L.A. n°4 (Acte III, scène 8) : l'aveu de Dorante à Silvia (de « Laissez-moi » p133 à la fin de la scène p136)
Présentation de l'extrait :
–Il s'agit de la fin de la scène 8 de l'acte III : celle-ci forme le véritable dénouement de la pièce. En effet, la dernière
scène (III,9) est très brève, et même si elle offre la révélation de l'identité de Silvia, tout est déjà joué dans notre extrait,
puisque Dorante, malgré la différence de condition sociale, a demandé en mariage celle qu'il croit n'être qu'une
servante. Comme dans toute comédie, le dénouement est heureux, tout les obstacles sont vaincus et le mariage
entre nos deux amoureux peut avoir lieu.
–S sait depuis la fin de l'acte II (scène 12) que D est déguisé en valet et connaît sa véritable condition sociale, mais elle a
décidé mettre son amour à l'épreuve : sera-t-il capable de vaincre les préjugés et les différences de classe pour
l'épouser sous un habit de servante ?
–A la fin de l'acte II, S est déjà assurée de l'amour de D, mais celui-ci n'est pas encore prêt à soumettre sa
raison à sa passion et préfèrerait renoncer à toute idée d'union (cf. p102 Silvia : « Votre penchant pour moi
est-il si sérieux ? M'aimez-vous jusque-là ? » / Dorante : « Au point de renoncer à tout engagement, puisqu'il ne
m'est pas permis d'unir mon sort au tien »)
–Tout l'enjeu de l'extrait est donc pour S d'obtenir une demande en mariage qui l'assurerait de la sincérité et
de la force de l'amour de son prétendant (cf. p115, III,4 Orgon à Silvia : « Quoi, ma fille, tu espères qu'il ira
jusqu'à t'offrir sa main dans le déguisement où te voilà ? » / Silvia : « Oui, mon cher père, je l'espère ! »).
–Dans tout l'acte III, S joue avec D pris dans un dilemme douloureux qui oppose, dans son cœur, la passion et la
raison : doit-il respecter l'ordre social et obéir à la raison ou bien céder à sa passion ? (« Je veux un combat entre
l'amour et la raison », dit S à Mario p116, III,4). Elle met tout en œuvre pour piquer sa jalousie (p. ex. en demandant
à Mario de feindre un amour pour elle) et attiser sa passion en simulant de l'indifférence. Dans les lignes précédant
l'extrait à étudier, elle semble avoir exagérément joué avec le feu et est bien prêt d'échouer puisque D quitte la scène et
ne revient qu'in extremis : S doit donc se déclarer plus ouvertement et précipiter l'issue afin de ne pas perdre
définitivement celui qu'elle aime.
–Cet extrait peut être décomposé en deux mouvements : on assiste d'abord à une déclaration d'amour réciproque (D
se déclare directement, S d'une manière indirecte mais non moins évidente) puis à une demande en mariage
passionnée de D, seule preuve valable, aux yeux de S, de la vérité de son amour.
Problématique : Quel dénouement cet extrait apporte-t-il à la pièce ?
I) De la déclaration d'amour réciproque (l.1 à 35) ...
a) Le langage direct du cœur de D
–Dorante exprime ses sentiments très explicitement (comme il le faisait déjà dans la LA n°2) : sa déclaration d'amour
prend la forme d'une question directe : « peux-tu douter encore que je ne t'adore ? » (l.5). L'usage du verbe adorer, qui
assimile S à une divinité, s'inscrit dans un style précieux hyperbolique et traduit la force du sentiment qui habite D.
–Le tutoiement ainsi que l'apostrophe « Lisette » (l.5) témoignent de sa volonté de vaincre la distance et la (fausse)
indifférence que lui témoignait jusque ici la pseudo-Lisette.
–Après la tirade de S (l.7 à 31), D répond d'une manière passionnée à la déclaration indirecte de S dans un registre
lyrique : apostrophe affective « Ah, ma chère Lisette » (l.32), ponctuation expressive avec l'exclamation « que viens-je
d'entendre ! », métaphore convenue du « feu » de la passion soulignant l'intensité du sentiment ressenti (« tes paroles
ont un feu qui me pénètre », l.33), éloge enthousiaste de Lisette (« une âme comme la tienne », l.35).
b) La déclaration d'amour implicite de S
–Les circonstances poussent S à se déclarer plus ouvertement (même si son aveu amoureux reste implicite) puisqu'elle a
failli perdre D, à deux doigts de partir. Elle décide de confier ses sentiments à « cœur ouvert » (l.10), mais la
retenue et la préciosité naturelles à sa véritable condition sociale et à son sexe ne lui permettent pas d'user d'un
langage direct.
–L'aveu est cependant clairement lisible dans la tirade de S (l.7 à 31) et D ne s'y trompe pas : subordonnées
hypothétiques qui expriment l'exacte réalité et non pas le potentiel (« s'il m'a frappée » l.20, « si je vous aimais »
l.24,), usage du conditionnel détourné de sa valeur d'irréel (« tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde ne me
toucherait plus » l.24), accumulation de questions rhétoriques traduisant la montée de l'émotion (l.19 à 25),
émergence d'un sentiment pathétique lié à la perte potentielle de l'être cher (« quel secours aurai-je ? » l.20, « qui est-
ce qui me dédommagera de votre perte ? » l.21), jusqu'à l'aveu final déguisé où S reconnaît qu'elle cache à D qu'elle
l'aime, ce qui revient bien évidemment à déclarer son amour (« je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime
(…) je vous les cache » l.27)
c) L'habileté rhétorique de S
–S est véritablement ici la maîtresse du jeu amoureux qui se donne et manœuvre très habilement pour obtenir ce
qu'elle désire. Son discours est un modèle rhétorique :
–Toutes ses paroles relèvent de la prétérition : dire une chose tout en disant qu'on ne la dit pas (ici, elle avoue son
amour en disant qu'elle ne l'avoue pas)
–Dans sa tirade (l.7 à 31), elle commence par souligner l'inanité des discours et des sentiments (« vous me le
répétez », « que voulez-vous que je fasse de cette pensée-là Monsieur ? » : opposition entre le faire et les paroles /
sentiments). Ce que désire S ce sont des preuves de cet amour, c'est-à-dire une demande en mariage. Puis, elle