Association des Directeurs des Maisons de Repos
La Marlagne – 24 mai 2005
Les directeurs et la fin de vie en institution
Je voudrais commencer mon exposé par une anecdote vécue personnellement. Cela s'est
passé il y a quelques années. Lors d'une fête de famille, une tante (décédée depuis) qui résidait
dans une maison de repos (MR) privée à Bruxelles, me raconte que quelques semaines
auparavant, elle avait demandé à une aide-soignante si on avait des nouvelles de Mme X qui
avait quitté la MR depuis une dizaine de jours. L'aide-soignante regarde autour d'elle et va
fermer la porte. Puis elle dit à ma tante que Mme X est décédée mais qu'elle ne peut pas le dire
car la direction a donné l'ordre de ne jamais parler des décès "pour protéger le moral des
résidents". Je demande à ma tante si elle a été trouver le directeur et elle me répond qu'elle ne
le fera pas sinon l'infirmière sera exposée à des sanctions. Je lui demande si elle souhaite une
intervention quelconque de ma part, elle me fait la même réponse : non, car cela pourrait nuire à
l'infirmière…
Nous sommes donc dans une maison qui héberge plusieurs dizaines de personnes qui sont "dans
la dernière ligne droite" de leur vie et il y est interdit de parler de la mort quand celle-ci se
présente… ! Je ne vais pas entamer une analyse de cette situation mais je ne peux m'empêcher
de constater comment la détresse psychologique d'une personne placée à un lieu stratégique
(ici, au niveau de la direction) peut créer des dégâts humains, tant pour les résidents que pour le
personnel.
A partir de mon travail dans diverses MR et MRS et de mes réflexions avec les professionnels
de ces institutions, je voudrais examiner avec vous quelques aspects qui ont trait, directement
ou indirectement, à la mort en milieu institutionnel.
1. L'individuel et le collectif
Nous avons l'habitude d'aborder des thèmes comme la souffrance, la mort, etc. à partir du point
de vue individuel. Comment réagit tel résident, comment réagit tel de ses proches, comment
réagit telle infirmière, etc. Réfléchir à partir de l'individu est absolument nécessaire et
indispensable, le dialogue interindividuel est fondamental. Il ne faut donc pas hésiter à investir
à ce niveau, par exemple par des formations.
Mais dans le concret des institutions, d'autres facteurs entrent en jeu : il y a p.ex. les
personnalités fortes qui influencent les autres, il y a l'atmosphère dans une équipe, il y a la
culture de l'institution. Il ne faut pas négliger ces éléments. Bien souvent ils imposent aux
professionnels des réflexes, des manières d'aborder les faits, l'angle sous lequel un événement
sera considéré, etc. Il s'agit bien d'une imposition même si elle n'est pas voulue ou totalement
consciente. La psychologie sociale nous apprend le poids considérable du groupe et de la
culture sur les individus et leurs manières de réagir ou de se comporter. L'individu est
influencé, parfois profondément, par le groupe dans lequel il se trouve, que ce soit la famille, la
classe, l'équipe de travail ou l'institution qui l'emploie. Un milieu favorable va tirer la personne
vers le haut, vers le déploiement de ses qualités personnelles. Un milieu défavorable va
accentuer le renfermement sur soi, le refoulement, la routine, etc.
En d'autres termes, le personnel qui est engagé va tenir compte - sera contraint de tenir compte
- de ce qui prévaut dans l'institution en matière de soins (a-t-on le souci du bien-être du
pensionnaire ?, est-on attentif à la douleur du patient ?,…), au niveau des manières de faire
(valorise-t-on les relations avec les pensionnaires ou reste-t-on cantonné au "technique -
hygiène" ?) ou encore concernant les habitudes ou l'atmosphère régnante : parle-t-on ?, avec les
proches ?, avec la direction ?, y a-t-il des méfiances réciproques ?, est-on dans le chacun pour
soi ?, etc.
La direction d'une institution a une influence considérable sur ces points. Même au niveau des
soins à strictement parler, elle a une influence : si elle induit une atmosphère de peur (peur que
ça tourne mal, peur de la famille, peur des procès, peur pour la réputation de la maison auprès
du public ou auprès d'instances officielles) cela influencera les professionnels, qu'ils soient
médecins, infirmières ou autres. Et, par exemple, le réflexe d'hospitaliser au moment d'une crise
deviendra pratiquement une obligation pour les responsables des soins.
2. Les valeurs dans une institution
Au niveau théorique, il n'y a pas trop de problèmes : il y a un accord général sur les valeurs
telles que le respect du pensionnaire, la dignité du patient ("mourir dans la dignité"…), la
qualité des soins, etc. A lire les chartes ou autres documents officiels de MR ou d'instances plus
larges, on s'aperçoit qu'il y a une plate-forme commune assez large, quasi unanime. Là n'est
donc pas le problème.
La question, si question il y a, sera de voir ce qui est mis en place pour favoriser la mise en
pratique de ces valeurs. Si, par exemple, les contraintes économiques sont aiguës et
régulièrement rappelées au point de créer un stress permanent - des "soins-chrono" au pas de
course - alors l'institution va exactement à l'encontre des valeurs qu'elle prétend favoriser.
Dans certaines institutions, le rappel des contraintes budgétaires s'apparente plus au
harcèlement qu'à autre chose. Il faut souligner ici que les contradictions entre comportements et
valeurs sont souvent peu conscientes dans le chef de ceux qui créent ces contradictions. Si le
gestionnaire est très attentif à l'équilibre des finances de sa maison, qu'il a une nature inquiète et
qu'il n'arrête pas d'en parler, il pourrait ne pas s'apercevoir que son souci de gestionnaire est en
train de miner le respect des valeurs qu'il souhaite honorer. Dans l'anecdote racontée en début
d'exposé, on peut faire le pari de la bonne foi du directeur et de son ignorance de la contre-
productivité qu'il crée au niveau des valeurs proclamées et de l'humanisation de sa maison. Et
comme il a induit une culture de non-communication entre son personnel et lui, il ne sera
probablement pas informé de si tôt de ces contradictions.
La question des valeurs doit donc être posée de manière très concrète : qu'est-ce qui se passe
sur le terrain ? L'analyse devra souvent porter sur les facteurs qui empêchent la réalisation des
valeurs : les contraintes organisationnelles, hiérarchiques, budgétaires, de temps, etc. qui
freinent les meilleures volontés ou les idéaux les plus élevés. Là est le poison des institutions :
les contraintes organisationnelles et hiérarchiques imposées aux agents les empêchent de
réaliser leurs objectifs fondamentaux en termes de qualité de soin, en termes de respect des
valeurs proclamées. On le voit, la dimension collective a une influence considérable : le
respect des valeurs dont on se réclame passe aussi - passe avant tout - par les structures mises
en place ou par la manière dont ces structures sont concrétisées.
3. Le rôle de la direction
A partir de ce qui vient d'être dit, on peut affirmer sans hésiter que le rôle de la direction est
absolument central. Tout en n'étant pas en lien direct avec les résidents jour après jour, tout en
n'étant pas la personne qui prend les décisions de soins ou des thérapies à instaurer, elle
influence considérablement le personnel qualifié qu'elle a engagé. Ni les médecins, ni les
infirmières ou autres soignants ne peuvent se permettre d'ignorer ses directives, directes ou
indirectes. Ils ne peuvent méconnaître les limites ou les contraintes organisationnelles
auxquelles ils sont confrontés.
On a parfois l'impression, en écoutant les professionnels du soin dans les formations continues,
que les directions ne sont pas toujours conscientes de leur emprise sur le fonctionnement
quotidien des services. C'est comme si elles ne mesuraient pas l'importance de leur influence et
du conditionnement - positif ou négatif - qu'elles induisent.
Un facteur-clé du lien entre la direction et le personnel - et donc du soin prodigué par celui-ci -
est certainement la communication. Quand un problème quelconque se pose, le fait qu'il ne
puisse pas être communiqué et discuté l'aggrave considérablement. La non-communication
induit les malentendus, les procès d'intention. Elle est le lit de l'imaginaire et donc des rumeurs
dont les effets pervers sont connus : la rumeur détruit et paralyse. Par contre, le fait de parler
ouvre la voie à une solution ou, à tout le moins, permet de dédramatiser la question. Si un
problème ne peut être résolu, le personnel est tout à fait capable de s'en rendre compte et bien
souvent il n'en tiendra pas rigueur à sa direction, à condition d'être informé, à condition de
percevoir les efforts réels qui sont déployés.
Parfois, la non-communication ou la mauvaise communication entre direction et personnel
n'est pas prise en considération pour la simple raison que la direction n'en est même pas
consciente. C'est le problème de beaucoup qui sont en position de pouvoir : ne pas se rendre
compte des effets induits par leur manière de faire ou d'être (par exemple, les parents, les
instituteurs, les enseignants, les infirmières, les médecins, etc.). Le personnel est comme le
patient et comme tout être humain : il a le souhait d'être entendu, d'être reconnu pour ce qu'il
est. La non-communication le prive de cette reconnaissance professionnelle, le prive du droit
d'être écouté. Plus profondément, la non-écoute blesse les personnes au niveau de leur identité,
au niveau de leur être.
Une conséquence néfaste de la non-communication est le désinvestissement du personnel.
Celui-ci n'est pas immédiatement perçu car il n'y a pas de manquements techniques ou
déontologiques graves mais il est très réel. Malheureusement, les premiers à s'en rendre compte,
sans nécessairement pouvoir le dire adéquatement, ce sont les résidents. Ils remarquent très vite
le manque d'intérêt, le manque d'écoute, le manque de présence dans les gestes de l'aide-
soignante, le manque de présence dans l'écoute du médecin, etc.
En conclusion, je soulignerai la portée stratégique du processus de communication dans une
MR. "Stratégique" parce que si la communication est de bonne qualité, c'est-à-dire ouverte et
libre, elle fera apparaître et portera à la connaissance de la direction les problèmes qui se posent
dans la maison au fur et à mesure qu'ils se présentent. La bonne communication a deux "effets
collatéraux" importants : elle confirme le personnel - elle souligne la valeur qu'il a aux yeux de
son employeur - et elle induit une qualité de soin pour les résidents.
Il arrive que des directions aient une certaine peur vis-à-vis d'une communication fluide avec
leur personnel. Il faut leur rappeler qu'il y a des formations qui peuvent leur fournir des outils
de base et des exercices pratiques intéressants, parfois amusants.
Mon plaidoyer en faveur d'une amélioration de la communication en milieu institutionnel est
pressant car de trop nombreuses questions éthiques qui me sont soumises, tant en milieu
hospitalier qu'en MR, ont pour origine des processus de communication lacunaires.
Benoît Van Cutsem
Unité d'éthique biomédicale
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !