Michal Kozlowski
LES
CONTRE-POUVOIRS
DE FOUCAULT
Collection La4èmeGénération
ww.theoriecritique.com – 2011
Editions Burozoïques
Michal Kozlowski – Les contre-pouvoirs de Foucault
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Michal Kozlowski
Les contre-pouvoirs
de Foucault
La4èmeGénération Editions
www.theoriecritique.com
2011
Michal Kozlowski – Les contre-pouvoirs de Foucault
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Michal Kozlowski
LES CONTRE-POUVOIRS DE FOUCAULT
Introduction
Foucault ou par-delà l’alternative
Entre rationalité et ontologie
Ordre de lecture
I - Contextes
1 - Foucault et l’Aufklärung - vers une réconciliation possible
2 - Foucault et la révolution nietzschéenne
3 - Gouverner le pouvoir : Foucault et Spinoza
II - Figures
1 - Le pouvoir en dehors du sujet – la mécanique du pouvoir
2 - Le pouvoir au sein du sujet – la pédagogie du pouvoir
La stratégie panoptique
Le jeu de forces à l’intérieur du sujet
3 - Comment vivre dans l’histoire ?
III - Pratiques
1 - Emancipation : stratégies, tactiques, projets
L’émancipation et son objet
L’émancipation et son sujet
Comment émanciper ?
2 - Sujet devant la justice – égalité impossible ?
3 - Le sujet : comment s’exerce-t-il ?
L’amour du pouvoir
Faire l’œuvre
En guise de conclusion
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Introduction
Foucault ou par-delà l’alternative
Nous sommes tentés de croire que la première fonction du pouvoir cest dinterdire. Ce
nest pas faux : le pouvoir opère au travers de limitations et de prohibitions. Nous croyons
souvent que le pouvoir sexprime parallèlement par la prescription et la contrainte. Cela
nest pas faux non plus. Le pouvoir travaille avec des contraintes prescriptives que nous
connaissons tous. Voilà une première dichotomie du caractère à la fois négatif et positif du
pouvoir. Pour autant les éléments de cette dichotomie semblent être complémentaires.
Cest ainsi que surgit une vision complète et exhaustive du pouvoir. Lest-elle vraiment ?
Lopposition entre la négativité et la positivité épuise-t-elle la structure du pouvoir ? Ou,
au moins, renvoie-t-elle à ce qui est essentiel ? Foucault sengage à démontrer quelle ne
fait ni l’un ni l’autre.
Dans la Dialectique négative Adorno fait une remarque qui peut servir dintroduction à la
démarche foucaldienne :
« Kant qui savait bien que la bonne volonté a pour terrain la continuité dune vie et non
laction isolée, réduit dans lexpérimentation, afin quelle démontre ce quelle doit
démontrer, la bonne volonté à la décision entre les deux membres dune alternative. Cette
continuité nexiste pratiquement plus ; cest pourquoi dans une sorte de régression au
XVIIIe siècle, Sartre se cramponne exclusivement à la décision. Mais alors que la
situation dalternative doit servir à démontrer lautonomie elle est hétéronome, avant
même tout contenu. () La liberté signifie la critique et la transformation des situations,
et non leur ratification par des décisions prises dans le cadre de leur structure
contraignante.1
Dans ce contexte nous voyons bien la prérogative, la plus importante peut-être, du
pouvoir. Elle consiste en la possibilité même de nous poser devant une alternative. Cette
prérogative est très souvent oubliée ou elle passe inaperçue précisément parce quon
associe la possibilité de choisir avec lautonomie voire avec la liberté. Adorno dit « libre
serait seulement celui qui ne cédera pas devant les alternatives ». Foucault ne le suit pas
entièrement dans cette radicale exigence. Lidée de plus devoir lutter lui est étrangère. Il
se demandera plutôt si certaines libertés ne sont pas intrinsèques au pouvoir et si, au lieu
de contredire ce pouvoir, elles le confirment et le renforcent. Un souci qui fait appel à la
pensée peut être considéré analogue. Il sagit de sortir de lalternative que le pouvoir nous
impose comme ultime horizon.
« Faire la critique, cest rendre difficile les gestes trop faciles. Dans ces conditions la
critique (et la critique radicale) est absolument indispensable pour toute transformation.
Car une transformation qui resterait dans le même mode de pensée, une transformation
qui ne serait quune certaine manière de mieux ajuster la même pensée à la réalité des
1Thedor W. Adorno, Dialectique négative, trad. College de philosphie, Payot 1978, p.178
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choses ne serait quune transformation superficielle1 »
Comment sortir de lalternative ? La tradition en connaît plusieurs variantes. Comme celle
dAristote qui nous encourage à éviter les extrêmes pour chercher la voie dorée de la
modération. Mais lalternative abolit la possibilité même de modération : les options ne se
négocient pas. Il existe la solution de Kant : mettre de coté les antinomies de la raison
pour ouvrir la voie de la rationalité pratique au-delà des antinomies. Mais comment peut-
on le faire sil sagit des antinomies pratiques elles-mêmes. La réponse de Kant semble
être insuffisante (voir chapitre 1). Il existe finalement la tentative de Hegel. Lalternative
transformée dans une contradiction dynamique est censée se dépasser elle-même dans le
mouvement dAufhebung. La réponse dialectique, vraie ou fausse, a un défaut principal -
elle ne nous libère pas de lalternative. Nous sommes toujours obligés de choisir cest
lalternative qui sannule delle-même. Il ny donc pas de stratégie autonome de la
subjectivité mais plutôt cest la subjectivité qui est prise au piège de lalternative.
Foucault doit beaucoup à ces démarches mais il nen suit aucune. Il est vrai que le pouvoir
nous limite et nous contraint et pourtant cest sa capacité à nous rendre libre devant le
choix qui semble être la plus maléfique. Cest là où se manifeste le lien étroit entre le
pouvoir et le discours. Le discours est loin dêtre une structure close ou statique et
pourtant (ou justement pour cela) il exerce le pouvoir de la manière la plus efficace. Les
dichotomies du discours, ses oppositions internes constitutives, ses ruptures et ses lacunes
ne font pas quil soit privé defficacité et dun certain degré dintégrité. Voilà un lien
essentiel entre la conception du discours et la stratégie démancipation. Le pouvoir analysé
en abstraction de sa nature discursive limite le champ de la réflexion. A une telle analyse
échappe le caractère pluriel, multiple et ambigu du pouvoir. Et à la fois ce type danalyse
tend à voir la paix et le consensus là où règne la guerre et la domination.
Pour autant le discours nest pas un « signifiant vide » pour reprendre le terme clef
dErnesto Laclau. Il nest pas constitué comme adversaire dans lacte de la revendication
collective de la liberté, il précède chaque telle revendication, même sil est impossible de
la penser dans un détachement des subjectivités qui y participent. Les choix quil impose
sont donc des choix réels. Pour les éviter il faut se placer dans le réel, il ne suffit pas de
les dénoncer comme faux. Lanalyse du discours signifie précisément lanalyse de cette
capacité du pouvoir à nous investir des choix qui sont les siens. Bien que réelles, les
oppositions figées par le discours ne sont pas données une fois pour toute et surtout elles
ne sont pas satisfaisantes dun point de vue politique. Il en suit que la bonne politique de
libération cest celle qui est consciente du discours. Il est donc possible de lire Foucault à
travers ce projet de refus dalternative imposée.
Foucault sarrache à plusieurs « alternatives » qui clôturent au lieu douvrir la voie de la
liberté. Certaines sont dordre strictement politique, dautres sont théoriques et
philosophiques. En même temps, la distinction entre les premières et les deuxièmes nest
jamais claire et nette. Servons-nous de quelques exemples les plus éminents : lopposition
entre la révolution sexuelle et la pudeur victorienne, lopposition entre le châtiment et le
système de peines humanitaires, lopposition entre exclusion et assimilation, etc. Nous
pourrions creuser plusieurs oppositions de ce genre et nous allons le faire dans la présente
dissertation sans prétendre que notre liste soit exhaustive. A chaque fois il sagit dun
clivage réel et historique non dun mensonge idéologique. La stratégie de dénonciation
nimplique pas la démonstration de la fausseté. Elle implique en revanche un jeu entre la
continuité et discontinuité qui renverse la perspective dans laquelle on a lhabitude de
1 « Est-il donc important de penser ? » (entretien avec Didier Eribon), Libération, n.15, 30-31 mai 1981, p.21, DEII
pp. 999-1000. Les citations de Dits et Ecrits de Michel Foucault renvoient à l’édition en deux volumes : Michel
Foucault, Dits et Ercits, Quarto Gallimard, 2001.
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