1
PRECOCITE, TALENTS ET TROUBLES DES APPRENTISSAGES
Dr Gérard BLEANDONU - Dr Olivier REVOL
Texte paru dans « Approche neuropsychologique des troubles d’apprentissages »
éditions Solal, juillet 2010
La dernière décennie restera sans doute celle de la réhabilitation des enfants en
délicatesse avec l’Ecole. En 2002, le rapport Ringard attire l’attention des pouvoirs
publics sur les troubles d’apprentissage en général, et ouvre la porte à la
reconnaissance du handicap cognitif. Trois ans plus tard, la loi pour l’avenir de
l’école s’engage à assurer la réussite de tous les élèves. En octobre 2007, une
circulaire ministérielle incite les enseignants à s’intéresser au parcours scolaire des
enfants précoces.
Comprendre comment un enfant surdoué peut se retrouver en situation d'échec
apporte un éclairage nouveau sur les processus cognitifs mobilisés dans les
acquisitions scolaires. A la croisée des talents et des risques de handicap, cette
réflexion devrait profiter à tous les enfants différents.
Des enfants difficiles à définir (Revol et al. 2004)
On rencontre une première difficulté lorsqu’on veut venir en aide aux enfants dont
le niveau intellectuel est supérieur à la moyenne. Il existe plusieurs appellations
pour les désigner en raison de la complexité du sujet. Le mot gifted a été adopté
aux Etats-Unis dans les années 1920 et il reste d’un usage répandu dans le monde
anglo-saxon. Il a été traduit en français par « surdoué» dans les années 1970. Ce
mot désigne un enfant dont l’efficience intellectuelle évaluée par des tests est
supérieure à celle obtenue par la majorité des enfants de son âge. Certains ont jugé
le terme gênant parce qu’il ferait état d’une supériorité (un don) et qu’il produirait
une confusion avec les enfants prodiges. Ils ont préféré mettre en avant la
précocité intellectuelle, d’où le sigle EIP pour enfant intellectuellement précoce.
L’intelligence de ces enfants se veloppe plus vite que celle de la majorité des
enfants de leur âge.
On a aussi critiqué ce point de vue. En effet, rien ne garantit que, à l’instar de
l’avance staturale, les autres enfants le rattraperont un jour, ni qu’à l’âge adulte,
ces individus conserveront des capacités supérieures à la normale. D’autres ont
alors proposé de parler d’enfant à «Haut Potentiel » (HP). Les québécois ont
2
cherché à éviter toute connotation en inventant un néologisme : « douance ». En
pratique, on peut dire aussi bien doué, surdoué, précoce ou à haut potentiel.
(Bléandonu,2006).
On rencontre ensuite une deuxième difficulté qui nous plonge dans un paradoxe
bien connu: comment se fait-il que ceux que la nature paraît prédisposer à de
hautes performances soient plus exposés à des difficultés scolaires? Au début du
XXème siècle, alors qu’il étudiait les difficultés scolaires des débiles mentaux,
Binet avait remarqué cette situation paradoxale: d’autres enfants ne profitaient
pas de l’enseignement parce qu’ils étaient « trop intelligents ». On a établi par la
suite qu’une portion importante d’enfants surdoués se retrouve en difficulté, voire
en échec, dans leurs études. Nous allons voir quels sont les troubles des
apprentissages chez les enfants intellectuellement précoces.
Les troubles spécifiques des apprentissages
Dans les années 1980, on signait les difficultés d'apprentissage comme un
ensemble hétérogène de troubles qui se manifestent par des difficultés
significatives dans l'acquisition et l'utilisation d'habileté d'écoute, de la parole, de
la lecture, de l'écriture, du raisonnement ou d'habiletés mathématiques.
En 1994, la 4ème version du DSM a confirmé cette conception en remplaçant « les
troubles des acquisitions scolaires » par « les troubles des apprentissages ».
La rubrique associe: trouble de la lecture, trouble du calcul et trouble de
l'expression écrite. Les troubles commençant par le préfixe « dys » sont écartés
parce qu'ils apparaissent trop limitatifs (de même que le mot « autisme » avait été
remplacé par « trouble envahissant du développement »). En pratique, les troubles
des habiletés motrices et les troubles de la communication font partie intégrante
des troubles des apprentissages.
Le DSM IV se veut précis. Il déclare ces troubles comme intrinsèques à la
personne; c'est-à-dire qu'ils proviennent d'une dysfonction du système nerveux
central. Des difficultés d'autorégulation, de perception et d'interactions sociales
peuvent coexister avec les troubles des apprentissages, mais elles ne doivent pas
être un trouble des apprentissages en soi. De même, si le trouble d'apprentissage
apparaît avec des limitations d'autres natures, il ne faut pas qu'il soit le produit de
ces limitations.
3
On peut s'étonner d'une définition aussi restrictive. Il faut comprendre qu'elle se
veut opérationnelle. Cela veut dire qu'elle est censée permettre d'agir de façon
adaptée dans tous les cas de figure. On a aussi voulu englober les adultes et ces
critères doivent s'appliquer a tous les âges. Cette définition devrait aussi aboutir
au même résultat quelle que soit la formation de l'examinateur ou les tests utilisés.
Cette classification n'a pourtant pas échappé a certaines critiques. On lui a
reproché de ne pas aborder les processus et les stratégies, c'est-à-dire le
traitement de l'information, la base de l'approche cognitive. On lui a aussi reproché
d'attendre l'échec scolaire avant d'identifier le trouble d'apprentissage. Mais une
classification n'est pas orientée de la même façon selon qu'elle se focalise sur les
besoins pédagogiques des élèves ou sur la description de troubles ouvrant droit à
une aide spécialisée.
La question est en train d’être renouvelée grâce aux progrès que nous avons faits
sur la relation entre le cerveau et l’esprit. Nous disposons de nouvelles techniques
qui ont permis d’expérimenter aux deux extrêmes d’un large spectre: les méthodes
classiques de la neuro-anatomie, de la neurophysiologie et de la neurochimie d’une
part, la neurobiologie moléculaire, la combinaison de la neuro-imagerie avec une
approche cognitive d’autre part. Tout ceci débouche sur une vision à plusieurs
dimensions sur le cerveau engagé dans une activité intellectuelle.
L’enfant HP en délicatesse avec l’école : des difficultés à l’échec scolaire…
L’échec scolaire tel qu’il est défini par l’Education Nationale sortie du système
scolaire sans diplôme ni qualification »), reste rare dans les cohortes d’enfants HP,
et certainement en dessous du chiffre retenu en population générale (150 000
enfants, soit 21% des classes d’âge). Les difficultés sont, par contre, fréquentes,
avec deux tiers d’enfant à Haut Potentiel qui n’atteindront pas le lycée.
Il nous semble plus intéressant, en raison de la fréquence des co-morbidités,
d’envisager les difficultés scolaires chez les enfants à Haut Potentiel plutôt que de
détailler les troubles spécifiques des apprentissages (Revol, 2006). En effet, on
peut retrouver plusieurs causes, souvent intriquées, à ces difficultés. Certaines
sont spécifiques parce qu’elles proviennent de ses caractéristiques cognitives
tandis que d’autres son liées à des réponses inadaptées de l’entourage. Enfin, des
troubles psychoaffectifs peuvent intervenir seuls ou venir perturber d’autres
causes qui les ont précédés.
4
Des stratégies d’apprentissage particulières
Les causes liées au profil cognitif particulier sont maintenant bien connues. De
solides travaux confirment les spécificités neuro-développementales des enfants
HP: augmentation du sommeil paradoxal [Grubar et al. 1997), suractivation du
cortex pré-frontal lors des tâches saturées en facteur g, meilleure transmission
inter-hémisphérique (In Lubart, 2006).
D’une façon générale, les enfants HP préfèrent un traitement global et simultané
de l’information. Il en résulte une très grande rapidité de la pensée qui ne manque
pas de surprendre un entourage non averti. L’enfant à Haut Potentiel fait intervenir
des réseaux neuronaux plus étendus et active des zones corticales supplémentaires
(pensée en «arborescence»). Il a volontiers recours à la mémoire épisodique, ce qui
le conduit à faire des analogies avec d’autres situations déjà connues. Tout ceci
finit par donner à ses réponses un aspect intuitif qui fascine, mais aussi désarçonne
son interlocuteur.
Cela ouvre la voie vers des difficultés scolaires bien connues: ennui, absence de
méthode d’apprentissage, évitement de l’effort et rejet des tâches routinière et
opposition.
- L’enfant intellectuellement précoce peut ressentir de l’ennui dès la maternelle
lorsque l’enseignement lui paraît inadapté. Il décroche vite puisqu’ il comprend
souvent avant les autres. Cela peut susciter un manque d’intérêt ou même conduire
à une sorte de phobie scolaire.
- Ce désintérêt peut finir par induire des troubles de l’attention, de l’instabilité
psychomotrice et des troubles anxieux. Le propre de ces manifestations est de
disparaître dès que l’enfant rentre chez lui, ou lorsque l’enseignement satisfait son
profil cognitif particulier.
- L’absence de méthode est la conséquence d’une capacité à comprendre très vite,
à fournir des réponses exactes sans fournir un travail de réflexion. Le surdoué
peut faire l’économie de l’apprentissage d’une méthode parce qu’il n’a pas besoin de
faire une analyse séquentielle pour trouver la réponse. Ce fonctionnement reste
acceptable tant qu’il reste dans le primaire. Mais dés le secondaire il peut être
pénalisé lorsqu’on lui demande d’expliquer comment il procède. La difficulté ou le
refus à expliquer agace et provoque une dépréciation du travail scolaire de la part
des enseignants. Il risque de se produire une épreuve de force qui aggrave encore
la situation et peut conduire à l’échec scolaire. L’élève du secondaire peut finir par
5
manquer de temps d’autant qu’une lenteur de l’écriture persiste. Il s’enclenche un
cercle vicieux si l’enfant perd toute motivation à étudier.
- L’opposition apparaît volontiers dès qu’il est question de tâches répétitives comme
recopier, apprendre par cœur. Le point d’achoppement surgit lorsqu’il est question
d’apprendre des règles ou, de façon plus générale, lorsqu’une che donne
l’impression de perdre son temps par l’absence de créativité. En outre, la fréquence
de difficultés graphomotrices conduit à éviter l’écrit et à une mauvaise
orthographe qui pénalise dans toutes les matières.
En résumé, on peut opposer de façon schématique un enfant au développement
intellectuel moyen que nous qualifions d’« enfant scolaire » et un enfant à Haut
Potentiel (tableau I).
Certains enfants à Haut Potentiel arrivent cependant à composer avec ces
particularités cognitives, en particulier lorsqu’ils trouvent dans leur enseignant la
bienveillance et l’empathie indispensables à leur motivation. A l’inverse, le sentiment
d’incompréhension risque de brouiller plus encore le rapport aux apprentissages.
Les causes liées à l’environnement
Elles proviennent d’attitudes qui ne tiennent pas compte des besoins spécifiques de
ces enfants ou de la tentation des jeunes surdoués de se conformer aux attentes
pédagogiques globales (Terrassier, 1999). Certaines réactions des enseignants
découragent ou contrecarrent l’investissement scolaire de ces enfants: refus
d’interroger un enfant qui a réponse à tout, stigmatisation des points faibles
comme l’écriture par exemple.
L’enfant précoce peut perdre intérêt pour toute forme d’apprentissage. Il peut
aussi se rebeller ou, à l’inverse, se forcer à satisfaire les exigences de l’enseignant
par du conformisme. Cela peut aller jusqu’à une suradaptation, ce que Terrassier
avait appelé un « effet pygmalion négatif ». L’enfant HP se contente de satisfaire
la demande en mettant à l’écart ses compétences et ses talents. Cette attitude
peut se généraliser et envahir toutes les relations sociales. Cela peut aussi conduire
à un conflit ouvert avec l’école si les parents supportent mal ce renoncement. Et
aggraver ainsi les dysfonctionnements psychologiques pré-existants, eux-mêmes
sources de frein aux apprentissages.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !