’évoluer depuis l’époque impériale, connaît un enrichissement lexical important, grâce aussi à l’édicte de
Constantin qui, en 312, reconnaît le Christianisme comme religion officielle et fait donc du latin la langue de
la liturgie chrétienne en occident. Le latin est donc destiné à survivre, même lorsque l’unité politique et
territoriale auront disparu (476 après J.-C., chute de l’Empire Romain). Le soi-disant latin chrétien ou latin
d’église, qui s’impose depuis le IVe siècle comme une véritable koinè, adopte alors plusieurs mots d’origine
grecque, dûment latinisés : baptizare, ecclesia, diabolus, propheta, episcopus, parabola, alors que d’autres
mots latins existants changent de sens (fides, conversio, confirmatio, confusio, forma, materies/materia,
materialis, etc.). Brunot (1949 : 151-52) souligne que « les suffixes grecs –isme, -iste ont été répandus par
le latin de la Vulgate8 (saint Jean-Baptiste est « le Baptiste », le roi David est « le Psalmiste »). Le suffixe –
esse est également chrétien (« abbé, abbesse ») ». Les écrits des pères de l’Église comme St. Augustin
(Confessiones) et St. Gérôme (Vulgata), ainsi que les Vitae Sanctorum qui se multiplient, contribuent à
diffuser et soutenir cette variété de latin.
De plus, si l’époque classique avait produit un nombre très exigu de grammaires latines (Varron), à partir
du IVe siècle apparaissent au moins deux ouvrages théoriques, promis à un grand avenir dans la description
grammaticale occidentale, qui serviront de modèle pour la description des premières langues
vernaculaires : il s’agit de l’Ars minor et de l’Ars major de Donat (IVe s. après J.-C.), et des Institutions de
Priscien (Prisciani Institutionum Grammaticalium Libri I-XVI) (VIe s.). A côté de ces ouvrages, il nous est
parvenu un certain nombre de compilations de grammairiens, comme l’Appendix Probi, qui, en fustigeant
barbarismes et solécismes9 du latin parlé à l’époque, d’un côté contribuent au maintien du latin « pur », de
l’autre nous fournissent un témoignage précieux de son état de corruption. Au IXe siècle, lorsque la
romana lingua parlée sur le sol de Gaulle peut déjà être considérée comme un proto-français, la conscience
de parler une langue différente du latin est renforcée par la réforme carolingienne, qui, après la période
instable des invasions, restitue les écoles et permet la restauration du latin : la réforme des écoles est
confiée à Alcuin, un clerc anglo-saxon choisi par Charlemagne ; à partir de ce moment le latin est à nouveau
prononcé litteraliter (c'est-à-dire en articulant toutes les lettres écrites), tandis que, dans les abbayes, se
multiplient les scriptoria, les ateliers de copistes. Mais si le français est en train de naître, le latin continue
d’être un fonds inépuisable pour les emprunts. Aux XIIe et XIIIe ss., si l’on ne considère que les premières
lettres de l’alphabet, le français emprunte au latin les mots ablation, abonder, absent, absinthe,
abstraction, accéder, acceptation, accepter, accession, accident, accusatif, admettre, administrer,
adolescence, adverbe, affection, affinité, affirmation, affirmer, affliger, agiter, agréger, agreste, aliéner,
aliment, allégorie, allégation, alléguer, allocution, altercation, alterner, amazone, ambition, ampoule,
analogie, ancre, anguille, animal, anis, annexe, anniversaire, antenne, antidote, antiquaire, antique,
anxiété. Absolu, absorber, abstenir sont attestés dès le XIe s. Certains mots sont empruntés au bas latin :
altérité (d’alteritas attesté au IVe s.) ; d’autres au latin médiéval : anormal (de anormalis, fait sur norma) ;
d’autres au latin chrétien : abbé, ablution, abomination, acolyte, affliction, angélique, annonciation,
7
En faisant souvent appel au langage populaire, imagé et métaphorique, qui prend le pas sur les termes latins
classiques : voir, par ex., le verbe manducare (littéralement : « jouer des mâchoires », d’où manger), qui remplace le
classique edere ; le mot testa (littér. « vase de terre cuite », d’où tête) qui remplace caput ; sans compter les
diminutifs tels que apicula(m), auricula(m), foeniculu(m), geniculu(m), qui donnent respectivement abeille, oreille,
fenouil, genou.
8
La Bible traduite en latin par Saint Gérôme, au IVe s. après J.-C.
9
Violation des règles syntaxiques ou morphologiques d’une langue. Fautes de grammaire (le plus souvent, fautes de
construction).
11
apparition, archange. Pendant cette même période, les emprunts savants au latin commencent à se
superposer aux mots français issus du fonds latin par évolution phonétique naturelle. Le résultat, c’est une
petite liste de doublets, comprenant d’un côté le mot populaire, souvent raccourci d’une ou plusieurs
syllabes, de l’autre le mot savant, qui ressuscite l’étendue du mot latin originaire. La grille ci-dessous essaie
de fournir quelques exemples :
LES DOUBLETS FRANÇAIS TIRÉS DU LATIN : évolution naturelle et emprunt savant
mot français ordinaire
mot français savant
(évolution phonétique naturelle)
(emprunt savant)
hospitale(m)
ostel > hôtel
hôpital (XIIe s.)
dotare
douer
doter (XIIe s.)
augustu(m)
août
auguste (XIIIe s.)
basilica
basoche
basilique
legalitate(m)
loyalté (AF) > loyauté
légalité
captivu(m)
chétif
captif
liberare
livrer
libérer
pendĕre 10> sup. pensum > pe(n)sare peser
penser
11
(“peser, apprécier”)
integru(m)
entier
intègre
mutare
muer
muter
fragile(m)
frêle
fragile
lat. chrét. blasphemare
blâmer
blasphémer
grammatica
grimoire
grammère, grammaire
mot latin 
matre(m)
patre(m)
fratre(m)
locare
mère
père
frère
louer
clavicula(m)
strictu(m
sacramentu(m)
rigidu(m)
cheville
étroit
serment
 masc. reit, roid supplanté
par le fém. roide > raide
maternel (adj. savant)
paternel (adj. savant)
fraternel (adj. savant)
locatif, location, locataire (adj. et
nom savants)
clavicule (XVIe s.)
strict (XVIe s.)
sacrement
rigide
Certains doublets sont dus à des variantes dialectales ou à des emprunts étrangers :
mot latin
caput
balneu(m), *baneu(m)
opera(m)
nigru(m)
expressu(m)
bas lat. votare
(„promettre“)
bas lat. votu(m)
10
e
mot fr. ordinaire
chef
bain
œuvre
noir
exprès
vouer
langue ou dialecte
provençal
italien
italien
espagnol
anglais
anglais (XVIIIe s.)
variante
12
cap
bagne13
opéra
nègre
express
voter
vœu (cf. angl. vow)
anglais (XVIIIe s.)
vote
Il s’agit de du verbe de la 3 conjugaison pendo, pĕpendi, pensum pendĕre (« peser, apprécier »), et non pas de
pendĕo, pĕpendi, pendēre (« être suspendu »), appartenant à la 2e conjugaison.
11
Voir l’expression tout bien pesé, « après mûre réflexion ».
12
Le sens d’ « extrémité » du provençal cap se reflet dans le type Cap de Bonne Espérance, mais aussi dans la locution
de pied en cap, « de la tête aux pieds ».
13
« C’était dans un établissement de bains désaffecté qu’on logeait, à Constantinople, les prisonniers chrétiens
destinés aux galères » (Brunot 1949 : 151).
12
Une deuxième période d’emprunts massifs au latin est représentée par le Moyen Français (XIVe-XVe ss.),
qui se distingue comme une époque de création et d’expérimentation lexicale considérable, au point que
40% des mots du lexique actuel remonteraient à cette période. L’intérêt pour le latin et pour les textes
antiques se renouvelle; chez un traducteur comme Oresme, on ne compte pas moins de 300 nouveaux
mots empruntés au latin. Au XIVe s., à ne considérer que les mots commençant par a, on trouve en
français: abdiquer, abjection, abjuration, abjurer, abnégation, abroger, abscons, abstraire, abus, accélérer,
accentuer, accommodation, accommoder, accumuler, acquiescer, adhérence, adjacent, adjectif, aduler,
affable, affecter, affiliation, affilier, affluence, agent, agile, agglutiner, agitation, agrégation, agricole, alibi,
altérer, ambages, amidon, ammoniac, ampliation, anatomie, anémone, angulaire, animer, animation,
animosité, annihiler, antécédent, anticiper, antimoine, antipode ; au XVe siècle : abdication, abject,
acanthe, affectation, affectif, agresseur, agriculteur, alacrité, altitude, amalgame, amateur, ambigu,
amputation, amputer, antérieur. « Le latinisme », écrit Huchon (2002 : 119) « fleurit jusqu’à l’abus », et
ainsi le néologisme.
La Renaissance française (XVIe siècle), qui continue le mouvement inauguré en Italie le siècle précédent, se
distingue par une nouvelle vague d’intérêt pour le latin et les auteurs classiques, et le débat théorique
autour du latin s’anime : quel genre de latin faut-il restaurer ? Érasme, qui s’adonne à une étude des
variétés du latin dans l’Europe contemporaine, tente de retrouver la prononciation originale du latin pour
lui assurer un destin durable de langue de communication; dans la querelle du cicéronianisme, il se bat
contre un purisme déraisonnable. Quoiqu’il en soit, la querelle autour du latin a quelque conséquence,
puisque la nouvelle prononciation, qui fait entendre les consonnes implosives (ex. [p] de captivus, [d] de
adoptare), entraîne à son tour un ajustement graphique pour certains mots empruntés, qui se voient
restituer leurs phonèmes « étymologiques » (subtil pour soutil, admonester pour amonester, et ainsi
calomnier, administrer). L’intérêt renouvelé pour la culture gréco-latine qui caractérise la Renaissance
trouve expression aussi dans la composition de mots nouveaux, à l’aide de préfixes et de suffixes hybrides
grecs ou latins qui, ainsi couplés, n’ont pas d’existence autonome, c'est-à-dire d’antécédents attestés. Ce
procédé commence et continuera à être exploité surtout dans le domaine des sciences en général
(botanique, chimie, médecine, zoologie) mais aussi dans celui de la philosophie et des concepts : il s’agit de
créations du type monologue (« discours d’une seule personne »), altiloque (« discours de ton soutenu »)
ou indigène (« originaire du lieu »), pour n’en citer qu’un tout petit nombre, qui se situent donc à michemin entre calque morphologique et néologie.
A l’époque actuelle, et au-delà de l’internationalisation des nomenclatures de spécialité (ex. botanique,
zoologie) qui recourent au latin comme à une langue super partes capable d’assurer la compréhension
mutuelle, le latin continue de fournir des emprunts ; mais, à la différence de ce qui se passait autrefois,
ceux-ci, bien qu’intégrés au lexique français, ne sont plus adaptés, ni francisés ou naturalisés, sinon dans la
prononciation, : c’est, par exemple, le cas de consensus, consortium, curriculum vitae, cursus, forum,
quantum, in vitro, solarium (Kocourek 1991 : 152), medium, qui témoignent du divorce désormais
consommé entre le latin, langue mère, et le français, langue fille.
EMPRUNTS HÉRÉDITAIRES À DES LANGUES AUTRES QUE LE LATIN
(données fondamentales et exemples librement tirés de Huchon 2002)
Lors de la chute officielle de l’Empire Romain (476 après J.-C.), la Gaule, peuplée à l’origine par les Gaulois,
d’origine celte, a été depuis longtemps romanisée14 et parle, comme tout autre région de la Romania15, ce
14
La Provence (lat. provincia), est envahie d’abord au IIe s. avant J.-C. ; au siècle suivant, les Romains occupent
l’ensemble de la Gaule.
15
On appelle ainsi l’ensemble des terres conquises par les Romains et annexées à leur Empire.
13
qu’on appelle la romana lingua, une sorte de roman commun fait de latin vulgaire corrompu sous
l’influence des parlers locaux (« vulgaire » au sens étymologique du latin vulgus = peuple, et donc « parlé
par le peuple »), qui, sur le territoire français, a déjà retenu bien peu de chose du substrat celtique
originaire. De plus, les Romains latinisent le plus souvent les mots gaulois qu’ils empruntent : comme braca
(d’où braie), leuca (lieue), tonna (tonne, « tonneau »), carruca (charrue) ; de cette langue gauloise, qui n’est
plus parlée après le VIe s. après J.-C., le français actuel ne conserve que quelque 150 mots courants (dont
bouleau, chêne, ruche, suie, arpent, mouton, bouc, cervoise, brasser, charpente, charger, bercer, boue,
chemin, crème, dru, gosier, truand, vassal), ainsi qu’un millier de noms de lieu affichant un suffixe issu de
dunum (« montagne, forteresse »), comme Châteaudun, Verdun, ou à suffixe –acus, devenu –y ou –ay selon
les régions (Cambray, Aubigny) ; encore : Marne, Seine, Oise, Vosges, Bordeaux, Melun, Paris (de Parisii,
peuple gaulois), Bourges (< Bituriges). C’est aussi au gaulois que le fr. doit l’adoption de la numération par
vingt (quatre-vingts). Le principal dialecte d’origine celte encore présent sur le territoire français est le
breton, bien qu’issu d’un dialecte particulier, le brittanique.
A partir du Ve siècle, plusieurs peuplades germaniques se déversent sur la Gaule : les Francs, peuple de
Germains rhénans qui entretenaient depuis longtemps des rapports de collaboration commerciale et
militaire avec les Romains dans la Gallia Belgica, s’installent au nord du pays ; les Wisigoths occupent le
sud, tandis que les Burgondes envahissent l’est. Les Francs, contrairement aux Romains, n’arrivent pas à
imposer leur langue et assimilent un certain nombre de valeurs de la culture Gallo-Romaine (le baptême de
Clovis, roi des Francs, en 496 par Saint Rémi est, à cet égard, symbolique). Les Mérovingiens, puis les
Carolingiens sont bilingues, et Hugues Capet, de langue maternelle romane, semble avoir été le premier de
ces souverains à avoir eu besoin d’un interprète pour comprendre le germanique. Tout en ne pouvant
s’imposer, le superstrat francique (le parler germanique des Francs) influe de façon puissante sur le latin
parlé à l’époque en Gaule, en accentuant cet éloignement du français par rapport au latin que les autres
langues romanes ne connaîtront pas. Mis à part les altérations phonétiques apportées par le francique
(résurgence du h aspiré – heaume, honte -, disparu du latin mais réappliqué à des mots latins tel que altus >
haut ; semi-consonne [w], d’abord devenue [v] en latin vulgaire, puis réarticulée en [gw] - *wardon >
[gwardare] > garder ; * werra > [gwerra] >guerre - ; renforcement de l’accent d’intensité qui provoque la
chute (VIIe, VIIIe ss.) de toutes les voyelles finales à l’exception de [a] - passé à swa [ə] - et, par conséquent,
le raccourcissement du mot français et la multiplication des oxytons, etc.), le francique a légué aux lexique
de l’AF (Ancien Français) pas mal de mots du domaine militaire (heaume, bouclier), féodal (baron, blason,
fief, félon, sénéchal) ou de sens général (épieu, orgueil, blé), en plus de certains noms de couleur (bleu,
blanc, gris, blond). Le suffixe –ard, 2e élément dans la formation des noms propres (Bernard, Gérard,
Richard), avec la signification de « dur, fort », a été ensuite étendu aux noms communs (ex. peinard,
blafard, bavard etc.) ; le suffixe –aud, issu de –wald < walden « gouverner », a un sens et une histoire
parallèle (Grinwald, Renaud, puis, dans les noms communs du type costaud). Même le suffixe –ois > -ais,
utilisé pour les noms des peuples, est issu du suffixe germanique –isk (> François, français, Anglais). Le
francique survit dans le Flamand, parlé aujourd’hui dans l’extrême nord de la France, mais qui, autrefois,
s’étendait à l’Artois. Les Burgondes, installés à l’est, fusionnent, même du point de vue linguistique, avec la
population locale, mais laissent leur nom à la région (Bourgogne). Les Wisigoths, qui occupent le sud,
n’arrivent également pas à imposer leurs parlers germaniques aux populations locales.
Au IXe siècle, les derniers envahisseurs, les Vikings, d’origine norroise, occupent la Grande Bretagne; le
siècle suivant, on leur concède l’occupation du territoire correspondant à la Normandie, où il s’adaptent au
dialecte local ne laissant en héritage (XIIe s.) que quelques termes maritimes : cingler, turbot, vague, quai,
homard, crabe, ainsi que des suffixes toponymiques en –fleur (« crique », it. « cala, caletta ») (Honfleur,
Harfleur, Barfleur) ou en –toft (« ferme ») (Lintot, Yvetot). Ce sont donc les descendants des Vikings
installés en Normandie qui plus tard, en 1066 (bataille de Hastings sous l’égide de Guillaume le
14
Conquérant, duc de Normandie) conquerront l’Angleterre et y importeront le dialecte normand, à l’origine
de l’anglo-normand.
Pendant tout le Moyen Âge, la France est partagée en deux aires linguistiques majeures : la langue d’oïl
parlée dans le nord du pays, et la langue d’oc parlée dans le sud, les deux termes étant issus du différent
traitement phonétique, sur base géographique, réservé au mot latin qui servait à dire oui : hoc. Voici un
aperçu de la distribution dialectale sur le sol de France :
(Huchon 2002: 66)
Mais la réalité est plus complexe : la langue d’oïl, quoique formée d’un fonds important de mots communs,
n’est pas unie mais formée de plusieurs dialectes que les spécialistes distinguent à partir de faisceaux
d’isoglosses (lignes qui marquent les limites entre deux traitements d’un même phonème). La langue d’oïl
comprend donc les dialectes
- de l’Ouest : poitevin, saintongeais, angoumois
- du Centre : français, orléanais, berrichon, bourbonnais, champenois
- de l’Est : lorrain roman, franc-comtois, bourguignon
15
- du Nord : picard, wallon, haut-normand
Chacun de ces dialectes prévoit des traitements phonétiques propres. Le picard, par ex. , se caractérise par
l’absence de palatalisation du [k] et du [g] devant [a] (canchon pour chanson) et le passage de [k] à [ʃ] si
suivi de [e] ou [i] (chité pour cité) ; en wallon et en lorrain, les voyelles entravées16 se diphtonguent (fieste
pour feste, fête) ; l’anglo-normand affiche, dès le XIe s., le passage de [o] fermé à [u], d’où la nasalisation de
ce timbre, ce qui explique les formes actuelles de l’anglais council, mountain ; [a] nasalisé (= suivi de nasale)
tend à se vélariser (aunte pour ante, issu du latin amita, , d’où l’angl. aunt) ; les diphtongues se réduisent
plus tôt que sur le continent, et il en va de même pour l’effacement précoce du [ə] final. Malgré cette
disparité, les dialectes d’oïl trouveront, dès le XIIe s., une sorte de koinè , ou base commune, permettant
aux différents locuteurs de communiquer entre eux à travers le pays.
La langue d’oc, quant à elle, comprend
- le gascon (sud-ouest)
- le limousin et l’auvergnat,
- le languedocien
- le provençal
- le vivaro-alpin
- le franco-provençal
- le catalan (« langue-pont » entre l’ibéro-roman et le gallo-roman méridional).
Beaucoup plus homogène que la langue d’oïl grâce à une position géographique favorable et donc à l’abri
de la force bouleversante des parlers germaniques, la langue d’oc affiche une évolution très conservative
par rapport au latin : elle ne connaît pas la diphtongaison en [wa], [œ] ou [ø] du [o]tonique libre (vōce(m)
donne voues, vs. fr. voiz > voix tout comme otiu(m) donne òci , vs. fr. ois-os [forme primitive d’oiseus >
oiseux17] ; calōre(m) donne calour vs. fr. chaleur ; errore(m) donne errour vs fr. erreur ; famōsu(m) donne
famous vs. fr. fameux), du [e] long tonique libre (sapēre > saber, fr. savoir), du [a] tonique libre (cápra
donne cábra, en fr. chievre > chèvre) ; le [o] se ferme jusqu’au [u] (amore(m) donne amour, passé en fr.
sous cette forme ; les consonnes nasales continuent d’être prononcées même après les voyelles nasales ;
les voyelles finales ne s’amuïssent pas comme en fr. (pórta > porta en lieu de porte), ce qui conserve un
certain nombre de paroxytons (mots accentués sur l’avant-dernière syllabe) ; le [s] devant consonne ne
s’affaiblit pas (festa > feste ; vs. fr. fête) ; les consonnes intervocaliques sourdes ne chutent pas mais sont
conservées, après sonorisation, comme en espagnol (vita > vida, fr. vie ; securu(m) > segur, fr. sûr) ; cet
ensemble de particularités phonétiques se retrouve actuellement dans l’ « accent du Midi ».
Or, tous ces dialectes ont apporté quelque chose au français, et cela depuis l’époque médiévale : « ainsi,
par ex., au XIIe s., proviennent du normand falaise, caillou, éclair ; plus tard (MF), le normand fournira
accabler, câble ; du picard, galet (plus tard, MF, caboche), du provençal, rossignol, jaloux (plus tard, MF,
cap); au XIIIe siècle, du breton, cohue, du picard canevas, écaille, houlette, louche, du provençal, cadeau,
canne, dague, vignoble » (Huchon 2002 : 62) ; à ces mots, Brunot (1949 : 149) ajoute d’autres « mots
dialectaux » qui « pénètrent à cette époque dans le français de Paris : asperge, sous la forme esparge (XIIIeXIVe siècle), et bastille, déformation de bastide (1370), nous viennent du Midi ».
Les apports lexicaux et parfois phonétiques qu’on vient d’esquisser, soient-ils ceux des parlers germaniques
liés aux invasions barbares des premiers siècles, ou ceux des différents dialectes historiquement attestés
sur le sol français, peuvent être considérés comme des emprunts héréditaires, puisque, sans eux, le français
en tant que langue unitaire, tel que nous le connaissons, n’existerait pas.
16
Entourées d’une consonne de part et d’autre.
Le latin ōtium n’a donné aucun mot direct en français (oisiveté étant formé su l’adjectif oisif, doublet de oiseux). La
forme adjectivale permet toutefois d’observer l’évolution phonétique du thème de ōtium en français.
17
16
EMPRUNTS ALLOGÈNES À DES LANGUES AUTRES QUE LE LATIN
A côté des emprunts hérités des peuples qui ont demeuré sur le sol français, toutefois, le français n’a cessé,
depuis le Moyen Âge, d’avoir recours aussi à l’emprunt allogène. Pendant la période médiévale, en effet, le
français garde le contact avec le monde arabe, encore dépositaire, à l’époque, des connaissances
scientifiques. Mais d’autres langues étrangères fournissent des emprunts grâce au commerces, comme le
néerlandais (les Pays Bas, flamand, néerlandais, on joué un rôle important dans les commerces européens),
ainsi que des langues romanes telles que l’italien, l’espagnol et le portugais, par exemple. Pendant le
Moyen Âge, les mots arabes sont latinisés : « azurium est fait sur l’arabe lazaward, almanachus sur l’arabe
al-manakh, algebra sur l’arabe al-gabr, algorithmus à partir du nom du mathématicien Al-Khawarizmi […] »
(Huchon 2002 : 56). A ces mots, Brunot (1949 : 148 et suiv.) ajoute aussi
« amiralt, qui désigne d’abord un chef sarrazin, est dans le Roland (le mot
sera repris au moment des croisades sous les formes amirant, amiré, amiraut,
puis, au XVIe siècle, sous la forme amiral, et enfin, au XVIIe siècle, sous la
forme émir). Coton, qui est aussi arabe, a été introduit par le port de Gênes.
Dune, (XIIIe siècle) est un mot néerlandais (il continue le gaulois dun,
« hateur », que l’on retrouve dans Ver-dun). C’est en Orient que Joinville a
couché pour la première fois sur un matelas. Au XIVe siècle, arsenal
(archenal) est un mot arabe introduit par les Vénitiens (1395). Algèbre aussi
est arabe. Boulevard est néerlandais : le mot désigne d’abord une sorte de
fortification.
Au moyen âge, le monde connu est donc limité à l’Europe et au bassin
méditerranéen. Ce sont les Arabes qui conservent le trésor de la science
antique ; ce sont leurs ouvrages de mathématiques (chiffre, 1er exemple, 1486,
dans Commines, au sens d’ « écriture secrète », est le nom arabe du zéro),
d’astronomie (zénith, XIVe), de chimie (alquemie, XIIIe), de médecine
(sirop, 1180), qui, traduits en latin, se répandent dans toute l’Europe
occidentale. Les relations avec le monde musulman s’établissent à la fois par
l’intermédiaire de l’Espagne (jusqu’au XVe siècle) et de l’Italie (Venise,
Gênes) ; les Croisades ont établi des contacts directs ».
(Brunot 1949 : 148-49)
Pour ce qui est du néerlandais, Brunot (1949 : 154) ajoute aussi, entre autres, étape, chopine, plaquer,
vacarme (XIIe-XIIIe ss.), bouquin (XVIe s.), mannequin (XVe s. ; proprement « petit homme » au sens de
« figure représentant un homme ») ainsi que les termes de marine amarrer et digue, introduits aux XIIeXIIIe ss. Bière est emprunté en 1539 (« la bière, faite avec du houblon, a remplacé la cervoise, boisson
gauloise », Brunot 1949 : 149). Dans la même période prend son origine le mot frelater, du néerlandais
ferlaten « transvaser » (les Hollandais vendaient du vin de Bordeaux, après l’avoir « transvasé », dans tout
le Nord de l’Europe. En 1620, frelater signifie « sophistiquer » du vin ; il forme de nombreux dérivés […]. Il
prend ensuite le sens général d’ « altérer » […] », Brunot : ibidem).
L’Alsace (française depuis 1648) a donné choucroute et kirsch. L’allemand n’a laissé que peu de mots, tels
que de termes militaires (lansquenet, XVe s., cf. it. lanzichenecco), techniques (quartz, 1749), de musique
(accordéon, 1829, viennois) ; mais aussi hutte (« cabane », XVIe s.), trinquer (1552), nouille (1655), zigzag
(1680), vasistas (1786), ainsi que des termes de civilisation comme humanisme.
Plusieurs langues romanes ont aussi donné des termes au français.
Le provençal y a laissé quelque 400 mots.
L’espagnol (auquel il faut joindre le catalan, parlé en Catalogne et dans le Roussillon français) a laissé en
héritage à peu près 300 mots, dont adjudant, anchois, bandoulière, bizarre. Huchon (2002 : 145) ajoute
escamoter, fanfaron, mascarade. L’espagnol a aussi introduit en français certains termes exotiques comme
ouragan (haurachan, uracan, houragan) et tornade (d’une langue indigène des Antilles), ou chocolat (du
Mexique) et ananas (du Brésil).
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Le portugais a apporté au français quelques mots exotiques aux XVIe, XVIIe et XVIIIe ss. : tels pagode (1601,
d’une langue de l’Inde) et acajou (1694, d’un dialecte indigène du Brésil), mais aussi mangue (1540, mot de
Malabar) et mandarin (1586, mot malais), bazar (bazard, bazare, 1553, mot persan).
Chagrin (sagrin, chagrain, « cuir grenu ») est turc ; horde (1559) est tartare ; thé (1563) est chinois.
L’italien, dont l’influence a été sensible en France dès le XIVe siècle et jusqu’au XVIIe siècle, a passé au
français quelque 2000 mots rien qu’au XVIe siècle. Bien que certain mots du langage financier (banque,
crédit) ou guerrier (soldat), remontent au MF, la plupart des emprunts italiens remonte à la vague philoitalienne inaugurée par François Ier et continuée sous la régence de Catherine de Médicis (« Renaissance »
française, 1494-1550 environ, inspirée par la Renaissance italienne). La plupart des mots italiens empruntés
ont affaire aux arts, à la vie sociale et économique, à la guerre et à la navigation, tels arcade, balcon,
corniche, cadence, concert, carrosse, frégate, négociant. […] cavalerie, infanterie, escadron (cf. Huchon
2002 : 145). Brunot (1949 : 153) cite, parmi d’autres, accaparer, accolade, accord, accoster, affront, agio,
alarme, alerte, altesse, alto, amouracher, antichambre, antiquaille, appartement, aquarelle, arabesque,
arborer, caprice, brave, brusque, jovial, leste, mesquin, poltron ainsi que courtisien (XIVe s.), devenu ensuite
courtisan.
A partir du XVIIIe siècle, par contre, c’est surtout l’anglais qui fournit des emprunts, remplaçant ainsi
l’italien qui avait été jusque là la langue prêteuse par excellence. Brunot (1949 : 156) range par domaine
quelques-uns des nombreux emprunts : paquebot (1634), yacht (1672), cabine (1777), péniche (1818) pour
les termes maritimes ; tennis (1836), croquet (1877), uppercut (1919) pour les sports ; rail (1830), tunnel
(1830), wagon (1832), express (1849), pour les termes de chemin de fer ; bifteck (1786 : beef-stake ; 1806 :
bifteck), rosbif (1698 : ros de bif ; 1798 : rosbif18) pour les termes de cuisine (sans oublier le concurrent
abrégé steak de nos jours); pull-over, sweater, cardigan, blazer pour les termes de mode (auxquels on peut
ajouter tweed, jersey et beaucoup d’autres), mais aussi des mots communs comme bol (cf. angl. bowl).
EMPRUNT INTRALINGUISTIQUE OU RÉ-SÉMANTISATION ?
Il ne semble pas raisonnable de compter parmi les emprunts le cas de substantifs anciens qui, au cours des
siècles, ont fini par changer radicalement de signification, tels garce (en AF simple féminin de garçon), qui a
pris un sens négatif et moralement connoté. Autres exemples, cités par Brunot (1949 : 165) sont le mot
chose, qui a pris un sens général mais qui, dérivant du latin causa(m), signifiait « procès, cause, affaire
judiciaire », ou bien traire, qui signifiait autrefois simplement « tirer » et qui signifie aujourd’hui « tirer le
lait d’une femelle », ou encore vaisseau, jadis « vase destiné à contenir des liquides » et qui est devenu un
bateau. Plutôt que d’emprunts internes ou intralinguistiques, il s’agit sans doute de phénomènes de résémantisation liés au développement naturel de la langue.
Le terme d’emprunt intralinguistique semble être plus approprié pour les mots, appartenant à un champ
lexical donné, qui sont reliés, par voie de métaphore ou de métonymie, à d’autres champs lexicaux, en
voyant ainsi s’élargir leur propre champ sémantique : ex. navigation (terme de marine) navigation (sur
internet, terme d’informatique), hyper-navigation (navigation en suivant des liens hypertextes), etc. Ce
phénomène, par lequel une langue de spécialité s’approprie les termes de la langue commune et les résémantise à son propre usage, est un procédé d’ « économie linguistique » très fréquent, dû
vraisemblablement au fait qu’un terme existant, quoique polysémique, peut être mémorisé plus facilement
qu’un néologisme, aussi heureux que ce dernier puisse être.
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Notons au passage que l’anglais beef (viande de bœuf) a été tiré du français bœuf, à époque ancienne.
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