37-a-Ayada:Mise en page 1 22/02/07 19:50 Page 328 Islam : de la religion politique à la religion esthétique Souâd Ayada* DANS un entretien sur le devenir de la philosophie, Michel Foucault annonçait, non sans quelque ironie, le triomphe à venir de la pensée de Gilles Deleuze. « Le siècle à venir sera deleuzien », disait-il, en une manière de prophétie philosophique. Foucault voyait se profiler à l’horizon un temps nouveau, celui où les séductions du multiple pourraient se déployer à l’infini, celui où les flux, les rhizomes, les nomadismes de toutes sortes s’épancheraient sans scrupule, débarrassés enfin de ces vieux reliquats dogmatiques qui les rendaient impossibles : le principe d’origine, le souci d’unité. Notre époque semble accomplir la prophétie. Ses productions théoriques et esthétiques, ses pratiques sociales et politiques ne signentelles pas la victoire du deleuzisme ? La chose est entendue, à ceci près : alors même qu’elle atteste les prévisions foucaldiennes et leur fournit de multiples confirmations, notre époque garde trace d’un désir persistant de l’ordre et de l’unité. Ce désir divise l’histoire des hommes. Il réactive une exigence philosophique qui a trouvé dans le platonisme, entendu comme conviction philosophique, herméneutique du réel et modèle d’organisation, une figure apte à l’exprimer. Il fait droit à un schème transhistorique qui, aujourd’hui, est représenté et assumé par la pensée de l’islam. Dans le même mouvement où il relevait le point de vérité atteint par la philosophie de Gilles Deleuze, Michel Foucault manifestait le plus vif intérêt pour un événement majeur dans l’histoire mondiale : la révolution iranienne. Il voyait dans la prise de pouvoir de Khomeyni l’expression objective d’une autre histoire, ou plutôt la manifestation d’une revendication dont l’Occident croyait s’être délivré * Voir son précédent article dans Esprit : « L’islam, religion esthétique », juin 2004. Elle a aussi publié : Avicenne, Paris, Ellipse, 2002. Mars-avril 2007 328