Mars-avril 2007 328
Islam: de la religion politique
à la religion esthétique
Souâd Ayada*
DANS un entretien sur le devenir de la philosophie, Michel Foucault
annonçait, non sans quelque ironie, le triomphe à venir de la pensée
de Gilles Deleuze. « Le siècle à venir sera deleuzien », disait-il, en
une manière de prophétie philosophique. Foucault voyait se profiler à
l’horizon un temps nouveau, celui où les séductions du multiple pour-
raient se déployer à l’infini, celui où les flux, les rhizomes, les noma-
dismes de toutes sortes s’épancheraient sans scrupule, débarrassés
enfin de ces vieux reliquats dogmatiques qui les rendaient impos-
sibles : le principe d’origine, le souci d’unité.
Notre époque semble accomplir la prophétie. Ses productions théo-
riques et esthétiques, ses pratiques sociales et politiques ne signent-
elles pas la victoire du deleuzisme ? La chose est entendue, à ceci
près : alors même qu’elle atteste les prévisions foucaldiennes et leur
fournit de multiples confirmations, notre époque garde trace d’un
désir persistant de l’ordre et de l’unité. Ce désir divise l’histoire des
hommes. Il réactive une exigence philosophique qui a trouvé dans le
platonisme, entendu comme conviction philosophique, herméneu-
tique du réel et modèle d’organisation, une figure apte à l’exprimer. Il
fait droit à un schème transhistorique qui, aujourd’hui, est représenté
et assumé par la pensée de l’islam.
Dans le même mouvement où il relevait le point de vérité atteint
par la philosophie de Gilles Deleuze, Michel Foucault manifestait le
plus vif intérêt pour un événement majeur dans l’histoire mondiale :
la révolution iranienne. Il voyait dans la prise de pouvoir de Kho-
meyni l’expression objective d’une autre histoire, ou plutôt la mani-
festation d’une revendication dont l’Occident croyait s’être délivré
* Voir son précédent article dans Esprit : « L’islam, religion esthétique », juin 2004. Elle a
aussi publié : Avicenne, Paris, Ellipse, 2002.
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