74. Addiction à l’alcool.
Objectifs :
- Repérer, diagnostiquer, évaluer le retentissement d’une addiction à l’alcool.
- Expliquer les indications et principes du sevrage thérapeutique. Argumenter l’attitude
thérapeutique et planifier le suivi du patient.
I. Introduction
- La consommation excessive d’alcool est un problème majeur de santé publique
- La France reste un des pays où l'on consomme le plus d'alcool au monde (malgré une
baisse importante, surtout de la consommation de vin)
- Il existe environ 3,8 millions de consommateurs à risque chronique (consommation
régulière d’alcool supérieure aux seuils recommandés qui les exposent à des
complications) et 12 millions de consommateurs à risque ponctuel (consommations
excessives intermittentes qui les exposent à des complications aiguës (accidents,
violences))
- L’alcool est la seconde cause de mort évitable après le tabac avec 49 000 décès par
an dont les principales causes sont les cancers, les maladies cardiovasculaires, les
cirrhoses, le suicide, les homicides et les accidents domestiques, du travail et de la
route
- Il existe également d’importantes complications psychiatriques et sociales
II. Repérer une addiction à l’alcool
Il faut insister sur le repérage précoce (= dépistage) des consommations à risque, de
l'usage nocif et de la dépendance afin de proposer une intervention thérapeutique le plus
tôt possible, notamment aux personnes qui consomment de trop sans le savoir ou sans se
rendre compte des risques avant les complications graves. Dans ce cas, il s’agit de
repérage précoce et d’intervention brève (on parle de RPIB).
II.1. Modalités de repérage
II.1.1. Quand repérer ?
- De façon systématique
o en médecine générale lorsqu’un patient est vu pour la première fois, dans certaines
circonstances (certificats d’aptitude sportive, vaccinations)
o en médecine du travail
o aux urgences (important pour apprécier le risque d'accident de sevrage…)
- Devant certains signes ou circonstances qui pourraient être dues à une consommation
excessive d'alcool, en particulier :
o l’hypertension artérielle
o toute plainte psychique, des troubles du sommeil +++
o une asthénie et autres altérations de l'état général
o un retentissement familial, scolaire, professionnel
o des accidents, des chutes, des passages aux urgences à répétition
o toutes les complications somatiques de l'alcool, situation malheureusement
encore la plus fréquente
II.1.2. Comment repérer en pratique (les méthodes du repérage) ?
Il existe plusieurs façons de procéder
II.1.2.1. De façon non standardisée
- Il faut évaluer la consommation déclarée d'alcool (CDA) en nombre de verres par
semaine et par occasion de boire
- Si elle est à risque, il faut rechercher des arguments en faveur d'une perte de contrôle
qui oriente vers la dépendance
- En pratique :
o aborder le sujet dans le cadre de l'entretien médical classique
o commencer par des questions sur l'alimentation et le tabac
o Puis poser une question ouverte comme par exemple « Qu'est-ce que vous
consommez comme boissons alcoolisés ? » ; « Pourriez-vous quantifier votre
consommation de boissons alcoolisées ? » ; « Qu'est-ce que vous pourriez me
dire de votre consommation de boissons alcoolisées ? »
o quantifier précisément la fréquence et la quantité de vin, de bière, de cidre, d’alcool
fort consommés en verres standard
Un verre standard contient 10 g d'alcool pur, correspondant en France à : un demi de
bière à 5°, un verre de vin de 10 cl (un ballon de rouge), une dose d'alcool fort (3 cl).
Quand les personnes boivent en dehors d'un bar, il faut quantifier en bouteille :
Une bouteille de vin fait 8 verres standards
Une bouteille d'alcool fort de 75 cl fait 25 verres standards
Et une bière forte (cannette de 50 cl à 10°) fait 4 verres standards
o Ceci permet de quantifier le nombre moyen de verres par semaine, le nombre moyen
de jours de consommation, le nombre d'alcoolisations ponctuelles importantes (plus de
6 verres par occasion) par semaine ou mois.
o Les patients peuvent être classés en usagers à faible risque ou présentant un
mésusage.
o En cas de mésusage, il faut rechercher la perte de contrôle et les autres critères de
dépendance
II.1.2.2. Par des questionnaires standardisés
- L'AUDIT : auto questionnaire en 10 questions à remettre en salle d'attente (médecine
du travail par exemple)
- L'AUDIT-C : trois questions de quantification
- Le FACE : questionnaire faisant quantification et perte de contrôle
Questionnaire AUDIT-C
Cotation : un test ≥ à 4 chez l'homme et 3 chez la femme fait suspecter un mésusage
d'alcool et doit faire déclencher une intervention brève. Un score ≥ 10 évoque une
dépendance
Questionnaire FACE
Quelle que soit la façon de faire, il est nécessaire de faire preuve d'empathie, c’est à dire
d’essayer de comprendre le cadre de référence du patient, avec une attitude d'écoute,
souriante, valorisante, non jugeante et utiliser les questions ouvertes et l'écoute réflective
II.2. Marqueurs biologiques de la consommation excessive d'alcool
- L’intérêt des marqueurs peut être :
o à visée diagnostique, uniquement pour rapporter à l'alcool une pathologie (comme
une pancréatite) alors que le patient nie sa consommation, et non pour faire le
diagnostic de dépendance
o pour le suivi (pour dépister une rechute)
o à visée éducative et motivationnelle
Ils ne sont pas recommandés pour le repérage précoce, du fait d'une sensibilité modeste
- On utilise en pratique
o L'alcoolémie: utile en particulier aux urgences devant des chutes, des malaises.
Chez un sujet non comateux et non hostile, on utilise l’éthylomètre qui donne une
mesure directe
o La GGT (gamma glutamyl transpeptidase) : enzyme hépatique, marqueur à la fois
de consommation d'alcool et de maladie alcoolique du foie, de sensibilité médiocre
(la moitié des consommateurs excessifs, un peu plus chez les dépendants).
Concernant sa spécificité, la GGT est élevée dans la plupart des pathologies
hépatiques, mais dans l'alcool, soit le reste du bilan enzymatique hépatique est
normal, soit elle s'associe à une augmentation modérée (<5N) des transaminases,
prédominant sur les ASAT, et contraste avec des PAL normales, ce qui est assez
typique. La g-GT se normalise en 4 à 10 semaines (fonction du niveau de départ)
après arrêt de la consommation. Les principaux faux positifs sont les
hépatopathies métaboliques et les inductions enzymatiques par certains
médicaments, dont les antiépileptiques
o Le VGM est le marqueur le moins sensible (un tiers des patients), se normalise en
3 mois après arrêt de la consommation. Il y a peu de faux positifs (anémie
carentielle en folates ou en B12, hypothyroïdie, hyper réticulocytose). Il est surtout
augmenté en cas de carence en folate, donc de malnutrition associée. Parmi les
faux positifs ne pas ignorer les causes iatrogènes dont les traitements par le
méthotrexate (antifolate de référence)
o la CDT (carbohydrate deficient transferrin) est très spécifique, se normalise en
quelques semaines après arrêt de la consommation. Sa sensibilité est un peu
améliorée par rapport à la GGT.
III. Diagnostic
III.1. Intoxication éthylique aiguë (IEA)
- Variabili interindividuelle des effets aigus de l'alcool
o Premiers signes mesurables dès 0,2 g/l)
o Un verre standard monte l'alcoolémie d'environ 0,2 g/l
o Décroissance d’environ 0,2 g/l par heure
- Trois phases dans l'ivresse
o Phase d’excitation : euphorie, toute puissance, désinhibition
o Phase d’ébriété : logorrhée avec parole hachée et bredouillante, dysarthrie,
incoordination cérébelleuse avec démarche ébrieuse, conjonctives injectées,
pensée embrouillée, vomissements
o Phase de dépression : somnolence, endormissement voire coma
- Diagnostic essentiellement sur le tableau clinique
o Y penser devant un malaise, une chute (personne âgée), un accident ou une
agression
o Diagnostic confirmé par l'éthylémie (sur prise de sang ou grâce à un éthylomètre)
et l'évolution +++ (régression en 3 à 6 heures)
- Formes cliniques
o Excitomotrices (++) avec risque hétéro ou auto agressif +++
o Hallucinatoires ou délirantes (délire interprétatif de persécution ou de jalousie)
o Convulsivantes (crises convulsives survenant avec une alcoolémie très élevée)
En général suivies d'un trou noir : amnésie de ce qui s'est passé au plus haut de
l'alcoolémie
- Complications
o Accidents (voie publique, domestiques, chutes)
o Judiciaires (conduite en état alcoolisé, acte délictueux, garde à vue pour ivresse
publique manifeste)
o Rapports sexuels non voulus, non protégés et leurs conséquences
o Violences
o Facteur de risque suicidaire
- Coma éthylique
o Coma calme avec hypotonie, hypothermie, hypotension, bradycardie
o Mydriase bilatérale, symétrique, peu réactive
o Sans signes de localisation
o Dépression respiratoire tardive, surtout si intoxications associées ++
o Complications : inhalation, pneumopathie, hypoglycémie, rhabdomyolyse,
acidocétose alcoolique, décès exceptionnel
- Problème du diagnostic différentiel des troubles de conscience chez un patient ayant
des problèmes d'alcool
o Hypoglycémie
o Intoxications : drogues, médicaments (en particulier les benzodiazépines),
monoxyde de carbone
o Hémorragie cérébroméningée, AVC, hématome sous ou extra dural
o Encéphalopathie de Gayet Wernicke
o Epilepsie (phase post critique, état de mal)
o Encéphalopathie hépatique
o Delirium tremens
o Troubles métaboliques : hyponatrémie, acidocétose, hypercalcémie
o Si fièvre: infections cérébro-méningées
1 / 17 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !