LES SEPT DERNIÈRES PAROLES DU CHRIST EN CROIX

publicité
page 1 de 2
LES SEPT DERNIÈRES PAROLES
DU CHRIST EN CROIX
[Historique de la partition]
Par ANDREAS FRIESENHAGEN
Sept Paroles à travers une transcription pour quatuor à cordes
réalisée par lui-même, et une autre pour piano qui, pour n'être pas
de sa main, n'en avait pas moins reçu son approbation. Seule l'idée
- pourtant si évidente compte tenu du sujet -d'une version oratorio,
semblait ne pas lui être encore venue à l'esprit. Tout cela devait
changer après son séjour à Passau.
Au retour de son deuxième séjour en Angleterre, fin août 1795,
Haydn fit une halte à Passau, l'ancienne ville épiscopale au
confluent du Danube et de l'Inn. Il y assista le soir même à
l'exécution d'une de ses oeuvres, Les Sept Dernières Paroles.
Jamais le compositeur ne l'avait encore entendue ainsi : elle était
devenue, transcrite par Joseph Friebert (1723-1799), conseiller à la
cour et maître de chapelle de la cathédrale de Passau, une cantate
pour choeur et orchestre.
Haydn se montra satisfait de l'exécution qu'il entendit en ce soir
d'août 1795. Il déclara toutefois, à propos de la version de
Friebert: «En ce qui concerne les parties chantées, je crois que
j'aurais pu les écrire mieux.» Il se fit remettre par Friebert une
copie de sa transcription et, dès son retour à Vienne, entreprit de
transformer à son tour les Sept Paroles en musique vocale. La
version de Passau lui servit tout d'abord de modèle. Au fur et à
mesure de son travail, il s'en détacha de plus en plus.
Haydn avait composé ses Sept Paroles en 1786, comme une
oeuvre purement orchestrale. La commande lui en était venue
d'Espagne, plus précisément d'un chanoine de Cadix, qui avait
demandé à celui qui était à l'époque le plus célèbre symphoniste
d'Europe de lui écrire une musique de méditation destinée à
accompagner les exercices de la Passion à la chapelle Santa
Cueva. Chaque mouvement devait en quelque sorte servir de
commentaire au texte biblique, lu en chaire. Haydn avait donc
composé à cette intention une suite de mouvements presque
exclusivement lents. «La tâche, écrivit-il plus tard, qui consistait à
faire entendre une succession de sept adagios, d'une durée
moyenne de dix minutes chacun, sans lasser l'auditeur, n'était pas
des plus aisées.»
Pour ce nouveau remaniement de l'oeuvre, Haydn fit réaliser une
copie de la partition originale imprimée et y ajouta les parties
chantées. La partie orchestrale toutefois ne demeura pas
inchangée: Haydn modifia quelques notes, quelques indications de
dynamique et compléta l'instrumentation en ajoutant deux
clarinettes et deux trombones; en revanche, il supprima deux des
quatre cors prévus à l'origine.
C'est ainsi que vit le jour une des compositions instrumentales les
plus extraordinaires de tout le XVIIIe siècle et qui allait bien vite
devenir une des oeuvres les plus connues de Haydn. Des éditions
parurent dès 1787-1788 dans les centres musicaux les plus
importants, à Londres, Paris et Vienne, et des copies manuscrites
circulèrent dans toute l'Europe. Haydn fit également connaître ses
Mais les différences les plus manifestes par rapport à l'original
consistent en deux «rajouts»: tout d'abord Haydn fait précéder la
plupart des mouvements par de brèves introductions à quatre voix
dans un style a cappella archaïsant, dans lesquelles la «Parole»
éponyme est déclamée comme une sorte d'épigraphe. D'autre part,
entre la quatrième et la cinquième «Parole», il ajoute un nouveau
mouvement instrumental, la deuxième Introduzione en la mineur
qui désormais divise nettement l'oeuvre en deux parties. Confié
aux seuls instruments à vent, ce mouvement insolite surprend par
son austérité et sa rigueur. Ce n'est pas par hasard que les
contemporains le comptaient parmi les choses les plus parfaites
que Haydn eût jamais écrites». Haydn recourt ici, afin de renforcer
page 2 de 2
la sonorité, à un contrebasson - qu'il utilise pour la toute première
fois.
[Interprétation]
Le texte chanté provient pour l'essentiel de la version de Friebert.
L'auteur en est très probablement le Kapellmeister lui-même, qui,
s'inspirant de poèmes d'une piété larmoyante tels que les Odes et
Chants spirituels de Christian Fürchtegott Gellert ou La Mort de
Jésus de Karl Wilhelm Ramler, avait écrit des sortes de
méditations poétiques dans lesquelles chaque parole du Christ était
emphatiquement commentée. Haydn demanda néanmoins au
baron Gottfried van Swieten, mécène influent et directeur de la
Kaiserliche
Hofbibliothek
(aujourd'hui
Osterreichische
Nationalbibliothek), de remanier l'ensemble des textes. Swieten
reprit pour ce travail tout ce qui dans l'esprit et le ton venait
manifestement de Ramier, allant même jusqu'à emprunter
directement à La Mort de Jésus le texte entier du Terremoto qui
conclut la partition.
La pratique musicale des instruments colla parte* dans la musique
sacrée allemande laisse - comme dans les parties de continuo -une
relative liberté à l'interprète. Les questions posées interrogent des
facteurs musicaux essentiels tels la balance, la couleur, l'énergie,
le phrasé ou l'articulation.
C'est encore Swieten qui se chargea d'organiser la première
exécution de cette nouvelle version. Elle eut lieu le 26 mars 1796
sous la direction de Haydn, au palais Schwarzenberg à Vienne, a
l'occasion d'un concert des Associierten Cavaliers, une société
d'amateurs de musique de la haute noblesse, dont le baron luimême était le fondateur. Deux ans plus tard aurait lieu dans le
même cadre la première audition de l'oratorio La Création. Entre
temps, la version oratorio des Sept Paroles s'était déjà imposée à
Vienne comme une oeuvre indissociable de la liturgie de la
Passion.
PAR LAURENCE EQUILBEY
Pour une fois, dans Les Sept Dernières Paroles, le geste est
inverse : ce sont les voix qui ont été destinées à «coller» aux
instruments, puisque la version orchestrale est antérieure à celle
présentée dans cet enregistrement. Dès lors, nous avons réalisé
plusieurs choix d'interprétation, les chanteurs se situant comme les
compagnons des instruments. Pour le style de jeu vocal et le
phrasé du texte, nous avons opté pour une articulation
relativement instrumentale, en respectant la prosodie tout en étant
conscients que ce n'est pas le texte qui a présidé à la création des
phrases musicales.
L'idée était d'imaginer une méditation spirituelle (souhaitée par
Haydn lorsqu'il a composé la version première pour orchestre),
mais articulée et chantée cette fois, sans qu'elle soit pour autant
l'acteur principal du drame: le chant, le texte pensés comme
prolongation de l'idée musicale pure. Cette position n'exclut pas
l'expressivité, d'autant que la mise en texte enrichit le phrasé des
cordes, et que le contenu proprement dit de l'oeuvre littéraire est
remarquable par la justesse de ses climats. Avec l'orchestre, nous
avons travaillé en tenant compte de cette nouvelle situation
musicale: le mode de jeu s'est arrondi pour mieux épouser les voix
; les phrasés se sont jumelés avec ceux des chanteurs. Des chemins
parcourus pour que l'oeuvre puisse s'exprimer dans sa profondeur
et sa sobriété.
*
colla parte (avec la voix): désigne le jeu d'un ou plusieurs instruments qui
dans l'exécution d'une œuvre vocale, doublent la (ou les) voix.
Téléchargement