mélodies et rythmes des pays bohème et morave, mais dans le cadre des formes et
usages de la musique allemande de l’époque. Suk, violoniste renommé, et aussi
gendre de Dvořák, avait un autre moyen d’intégrer ses racines dans sa musique.
Comme ses contemporains Otokar Ostrčil et Leoš Janáček, il s’était nourri des
influences de sa culture et cherchait un autre moyen de les exprimer. Une des ses
œuvres les plus typiques est sa Méditation sur l’ancien choral bohémien de St
Wenceslas. Certes, le thème qui est à l’origine de cette œuvre était connu de tous
les Tchèques – une prière du XII
e
siècle au saint patron de Bohème pour qu’il
intercède pour sa patrie auprès de Dieu. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre
que l’hymne avait une signification particulière pour les nationalistes tchèques au
XIX
e
siècle. Mais Suk – comme Vaughan Williams dans sa célèbre Tallis Fantasia –
n’a pas fait un simple arrangement. Il prend le thème comme point de départ, une
référence pour le développement d’une structure musicale très méditative et d’une
richesse et complexité dans lesquelles on peut reconnaitre l’époque de sa création –
1914.
Johannes Brahms (1833-1897)
Variations sur un thème de Haydn, op. 56a
On connaît l’admiration de Brahms pour l’œuvre de Haydn qu’il connaissait mieux
que personne à son époque. Ici on doit convenir pourtant que Brahms a été victime
d’une imprécision de l’histoire. Le fameux Choral de Saint-Antoine qu’il choisit pour
thème de ses Variations op.56 est bien le deuxième mouvement du Divertimento
pour vents Hob.II 46 paru au catalogue de l’éditeur Breitkopf de 1782-1784. Mais on
sait aujourd’hui que ce divertimento est apocryphe. Qu’importe ! Brahms savait bien
que, de toute façon, Haydn (ou l’anonyme dissimulé sous son nom) était allé
chercher ce thème beaucoup plus loin encore. Bon nombre de mélodies de chorals
de Bach étaient, elles aussi, antérieures à Bach !
Dès ses premières œuvres, la variation est pour Brahms un domaine d’élection,
qu’elle soit pour piano ou pour orchestre. Ici Brahms conçoit deux versions, l’une
pour grand orchestre et l’autre pour deux pianos.
Plus qu’un choral, le thème choisi (andante) fait penser à une marche,
processionnelle peut-être. De structure harmonique très claire, il est en deux parties
avec reprise et peut se fragmenter au gré du compositeur. C’est précisément dans
cette fragmentation que commence l’exercice de la liberté brahmsienne : dès la
première variation (poco piu animato), seules les trois dernières mesures sont
utilisées, avec de caractéristiques superpositions de rythmes binaires et ternaires. La
deuxième variation (piu vivace) passe déjà en mineur et se concentre sur les trois
premières notes du thème. Il faut attendre la troisième (con moto) pour voir le thème
utilisé en entier, en majeur, en de longs cheminements contrapuntiques. C’est plus
l’esprit du thème que le thème lui-même qui guide la variation IV (andante con moto)
revenue en mineur, à 3/8, opposant une mélodie noble et nostalgique à des traits
ininterrompus de doubles croches. La variation V (vivace) crée parfois l’équivoque
rythmique d’un 6/8 ressenti comme un 3/4. Elle conduit naturellement au ton
héroïque de la sixième variation (vivace) dont l’audace se traduit par des emprunts à
des tons éloignés. La variation VII est une délicate sicilienne (grazioso) où, comme
dans les Variations Haendel pour piano, s’avoue la filiation avec le Bach des
Variations Goldberg. Retour au mineur avec la dernière variation (presto non troppo)
dont les longues lignes fantomatiques se superposent et jouent de leur
renversement.
L’œuvre s’achève dans la majesté d’une passacaille (andante). Celle-ci est fondée
sur une basse de cinq mesures qui, sans être la basse même du thème initial,
implique les harmonies de ses cinq premières mesures. Vaste architecture culminant
avec le retour de thème “de Haydn” dans tout son éclat.