Suicide dans le milieu médical - Fédération des médecins résidents

Suicide dans le milieu médical: problème de
résidence ou de médecine?
Par Fabienne Papin le 27 novembre 2014
Le Dr Joseph Dahine, président de la FMRQ.
«Comment rester insensible à des témoignages comme celui du Dr Leroux Groleau, à la
suite du décès de sa collègue, ou du jeune médecin auquel son directeur de programme de
résidence avait “très fortement suggéré” de prendre du Ritalin», demande le Dr Joseph
Dahine, président de la Fédération des médecins résidents du Québec? Pour lui c’est
évident: il y a un vrai problème.
Savoir que des situations comme celles-là existent encore n’est pas une nouvelle pour le
Dr Dahine, mais le fait qu’on en parle peut-être plus ouvertement, même si c’est encore
tabou, prouve sans doute qu’il faut «maintenant passer des modes prévention et
sensibilisation à des modes solutions et interventions».
Selon lui, il faudrait notamment agir sur l’encadrement des résidents qui ont des
problèmes. Il rappelle que la majorité des étudiants sont capables de passer à travers les
programmes de formation en dépit des exigences.
Un problème qui perdure après la résidence
«On ne peut pas faire du 8 h à 5 h en médecine et les patients sont en droit d’exiger rien
de moins que la perfection. Mais nous, on est là tous les jours à performer, à travailler, à
apprendre, et à long terme, cela peut avoir des conséquences, et ce serait jouer l’autruche
que de dire que les gens ne ressentent pas le poids des responsabilités», explique t-il. Le
pire, c’est que «la culture du tabou ou du silence et le poids des responsabilités ne
finissent pas avec la résidence».
Dans toute cette problématique-là, il faut donc d’abord évaluer les facteurs propres à la
résidence, comme les évaluations et les changements de stage tous les mois (qui obligent
les résidents à s’adapter à de nouvelles équipes et de nouvelles personnes), mais aussi
prendre conscience de facteurs qui sont liés à la pratique médicale, comme la culture ou la
lourdeur des responsabilités.
C’est donc tout le milieu qu’il faut changer, tout en le gardant performant.
Le nombre d'appels de médecins de famille, autres spécialistes ou résidents au PAMQ.
©PAMQ
«Il faut être capable de maintenir le souci de performance, mais dans un milieu qui
accepte l’erreur et l’apprentissage, et dans des environnements sécuritaires exempts de
harcèlement, d’intimidation et de la culture de l’étiquetage qui existe en médecine»,
explique le Dr Dahine.
Il faut dire que les médecins sont les seuls qui doivent apprendre leur métier tout en
rendant des services à la population. Or, ces deux rôles peuvent entrer en conflit.
«Vous pouvez avoir des connaissances plus récentes ou avoir vu des façons de faire
différentes ou simplement parce que vous voulez essayer votre propre style, vous pouvez
être coincé entre ce que votre patron veut que vous fassiez et ce que vous pensez qui est
le mieux pour le patient ou votre apprentissage», précise le Dr Dahine. Des situations
difficiles à gérer, puisqu’elles ont un impact sur votre capacité à gagner la confiance de
celui qui est chargé de vous évaluer. De plus, ce processus est toujours à recommencer à
chaque changement de stage.
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Une formation qui va changer?
Les organisations médicales sont d’ailleurs bien conscientes qu’il faut faire des réformes
majeures de la formation des résidents au Canada. En 2012, elles ont publié le rapport
Une vision collective pour les études médicales postdoctorales au Canada dans lequel elles
proposaient 10 recommandations. On y lit notamment que des «milieux d’apprentissage et
de travail positifs contribueront à un meilleur apprentissage et à la prestation de meilleurs
soins aux patients». Les experts parlent aussi de développer des programmes de formation
qui équilibrent les heures de service avec d’autres modalités d’apprentissage, notamment
la simulation, qui sont nécessaires au développement des compétences.
Enfin, au delà des connaissances médicales, il faudrait
garantir au médecin l’acquisition de plusieurs
compétences, valeurs et attitudes. «Le processus actuel
d’évaluation en cours de formation (RECF) n’est pas
nécessairement fiable pour assurer la qualité et la rigueur
de l’enseignement des rôles CanMEDS autres que celui
d’expert médical», précisent ainsi les rédacteurs du
rapport.
Il s’agit d’une vision idéale de la formation et des
différents rôles des médecins selon le Dr Dahine, qui n’est
peut-être pas très réaliste. «On sait qu’il y a des besoins
en médecine, mais les ressources ne sont pas toujours au
rendez-vous. On est en train de former des grosses
cohortes de résidents qui vont être capables d’entrer en pratique, mais qui ne trouveront
peut-être pas un emploi.»
Ainsi, en dépit des listes d’attente aux urgences ou dans les cliniques, si le milieu n’est pas
capable d’avoir des infirmières en nombre suffisant ou de proposer un bureau à un
médecin pour faire sa clinique, ils ne pourront pas l’engager. Et les médecins qui ont une
place sont quant à eux obligés de travailler plus vite et de voir plus de patients, sans avoir
le temps de les écouter. Une autre source de stress puisqu’on met «en compétition le souci
de performer avec le souci de voir les patients et de passer du temps avec eux».
Comme la profession médicale a le privilège de pouvoir s’autoréguler, ses membres
devraient aussi, selon le Dr Dahine, «prendre les devants quand ils voient des situations
inacceptables soit parce qu’un collègue est en détresse, soit parce qu’un collègue n’a pas
un comportement exemplaire envers les autres et que cela est au détriment des patients,
des apprenants ou même des collègues en pratique depuis 10, 20, 30 ans et qui sont
victimes encore de certains comportements non professionnels».
Un défi dans un système où, visiblement, il y a encore des personnes qui ne demandent
pas d’aide quand c’est nécessaire, et des situations où des médecins sont isolés parce
qu’ils ne sont pas en mesure de suivre le rythme surchargé.
La Dre Marie-France Bergeron, pneumologue, témoignait par exemple sur Twitter qu’il lui a
fallu perdre trois bébés «pour moins sentir qu’on (la) jugeait pour exemption de garde».
Selon le Dr Dahine, ce n’est même pas une question de mauvaise volonté. «Simplement,
on est dans un système qui doit rendre le plus de services possibles et cela a des effets
secondaires ou dommages collatéraux qui ont été dénoncés de façon particulièrement
courageuse par le Dr Leroux Groleau dans sa lettre publiée dans La Presse
Toutefois, cela risque de prendre encore du temps pour faire changer la culture. D’autant
qu’il y a encore des médecins qui véhiculent l’idée que les étudiants en médecine ne sont
pas plus à risque de dépression ou de suicide que la population en général.
«La pression aujourd’hui est bien moins forte qu’elle ne l’était, mettons il y a 15 ans. Le
milieu est bien, bien, bien plus accommodant qu’il ne l’était à cette époque», a déclaré
Gaétan Barrette à La Gazette . Une affirmation qui ne tient ni compte des statistiques (5 %
des étudiants en médecine ont des idées suicidaires), ni compte de la masse de
connaissances en pleine expansion que les étudiants en médecine doivent ingurgiter ou de
la lourdeur des cas qu’ils prennent en charge dans les hôpitaux québécois, sans parler de
leurs inquiétudes à obtenir le poste de leur rêve une fois diplômé.
Recommandation no 3
L’apprentissage doit se
dérouler dans des milieux
collaboratifs et positifs,
centrés sur le patient et
fondés sur le principe voulant
que l’on fournisse des soins
de la plus haute qualité dans
le contexte de l’enseignement
et de l’apprentissage des
compétences requises.
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