Avant-Propos
La poésie s'oppose à la prose, comme le rêve – à la réalité, le style – à
l'inertie, le regard – aux yeux, la pose intemporelle – à la position dans le
présent, la fraternité avec les morts glorieux – à la solidarité avec les
collaborateurs interchangeables. Dans la poursuite du beau, mise en nous
par la Création, l'appel poétique, visiblement, fut le premier à être
entendu par l'homme de culture – les premières œuvres artistiques de
l'homme furent manifestement poétiques.
Depuis un siècle et demi, l'art est sur l'inexorable déclin, dont la poésie est
la première victime. La mécanique commence par envahir les esprits et
finit par étouffer les âmes. Le chosisme bruyant et affairé succède au
romantisme dionysiaque et au classicisme apollinien, et il n'annonce aucun
baroque, aucun maniérisme ; tous ses points de repère se trouvent sous
nos yeux, nos pieds, nos soucis de ce jour. Une mutation d'aptères évince
la race des volatiles. Le succès se jauge à l'échelle économique,
statistique, conjoncturelle. L'indignation machinale, formelle devint l'un
des symboles les plus bas d'un conformisme de fond. On ne voit plus le
beau, on ne le crée plus, on le soupèse, on le fabrique, on le reproduit.
On dénonçait, jadis, les livres modernes, écrits sur les livres anciens ;
aujourd'hui, on ne trouve dans les livres que le journal d'hier. Et la poésie,
c'est la vie présente, projetée vers les firmaments du passé ou les
horizons du futur.
Le dernier refuge de la poésie devient l'abstraction aphoristique, créatrice
de belles obscurités, faisant deviner de belles lumières disparues. La
résolution de rester dans ma Caverne, prometteuse de grandes
apparences, plutôt que de sortir, avec tout le monde, dans la rue, pour
constater de mesquines évidences.
Donc, l'amateur de bureaux, studios TV, hôtels, restaurants, aéroports ne
trouvera rien à son goût dans ce recueil de maximes, qui s'adresse aux
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