Le jeu de l`amour et du hasard Laurent Laffargue

publicité
1
L’auteur et son œuvre
L’auteur : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux …..……………
Marivaux : pour en savoir plus ……………………………………...
Marivaux et son temps ………………………………………………
Le théâtre au XVIIIème siècle ………………………………………
Le théâtre de Marivaux ……………………………………………...
Résumé de l’intrigue ………………………………….……………..
3
4
5
7
8
9
Le spectacle
Le metteur en scène : Laurent Laffargue …………………………...
Notes d’intention …………………………………………………...
10
11
Activités pédagogiques
Avant la représentation : le Jeu de l’Amour et du Hasard en BD
- Activités de découverte et d’approfondissement ……………
- Documents …………………………………………………..
13
14
Analyse de la représentation ……………………………………….
17
Quelques citations à méditer ……………………………………….
18
Pistes de lecture
- Acte I – Scène 1 ……………………………………………..
- Acte I – Scène 6 ……………………………………………..
- Acte II – Scène 3 …………………………………………….
Fiches thématiques
- Les personnages …………………………………………......
- Maîtres et valets face à l’amour ……………………………..
- Marivaux et la contestation sociale ………………………….
19
23
27
29
33
35
2
Source : @lalettre.com
1688
Naissance à Paris le 4 février de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux
1698
Son père est nommé contrôleur puis directeur de la Monnaie à Riom
Marivaux fait ses études classiques chez les oratoriens de Riom
1710
Etudes de droit à Paris. Marivaux se montre peu assidu. Il préfère fréquenter les salons
littéraires de Mme de Lambert et de Mme de Tencin
1712
Il abandonne ses études de droit.
Il publie Le Père prudent et équitable, sa première comédie en vers
1714
Il prend parti pour les Modernes dans le dernier épisode de la querelle qui les oppose aux
anciens
1717
Il épouse Colombe Bologne, fille d'un riche avocat
1719
Naissance de sa fille et mort de son père
1720
Annibal, tragédie en 5 actes et en vers : unique tragédie de Marivaux; ce fut un échec
Arlequin poli par l'amour (Théâtre Italien), comédie en un acte et en prose : premier succès
Marivaux est ruiné par la faillite de Law
1721
Il est licencié en droit puis est reçu avocat mais n'exercera jamais réellement
Il lance le Spectateur françois, un journal qu'il souhaiterait hebdomadaire. Marivaux, unique
rédacteur, est à la fois conteur, moraliste, et philosophe.
Il éditera le Spectateur françois jusqu'en 1724 et produira 25 numéros
1723
La Double Inconstance
Mort de son épouse
1724
La Fausse Suivante ou le Fourbe puni
1725
L’Ile des Esclaves
1727
L'Indigent Philosophe, nouveau journal dans lequel il se fait philosophe
1730
Le Jeu de l'amour et du hasard, comédie d'intrigue en 3 actes et en prose.
1731
Il commence l'écriture d'un grand roman : La Vie de Marianne
1737
Les fausses Confidences, comédie en trois actes et en prose.
1742
Il est élu à l’Académie française (contre Voltaire)
Il y prononce plusieurs discours : Réflexions sur le progrès de l'Esprit humain (1744), sur
Corneille et Racine (1749), sur les Romains et les anciens Perses (1751)
1745
Sa fille se fait religieuse
1763
Malade depuis 1758, Marivaux meurt le 12 février à Paris
3
Débuts mondains. Né à Paris en 1688, sa jeunesse et son éducation nous sont fort mal connues. Il
séjourna probablement à Riom où son père fut directeur des Monnaies. Dès l’âge de 18 ans, il fit jouer à
Limoges une première comédie. Puis il étudie le droit à Paris et se lie avec LA MOTTE et FONTENELLE,
tous deux écrivains et dramaturges. Il adhère ainsi au groupe des Modernes et collabore à leur journal, Le
Nouveau Mercure (1717-1720). Il est introduit dans le salon de Mme DE LAMBERT où il brille par ses
talents de causeur. Dans le domaine littéraire, il cherche sa voie, composant des romans, une lliade
travestie (1717) et, en 1720, deux comédies pour les Italiens dont Arlequin poli par l’amour, et une
tragédie, Annibal, pour le Théâtre Français.
Carrière littéraire. A la fin de 1720, Marivaux se trouve ruiné par la banqueroute de Law. Le
mondain bel esprit va devenir un homme de lettres professionnel, dont l’originalité ira s’affirmant dans
trois domaines.
- Le journalisme. Il lance d’abord un nouveau périodique, Le Spectateur Français, titre emprunté au
Spectator de l’Anglais ADDISON. 25 feuilles paraissent de 1722 à 1724. Puis ce sera L’Indigent
Philosophe (7 feuilles, 1728) et Le Cabinet du Philosophe (11 feuilles,
1734). Beaucoup plus tard, Marivaux collaborera de nouveau au Mercure (1751-1755). Dans ses articles,
où il aborde sur un ton très personnel de nombreuses questions littéraires et morales, il se montre agréable
conteur et fin psychologue.
- L’écriture dramatique. Ses dons s’épanouissent surtout dans les comédies qu’il écrit généralement
pour le Théâtre Italien, rouvert en 1716. il y trouve des traditions de fantaisie et de liberté qui favorisent à
merveille ses propres tendances et, en la personne de Gianetta Benozzi, dite SILVIA, une interprète idéale.
Depuis La Surprise de l’Amour (1722) jusqu’au Préjugé vaincu (1746), il donne 27 comédies en prose dont
18, en un acte ou trois actes, pour le Théâtre Italien. Ses chefs-d’œuvre sont Le Jeu de l’Amour et du
Hasard (1730) et Les Fausses Confidences (1737).
- L’écriture romanesque. De 1731 à 1741, Marivaux revient au roman avec La Vie de Marianne et
Le Paysan parvenu.
A partir de 1733, il fréquente chez Mme DE TENCIN qui devient pour lui une amie précieuse.
Grâce à elle, il est élu à l’Académie Française, contre Voltaire, en 1742. Il parait également dans les salons
de Mme DU DEFFAND et de Mme GEOFFRIN, puis vit dans une demi-retraite, et meurt, presque oublié,
en 1763.
4
L’année 1730, date à laquelle Le Jeu de l’Amour et du Hasard est représenté, se situe au début d’une
évolution en profondeur de la société française qui aboutira à la Révolution, et ce, que ce soit sur le plan
politique, économique, social et bien sûr, culturel. Les transformations sont en fait provoquées par l’essor
économique que connaît le règne de Louis XV, en particulier sous le ministère du Cardinal de Fleury
(1726-1743)
Le contexte politique
Quand Marivaux naît, en 1688, Louis XIV est sur le trône depuis 1651 et y restera jusqu’en 1715 : la
France est alors une monarchie administrative, rationalisée et unifiée. Le pays est perpétuellement en
guerre, Louis XIV voulant forger l’image d’une nation forte et puissante. Cependant, les guerres menées
par Louis XIV ont entraîné un alourdissement du régime fiscal qui conduit à la mise en place de prêt d’un
particulier à l’Etat en échange du contrôle d’un impôt pendant une période de temps donnée. D’immenses
fortunes
se
forgent
et
font
scandale.
Les mœurs à la Cour restent austères : Louis XIV a épousé la très dévote Madame de Maintenon.
De 1715 à 1723, après la mort de Louis XIV, la Régence se met en place. L’arrivée du Régent semble alors
clore la période de rigueur morale imposée par Louis XIV et Madame de Maintenon. La Cour quitte
Versailles et Paris redevient le centre des plaisirs avec un régent ayant un penchant certain pour la
débauche. Un des premiers gestes du Régent fut de rappeler la troupe des Comédiens Italiens que Louis
XIV avait chassée en 1697.
Sur le plan politique, l’assouplissement semble également de mise. Au pouvoir autocratique, le Régent
substitue un système de conseils permettant une participation accrue à la politique des forces vives du
royaume.
Sur le plan économique, la Régence voit l’instauration de la Banque de Law, qui émit de la monnaie
fiduciaire capable de suppléer la rareté des espèces. En 1718, l’établissement devient banque royale
entraînant une spéculation massive ; en effet, quand les actionnaires voulurent échanger leurs billets contre
des espèces, la banque fit faillite, ne pouvant honorer ses promesses. C’est à la suite de cette banqueroute
que Marivaux se trouva ruiné. Bon nombre d’œuvres littéraires (comme les Lettres Persanes de
Montesquieu) évoqueront ce désastre. En 1720, les secousses de la faillite du système de Law se seront
estompées ; un mouvement de hausse des prix stimulera alors les affaires, provoquant une augmentation
des revenus de la terre, de l’industrie et du commerce.
En Europe, la période de 1715 à 1740 est une période de guerres : Espagne, Pologne, Autriche sont en
proies aux guerres de Succession.
De 1723 à 1774, après la mort du Régent, règne Louis XV, « Louis le Bien-Aimé » qui, en 1743, décida de
gouverner sans ministre. Le royaume pacifié entre dans une phase d’essor économique.
C’est à la fin des années 1740 que se font entendre les premières voix discordantes. La France entre à
nouveau en guerre. L’absolutisme du pouvoir est contesté, l’opposition venant surtout des parlementaires
qui défendent leurs privilèges locaux face au pouvoir royal. De leur côté, les paysans se révoltent contre les
seigneurs. Par ailleurs, l’opinion admet mal les prodigalités du roi pour sa maîtresse, la marquise de
Pompadour, ce qui entraîne un ternissement de son image avec, en 1757, l’attentat de Damiens duquel
Louis XV réchappera blessé mais vivant.
Les tentatives de réformes conduites sous le règne de Louis XV seront interrompues par sa mort en 1774.
5
Le contexte social
La société du temps de Marivaux s’organise en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état. C’est une
société
à
dominante
rurale
:
plus
de
80%
des
français
sont
des
ruraux.
Au 18ème siècle, la vie sociale se déroule dans le cadre plus intime de la famille et de la maison
bourgeoise. Il n’y a alors plus de différences notables entre haute bourgeoisie et noblesse. Elles ont, en
effet, le même mode de vie, le même degré de fortune, et les mêmes aspirations culturelles.
L’éducation est toujours réservée à une élite intellectuelle, le français étant la langue des personnes
cultivées et des cours européennes ; elle remplace alors le latin, langue des savants et des politiques
.
Le cadre culturel
En dramaturgie comme dans les romans ou essais, la guerre et l’héroïsme ne font plus recette et laissent la
place au pessimisme qu’expriment les œuvres de La Rochefoucauld, de Madame de La Fayette puis celles
de La Bruyère. La comédie du 18ème siècle est directement inspirée de celle de Molière ; or, il s’agit d’un
modèle que Marivaux ne reprend pas. L’argent devient un thème de prédilection de la comédieLes artistes
français jouissent d’une extrême popularité dans le reste de l’Europe et sont invités à travailler à l’étranger.
Toute l’Europe est à l’affût du dernier livre paru en France.
Philosophie, critique et idées nouvelles
Des idées nouvelles se diffusent, notamment dans les salons littéraires, les cafés, les académies de province
et les loges maçonniques. Les philosophes contestent notamment la religion et la monarchie absolue. En
1721, Montesquieu fait, dans ses Lettres Persanes, une critique des croyances et des mœurs des Français en
ridiculisant les fondements mêmes du catholicisme. En 1748, il publiera à nouveau un ouvrage, De l’Esprit
des Lois, dans lequel il expose une monarchie où pouvoir politique, judiciaire et religieux seraient séparés.
Voltaire, quant à lui, est réfugié en Angleterre et publiera en 1734 les Lettres philosophiques dans
lesquelles il exalte les libertés dont jouissent les Anglais.
Source : www.bacdefrancais.net
Lecture de la tragédie de « l’orphelin de la Chine » de Voltaire
dans le salon de Madame Geoffrin en 1755
Gabriel LEMONNIER (1812
6
Le théâtre au 18ème siècle : un phénomène de société
Que ce soit à Paris ou en province, les nobles et bourgeois aisés apprécient le théâtre.
A Paris, ils se rendent dans l’un des quatre théâtres de la ville : l'Opéra, le théâtre des Italiens (rappelé en
1715), l'Opéra Comique, la Comédie Française. De plus, les théâtres de foire et les théâtres de boulevard
prolifèrent.
En province, on trouve peu de théâtre mais pendant la Régence, ceux ci se multiplient ; on y joue les
mêmes types de pièce qu’à Paris.
De 1715 à 1750, il y aura 266 créations théâtrales : un record !!!
Les conditions du spectacle
La scène est rectangulaire ou trapézoïdale, les risques d’incendie sont élevés, la scène étant éclairée par des
bougies. Les spectateurs sont debout sur le parterre, on trouve des places sur la scène même, et ce, jusqu’en
1759. Le public est constitué d’habitués et de versatiles (surtout les provinciaux et les étrangers). La «
claque » impose toujours sa loi.
Les représentations se font à 17 heures avec deux œuvres : une longue et une plus courte.
Il n’y a pas de metteur en scène, souvent le dramaturge est chef de troupe. Beaumarchais, sera le premier
metteur en scène à se nommer comme tel.
La condition des acteurs et leur niveau de vie augmente peu à peu.
Les auteurs
Les œuvres ne sont pas protégées et la notion de droits d’auteurs n’a pas encore été exploitée. On
distingue : les acteurs-auteurs (comme Dancourt), les auteurs riches (comme Voltaire), les auteurs qui
aspirent à vivre du théâtre (comme Marivaux).
Pour la comédie, trois auteurs se détachent : Regnard, Dancourt, Dufresny. Puis une nouvelle génération
d’auteurs fait surface : Destouches, D’Orneval, Marivaux.
En 1756, la comédie devient de plus en plus moralisante
La censure
Elle est plus que jamais la règle, elle se fait soit : par le public, par la Comédie française, par le pouvoir en
place qui à partir de 1709, censure les pièces désormais écrites.
Le théâtre des Italiens
C’est dix-neuf ans après la mort de Louis XIV, qui avait chassé la troupe des Comédiens Italiens, que le
Régent les rappelle ; la troupe s’installera à l’hôtel de Bourgogne. En 1762, la troupe des Comédiens
Italiens fusionnera avec celle de l’Opéra Comique.
A partir de 1773, le Théâtre Français attaque la troupe ce qui conduira, en 1779, à l’interdiction de
représenter des pièces italiennes.
Le théâtre des Italiens, dont la particularité est la présence d’une fosse d’orchestre qui conduit à un espace
de jeu réduit, a longtemps utilisé le masque en guise de costumes.
Source : www.bacdefrancais.net
7
La comédie psychologique
Marivaux présente une prédilection évidente pour la peinture de la psychologie amoureuse et s’amuse à
analyser la conquête des cœurs par l’amour : « J’ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes
où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le
faire sortir d’une de ces niches … Dans mes pièces, c’est tantôt un amour ignoré des deux amants ; tantôt
un amour timide qui n’ose se déclarer ; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi
né, pour ainsi dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs et qu’ils épient au-dedans d’eux-mêmes avant
de lui laisser prendre l’essor ».
Amour et amour-propre
Par la suite d’un préjugé, de déceptions antérieures, d’un quiproquo, bref par amour-propre, les jeunes
héros ne veulent pas reconnaître qu’ils sont amoureux. Ils appellent la raison à leur secours, « mais la
raison n’est pas ce qui règle l’amour ». L’amour se joue de leurs feintes et les mène où il veut, en dépit de
leurs candides mensonges.
Originalité de Marivaux
Dans une comédie ainsi conçue, les héros nous amusent sans être ridicules. Contrairement à ceux de
Molière, les personnages de Marivaux ne sont marqués par aucun vice, aucun travers dominant qui prête à
rire. Ce qui est plaisant, c’est le débat, né d’un artifice et pourtant authentique, qui partage leur cœur.En
cela, Marivaux rejoint Racine par la pénétration et la finesse de ses analyses de l’amour. Il connaît tous les
subterfuges de la logique passionnelle, les charmes de la tendresse et l’irrésistible appel de la passion. C’est
un maître de la psychologie féminine, mais il s’arrête toujours au point précis où l’amour risquerait de
devenir tragique.
Enfin, l’atmosphère si particulière de son théâtre tient aussi sans doute à l’union de la vérité psychologique
et de la fantaisie. Ses pièces sont des comédies de salon, et même des divertissements, mais l’apparente
gratuité du jeu permet la révélation de mouvements secrets du cœur humain. L’émotion vient couronner le
plaisir de l’esprit, comme dans les fêtes galantes chères à Watteau.
Le marivaudage
A la finesse de l’analyse correspond une extrême subtilité du langage. Ainsi le nom de Marivaux a-t-il
donné naissance au verbe « marivauder » qui signifie « échanger des propos galants et d’une grande
finesse, afin de séduire un homme ou une femme ». Par extension a été créé le mot « marivaudage » que
Jean-François de La Harpe définit comme « le mélange de métaphysique, de locutions triviales, de
sentiments alambiqués et de dictions populaires le plus subtil ».
Si, au XVIIIème siècle, le mot a un sens péjoratif, il va ensuite devenir positif et décrire un certain type de
dialogue amoureux dont les pièces de Marivaux offrent le modèle. Il renvoie à une certaine façon de vivre
l’échange amoureux sur le mode de la galanterie et du badinage. C’est pourquoi, de nos jours, il désigne le
plus couramment une atmosphère enjouée et spirituelle, des rapports amoureux fondés sur le jeu et la
séduction.C’est à Marivaux que l’on doit, par exemple, l’expression « tomber amoureux » qui nous paraît
maintenant si courante, mais qui n’existait pas à son époque : on disait « se rendre amoureux » !
Source : Wikipédia et Lagarde et Michard – XVIIIème siècle
8
Acte I
M. Orgon, désire marier sa fille Silvia à Dorante, le fils d'un de ses vieux amis. Silvia évoque ce mariage
avec Lisette, sa femme de chambre, et lui confie les craintes qu'elle a d'épouser ce jeune homme qu'elle ne
connaît pas. Orgon, en père libéral, accepte que sa fille change de rôle avec Lisette, afin qu'elle puisse ainsi
mieux observer son futur mari. Silvia et Lisette échangent donc leurs vêtements et leurs identités.
M. Orgon amusé, indique à son fils Mario que Dorante a eu la même idée et qu'il va se présenter chez eux
déguisé en serviteur. Dorante s'est rebaptisé Bourguignon, tandis que son valet, Arlequin, se fait passer
pour lui.
Monsieur Orgon et son fils, Mario, qui seuls connaissent le stratagème des quatre jeunes gens, se taisent et
décident de laisser ses chances au jeu de l’amour et du hasard.
Silvia, bien décidée à sonder son futur prétendant, est rapidement troublée par Bourguignon. Elle trouve
que ce valet a une belle prestance et beaucoup de distinction. De même le jeune noble est impressionné par
le charme et par la noblesse de caractère de celle qu'il croit être une domestique.
Acte II
Les entrevues entre maîtres et valets déguisés sont autant de quiproquos. Silvia et Dorante s’étonnent d’être
sensibles aux charmes de personnes de rang social inférieur. De leur côté Lisette et Arlequin profitent de
leur nouveau statut pour séduire celui ou celle qu’ils prennent pour un maître ou une maîtresse. Lisette
avoue même à Orgon, le père de Silvia, qu'Arlequin qu'elle prend pour Dorante, n'est pas insensible à ses
avances. Avec beaucoup d'esprit, Orgon autorise Lisette à se faire aimer d'Arlequin. Ce jeu de rôles ne
serait qu'un simple divertissement s'il ne touchait les protagonistes dans leur amour propre. Silvia et
Dorante sont en effet troublés d'éprouver un tendre attachement pour des valets. En plus lorsque Silvia
réalise que sa servante gagne les faveurs d'Arlequin/Dorante, elle se sent atteinte dans sa fierté.
Lorsque Silvia apprend enfin de Dorante, qui n'en peut plus, sa véritable identité, elle éprouve un vif
soulagement. Triomphante, elle décide toutefois, de ne pas se dévoiler, et de poursuivre le jeu à sa guise.
Acte III
Silvia, son père et son frère vont maintenant agir tous les trois de concert. Dorante, lui, est perturbé. Il
autorise son valet à épouser celle qu'il croit encore être Silvia. La vraie Silvia, elle, profite de la situation
pour essayer d'obtenir de Dorante la preuve de son amour. Elle voudrait qu'il aille jusqu'à demander en
mariage celle qu’il croit encore être une femme de chambre. Aidée de son frère Mario qui excite la jalousie
de Dorante, Silvia triomphe finalement de celui-ci. Jaloux, désespéré, il est prêt à s'enfuir. C'est ce qui
pousse Silvia à lui avouer enfin son amour et sa véritable identité. Après les jeux de masques et du hasard,
tout rentre dans l'ordre : Arlequin et Lisette, démasqués se jurent, malgré leur désillusion, un amour éternel.
Tout se termine dans la joie par une dernière pitrerie d'Arlequin.
Source : @lalettre.com
9
Metteur en scène et comédien, Laurent Laffargue signe toutes les créations de la Compagnie du Soleil Bleu
(fondée en 1992, après sa sortie du Conservatoire de Bordeaux).
Fidèle au théâtre francophone classique et contemporain, il monte Le
Tartuffe de Molière, Par la fenêtre et Amour et piano de Georges Feydeau,
L’Épreuve (Prix des régions et du public au festival Turbulences de
Strasbourg) et La Fausse Suivante de Marivaux, Dépannage de Pauline
Sales. Il marque aussi un grand intérêt pour les auteurs anglophones :
Harold Pinter (Le Gardien et Le Monte-plats), Daniel Keene, Edward
Bond. De la rencontre avec ce dernier (1995), naît Entretien avec Edward
Bond, présenté en amont de la création de Sauvés, qui obtient le Prix des
Rencontres Charles Dullin (1998). Cet échange déterminant avec l’auteur
anglais le conduit à explorer l’œuvre de Bertolt Brecht (Homme pour
homme) ainsi que celle de Shakespeare, auteur qui nourrit sa réflexion
depuis toujours. Et justement, en 1999, il signe (au Théâtre de Suresnes) un
diptyque Shakespeare, composé du Songe d’une nuit d’été et de Othello :
Nos nuits auront raison de nos jours et quelques années plus tard, il crée
Beaucoup de bruit pour rien, dans une traduction inédite de Jean-Michel
Déprats (2004). En 2002, il met en scène, pour la première fois en France, Terminus de Daniel Keene et, en
mai de la même année, il reçoit le prix Jean-Jacques Gautier. Paradise est l’aboutissement d’une nouvelle
collaboration avec l’auteur australien (2004).
Il revient au répertoire français et signe, au TOP de Boulogne-Billancourt, quatre courtes pièces de
Georges Feydeau, sous l’intitulé Du mariage au divorce : Léonie est en avance, Mais ne te promène donc
pas toute nue !, Feu la mère de Madame et Hortense a dit : “je m’en fous !” (2005). Sa compagnie est
nommée aux Molières 2006 (catégorie “Molière de la Compagnie”) puis aux Molières 2007 (catégorie Prix
Adami). Ensuite, il crée Les Géants de la montagne de Pirandello (2006), Après la répétition de Ingmar
Bergman (2008), La Grande Magie d’Eduardo De Filippo (2008). Artiste associé au Théâtre de la
Commune d’Aubervilliers (2010-2013), il écrit, en collaboration avec Sonia Millot, Casteljaloux qu’il met
en scène dans une version où il est seul en scène (2010) puis, avec dix comédiens (2011). En 2012, il
réalise Pulsions, le spectacle de la 24ème promotion du Centre National des Arts du Cirque à Châlons-enChampagne. En janvier 2013, il signe Molly Bloom d’après James Joyce, interprétée par Céline Sallette
(reprise lors de la saison 2013-2014). En mars 2014, il met en scène son troisième Marivaux : Le jeu de
l’amour et du hasard.
Passionné d’art lyrique, Laurent Laffargue monte Le Barbier de Séville de Rossini (1999), Don Giovanni
de Mozart (2002), Les Boréades de Rameau, direction musicale d’Emmanuelle Haïm (2005), La Bohème
de Puccini (2007), Le Couronnement de Poppée de Monteverdi (2009), Carmen de Georges Bizet (2010),
Les Noces de Figaro (2012).
10
S’accorder entre ses élans et sa situation ; au delà des artifices de la condition
sociale, la seule vérité est celle du cœur...
© Victor TONELLI
« Ce que je sais, c’est que je suis. Ce que je ne sais pas, c’est ce que je suis »...
Dans ses Etudes sur le temps humain (1949), Georges Poulet distille, en cet aphorisme concis, la condition
du « personnage » marivaudien face au monde. Dépouillé de l’habit qui l’enrubanne solidement à son statut
social, travesti sous le masque d’un autre ou ravi à lui-même par surprise, il surgit dans l’étonnement de ce
qui survient et se découvre, piqué à vif par la flamme, brutalement abandonné en son être privé du paraître.
Dans Le jeu de l’amour et du hasard (créé en 1730 par les Comédiens italiens), Marivaux met encore les
cœurs à l’épreuve et saisit d’une plume alerte la lutte que chacun livre en son for intérieur pour s’accorder à
lui-même, entre ses élans et sa situation. Ainsi de Dorante et Silvia. Fiancés, par l’amitié de leurs pères, ils
redoutent de s’engager sans se connaître et usent, sans le savoir, du même stratagème pour observer à leur
guise la vraie mine de leur « parti ». Tous deux, se glissent sous la mise de leurs domestiques, Arlequin et
Lisette, qui revêtent alors leurs rôles. Mais le maître, caché sous sa livrée, s’éprend de la maîtresse,
déguisée en servante ; tandis que le valet endimanché s’amourache de la soubrette toilettée qu’il prend pour
la promise...
11
Car on ne change de langage comme d’équipage. « L’habitus » qui sait parer le verbe d’atours élégants
séduit mieux que les jolis rubans, la naissance sait se reconnaître dans les belles manières. Pour autant,
craignant la mésalliance, Dorante comme Silvia résistent à leurs sentiments, alors que leurs gens, tout au contraire,
espèrent en leur idylle pour se hisser d’un rang.
C’est toute la mécanique subtile de cette double partition, amoureuse et sociale, que je souhaite mettre en
scène, en m’appuyant sur les codes actuels. Car bien qu’en apparence plus égalitaire, notre société reste
pourtant cloisonnée. Les marqueurs sociaux de la distinction se font sans doute plus discrets et habiles,
quand se déclinent à longueur de magazines les icônes glamour, « must-have » et autres marques qui
fondent l’être dans l’objet et servent de repères identitaires, surtout chez les adolescents...
Marivaux montre des individus en quête de (leur) vérité, qui se cherchent encore et découvrent un
sentiment pour eux inconnu, tout à la fois délicieux et effrayant : l’amour. C’est pourquoi j’ai choisi de très
jeunes comédiens pour les interpréter.
Les personnages vivent cette expérience, chavirés par les premières bourrasques du désir. L’expérience où
Marivaux jette ces jeunes gens les démet de leur fonction et les perd dans le doute de leur identité. Ils
espèrent être aimés pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils représentent. L’espace, en perpétuelle
métamorphose, révèlent les mouvements intérieurs qui les travaillent, à l’insu de leur conscience.
A ce compte-là, les maîtres sont les plus entravés, déchirés entre leur moi et leur sur-moi social, entre ce
qu’ils voudraient dire et ce qu’ils disent. Leur amour bute sur l’amour-propre. C’est là aussi tout le mordant
de la comédie, irrésistible et cruelle. Derrière le rire et la danse allègre des mots, se devinent la panique
intime et l’âpreté de ce combat entre soi et soi, jusqu’à ce que la vérité advienne par le mensonge... et le jeu
du théâtre.
Laurent Laffargue, metteur en scène.
(Propos recueillis par Gwénola David, dramaturge).
© Victor TONELLI
12
Né en 1983, passionné par le dessin et avec un Bac scientifique en poche, Florent
HUMBERT suit les cours de l'institut Saint-Luc à Bruxelles, capitale de la BD, pendant
trois ans. Après un essai d'atelier, il retourne à Châlons-en-Champagne pour élaborer sa
propre création : "Le jeu de l'amour et du hasard", adaptation de l'œuvre de Marivaux
qu’il présente au festival d’Angoulême en 2007. Repéré par les éditions DELCOURT
qui préparent le lancement d’une nouvelle collection « Ex libris » dédiée aux
adaptations de grands classiques de la littérature française et étrangère, l’album sort en
2009.
Sources : www.bedetheque.com et archives.stasbulles.fr
Découverte
Document 1 : il s’agit de la première page de la BD.
- Où et quand se passe l’action ? Justifier vos réponses.
- Qui sont les personnages mis en scène ?
- Quel lien entretiennent-ils l’un avec l’autre ?
- Que font-ils ?
- Qu’apprend-t-on d’utile pour la suite ?
- Quelles hypothèses de lecture peut-on faire à partir de cette page ?
Document 2 : il s’agit des personnages de la pièce tels que Florent Humbert les a imaginés.
A partir de vos observations et de votre connaissance de la distribution des rôles dans les comédies,
déterminez le rôle de chacun en justifiant vos réponses.
Approfondissement
Document 2 : il s’agit des personnages de la pièce tels que Florent Humbert les a imaginés.
En vous appuyant sur la distribution de la pièce de Marivaux, retrouvez le rôle de chacun. Justifiez vos
réponses.
A remarquer, le choix de représenter Arlequin tel que dans la Comedia dell Arte.
Document 3 : il s’agit de la première page de la BD sans les bulles.
En vous aidant du texte de la scène 1 de l’acte I, complétez les bulles vides.
Document 1 : il s’agit de la première page de la BD.
Comparez vos bulles reconstituées aux bulles originales.
Etudiez le travail d’adaptation de Florent Humbert.
13
Document 1
14
Document 2
15
Document 3
16
A propos de l’espace scénique : Quelles en sont les caractéristiques (sol, murs, plafond,
forme, matières, couleurs) ? Est-il unique ou évolutif ? Quelle est sa structure (rectangulaire,
circulaire, carrée) ? Que représente cet espace (espace réel ou mental) ? Fait-il référence à une
esthétique culturelle (rapport peinture ou cinéma/scénographie) ?
Quels sont les éléments qui composent le dispositif scénographique ?
A propos des objets scéniques : Quels sont leurs caractéristiques et leur qualité plastique
(natures, formes, couleurs, matières) ? A quoi servent-ils ? Ont-ils un usage fonctionnel ou
détourné ?
A propos de la lumière : A quel moment intervient-elle ? Quel est son rôle : éclairer ou
commenter une action, isoler un comédien ou un élément de la scène, créer une atmosphère,
rythmer la représentation, assurer la transition entre différents moments, coordonner les autres
éléments matériels de la représentation ? Y a-t-il des variations de lumière, des noirs, des
ombres, des couleurs particulières ?
A propos de l’environnement sonore : Comment et où les sources musicales sont-elles
produites ? Quel est son rôle : créer, illustrer, caractériser une atmosphère correspondant à la
situation dramatique, faire reconnaître une situation par un bruitage, souligner un moment de
jeu, ponctuer la mise en scène (pause de jeu, transition, changement de dispositif scénique) ?
A propos des comédiens : Décrire leur costume, leur apparence physique, leur
maquillage, leur gestuelle, leurs postures … Occupent-ils l’espace scénique au moment où les
spectateurs entrent dans l’espace théâtral ? Commenter leurs déplacements dans l’espace
scénique. Y a-t-il des contacts physiques ? Repérer les jeux de regards. Y a-t-il des
oppositions ou des ressemblances entre les personnages ?
Quelle est l’atmosphère du spectacle ?
Source : fiches pratiques - ANRAT
17
Cette pièce, créée le 23 janvier 1730 par les Comédiens Italiens, jouée plus de 1500 fois
depuis à la Comédie Française, est sans doute la plus célèbre de Marivaux.
En 1967, Marcel Bluwal en proposait une adaptation pour la télévision en choisissant pour
décor une plantation de Louisiane juste avant la Guerre de Sécession.
En 2009, c’est Florent Humbert qui la transpose en bande dessinée.
« Chez mes confrères, l'amour est en querelle avec ce qui l'environne (...) chez moi, il n'est en
querelle qu'avec lui seul. »
Marivaux cité par d'Alembert
« Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l’être assez. »
Monsieur Orgon, Acte I, scène 2
« Un mari porte un masque avec le monde et une grimace avec sa femme. »
Lisette, Acte I, scène 2
« Ce qui lui en coûte à se déterminer, ne me le rend que plus estimable : il pense qu'il
chagrinera son père en m'épousant, il croit trahir sa fortune et sa naissance, voilà de grands
sujets de réflexion ; je serai charmée de triompher ; mais il faut que j'arrache ma victoire, et
non pas qu'il me la donne : je veux un combat entre l'amour et la raison. »
Silvia, Acte III, scène 4
« Le mérite vaut bien la naissance. »
Dorante, Acte III, scène8
© Victor TONELLI
18
ACTE I - SCÈNE 1 - SILVIA, LISETTE.
SILVIA
Mais encore une fois, de quoi vous mêlez-vous, pourquoi répondre de mes sentiments ?
LISETTE
C'est que j'ai cru que dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de
tout le monde ; Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu'il vous marie,
si vous en avez quelque joie ; moi je lui réponds qu'oui ; cela va tout de suite ; et il n'y a
peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui-là ne soit pas vrai, le non n'est pas
naturel.
SILVIA
Le non n'est pas naturel ; quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands
charmes pour vous ?
LISETTE
Eh bien, c'est encore oui, par exemple.
SILVIA
Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n'est pas à vous
à juger de mon cœur par le vôtre.
LISETTE
Mon cœur est fait comme celui de tout le monde ; de quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être
fait comme celui de personne ?
SILVIA
Je vous dis que si elle osait, elle m'appellerait une originale.
LISETTE
Si j'étais votre égale, nous verrions.
SILVIA
Vous travaillez à me fâcher, Lisette.
LISETTE
Ce n'est pas mon dessein ; mais dans le fond voyons, quel mal ai-je fait de dire à
Monsieur Orgon, que vous étiez bien aise d'être mariée ?
SILVIA
Premièrement, c'est que tu n'as pas dit vrai, je ne m'ennuie pas d'être fille.
LISETTE
Cela est encore tout neuf.
SILVIA
C'est qu'il n'est pas nécessaire que mon père croie me faire tant de plaisir en me
mariant, parce que cela le fait agir avec une confiance qui ne servira peut-être de rien.
19
LISETTE
Quoi, vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
SILVIA
Que sais-je ? Peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
LISETTE
On dit que votre futur est un des plus honnêtes du monde, qu'il est bien fait, aimable, de
bonne mine, qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne saurait être d'un meilleur
caractère ; que voulez-vous de plus ? Peut-on se figurer de mariage plus doux ? D'union
plus délicieuse ?
SILVIA
Délicieuse ! Que tu es folle avec tes expressions !
LISETTE
Ma foi, Madame, c'est qu'il est heureux qu'un amant de cette espèce-là, veuille se
marier dans les formes ; il n'y a presque point de fille, s'il lui faisait la cour, qui ne fût
en danger de l'épouser sans cérémonie ; aimable, bien fait, voilà de quoi vivre pour
l'amour, sociable et spirituel, voilà pour l'entretien de la société : pardi, tout en sera bon
dans cet homme-là, l'utile et l'agréable, tout s'y trouve.
SILVIA
Oui dans le portrait que tu en fais, et on dit qu'il y ressemble, mais c'est un, on dit, et je
pourrais bien n'être pas de ce sentiment-là, moi ; il est bel homme, dit-on, et c'est
presque tant pis.
LISETTE
Tant pis, tant pis, mais voilà une pensée bien hétéroclite !
SILVIA
C'est une pensée de très bon sens ; volontiers un bel homme est fat, je l'ai remarqué.
LISETTE
Oh, il a tort d'être fat ; mais il a raison d'être beau.
SILVIA
On ajoute qu'il est bien fait ; passe.
LISETTE
Oui-da, cela est pardonnable.
SILVIA
De beauté, et de bonne mine je l'en dispense, ce sont là des agréments superflus.
LISETTE
Vertuchoux ! si je me marie jamais, ce superflu-là sera mon nécessaire.
SILVIA
Tu ne sais ce que tu dis ; dans le mariage, on a plus souvent affaire à l'homme raisonnable,
qu'à l'aimable homme : en un mot, je ne lui demande qu'un bon caractère, et cela est plus
difficile à trouver qu'on ne pense ; on loue beaucoup le sien, mais qui est-ce qui a vécu
avec lui ? Les hommes ne se contrefont-ils pas ? Surtout quand ils ont de l'esprit, n'en ai-je
pas vu moi, qui paraissaient, avec leurs amis, les meilleures gens du monde ? C'est la
douceur, la raison, l'enjouement même, il n'y a pas jusqu'à leur physionomie qui ne soit
20
garante de toutes les bonnes qualités qu'on leur trouve. Monsieur un tel a l'air d'un galant
homme, d'un homme bien raisonnable, disait-on tous les jours d'Ergaste : aussi l'est-il,
répondait-on, je l'ai répondu moi-même, sa physionomie ne vous ment pas d'un mot ; oui,
fiez-vous-y à cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un quart d'heure
après pour faire place à un visage sombre, brutal, farouche qui devient l'effroi de toute une
maison. Ergaste s'est marié, sa femme, ses enfants, son domestique ne lui connaissent
encore que ce visage-là, pendant qu'il promène partout ailleurs cette physionomie si
aimable que nous lui voyons, et qui n'est qu'un masque qu'il prend au sortir de chez lui.
LISETTE
Quel fantasque avec ces deux visages !
SILVIA
N'est-on pas content de Léandre quand on le voit ? Eh bien chez lui, c'est un homme qui
ne dit mot, qui ne rit, ni qui ne gronde ; c'est une âme glacée, solitaire, inaccessible ; sa
femme ne la connaît point, n'a point de commerce avec elle, elle n'est mariée qu'avec
une figure qui sort d'un cabinet, qui vient à table, et qui fait expirer de langueur, de
froid et d'ennui tout ce qui l'environne ; n'est-ce pas là un mari bien amusant ?
LISETTE
Je gèle au récit que vous m'en faites ; mais Tersandre, par exemple ?
SILVIA
Oui, Tersandre ! Il venait l'autre jour de s'emporter contre sa femme, j'arrive, on
m'annonce, je vois un homme qui vient à moi les bras ouverts, d'un air serein, dégagé,
vous auriez dit qu'il sortait de la conversation la plus badine ; sa bouche et ses yeux
riaient encore ; le fourbe ! Voilà ce que c'est que les hommes, qui est-ce qui croit que sa
femme est à lui ? Je la trouvai toute abattue, le teint plombé, avec des yeux qui venaient
de pleurer, je la trouvai, comme je serai peut-être, voilà mon portrait à venir, je vais du
moins risquer d'en être une copie ; elle me fit pitié, Lisette : si j'allais te faire pitié aussi
: cela est terrible, qu'en dis-tu ? Songe à ce que c'est qu'un mari.
LISETTE
Un mari ? C'est un mari ; vous ne deviez pas finir par ce mot-là, il me raccommode
avec tout le reste.
Source : www.bacdefrancais.net et Petits Classiques Larousse
I. Une discussion animée
1. Etude de la construction de la scène. Début " in medias res "(l’élément perturbateur est
intervenu avant le début du livre) : les reproches entre Silvia et Lisette ont commencé avant le
lever du rideau. Leur sujet est le choix du mari, et quelles sont les qualités d’un bon mari. La
tension monte, opposition des arguments, ...
2. Une syntaxe expressive qui montre l’affrontement et une expression exacerbée des
sentiments. Remarquer les points d’exclamations, par exemple lors de la troisième réplique :
l’emploi de deux phrases exclamatives révèle un agacement mêlé de mépris.
3. Enchaînement des répliques par réaction aux mots de l’interlocuteur. Par exemple,
toujours à la troisième réplique, Silvia reprend les mots de Lisette.
21
II. Conflit de deux personnalités
1. Une maîtresse et sa servante. Ce sont deux personnages socialement différents. Leur
différence sociale est marquée par la situation d’énonciation : Lisette appelle Silvia
"Madame". Les jurons de la servante ("Pardi !", "Vertuchoux !") sont opposés aux paroles
soutenues de Silvia. Sur scène, il faut imaginer que les costumes identifient les personnages.
2. Des relations nuancées. Il y a une certaine intimité, complicité entre les deux femmes.
Cela est traduit par le passage au tutoiement et l’appel à la pitié fait par Silvia.
3. Les deux femmes ont des positions opposées face au mariage. Lisette est en quelque
sorte le porte parole de l’opinion commune, alors que Silvia se sert du sujet du mariage pour
revendiquer sa personnalité (noter par exemple la différence entre les pronoms "moi" et "on",
observer la présentation de Dorante par Lisette et d’Ergaste par Silvia). Lisette accuse donc
Silvia de bizarrerie.
III. Eléments de l’exposition
1. Eléments dramatiques. Projet de mariage de Monsieur Orgon, inquiétude de Silvia.
Lisette est célibataire.
2. Eléments psychologiques. Bon sens populaire de Lisette opposé à la réaction de Silvia qui
fait part de son inquiétude, son angoisse en multipliant les exemples de mariages ratés
(chercher les points communs entre tous les portraits que brosse Silvia).
3. La tonalité comique. Elle est due à la situation, au contraste entre le caractère des deux
femmes, au comique de mœurs, et au comique de mots (ex. : jurons et expressions de Lisette :
"tout sera bon dans cet homme là !" elle décrit Dorante comme un morceau de viande).
© Victor TONELLI
22
ACTE I - SCÈNE 6 - SILVIA, DORANTE.
SILVIA, à part
Ils se donnent la comédie, n'importe, mettons tout à profit, ce garçon-ci n'est pas sot, et
je ne plains pas la soubrette qui l'aura ; il va m'en conter, laissons-le dire pourvu qu'il
m'instruise.
DORANTE, à part
Cette fille-ci m'étonne, il n'y a point de femme au monde à qui sa physionomie ne fit honneur,
lions connaissance avec elle... (Haut) Puisque nous sommes dans le style amical et que nous
avons abjuré les façons, dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle ? Elle est bien hardie d'oser
avoir une femme de chambre comme toi.
SILVIA
Bourguignon, cette question-là m'annonce que suivant la coutume, tu arrives avec
l'intention de me dire des douceurs, n'est-il pas vrai ?
DORANTE
Ma foi, je n'étais pas venu dans ce dessein-là, je te l'avoue ; tout valet que je suis, je n'ai
jamais eu de grande liaison avec les soubrettes, je n'aime pas l'esprit domestique ; mais
à ton égard c'est une autre affaire ; comment donc, tu me soumets, je suis presque
timide, ma familiarité n'oserait s'apprivoiser avec toi, j'ai toujours envie d'ôter mon
chapeau de dessus ma tête, et quand je te tutoie, il me semble que je jure ; enfin j'ai un
penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire. Quelle espèce de suivante estu donc avec ton air de princesse ?
SILVIA
Tiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant, est précisément l'histoire de tous les
valets qui m'ont vue.
DORANTE
Ma foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi l'histoire de tous les maîtres.
SILVIA
Le trait est joli assurément ; mais je te le répète encore, je ne suis pas faite aux
cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la tienne.
DORANTE
C'est-à-dire que ma parure ne te plaît pas ?
SILVIA
Non, Bourguignon ; laissons là l'amour, et soyons bons amis.
DORANTE
Rien que cela : ton petit traité n'est composé que de deux clauses impossibles.
SILVIA, à part
Quel homme pour un valet ! (Haut) Il faut pourtant qu'il s'exécute ; on m'a prédit que je
n'épouserai jamais qu'un homme de condition, et j'ai juré depuis de n'en écouter jamais
d'autres.
23
DORANTE
Parbleu, cela est plaisant, ce que tu as juré pour homme, je l'ai juré pour femme moi, j'ai
fait serment de n'aimer sérieusement qu'une fille de condition.
SILVIA
Ne t'écarte donc pas de ton projet.
DORANTE
Je ne m'en écarte peut-être pas tant que nous le croyons, tu as l'air bien distingué, et l'on
est quelquefois fille de condition sans le savoir.
SILVIA
Ah, ah, ah, je te remercierais de ton éloge si ma mère n'en faisait pas les frais.
DORANTE
Eh bien venge-t'en sur la mienne si tu me trouves assez bonne mine pour cela.
SILVIA, à part
Il le mériterait. (Haut) Mais ce n'est pas là de quoi il est question ; trêve de badinage c'est un
homme de condition qui m'est prédit pour époux, et je n'en rabattrai rien.
DORANTE
Parbleu, si j'étais tel, la prédiction me menacerait, j'aurais peur de la vérifier ; je n'ai
point de foi à l'astrologie, mais j'en ai beaucoup à ton visage.
SILVIA, à part
Il ne tarit point... (Haut) Finiras-tu, que t'importe la prédiction puisqu'elle t'exclut ?
DORANTE
Elle n'a pas prédit que je ne t'aimerais point.
SILVIA
Non, mais elle a dit que tu n'y gagnerais rien, et moi je te le confirme.
DORANTE
Tu fais fort bien, Lisette, cette fierté-là te va à merveille, et quoiqu'elle me fasse mon
procès, je suis pourtant bien aise de te la voir ; je te l'ai souhaitée d'abord que je l'ai vue,
il te fallait encore cette grâce-là, et je me console d'y perdre, parce que tu y gagnes.
SILVIA, à part
Mais en vérité, voilà un garçon qui me surprend malgré que j'en aie... (Haut) Dis-moi, qui estu toi qui me parles ainsi ?
DORANTE
Le fils d'honnêtes gens qui n'étaient pas riches.
SILVIA
Va : je te souhaite de bon cœur une meilleure situation que la tienne, et je voudrais
pouvoir y contribuer, la fortune a tort avec toi.
DORANTE
Ma foi, l'amour a plus de tort qu'elle, j'aimerais mieux qu'il me fût permis de te
demander ton cœur, que d'avoir tous les biens du monde.
24
SILVIA, à part.
Nous voilà grâce au ciel en conversation réglée. (Haut) Bourguignon je ne saurais me fâcher
des discours que tu me tiens ; mais je t'en prie, changeons d'entretien, venons à ton maître, tu
peux te passer de me parler d'amour, je pense ?
DORANTE
Tu pourrais bien te passer de m'en faire sentir toi.
SILVIA
Ahi ! Je me fâcherai, tu m'impatientes, encore une fois laisse là ton amour.
DORANTE
Quitte donc ta figure.
SILVIA, à part
À la fin, je crois qu'il m'amuse... (Haut) Eh bien, Bourguignon, tu ne veux donc pas
finir, faudra-t-il que je te quitte ? (A part) Je devrais déjà l'avoir fait.
DORANTE
Attends, Lisette, je voulais moi-même te parler d'autre chose ; mais je ne sais plus ce
que c'est.
SILVIA
J'avais de mon côté quelque chose à te dire ; mais tu m'as fait perdre mes idées aussi à
moi.
DORANTE
Je me rappelle de t'avoir demandé si ta maîtresse te valait.
SILVIA
Tu reviens à ton chemin par un détour, adieu.
DORANTE
Eh non, te dis-je, Lisette, il ne s'agit ici que de mon maître.
SILVIA
Eh bien soit, je voulais te parler de lui aussi, et j'espère que tu voudras bien me dire
confidemment ce qu'il est ; ton attachement pour lui m'en donne bonne opinion, il faut
qu'il ait du mérite puisque tu le sers.
DORANTE
Tu me permettras peut-être bien de te remercier de ce que tu me dis là par exemple ?
SILVIA
Veux-tu bien ne prendre pas garde à l'imprudence que j'ai eue de le dire ?
DORANTE
Voilà encore de ces réponses qui m'emportent ; fais comme tu voudras, je n'y résiste
point, et je suis bien malheureux de me trouver arrêté par tout ce qu'il y a de plus
aimable au monde.
25
SILVIA
Et moi je voudrais bien savoir comment il se fait que j'ai la bonté de t'écouter, car
assurément, cela est singulier !
DORANTE
Tu as raison, notre aventure est unique.
SILVIA, à part.
Malgré tout ce qu'il m'a dit, je ne suis point partie, je ne pars point, me voilà encore, et je
réponds ! En vérité, cela passe la raillerie. (Haut) Adieu.
DORANTE
Achevons donc ce que nous voulions dire.
SILVIA
Adieu, te dis-je, plus de quartiers ; quand ton maître sera venu, je tâcherai en faveur de
ma maîtresse de le connaître par moi-même, s'il en vaut la peine ; en attendant, tu vois
cet appartement, c'est le vôtre.
DORANTE
Tiens, voici mon maître.
1. Dorante: un valet hors du commun. On remarque que Dorante apparaît comme un
homme respectueux et courtois. Il montre de nombreuses marques de respect envers ses hôtes,
et est très modeste. C'est aussi un homme qui maîtrise les codes de la galanterie (analyser
comment le langage trahit l’origine sociale des personnages).
Malgré tout, Dorante ne s'efface pas devant l'autorité.
2. Mario et Mr Orgon: deux manipulations. Ils essayent de rapprocher Silvia et Dorante,
en leur imposant le tutoiement pour installer une familiarité (examiner l’impression que
produisent sur le public les répliques à double sens de Dorante et Silvia).
Mario manipule psychologiquement Dorante, en lui interdisant de courtiser Silvia, car lui la
courtise déjà. La manipulation conduit Dorante à la jalousie, et instaure une rivalité entre
Mario et Dorante.
3. Les réactions de Silvia. L'attitude galante et modeste de Dorante fait que Silvia a une
impression favorable sur le valet (observer les apartés, relever les marques de la surprise,
analyser les efforts de Silvia pour conduire la conversation avec Dorante).
Mais les manipulations de Mario et M. Orgon ont conduit à l'agacement croissant de Silvia.
Mario et M. Orgon vont même provoquer son esprit de contradiction, car ils jouent sur sa
fierté.
Source : www.bacdefrancais.net et Petits Classiques Larousse
26
ACTE II - SCÈNE 3 – LISETTE, ARLEQUIN.
ARLEQUIN
Madame, il dit que je ne m'impatiente pas ; il en parle bien à son aise le bonhomme.
LISETTE
J'ai de la peine à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, Monsieur, c'est par galanterie
que vous faites l'impatient, à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien
fort, ce n'est tout au plus qu'un amour naissant.
ARLEQUIN
Vous vous trompez, prodige de nos jours, un amour de votre façon ne reste pas
longtemps au berceau ; votre premier coup d'œil a fait naître le mien, le second lui a
donné des forces, et le troisième l'a rendu grand garçon ; tâchons de l'établir au plus
vite, ayez soin de lui puisque vous êtes sa mère.
LISETTE
Trouvez-vous qu'on le maltraite, est-il si abandonné ?
ARLEQUIN
En attendant qu'il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche pour
l'amuser un peu.
LISETTE
Tenez donc petit importun, puisqu'on ne saurait avoir la paix qu'en vous amusant.
ARLEQUIN, lui baisant la main.
Cher joujou de mon âme ! Cela me réjouit comme du vin délicieux, quel dommage, de
n'en avoir que roquille !
LISETTE
Allons, arrêtez-vous, vous êtes trop avide.
ARLEQUIN
Je ne demande qu'à me soutenir en attendant que je vive.
LISETTE
Ne faut-il pas avoir de la raison ?
ARLEQUIN
De la raison ! Hélas je l'ai perdue, vos beaux yeux sont les filous qui me l'ont volée.
LISETTE
Mais est-il possible, que vous m'aimiez tant ? Je ne saurais me le persuader.
27
ARLEQUIN
Je ne me soucie pas de ce qui est possible, moi ; mais je vous aime comme un perdu, et
vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste.
LISETTE
Mon miroir ne servirait qu'à me rendre plus incrédule.
ARLEQUIN
Ah ! Mignonne, adorable, votre humilité ne serait donc qu'une hypocrite !
LISETTE
Quelqu'un vient à nous ; c'est votre valet.
1. L'imitation d'une scène galante. On remarque qu'Arlequin et Lisette jouent le rôle
traditionnel de l'homme et de la femme dans une scène galante.
On y voit Arlequin déclarer son amour et essayer d'obtenir les faveurs de Lisette: symbolique
de la "main".
De même, Lisette joue le rôle de la femme courtisée (analyser la stratégie de Lisette : espoirs
et inquiétudes).
D'autre part, Arlequin s'efforce d'utiliser les procédés rhétoriques que l'on trouve dans le
discours galant. Il emploie la personnification de l'amour et des yeux, et fait des comparaisons
(analyser le langage galant d’Arlequin : vocabulaire, métaphores, hyperboles).
2. Les maladresses de l'imitation. Les procédés rhétoriques employés par Arlequin sont mal
utilisés. Les personnifications et les métaphores sont trop concrètes, comme nommer Lisette
"mère" ou encore utiliser la comparaison "comme du vin délicieux".
Par ailleurs, Arlequin a un comportement grossier, caractérisé par l'impatience de son désir.
Source : www.bacdefrancais.net et Petits Classiques Larousse
© Victor TONELLI
28
Monsieur Orgon, vieux gentilhomme et père de Silvia, représente le modèle parfait de
la haute bourgeoisie ou de la petite noblesse. Il possède une belle maison et assez d'influence
et de privilèges pour choisir pour sa fille un mari de haute stature qui lui convient
intellectuellement. De plus, c'est un homme soigneux et aimant avec des bonnes intentions et
des moyens savants. C'est un homme qui a la prudence d'un bourgeois et le raffinement d'un
aristocrate. On peut comprendre son choix pour sa fille.
Il est indulgent avec Silvia: "Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l'être assez"
(Acte I, scène 2). Il est de bonne humeur aussi pour permettre le déroulement libre de
l'intrigue. Le père de Dorante est indulgent envers son fils, lui aussi. Il accepte que son fils
soit excentrique: "Pour moi, qui m'en fie bien à ce que vous m'avez dit de votre aimable fille,
j'ai consenti à tout en prenant la précaution de vous avertir, quoiqu'il m'ait demandé le secret
de votre côté" (Acte I, scène 4). C'est vraiment une pièce où les pères ont confiance dans
l'idée que l'ordre naturel de la société prédominera.
Mario, fils de Monsieur Orgon et frère de Silvia, possède une certaine élégance sociale.
C'est un jeune homme qui comprend les rapports subtils entre les personnages dont il dit,
"C'est une aventure qui ne saurait manquer de [me] divertir" (Acte I, scène 4). Mario
représente le philosophe de la pièce. Un esprit noble se montrera dans n'importe quelle
situation. L'ordre de la société, pour la plupart, est l'ordre naturel. Mario prévoit la fin du jeu
de l'amour et du hasard quand il dit, "voyons si leur cœur ne les avertirait pas de ce qu'ils
valent" (Acte I, scène 4). C'est ainsi que les manières raffinées de Dorante et de Silvia les
attirent l'un vers l'autre, les manières grossières mais spontanées et gaies de Lisette et
Arlequin les mènent à l'amour.
Les valets ont beaucoup des droits des maîtres. Ils peuvent conseiller, moquer et
réprimander leurs maîtres. Pourtant, les manières du valet et de la suivante sont sottes et
trahissent l'appartenance à une classe inférieure. Ils ne sont pas raffinés mais impulsifs et
assez vulgaires. Les scènes amoureuses entre Arlequin et Lisette montrent la bêtise des valets,
selon Marivaux. Ils ne s'occupent pas longtemps avec le badinage, contrairement à leurs
maîtres et, quand ils l'utilisent, c'est de façon vulgaire et maladroite. Ils ont une naïveté qui
révèle leur ignorance intellectuelle. Par exemple, Arlequin dit à la suivante, "Cher joujou de
mon âme! Cela me réjouit comme un vin délicieux, quel dommage de n'en avoir que
roquille!" (Acte II, scène 3). Leurs métaphores et images sont sottes et inopportunes. Le fait
que les valets proclament si vite leur amour prouve leur infériorité intellectuelle.
Arlequin est le valet le plus célèbre de la comédie italienne. C'est un personnage plein
de joie et de drôlerie dont la tradition théâtrale et la peinture ont immortalisé le costume
losangé et bariolé, le sabre de bois (sa fameuse " batte ") et les pantomimes. Dans Le Jeu de
l'amour et du hasard, il a perdu son costume puisqu'il apparaît d'emblée en habit de maître,
sous le nom de Dorante, et garde ce déguisement jusqu'à la fin de la pièce. Pourtant, s'il joue
les seigneurs, Arlequin n'a rien perdu de son caractère comique, de son babillage et d'un autre
trait plus spécifique : la gourmandise. Mais ici elle se manifeste surtout en matière amoureuse
par une grande impatience. Arlequin, avant même de voir Lisette-Silvia, est déjà pressé de
conclure le mariage et ne dédaigne pas, en passant, d'adresser quelques galanteries à la fausse
Lisette ! Avec la vraie Lisette, qu'il pense être une jeune fille de condition, il brûle aussi les
étapes : " [...] un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup
d'œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l'a rendu grand
garçon ; tâchons de l'établir au plus vite [.] " (Acte II, scène 3).
29
Arlequin, toujours pressé, obtiendra rapidement de Lisette l'aveu de son amour. Audelà du comique qu'elle engendre, cette précipitation est très significative : tout d'abord, elle
fait d'Arlequin le personnage du plaisir immédiat et en cela le valet se distingue des maîtres
pour qui le bonheur est toujours différé et retardé. Ensuite, cette hâte traduit le désir du valet
de profiter de son costume de maître. Il en tire quelque vanité, c'est-à-dire une conscience
neuve de ses mérites ; il en use, sans complexes, pour s'établir chez Orgon (Acte I, scène 9),
traiter avec rudesse Silvia prise pour une servante (Acte II, scène 6), courtiser Lisette (Acte II,
scènes 2 à 6) et se moquer de son maître. Tout cela en dépit des convenances et des rappels à
l'ordre.
Arlequin est précisément le personnage de l'inconvenance, par sa précipitation, ses manières,
sa conduite amoureuse, son langage. Il devait être l'allié de Dorante. Il offre, en fait, une
caricature de son maître, passant d'une grossièreté joyeuse à une politesse affectée et
parodique. Il résiste à son maître et, comme un bouffon, finit par se jouer de lui : lorsque
Lisette lui confie que Silvia n'est autre que la jeune fille de la maison, il garde le secret et
laisse Dorante dans l'erreur (Acte III, scène 7).
Arlequin est moins ici un valet fourbe qu'un valet rival de son maître. Il se prend au jeu
d'autant plus volontiers que le jeu le sert. Il est conscient qu'il reste un valet mais il profite du
déguisement pour s'affirmer et conquérir le bonheur.
Le personnage de Lisette paraît entrer dans un schéma classique de la comédie : elle est
la servante qui aide sa maîtresse dans une intrigue amoureuse. Elle doit être à la fois sa
confidente et sa complice. Mais cette complicité traditionnelle qui est, en fait, une marque de
sujétion, prend un aspect très différent dans cette pièce.
Certes Lisette accepte de participer au stratagème de Silvia et ainsi semble toute dévouée aux
intérêts de la jeune fille. Mais cette soumission apparente cache une opposition entre
maîtresse et suivante : Lisette ne partage pas l'aversion de sa maîtresse pour le mariage et
revendique l'égalité du rang (Acte I, scène 1). Lisette n'est donc pas une pâle copie de Silvia :
la vivacité de sa parole, son sens de la répartie font d'elle une servante pleine d'esprit qui
n'hésite pas à discuter les avis de sa maîtresse (Acte II, scène 7). De plus l'intrigue et le
déguisement lui donnent une autonomie dont elle se sert pour rivaliser avec Silvia sur le
terrain des sentiments. Ne croit-elle pas " souffler " Dorante à sa maîtresse ?
Le schéma de la complicité entre maîtresse et suivante se transforme donc en schéma de
rivalité entre femmes sur le terrain de la coquetterie et de la séduction. Pour Lisette l'amour du
faux Dorante est inespéré : elle y succombe d'autant plus vite qu'il représente pour elle une
sorte de triomphe personnel. Un triomphe d'autant plus éclatant qu'elle croit que sa jeune
maîtresse, dans le même temps, n'a su se faire aimer que d'un domestique. Si elle reçoit une
sorte de " leçon " de Silvia dans le premier acte (scène 1), elle prend une revanche. Et
particulièrement au cours du deuxième acte où elle accepte de bien mauvaise grâce de
réintégrer son rôle de domestique. Elle fait même preuve d'impertinence vis-à-vis de sa
maîtresse (acte II, sc. 7).
On ne peut donc réduire Lisette à un type figé. Elle est dans la pièce autant femme que femme
de chambre. Elle reste une servante : elle est l'instrument dont Orgon se sert pour piquer
l'amour-propre de sa fille et elle n'épouse finalement qu'un domestique. Pourtant elle est
promue par le déguisement et par la symétrie des intrigues au rang de rivale de Silvia (de
façon plus convaincante qu'Arlequin vis-à-vis de son maître). Trompée comme Silvia par le
jeu des masques mais aussi aimée comme elle, elle est temporairement détentrice d'un pouvoir
supérieur à celui de sa maîtresse : elle joue les " grandes dames " quand Silvia reçoit les
humiliations réservées aux femmes de chambre. Ce pouvoir nouveau effraye un peu Lisette
mais elle l'utilise pour réaliser son bonheur qu'elle atteint avant même sa maîtresse. Elle
justifie les paroles qu'elle prononçait dans la première scène pour revendiquer l'égalité en
matière de sentiment : " Mon cour est fait comme celui de tout le monde [...] si j'étais votre
égale, nous verrions. "
30
Dorante est le symbole typique d'un amant roccoco. Suivant les théories de l'amour
courtois et des amants précieux, Dorante perd son contrôle émotionnel. Il doit adorer la
femme tandis qu'il la respecte. L'homme doit se soumettre aux demandes de la femme, être
patient et fidèle. Dorante souffre de l'amour parce qu'il doit faire sens de la beauté de Silvia,
de son propre désir (que la raison contredit) et de la différence entre la classe apparente de
Silvia et sa classe véritable. Dorante est un jeune homme qui joue bien le jeu de la tendresse
et qui fait les choses qu'on attend de lui. Il possède une élégance sociale et un esprit vivant.
Lisette l'appelle, "Un des plus honnêtes du monde, ...il est bien fait, aimable, de bon mine,
...on ne peut pas avoir plus d'esprit, ...on ne saurait être d'un meilleur caractère" (Acte I, scène
1). C'est un homme raisonnable et pratique qui est conscient de ses affaires, de ce qui le
concerne. Il lutte contre sa passion mais en vain. Il reste à la merci de Silvia.
Le monde de Silvia : un équilibre utopique entre amour et raison. Pour Silvia, les
éléments les plus significatifs sont l'amour, l'amour-propre, les sentiments et la raison. Elle
lutte pour l'amour parfait qu'elle croit être dans la passion honnête, pas dans les mariages
arrangés. Dans sa lutte, elle doit faire face aux conditions des valets et de l'humanité en
général. Elle emploie le mensonge à propos du langage et de l'apparence pour réaliser le
bonheur dans l'unification de sa raison et ses sentiments.
Silvia est une jeune femme, bien élevée et bien éduquée, qui défend des valeurs bourgeoises,
comme son père. Elle admire l'ordre et la structure dans la vie. Elle a des inquiétudes à propos
de son mariage. Elle ne veut pas se marier pour se marier. En tant que personnage bourgeois,
elle se considère différente des autres filles de son âge et de sa stature. Elle dit, "je ne
m'ennuie pas d'être fille" à quoi Lisette répond, "Cela est encore tout neuf" (Acte I, scène 1).
Ses vues différentes incluent l'idée révolutionnaire que le mariage doit reposer sur l'amour, et
non sur les raisons financières des deux familles. Silvia dit à Lisette, "Ce n'est pas à vous à
juger de mon cœur par le vôtre." Pourtant, le mariage arrangé prévaut et le mariage amoureux
reste un luxe et un privilège jusqu'au vingtième siècle. C'est une femme très dogmatique qui
déteste les maris qui ont "cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un quart
d'heure après [sa tendresse initiale] pour faire place à un visage sombre, brutal, farouche, qui
[fait] l'effroi de toute une maison" (Acte I, scène 1). Donc Silvia a de l'esprit, ce qui la rend
très réaliste et très raisonnable. Elle a le sens de s'intéresser au bon caractère de son mari, pas
à son beau visage ni à son "masque".
En tant que jeune fille riche et privilégiée, Silvia a un sens de sa classe et de sa supériorité très
singulier. La manière dont elle réagit avec Lisette, en la traitant comme une inférieure, expose
ses croyances de classe. Selon Silvia (et selon son père et son frère), les domestiques sont des
sots qui ne méritent pas l'égalité sociale. En parlant avec son père et frère, Silvia proclame que
"les valets sont naturellement indiscrets, l'amour est babillard, et j'en ferai l'historien de son
maître" (Acte I, scène 5). La maîtresse montre son orgueil aristocratique quand elle dénonce
les paysans en disant, "je n'épouserai jamais qu'un homme de condition" (Acte I, scène 7).
Donc elle est étonnée quand elle ressent l'amour pour Dorante "Voilà un garçon qui me
surprend malgré que j'en aie" (Acte I, scène 7). Silvia se sent naturellement supérieure à cause
de sa mentalité aristocratique. Elle est une personne de qualité, ayant une position et des
ressources économiques, et elle le sait.
Malgré son bon sens, Silvia est contrôlée par sa volonté. Ses émotions l'étonnent et la
conduisent dès qu'elle rencontre le noble Dorante, qu'elle croit être un valet. Elle dit de lui,
"Ce garçon-ci n'est pas sot" (Acte I, scène 7). À la différence de l'amour courtois, l'amour de
Marivaux n'est pas séparé de sa forme physique. L'amour de Silvia n'est que de la sensualité
qui a la forme de tendresse intellectuelle, pas de tendresse physique. Les amants ne se
satisfont pas de l'amour sexuel pour quelque temps mais ils l'attendent. Silvia rejette la notion
bourgeoise du mariage : unifier deux familles, deux fortunes pour la stabilité et pour d'autres
raisons pratiques. Au lieu de cela, elle accepte pour elle-même la frivolité. Elle obéit à ses
émotions. Silvia se trouve attirée par Dorante : "je crois qu'il m'amuse" (Acte I, scène 7). Elle
perd sa pensée en sa présence, ou elle veut rester avec lui : "Tu m'as fait perdre mes idées
aussi, à moi."
31
Silvia est impressionnée par l'esprit vivant de Dorante. Elle dit de lui, "j'ai soin que ce
valet me parle peu, et dans le peu qu'il m'a dit, il ne m'a jamais rien dit que de très sage" (Acte
II, scène 7). Silvia éprouve quelque peine à cause de son amour pour Dorante "Quelle
fantaisie il s'est allé mettre dans l'esprit ! " (Acte II, scène 9). Mais cela ne dure pas
longtemps. Elle se donne à lui pour soutenir le jeu de l'amour et de plus elle n'aime pas qu'il
soit valet. La classe de Dorante est importante. Silvia ne l'accepte complètement qu'au
moment où il révèle qu'il appartient à une classe supérieure.
Au contraire de l'amour de Lisette et d'Arlequin, le "jeu de l'amour" pour Silvia et
Dorante est de découvrir la vraie passion qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Il faut déguiser les
sentiments amoureux pour exciter le désir; c'est une partie de la séduction.
Il est important que Silvia ne cherche pas à transcender l'amour physique, mais plutôt à le
remettre pour intensifier les sentiments d'extase et de désir. Le fait que Silvia se soumette à
ses désirs à la fin de la pièce fait d'elle une femme de l'époque roccoco.
Elle n'est pas du tout libertine, mais elle donne une valeur égale à la passion et à la raison. Il
est convenable que ses sentiments et ses mœurs la mènent à la même conclusion. Selon elle,
Dorante est suffisamment charmant et logique pour qu'elle puisse lui donner le reste de sa vie.
Le "jeu" consiste en badinage amoureux, en déguisements, en jeux de mots. Les mots séparent
l'homme de la femme. Comme maîtresse typique de ces temps et de cet endroit, Silvia
distingue clairement l'amour-tendresse et l'amour-désir et elle fait usage de l'un pour
augmenter l'autre. Ces détours subtils de l'intrigue, des mots, des mœurs religieuses font le
style capricieux de la Régence et du règne de Louis XV: le marivaudage.
Malgré l'ignorance de Silvia dans les deux premiers actes, l'effort amoureux est un
procès très conscient pour la jeune femme. En décidant comment agir vis à vis de Dorante,
qui est apparemment le seigneur adorant une suivante, Silvia dit, "je veux un combat entre
l'amour et la raison" (Acte III, scène 4). Pour Silvia, il faut quelquefois abandonner l'amour ou
la raison pour vivre comme une femme riche et libre du dix-huitième siècle. Pour Marivaux,
l'amour convient nécessairement avec la raison et l'ordre naturel. Le jeu de l'amour et du
hasard est au milieu de la société roccoco et les personnages de Marivaux reflètent la frivolité
d'une époque obsédée par l'excès, l'amour et la vie.
Source : www.bac.facile.fr
© Victor TONELLI
32
Toutes les comédies de Marivaux ont pour centre de l’intrigue une séduction. L’amour est
au premier rang de la comédie, et ceci par opposition à Molière où l’amour n’est qu’au second
plan. L’amour n’est pas traité de manière abstraite : le cadre social, les conditions et le
langage permettent de cerner comment on aime dans les divers milieux sociaux qui
caractérisent le 18ème siècle. Les conditions sont étanches. Cependant, l’inspiration à une égale
sensibilité amoureuse se fait jour, ce qui permettra de transgresser les classes sociales même
si le contexte reste irréel. Chez Beaumarchais, on voit un noble courtiser une simple
bourgeoise si le but est le mariage. Si cette séduction s’inscrit dans une lignée libertine, elle
constitue alors un abus de pouvoir. Une morale amoureuse se met en place, transcende les
conditions et annonce une égalité de droit à disposer de son cœur et de sa personne.
Beaumarchais et Marivaux sont, en fait, deux défendeurs des droits des femmes.
L’amour est le nerf de la comédie et définit le genre : pas de bonne comédie sans mariage à
la fin. Or, la question de l’amour traverse celle des conditions. C’est pourquoi se demander si
la vision de l’amour change selon les classes sociales permet de revenir sur l’état de la société
chez Marivaux. Le Jeu de l’Amour et du Hasard présente un cas de transgression atténué par
le ressort sur lequel fonctionne le système dramatique.
Le contexte est une famille de bonne bourgeoisie au sein de laquelle va se mettre en place
une double transgression imaginaire. Les valets devenant maîtres et vice-versa, les
personnages doivent faire face à toute une série de situations qui paraissent incroyables :
« Notre aventure est unique » déclarera Dorante. Lisette croit ainsi remporter, grâce à ses
charmes, le fiancé de sa maîtresse. Arlequin ne sait plus comment annoncer à Lisette qu’il
n’est qu’un valet : « Votre amour est-il d’une constitution bien robuste ? Soutiendra t-il bien
la fatigue que je vais lui donner ? ». Ses précautions, ses atermoiements, tout parodiques
qu’ils sont du langage précieux, ont une fonction de révélateur de l’indignité qui s’attachait à
la classe servile. Silvia perçoit alors avec angoisse les mouvements de son cœur envers celui
qu’elle pense être un valet.
Peu à peu, au fil des actes, le personnage de Silvia et la nature de ses sentiments se
révèlent.
Acte I – scène 7 : « Ce garçon là n’est pas sot [...] Quel homme pour un valet [...] Mais en
vérité, voilà un garçon qui me surprend malgré que j’en aie [...] A la fin, je crois qu’il
m’amuse ».
Acte II – scène 1 : « Je ne la crois pas contente, je la trouve triste et rêveuse ».
Acte II – scène 12 : « Je ne sais pas ce qui se mêle à l’embarras où je me trouve, toute cette
histoire m’afflige [...] Je vois clair dans mon cœur [...] J’avais grand besoin que ce fut là
Dorante ».
Acte III – scène 7 : « Je me sens une indignation qui va jusqu’aux larmes ».
L’amour ne peut transgresser les conditions que dans le jeu et donc dans l’irréel. Au bout
parcours, les domestiques s’épousent entre eux de même que les maîtres.
33
La transgression du point de vue masculin est appréhendée différemment : si Dorante cède
à son amour pour une soubrette, c’est la preuve de la force de ses sentiments : « mon cœur
gardera le souvenir de l’excès de tendresse qu’il me montre ». Silvia s’en rend bien compte :
« il pense qu’il chagrinera son père en m’épousant, il croit trahir sa fortune et sa naissance
[…] je serais charmée de triompher […] je veux un combat entre l’amour et la raison ».
L’amour ne se trouve que dans le cadre social admis, le cœur ayant su lire la réalité de la
nature derrière le masque. La transgression permet à Arlequin de rêver à un changement de
condition : « Ayez compassion de ma bonne aventure […] un coquin peut faire un bon
mariage […] j’espère que son amour me fera passer à table, en dépit du sort qui ne m’a mis
qu’au buffet ». La réaction de la classe dominante sera, cependant violente : « Tu veux que je
le laisse un honnête homme dans l’erreur et que je le laisse épouser sa fille sous mon nom
[…] tu mériterais cent coups de bâton […] tu es un fourbe, cela n’est pas concevable ». Une
fois que le valet aura donné un exemple de transgression, Dorante demandera la soubrette en
mariage.Il faut noter le caractère immédiat de l’amour dans la comédie avec le système du
« coup de foudre ». Chez les domestiques, on trouve un naturel de l’amour puisqu’ils n’ont
pas à s’embarrasser des considérations sociales : au 18ème siècle, l’amour est codifié par la
société d’où l’expression « machines matrimoniales » de Michel Deguy généralement
attribuée aux pièces de Marivaux.
© Victor TONELLI
34
I - Les procédés qui visent à la contestation
1) « Castigat ridendo mores »
Cette expression latine a pour référence la fonction que la comédie a de corriger le jeu
social par le rire et le comique. Il est utile de savoir que ce terme était la devise des
Comédiens Italiens auxquels Marivaux confiait la plupart de ses pièces.
Le principe est clairement énoncé dans l’Ile des Esclaves, l’intention étant
explicitement affirmée par Trivelin, le maître de l’île, dès la deuxième scène : « Nous ne nous
vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ; ce n’est plus votre vie que nous poursuivons,
c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire ; nous vous jetons dans l’esclavage
pour vous rendre sensibles aux maux qu'on y éprouve ; nous vous humilions, afin que, nous
trouvant superbes, vous vous reprochiez de l’avoir été […] ».
Trivelin le rappellera d’ailleurs plus tard sous la forme d’une métaphore tout aussi
évocatrice : « Nous entreprenons de vous guérir ; vous êtes moins nos esclaves que nos
malades, et nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains […]
On a pu également constater que Le Jeu de l’amour et du hasard mélange, dans les
mêmes scènes, forme comique et fond critique. Prenons l’exemple de l’acte II scène 4
pendant lequel Dorante intervient pour modifier le comportement d’Arlequin, qui, pris au jeu
lui répond de façon triviale avec un comique de mots sous-jacent : « Maudite soit la valetaille
qui ne saurait nous laisser en repos » ; c’est donc bien le miroir critique et contestataire des
relations maîtres-valets.
Le même système est répété dans Les Fausses Confidences où durant l’acte II scène
10, Arlequin et Dubois sont pris dans un jeu burlesque de farce qui n’est autre qu’un prétexte
pour dénoncer les abus de la hiérarchie sociale.
De plus, dans Le Jeu de l’amour et du hasard, le comique de situation est présent dans
les scènes d’aveux embarrassants des valets (acte III, scène 6) dans lesquelles le quiproquo
fait rire mais est, une fois de plus, le révélateur de l’aliénation sociale.
2) Masque et travestissement
Le travestissement sous forme ludique (la notion de jeu est très ancrée dans le théâtre
de Marivaux) est sans conteste le prétexte à la contestation sociale.
Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, valets et maîtres échangent délibérément leur
rôle. Dans l’Ile des Esclaves, le travestissement entre Iphicrate et Arlequin puis Euphrosine et
Cléanthis est contraint. Dans Les Fausses Confidences, le travestissement n’est pas aussi
explicite mais existe en fait sur une méprise d’identité, l’identité de Dorante et celle de
Dubois.
En fait, le travestissement découle d’une crise d’identité et de l’instauration d’un état
de trouble qui va permettre à Marivaux de critiquer de façon apparemment innocente, le
spectateur étant dans la confidence.
35
II - Domaines d’actions de cette contestation
1)L’aliénation sociale
Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, ce thème est omniprésent et conditionne le
fondement même du jeu. En effet, c’est la transgression qui, en permettant aux valets de
devenir maîtres, va engendrer, chez ces mêmes domestiques (et ce surtout pour Arlequin) une
volonté de monter en grade : « J’espère que son amour me fera passer à table en dépit du sort
qui ne m’a mis qu’au buffet ». Le paraître qui conditionne les relations amoureuses est
dénoncé ; Monsieur Orgon, en scène 4 de l’acte I lancera même : « Il faudra bien qu’ils se
parlent souvent tous deux sous ce déguisement. Voyons si leur cœur ne les avertirait pas de ce
qu’ils valent ».
L’esthétique du double avec les antithèses amour/raison, vrai/faux mais aussi le jeu sur
la polysémie des mots et les ambiguïtés du langage fait ressortir la domination du paraître sur
l’être, du mensonge sur la vérité et permet de constater que Marivaux a une vision
complètement duelle du monde qui l’entoure.
Les Fausses Confidences se déroule dans un cadre fortement hiérarchisé. La scène se
passe chez Madame Argante, c’est-à-dire le personnage le plus attaché aux convenances
sociales. La trame de l’intrigue va donc être fondée sur la volonté des personnages de
progresser dans la hiérarchie sociale et sur les préjugés nobiliaires de Madame Argante qui
déclamera en parlant de sa fille Araminte et de son manque d’ambition : « Elle s’endort
malgré le bien qu’elle a […] ». Marivaux dénoncera ici le poids de la disconvenance sociale.
2) La mésalliance contre le naturel de l’amour
Principale intrigue des maîtres dans Le Jeu de l’amour et du hasard, la mésalliance,
c’est-à-dire le mariage avec une personne de condition ou de fortune considérée comme
inférieure, sera pour Silvia et Dorante un véritable dilemme. L’obstacle « dramatique » est
encore une fois le préjugé qui interdit à un bourgeois de se marier avec un domestique. En
contestant l’idéal mondain, Marivaux dénonce ici le conflit entre les sentiments et l’ordre
social qui empêche le bonheur des hommes. Et, lorsqu’en scène 8 de l’acte III, Silvia
demandera « Vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d’un père, malgré
votre fortune ? » Marivaux, sous le couvert de Dorante répondra : «Mon père me pardonnera
dès qu’il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la
naissance». A l’opposé, Arlequin et Lisette n’ont pas à s’embarrasser des considérations
sociales et on dénote un naturel certain dans le jeu amoureux.
La prédominance de l’argent dans l’amour est également évoquée dans Le Jeu de
l’amour et du hasard, mais surtout dans Les Fausses Confidences où l’on trouve quelques
tirades très franches comme « Votre dot valait mieux que vous, maintenant, vous valez mieux
que votre dot » (Arlequin, acte III - scène 9).
3) L’Ile des esclaves ou la réforme des esclaves
L’Ile des Esclaves a une portée beaucoup plus philosophique. La révolte des esclaves
est explicitement énoncée par un Marivaux qui se fait peintre de la condition servile. Il
rappelle ainsi à plusieurs reprises la violence des maîtres, les injures, le port de la livrée. Cette
contestation est la base de la pièce, le sort des esclaves étant à l’origine de la création de l’île
comme le rappelle Trivelin en scène 2 : « Quand nos pères, irrités de la cruauté de leurs
maîtres quittèrent la Grèce et vinrent s’établir ici, dans le ressentiment des outrages qu’ils
avaient reçu de leurs patrons […] ».
36
On sent que Marivaux prend à partie ses contemporains (scène 10) : « Entendez-vous,
Messieurs les honnêtes gens du monde ? Voilà avec quoi l’on donne les beaux exemples que
vous demandez et qui vous passent ». Marivaux affirme dans cette pièce l’égalité entre les
êtres, la nécessité du partage tout en dénonçant la dureté sociale.
En fait, la contestation sociale, politique et même philosophique se fait à travers une
fonction référentielle : le comportement irrespectueux et la mentalité écrasante des
contemporains de Marivaux vis-à-vis de la condition servile.
III - Les limites de la contestation
1) Le dénouement des pièces
On pourrait penser que, dans Le Jeu de l’amour et du hasard, l’ordre social est
bouleversé mais on constate bien vite qu’il n’en est rien puisque au final, les masques tombent
et chacun reprend sa place. La transgression n’a été que ponctuelle.
De même, le dénouement de l’Ile des Esclaves se révèle finalement peu audacieux.
Alors que l’auteur avait imaginé une situation complètement nouvelle et changeante pour ses
contemporains, le spectateur se rend compte que ce n’était qu’un jeu gratuit de l’imagination.
De plus, la fin de la pièce est quelque peu expédiée par Arlequin : « Ah ! Vous ne voyez rien ;
nous sommes admirables ; nous sommes des rois et des reines. En fin finale la paix est
conclue, la vertu a arrangé tout cela ».
2) La prudence de Marivaux
Principalement dans l’Ile des Esclaves qui est, en fait, la plus engagée de ses pièces,
on peut noter que Marivaux a tenté d’imposer un effet de distance entre le spectateur et les
protagonistes. Tout d’abord, le lieu choisi pour décor de l’action est une île utopique. Ensuite
le mélange des noms grecs et du mode de vie européen brouille les pistes. Enfin, le
personnage même de Trivelin est mystérieux, le spectateur ne sachant rien de lui. Cet effet de
distance est cependant compréhensible, Marivaux souhaitait échapper à la censure de
l’époque, ce qui explique le caractère merveilleux de la pièce.
Toujours dans l’Ile des Esclaves, on remarque que l’auteur est prudent dans le discours
de Trivelin à la fin de la pièce : « La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les
dieux font sur nous : je ne vous en dis pas davantage ».
3) Le public
Lorsque Marivaux donne sa pièce aux Comédiens Italiens, c’est à un public de maîtres
qu’il s’adresse et les serviteurs ne sont pas admis à la Comédie. Il ne peut donc pas y avoir de
sa part incitation à la révolte : aucun esclave de son temps n’a pu lire ou entendre la pièce.
Contrairement à l’Ile des Esclaves, le Jeu de l’Amour et du hasard ainsi que les Fausses
Confidences trouvent leur destinataire parmi un public d’aristocrates et grands bourgeois. La
primauté des sentiments sur la raison sociale et le règne du paraître à travers le préjugé
nobiliaire les concernent particulièrement.
Pour conclure, on peut dire que la contestation sociale et la mise en œuvre de
problématiques philosophiques sont bien présentes chez Marivaux, mais son objectif est
moral et non politique. En effet, son but premier reste d’explorer le jeu de l’amour sous toutes
ses formes et dire que le théâtre de Marivaux prépare une rébellion ou une révolution est un
leurre.
Source : www.bacdefrancais.net
37
Téléchargement