Observance thérapeutique pour les rhumatologues

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Envisagez les scénarios suivants :
Vous évaluez un nouveau patient atteint de polyarthrite rhumatoïde (PR) au stade précoce. Vous lui
prescrivez du méthotrexate par voie orale et de l’hydroxychloroquine. Le patient revient après trois mois
et ne présente aucune amélioration. Comment pouvez-vous savoir si l’absence de réponse n’est pas
attribuable à une mauvaise observance?
Vous suivez un patient atteint de PR recevant un agent biologique en monothérapie et qui a des
poussées 2 à 3 fois par année. Les poussées sont toujours maîtrisées par un cycle court de prednisone,
et le patient se porte bien pendant quelques mois avant la poussée suivante. Comment pouvez-vous
savoir si ces poussées ne sont pas attribuables à une mauvaise observance du traitement?
Qu’est-ce que l’observance?
L’observance thérapeutique se définit comme la capacité des patients à prendre leurs médicaments
conformément aux indications de leur professionnel de la santé1. L’observance est généralement
meilleure chez les patients présentant des affections aiguës que chez ceux qui sont atteints d’affections
chroniques. La persistance dans la prise des médicaments est malheureusement faible, chutant
spectaculairement après les 6 premiers mois de traitement.
Comment mesure-t-on l’observance?
L’observance peut être mesurée de façon directe et indirecte. La mesure directe de l’observance
nécessite une observation directe du patient recevant le médicament ou la mesure de la concentration
du médicament et de ses métabolites après la prise. En rhumatologie, l’administration de médicaments
par voie intraveineuse est le meilleur exemple d’une mesure directe. La mesure du taux de phénytoïne
chez les patients atteints d’épilepsie et celle du taux de tacrolimus chez les patients ayant reçu une
transplantation sont d’autres exemples de mesure directe.
Dans le cas des ARMM à administration orale et des agents biologiques administrés par voie sous-
cutanée, l’observance est généralement mesurée de façon indirecte. On peut par exemple questionner
le patient directement, compter ses comprimés ou évaluer sa réponse clinique. Le problème avec les
mesures indirectes, c’est qu’elles surestiment souvent l’observance.
Quels sont les schémas de non-observance les plus courants?
Il faut comprendre que l’observance thérapeutique est une caractéristique dynamique qui n’est pas
stable dans le temps. Un patient pourrait avoir une très bonne observance au début du traitement, mais
s’essouffler au fil du temps et manquer des doses ou ne pas renouveler ses ordonnances en temps
opportun. Il faut donc tenir compte de trois composantes dans l’observance :
1. Instauration : Le patient fait-il exécuter l’ordonnance et amorce-t-il le traitement?
2. Exécution : Si le traitement a été instauré, le patient prend-il ses médicaments comme prévu?
3. Persistance : Le patient continue-t-il à prendre le traitement au fil du temps?
Par exemple, un patient ayant une observance parfaite entreprendrait son traitement aussitôt qu’il lui a
été prescrit, prendrait son médicament conformément aux indications, sans retards ni oublis dans les
doses et continuerait à prendre son traitement à long terme. Mais que se passe-t-il en réalité? Que nous
disent les données?
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Environ un tiers des patients ont systématiquement une bonne observance thérapeutique. Environ la
moitié d’entre eux ont une observance quasi parfaite, et l’autre moitié prend presque toutes les doses,
mais avec une certaine irrégularité quant aux heures de prise du médicament2. À l’opposé, environ un
tiers des patients ont systématiquement un manque d’observance. Environ la moitié d’entre eux
décident de ne pas prendre leur médicament au moins une fois par mois et en oublient souvent les
doses, tandis que l’autre moitié l’autre moitié ne prend que quelques doses, voire aucune, tout en
donnant l’impression d’avoir une bonne observance2. Le dernier tiers des patients se situe entre ces
deux extrêmes. Certains manquent, à l’occasion, une dose quotidienne et prennent leur médicament à
des heures irrégulières, alors que d’autres décident de ne pas prendre leur medicament trois à quatre
fois par année et oublient parfois des doses2.
Chez vos patients dont la PR est mal maîtrisée, le secret est de savoir où ils se situent sur le spectre de
l’observance. Cela peut être difficile. Si tel est le cas, vous pourriez devoir envisager trois choses :
1. Quels sont les facteurs de risque de non-observance?
2. Comment pouvez-vous déterminer la non-observance?
3. Quelles stratégies pouvez-vous mettre en œuvre pour favoriser l’observance?
Quels sont les facteurs de risque de la non-observance?
Pour tout rhumatologue praticien, les facteurs de risque sont plutôt intuitifs. Il est important de faire le
lien entre l’observance thérapeutique et les moments où surviennent ces situations. Envisagez les
scénarios suivants et essayez de voir si cela fait écho à votre expérience clinique.
1. Le patient déprimé ou atteint de troubles cognitifs qui manque d’observance, car il oublie de
prendre ses médicaments ou devient confus.
2. Un patient qui manque de perspicacité et ne comprend vraiment pas la nature ou la gravité de
sa maladie peut être moins susceptible d’avoir une bonne observance. Ces patients pourraient
minimiser leur maladie pour mieux y faire face, « c’est tout simplement de l’arthrite et ce n’est pas
grave si je ne prends pas mon médicament ».
3. Un patient qui ne croit pas aux traitements classiques et qui utiliserait une approche plus
naturelle.
4. Un patient avec lequel vous avez de la difficulté à établir une relation de confiance ou qui a
peut-être subi un effet secondaire grave à un médicament, ce qui a miné sa confiance envers
vous.
5. Un patient qui ne prend aucun rendez-vous de suivi ou qui manque ses rendez-vous. Le patient
qui disparaît de la carte et se présente deux ans plus tard dans un état terrible.
6. Les patients pour qui l’obtention des médicaments comporte des obstacles, comme le coût.
Le scénario le plus évident est celui du patient sans assurance-médicaments que vous tentez de
faire avancer dans un algorithme thérapeutique.
7. Les patients ayant des obstacles face aux soins. Il peut s’agir de problèmes de transport,
comme un long trajet jusqu’à votre cabinet, ou le fait de devoir demander l’aide des autres pour
s’y rendre. Leur horaire de travail pourrait les empêcher de se rendre à leurs rendez-vous
réguliers.
8. L’utilisation de schémas thérapeutiques complexes peut aussi entraîner une observance
médiocre. Instaurer une « trithérapie » dès la première visite peut sembler convaincant d’un point
de vue scientifique, mais une approche graduelle à l’instauration d’un traitement d’association
pourrait-elle favoriser l’observance à long terme?
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Comment pouvez-vous établir le manque d’observance chez les patients qui n’obtiennent pas de
réponse?
Il faut toujours envisager l’observance thérapeutique chez un patient qui ne répond pas au traitement.
Établir l’observance à des médicaments surveillés par voie intraveineuse comme le rituximab,
l’abatacept, Remicade ou le tocilizumab est assez simple étant donné la possibilité d’une observation
directe.
Pour ce qui est des médicaments administrés par voie orale ou sous-cutanée, la suggestion la plus
simple et la plus pratique pour les rhumatologues est de demander simplement aux patients, sans juger,
à quelle fréquence ils omettent de prendre une dose. Malheureusement, évaluer l’observance par de
simples questions n’est ni fiable ni valide. Les patients cherchent généralement à plaire à leur médecin
et répondent ce qu’ils croient que le médecin veut entendre. Cependant, il peut être rassurant, pour un
patient, d’entendre le médecin lui dire « Je sais qu’il doit être difficile de prendre vos médicaments
régulièrement. À quelle fréquence les oubliez-vous? » Un patient qui admet faire preuve d’une mauvaise
observance est généralement sincère. Il est également important de demander au patient s’il présente
des effets secondaires aux médicaments, s’il sait pourquoi il prend ses médicaments et quels en sont
les bienfaits. Ce genre de questions permet souvent de mettre en évidence une mauvaise observance.
Des outils validés ont été conçus pour mesurer la non-observance. Ces outils prennent plus de temps à
administrer et à noter qu’une simple question, et leur utilité lors des interactions cliniques de routine peut
être limitée. Cependant, ils permettent de déterminer de façon beaucoup plus précise le manque
d’observance. Le questionnaire CQR (Compliance-Questionnaire-Rheumatology) est un outil spécifique
à la rhumatologie conçu pour mesurer l’observance des patients aux schémas thérapeutiques4,5. Ce
questionnaire a d’abord été conçu et validé au cours d’entretiens semi-directifs menés auprès de
32 patients. Malheureusement, la pondération égale des éléments de ce questionnaire n’a pas donné de
bons résultats comparativement à l’observance thérapeutique mesurée de façon électronique5. Quand
les 19 éléments ont été pondérés différemment selon une analyse discriminatoire, les résultats ont eu
une bien meilleure sensibilité pour détecter l’observance inférieure à 80 %. Cependant, l’utilisation du
questionnaire CQR dans un contexte clinique requiert un calcul complexe, ce qui en limite l’utilisation
dans ce contexte.
Les deux autres échelles d’observance fréquemment utilisées sont le questionnaire MAQ (Morisky
Adherence Questionnnaire)6 et l’échelle MARS (Medication Adherence Report Scale)7. Tout comme le
questionnaire CQR, ces deux échelles sont efficaces comparativement aux entretiens semi-directifs,
mais moins efficaces que la mesure électronique de l’observance thérapeutique8.
Bien que de nombreuses mesures subjectives de l’observance aient été créées, il n’y a pas de norme de
référence. La corrélation entre l’observance signalée par le patient et les mesures électroniques du
médicament et le nombre de comprimés est très faible.
Comme nous l’avons précédemment mentionné, tenter d’évaluer l’observance d’un patient par de
simples questions n’est ni fiable ni valide. Vous pouvez demander à vos patients s’ils prennent leurs
médicaments. S’ils sont sincères et vous disent ne pas les prendre, ils sont vraisemblablement
honnêtes. S’ils vous disent prendre tous leurs médicaments et ne manquer presqu’aucune dose, alors
vous ne savez vraiment pas. Rappelez-vous qu’un tiers des patients prend la plupart de ses
médicaments, un tiers les prend régulièrement et un tiers manque d’observance. La difficulté consiste à
déterminer dans quel groupe se situe votre patient. Sur le plan pratique, si le patient va très bien et que
sa maladie est stable, qu’il n’y a pas d’évolution radiographique ni poussée, il n’est probablement pas
nécessaire de l’interroger sur l’observance. L’observance devient un enjeu lorsque le patient va
régulièrement moins bien ou lorsqu’il subit de fréquentes poussées. Chez ces patients, y a-t-il d’autres
indices qui pourraient permettre d’identifier des problèmes d’observance éventuels?
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1. Les dates et le nombre des renouvellements d’ordonnance peuvent être des indices d’une
mauvaise observance, mais cette information n’est pas facilement accessible. Pensez au patient
qui vous dit prendre tous ses médicaments, mais dont l’ordonnance pour 6 mois a malgré tout
duré 12 mois.
2. Demandez au patient de quelle façon il prend ses médicaments exactement. S’il a de la difficulté
à l’expliquer, c’est peut-être un indice de mauvaise observance. Un rhumatologue a dit « Je leur
demande quel jour ils prennent leur méthotrexate. S’ils doivent y réfléchir, ou s’ils hésitent, alors
je sais qu’ils ne le prennent peut-être pas. »
3. Pensez au patient qui a présenté des effets secondaires liés à plusieurs autres médicaments
antérieurs, ou à celui qui appelle et affirme avoir des problèmes avec son médicament actuel.
Lorsque des patients m’appellent pour m’annoncer qu’ils veulent cesser de prendre leur
médicament, pour quelque raison que ce soit, ils ont bien souvent déjà arrêté de le prendre.
4. Le patient qui manque régulièrement des rendez-vous ou qui ne prend aucun rendez-vous de
suivi aura vraisemblablement une mauvaise observance.
5. Les patients sans assurance-médicaments peuvent également faire preuve d’une moins bonne
observance.
Quelles stratégies pouvez-vous mettre en œuvre pour améliorer l’observance?
En tant que rhumatologue, voici quelques stratégies qui peuvent vous aider à maximiser l’observance de
vos patients :
1. Sachez que la croyance du patient par rapport à son médicament et à sa maladie permet de
prédire en partie l’observance. Les rhumatologues doivent apprendre à bien informer leurs
patients quant aux risques et aux bienfaits des médicaments. On peut noter une grande
différence quand le patient comprend bien les risques et les bienfaits d’un traitement. Par
exemple, en parlant du méthotrexate, ce n’est probablement pas une bonne idée de dire « ce
médicament peut causer une toxicité hépatique », car vous effrayerez le patient. Vous pourriez
plutôt dire « ce médicament peut irriter le foie, mais c’est rare, et je vais le surveiller par des
analyses sanguines régulières ».
2. Prescrivez des schémas thérapeutiques qui soient aussi simples que possible. Si vous pouvez
avoir recours à une option uniquotidienne, utilisez-la. Une revue systématique de grande
envergure de 76 essais a montré que l’observance était inversement proportionnelle à la
fréquence d’administration et que les taux d’observance pour des patients qui prenaient des
médicaments 4 fois par jour étaient de 50 % seulement3.
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3. Si vous instaurez un traitement d’association par des ARMM, faites-le graduellement si possible.
Demandez au patient de revenir de 2 à 6 semaines après la visite initiale pour ajouter le second
médicament et ainsi de suite. Ainsi, vous pourrez évaluer l’observance au premier médicament,
et l’informer sur le second médicament.
4. Demandez au patient s’il a un régime d’assurance privé ou comment il prévoit payer ses
médicaments. Informez-vous pour savoir combien coûtent les médicaments pour lui donner une
idée de ce qu’il devra débourser.
5. Les plaquettes alvéolées ou les piluliers sont utiles pour les patients ayant des troubles de
mémoire ou des troubles cognitifs légers.
6. Méfiez-vous des patients qui manquent des rendez-vous, qui se présentent rarement et qui
prennent rendez-vous en cas de poussée seulement, et de ceux qui manquent régulièrement des
analyses de laboratoire de routine.
Références
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